Le jugement synthétique a priori ou la formation des lois scientifiques

Kant dans la Critique de la Raison pure prétend expliquer comment les lois de la science physique peuvent être universellement valables. Il s’agit pour lui de fonder en raison toute la science nouvelle, née après Galilée. Rien de moins! Ce pari est-il réellement tenu? C’est ce que nous allons voir. Disons-le tout de suite, pour nous, la réponse n’est que partiellement positive. Malgré l’extraordinaire percée de Kant, qui représente l’une des plus grandes avancées intellectuelles de tous les temps, le programme n’est pourtant pas entièrement rempli.

Distinctions préliminaires des conditions du jugement

Avant d’expliquer la manière dont les jugements purement théoriques peuvent s’appliquer à toute expérience possible, il faut expliquer deux distinctions concernant les jugements et montrer comment toute expérience est en fait elle-même reçu dans ce que Kant appelle un cadre a priori.

Jugements analytiques et synthétiques

Kant sépare les jugements qui appelle déterminant, c’est-à-dire qui s’applique aux choses et à l’expérience, en analytique et synthétique. Qu’est-ce que cela signifie? Un jugement analytique est celui qui tire les conséquences de la définition d’un objet. « Un carré est une figure ayant 4 angles droits », est l’exemple type du jugement analytique, car la propriété n’est rien d’autre qu’une conséquence directe de la définition elle-même du carré. De même, « un carré est une figure dont tous les côtés sont de longueurs égales », est un jugement analytique. Si l’on veut en trouver un dans la nature, on dira « un chien a toujours quatre pattes », ou encore « un oiseau a deux ailes », qui sont, sauf accidents de la nature, des jugements déduits de la définition du chien et de l’oiseau.

Le jugement synthétique, à l’inverse, doit faire une synthèse, c’est-à-dire relier deux éléments de natures différentes, ou valider la liaison de deux éléments. Par exemple dans la proposition « tous les corps sont pesants », proposition dans laquelle l’idée de corps est liée à l’idée d’un poids, est un jugement synthétique.

Jugements a priori et a posteriori

Seconde distinction concernant les jugements, Kant sépare également les jugements en a priori et a posteriori. Est a posteriori un jugement relatif aux données de l’expérience et tiré de l’expérience. La proposition « cet arbre est mort parce qu’il n’avait pas reçu d’eau  » est un jugement synthétique a posteriori. Il relie arbre et eau, qui sont deux éléments différents, et pose entre eux un rapport de cause à effet dont rien ne nous dit qu’il est nécessaire, en tout cas dans cette formulation. Ce simple constat repose uniquement sur l’expérience. Le concept d’arbre est d’ailleurs un concept empirique qui n’a rien de nécessaire. On pourrait tout à fait imaginer un monde sans arbre, et le concept n’est forgé que par la rencontre de plusieurs exemples d’arbre dans la nature. Il en est de même de celui d’eau.

Pour avoir une vérité éternelle, il nous faut un jugement a priori, c’est-à-dire nous dit Kant, qui échappe totalement à l’expérience, et qui s’applique pourtant à toute expérience possible. Comment résoudre ce mystère? Telle est la grande interrogation du penseur. Comment la proposition « tous les arbres ont besoin d’eau pour survivre » peut-elle accéder à l’universalité et s’appliquer à toute les réalités d’arbre possible?

La clé du mystère: les formes de l’intuition, l’espace et le temps

La grande idée de Kant, celle qui en fait un génie, est la suivante. Le temps et l’espace ne sont pas des données objectives de l’expérience. Quand bien même nous aurions l’impression que tout dans le monde s’écoule dans un temps objectif qui serait différent de nous, hors de nous, et dans lequel nous serions en train de vivre, avec tout ce qui nous entoure, et dans une étendue également objective, qui subsisterait en dehors de nous, et dans laquelle nous serions inclus, nous ne pouvons pourtant pas admettre le temps et l’espace comme des faits réels au dehors de notre conscience.

Contre le réalisme du temps et de l’espace, qui leur accorde une réalité objective dans la nature, Kant leur donne un nouveau statut. Le temps et l’espace sont « les formes a priori de l’intuition sensible ». Cela signifie que nous portons le temps et l’espace en nous, dans notre conscience dont ils sont l’étoffe, et qu’ils forment l’architecture, la super-structure de toute notre expérience. Nous ne les voyons pas hors de nous. C’est au contraire à travers eux que nous recevons toute l’expérience possible. Ils sont le fondement de la sensibilité et de l’expérience, tellement présents que nous ne les voyons plus.

Cette thèse a tout pour surprendre et déconcerter. Le temps et l’espace sont ce qui nous paraît le plus réel, ce qui justement reste immobile, alors qu’à travers le temps et l’espace, tout s’écoule. Si le temps et l’espace ne sont pas objectifs, que reste-t-il de notre accès à la réalité des choses en dehors de nous? Au premier abord la thèse est violemment contre-intuitive. Il faut un long apprentissage, une lente méditation, pour la faire sienne, ou au moins pour la comprendre.

Ainsi pour Kant, tout ce que nous recevons dans la sensibilité est reçu d’abord dans des formes données de l’espace et du temps. Toute expérience possible à lieu dans le temps et dans l’espace. Ainsi, et c’est la seconde partie de la clé de la démonstration, toute loi que nous pouvons appliquer directement à l’espace et au temps, en faisant abstraction de tout contenu sensible, s’appliquera automatiquement à toute notre sensibilité et sera aussi valide pour la compréhension de l’expérience qu’il est possible de l’être pour une loi humaine.

Référence newtonienne

Notons que l’idée de Kant s’appuie sur une longue tradition de l’analyse de l’espace et du temps, et notamment sur les analyses précises de Newton en la matière, exposées dans les Principia (Principes mathématiques de la philosophie naturelle) définition VIII et scholies. Newton distingue deux conceptions du temps et deux conceptions de l’espace. Il énonce:

« Le temps absolu, vrai et mathématique » qui « est celui qui s’écoule régulièrement en soi, et par sa nature, sans aucune relation avec quoique ce soit d’extérieur; on l’appelle également Durée. Le temps relatif, apparent et empirique est toute mesure perceptible et extérieur de la durée par le mouvement, laquelle pour le peuple remplace le temps vrai: heure, jour, mois, année ».

-« L’espace absolu ne possède par nature aucune relation avec quelque chose d’extérieur et reste toujours uniforme et immuable; l’espace relatif est la mesure de cette espace, c’est-à-dire une dimension variable que nos sens définissent par rapport à l’éloignement des corps; il est employé par le peuple au lieu de l’espace immuable, comme lorsque l’on détermine l’éloignement d’un point situé sous terre, dans l’air ou dans la ciel, par rapport à la position qu’il occupe par rapport à la terre. »

Les définitions de Newton sont toutes a priori. Ce sont les définitions volontairement abstraites utilisées en mathématiques, géométrie, et physique pour modéliser la nature. Leur but est de disposer de conceptions du temps et de l’espace qui soient cohérentes avec les règles des mathématiques, comme celle de la division à l’infini, ou de l’infini des suites de nombres – suites étudiées par Newton dans ses travaux sur le calcul infinitésimal. La définition du temps est calquée sur celle de l’espace, qui est courante en géométrie depuis les Eléments d’Euclide. Il reviendra à Kant de donner un nouveau statut à cet a priori, en le transformant en a priori de la sensibilité, et pas seulement en a priori purement intellectuel. C’est souvent ainsi que procède l’histoire des idées. Un grand génie est le plus souvent le continuateur d’une tradition à laquelle il ajoute un seul élément, un petit ajout qui change tout.

Sciences et jugement a priori

Les préliminaires étant posés, nous pouvons désormais passer à l’analyse des différents jugements et aux disciplines scientifiques associées.

La géométrie est construite sur des jugements synthétiques a priori

Dans la géométrie, l’esprit construit lui-même ses concepts, que sont les figures. Il n’a pas besoin de l’expérience. Ou trouvons-nous des carrés parfaits dans la nature? Des triangles isocèles, des cercles, etc? Nulle part. Ils sont tous construits intellectuellement, par définition, et sans recours à l’expérience.

Leurs propriétés naissent toutes de leurs définitions. Ainsi du carré qui doit avoir 4 côtés égaux et 4 angles droits. Il en suit tout simplement, par exemple que si les 4 côtés sont égaux et trois angles sont droits, le quatrième angle sera nécessairement droit. Nous pouvons ainsi former des démonstrations purement rationnelles. Ce type de démonstration d’ailleurs, a souvent une apparence un peu vide de jeu de l’esprit. Tout étant contenu dans la définition, nous n’avons pas l’impression de prouver grand chose.

Le cercle est défini comme la figure dans laquelle tous les points sont équidistants d’un point donné appelé le centre. Si nous poussons le raisonnement, nous pouvons simplement poser l’existence d’un rapport entre le rayon (ou le diamètre) d’un cercle et la circonférence ou la surface de ce même cercle. Tous les points étant à égale distance du centre, le rapport du rayon à la circonférence est nécessaire. Je n’ai même pas besoin de le calculer, et je peux l’appeler directement Pi, quand bien même il se trouverait que Pi est un nombre infini dans un système décimal. En faisant les mesures, je trouve que la circonférence est égale au diamètre * Pi (2*Pi*R. Mais à vrai dire, je n’ai besoin de la mesure que pour approcher Pi, pas pour découvrir la formule.

Toute la mathématique pure et la géométrie pure sont constituées uniquement de jugements de ce type et sont rigoureusement exactes. La force des raisonnements a priori étant non seulement dans leur validité logique, mais aussi dans leur application aux formes a priori de la sensibilité que sont le temps et l’espace, application qui garantit leur validité pour toute expérience possible. Tous les cercles ou triangles que nous pourrons construire dans la nature obéiront forcément à ces lois. La formule de la circonférence du cercle vaut pour tout cercle réel. Pour tout triangle, la somme des trois angles fera toujours 180°.

Mais, attention, il n’en est pas de même pour toutes les disciplines scientifiques, et notamment dans les mathématiques appliquées ou les géométries appliquées, que l’on peut rencontrer dans la physique, les statistiques, ou encore les probabilités.

La loi de la vitesse, meilleur exemple de jugement synthétique a priori appliqué à la physique

L’un des meilleurs exemples de jugement synthétique a priori est celui de la vitesse. Il permet d’ailleurs au passage de comprendre et d’annuler le célèbre paradoxe de Zénon. La vitesse en effet est un rapport, une division, entre la distance, qui est une donnée de l’espace, et la durée, qui est une donnée du temps. C’est un rapport logique, de proportion, entre les deux données de l’intuition. C’est, tout simplement, de l’espace divisé par du temps. Dans le cas de la vitesse, il s’agit d’un certain espace, la longueur, une ligne de déplacement dont la distance est ramenée à une mesure mathématique. Et pour le temps, il s’agit également d’un dénombrement mathématique de son écoulement. Il y a une médiation mathématique, une numération, dans la conceptualisation de ces grandeurs, qui correspond à l’application du concept de quantité à l’intuition. Ce concept de quantité est lui-même a priori, nous l’utilisons pour dénombrer la réalité, mais il ne provient pas de la réalité. Il est « tellement inné » pourrait-on dire que nombre d’enfants savent compter bien avant de savoir lire.

Surtout, bien qu’il soit possible de le construire entièrement abstraitement en mesurant le temps, en mesurant la distance et en fabriquant une opération intellectuelle permettant de ramener l’un à l’autre, il est néanmoins ensuite possible de l’appliquer à tout phénomène rencontré dans la nature. C’est ainsi, parce que le rapport est construit abstraitement dans la pensée et l’intuition, qu’il est ensuite possible de l’appliquer à tout phénomène et qu’il est valide pour tout phénomène. Voilà comment une loi toute intellectuelle permet d’analyser toute la réalité. Toute la réalité étant reçu dans les formes a priori de l’intuition de l’espace et du temps, toute loi scientifique construite abstraitement sur ces formes s’applique d’emblée à toute la réalité. Elle est universelle.

A vrai dire, la formule de la vitesse inclut plus que la simple intuition de l’espace et du temps. Elle est en effet, comme nous l’avons vu, mathématisée. Cela nécessite autre chose que les intuitions de l’espace et du temps, à savoir le concept de quantité, qui est un concept également a priori et qui permet de distinguer et de grouper des éléments. Si l’on voulait un concept purement synthétique de l’espace et du temps, il faudrait se tourner vers le concept de mouvement, tout simplement parce que tout mouvement nécessite le passage d’un état ou d’un lieu A à un état ou à un lieu B et nécessite une modification de la forme, que ce soit d’un lieu de l’espace à un autre, ou d’une transformation de la forme elle-même en une autre forme. Les étapes successives de cette transformation sont perçues par l’intuition du temps. Le mouvement, en tant que rapport de l’espace et du temps, est un concept a priori s’appliquant à toute expérience possible. Dit autrement: tout ce qui est dans la nature est sujet au mouvement. Le mouvement peut être appliqué à l’analyse de toute la nature, comme le défendait Héraclite (« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », affirme t-il en faisant bien référence toutefois « au même fleuve »).

Réfutation du paradoxe de Zénon

A partir de ces éléments nous pouvons résoudre le fameux paradoxe de Zénon, qui à vrai dire, est résolu depuis longtemps. Rappelons le paradoxe: la flèche qui doit atteindre la cible, ou la tortue qui doit franchir la ligne d’arrivée, doivent toutes deux à chaque fois traverser la moitié de la distance restante, et ainsi de suite à l’infini. De sorte qu’allant de moitié en moitié, ni la flèche, ni la tortue ne devraient jamais parvenir à leur but.

Pour rattraper la tortue, Achille doit parcourir la moitié de la distance qui l’en sépare, puis la moitié de la moitié restante, et ainsi de suite. Conclusion: Achille ne rattrapera jamais la tortue

On a fait de ce paradoxe l’exemple même de la limitation de la pensée intellectuelle dans son application à la réalité. La pensée abstraite ne serait pas capable de saisir la qualité propre à l’étant. Rien n’est plus faux. Le paradoxe de Zénon repose sur un sophisme ou une erreur logique. Le mouvement ne peut pas être appréhendé par la dichotomie mathématique qui ne s’applique a priori qu’au nombre. La correcte mesure du mouvement est la vitesse, et non pas la division. Zénon a tout simplement appliqué la mauvaise formule au phénomène physique qu’il a observé.

La seconde réfutation vient directement des mathématiques et vient de la notions de suite. La suite, c’est-à-dire ici l’addition de toutes les moitié d’une distance donnée, ou de n’importe quel nombre donné, donnera à la fin ce nombre lui-même. C’est ce que l’on appelle une suite finie ou convergente. Une feuille de papier peut bien être découpée à l’infini, la somme elle-même infinie de ses parties donnera toujours la feuille d’origine. Il en est de même pour une distance donnée, de la ligne de départ à la ligne d’arrivée. On peut la diviser intellectuellement à l’infini, la somme elle-même infinie des parties donnera nécessairement la distance de départ. La résolution repose sur le fait que l’infini de la réunion compense l’infini de la division. Si je divise à l’infini le chemin de la tortue, il faut que j’additionne aussi à l’infini pour retrouver la valeur, elle bien finie, d’origine.

La situation est différente pour ce que l’on appelle les suites infinis. Par exemple la suite 1+1+1… renouvelée à l’infini, est ce que l’on appelle une suite divergente, c’est-à-dire que son résultat n’est pas fini, son horizon n’est pas fermé. Le résultat de cette suite est lui-même, infini. Les formules mathématiques que l’on peut développer sur ce type de suites porteront par exemple sur la valeur à rang n de l’addition des parties déduites de la règle, ou autre calcul du même type.

Pris positivement, le point soulevé par Zénon montre les difficultés d’une pensée purement mathématique, abstraite, aux prises avec ses propres difficultés a priori. La division est par définition infiniment possible, comme toutes les autres opérations d’ailleurs. C’est un pouvoir a priori de l’esprit, qu’on l’appelle division en mathématique, ou dialectique en philosophie. Mais prise dans un élément à diviser lui-même fini, la somme de toutes ces divisions fera toujours un entier. L’application des mathématiques à la réalité nécessite une étape intellectuelle différente, qu’on appelle parfois la « modélisation », et qui doit permettre d’adapter un raisonnement mathématiques à la réalité.

Le mouvement héraclitéen

Le grand Héraclite disant déjà « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Il défendait la thèse du mouvement universel. La seule réalité, loin d’être la permanence, est le changement de toute chose.

Traversée du fleuve Styx, Joachim Patinir, 1520 – 1524

Retraduit en terme kantien, le principe devient celui-ci: l’espace et le temps sont les formes a priori dans lesquelles nous recevons toute notre expérience, dans laquelle se montrent les phénomènes. La synthèse de l’espace et du temps étant le mouvement de toute forme, nous pouvons affirmer que le mouvement, dont la vitesse est une modélisation possible, est un principe a priori.

La question de l’arithmétique

Certains auteurs, comme Schopenhauer, déduisent les nombres et leurs enchaînements de l’intuition du temps. Le temps étant succession, la succession appellent forcément le dénombrement. Mais ceci ne nous paraît pas tout à fait exact. Les pommes et les poires n’ont aucun besoin d’être une succession pour être comptées. Elles doivent uniquement être différenciées comme objets différents dans l’espace. Par ailleurs les enfants, qui sont capables de compter, n’ont qu’une notion très vague, voire totalement absente de la temporalité. Le calcul est bien plutôt un raisonnement logique, formel, déduit des règles posées, synthétique comme le soutient Kant. 7+5=12 est bien une liaison, mais de deux termes du même ordre. Le résultat =12 est par ailleurs entièrement compris dans la série du dénombrement et dans la loi de l’addition. Tout ceci ressemble beaucoup plus à un jugement analytique, une déduction de concept, plus qu’un assemblage de concepts. L’idée de Kant est cependant de souligner le rôle du « + », de l’union, de la connection logique entre deux séries, un lien que l’on peut établir a priori, sans aucun contenu ou référence réelle correspondant au nombre ou au connecteur logique. Malgré cette absence de connection à la réalité, dès que nous devrons appliquer les règles de l’arithmétique à la réalité, elles seront toujours valables.

La physique purement théorique

On énonce souvent que le but de Kant dans la Critique de la raison pure, est de fonder la validité des lois de la science physique et notamment celles de la physique de Newton. Le projet serait de fonder en philosophie la validité de la loi de la gravitation. C’est ainsi qu’il nous met sur la piste du fameux jugement synthétique a priori, seule manière d’établir une loi valant pour toute la nature. Pourtant le résultat de la CRP est différent. Et lorsque l’on avance dans l’analyse, on ne parle plus de la loi de la gravitation. Kant a réalisé un autre projet, celui de fonder l’intégralité des jugements objectifs et de déterminer ainsi tout le pouvoir a priori de la raison, c’est-à-dire de déterminer tout ce que l’on peut penser sans recours à l’expérience et comment la pensée pure s’applique à l’expérience.

Comme il le souligne clairement dans la Seconde introduction à la CRP, la résolution du problème posé par la science newtonienne se trouve en fait dans les Premiers principes métaphysiques de la nature, ouvrage qui est avec l’Esthétique transcendantale (la partie de la CRP exposant les intuitions de l’espace et du temps), le second ouvrage le plus important de Kant, totalement oublié par une tradition du commentaire qui a perdu de vue le but méta-physique au sens propre de la CRP.

Peu étudier, et pourtant le plus grand ouvrage de KANT, avec la Critique de la raison pure.

La physique pure et la physique pratique – La question de l’objet et de la masse

Toujours dans cette Seconde introduction, Kant souligne l’existence de deux physiques, l’une complètement pure et a priori, et une autre, contenant des éléments a posteriori. Que veut-il dire par là? Quelle est la différence et le lien permettant d’articuler ces deux physiques? Selon nous, la conception majeure sur laquelle repose cette distinction tient aux différentes définitions et propriété que l’on donne aux objets physiques.

La physique pure et l’objet pur

En plus des éléments constitutifs de l’espace et du temps, la physique nécessite, comme nous l’avons d’ailleurs déjà vu, d’autres éléments, au premier rang desquels, le concept d’objet. C’est l’objet que l’on étudie, ses propriétés et son mouvement.

D’où vient que nous soyons capable de désigner un objet, de répartir la réalité en ces différentes figures distinctes, les différentes choses placées devant nous, alors même que tout change? Cela tient, là encore, au pouvoir de la raison, à sa capacité à délimiter ce que l’on appelle un objet, une partie particulière de l’espace ou de l’étendue et de considérer cette délimitation comme fondant un objet individuel, particulier, séparé du reste. L’objet est construit a priori, ce que montre la capacité de pouvoir nous représenter des objets dans l’intuition de l’espace, comme les objets géométriques, les solides de Platon par exemple, indépendamment de la réalité concrète de ses objets. C’est également sur lui que nous nous appuyons pour former tous les concepts d’objets a posteriori, issus de l’expérience, comme ceux de chiens, de chats, etc. C’est ce que Kant désigne du nom de faculté des concepts. C’est le pouvoir propre qu’a la raison de pouvoir se créer des objets intellectuels sur lesquels elle appliquera et forgera des jugements.

Tout objet est une forme correspondant à une limitation de l’espace. C’est ainsi que l’espace a parfois été considéré comme le fondement de tout objet, notamment dans les conceptions de « l’étendue ». Selon sa forme, l’objet est une partie particulière de l’espace, il occupe un lieu, et se situe par rapport à d’autres objets. Il peut changer de forme, et / ou de lieu, comme la cire change sous l’effet de la chaleur, selon qu’on la modèle, ou que l’on peut la déplacer du bureau sur l’enveloppe dont elle formera le cachet. Ecoutons ce que nous dit Descartes du « corps »:

« Nous saurons que la nature de la matière, ou du corps pris en général ne consiste point en ce qu’il est une chose dure ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu’elle est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur. » (Descartes, Principes de la philosophie, II, Paragraphe 4).

Le type de définition est à rapprocher exactement de celui utilisé par Newton, dans l’exemple précédent, pour distinguer les temps et espace réels des temps et espace des scientifiques. Ici Descartes distingue le « corps » ou la « matière » qui résulte d’une simple étendue en trois dimension, du poids et de la dureté de ce même corps. Dans un sens identique, Locke distinguera les « qualités premières », comme l’espace, et les « qualités secondes », qui sont en fait les données de l’expérience, comme la couleur, la dureté, le son, etc. Notons bien que le pouvoir de délimiter une forme dans l’intuition de l’espace, dans l’imagination pure, n’a rien à voir avec l’espace, qui est toujours une totalité. Il correspond à un pouvoir de l’esprit d’identifier des corps séparés.

Tant que nous restons dans le domaine des qualités premières, de l’étendue, de l’objet uniquement objet, nous restons dans le domaine de la physique pure. Ici s’applique les lois du mouvement, de la vitesse, et même les lois des forces. C’est ce domaine qu’explore les Premiers principes. C’est sur lui également que porte les jugements synthétiques a priori de la physique, les jugements pouvant s’appliquer à toute la physique, a priori, car ils portent finalement que sur la liaison des objets pris dans le temps et dans l’espace, indépendamment de toute autre qualité possible de ces objets.

La physique pratique

Les lois de la physique moderne, de Galilée à Newton, repose cependant sur une autre notion totalement cruciale, celle de poids. Les objets n’ont pas qu’une forme et une substance, ils ont aussi une pesanteur, qui est relative à leur matière (elle-même se résolvant dans la notion de force). Ce point est clé, car il va déterminer si le jugement physique est a priori ou non. En effet, le jugement purement a priori n’empreinte rien à l’expérience, il ne fait que s’y appliquer, comme nous l’avons vu pour la loi de la vitesse. Or le poids n’est pas une donnée a priori. Il est une donnée de l’expérience. Pire, si l’on peut dire, la grande découverte de Newton est l’existence de deux types de poids, l’un étant la masse, qui est propre au corps, et l’autre une force, la force de la gravité. Le poids est la multiplication de la masse et de la gravité. La force existant entre deux corps, dite force de Newton, correspond à la formule suivante, posant le rapport entre la constante gravitationnelle et la multiplication des masses des corps concernés divisée par leur distance. Sans masse, il ne peut pas y avoir de telle formule.

La loi de la gravitation

La loi de la gravitation, qui met en rapport distance, force et masse, contient donc une formalisation, une modélisation mathématique d’un phénomène naturel. Il en est de même de toutes les théories d’Einstein, qui repose notamment sur une donnée naturelle, la vitesse de la lumière, considérée, comme la gravité, comme une limite de la nature, une constant, rien ne pouvant en théorie dépasser cette vitesse. Or une telle donnée n’est pas une donnée a priori. Dans la physique non théorique, il y a nécessairement un mélange d’éléments de l’expérience et de formes du raisonnement. Selon sa célèbre formule, Kant énonce que sans expérience le concept est vide, et sans concept l’expérience est aveugle. Il faut les deux éléments pour fonder une formule physique a posteriori.

E=MC^2: la résolution du problème de la masse?

La masse, donc, est une donnée de l’expérience. A priori, nous ne pouvons concevoir que le temps, l’espace, l’objet en tant qu’il est la détermination d’un certain espace, et la force, ou l’énergie qui est une quantité positive ou négative, de rapprochement ou d’éloignement.

La masse suppose une expérience concrète, un objet mis sur une balance, un lâché de pierre et de plume du haut de la tour de Pise, les expériences de chute dans un espace vide d’air, qui établissent l’égalité de vitesse de la chute, quelque soit la masse, ou encore les expériences de déplacement sur un plan incliné. Cette loi, totalement contre-intuitive, est un excellent exemple de ce que l’analyse de l’expérience apporte à la fondation de la phyique.

Les liens, à notre avis les plus profonds que l’on ait jamais tissés entre les deux disciplines, l’ont été par le génie d’Einstein. C’est lui qui nous a donné la clé, avec cette formule E=MC^2, établissant un lien entre l’Energie, la force, et la Masse. Cette formule met au défi la classification des jugements synthétiques. Elle est assurément a posteriori, puisqu’elle inclut la Masse. Mais en lui donnant un équivalent en énergie, elle la rattache à une pensée quasiment a priori, située entre la notion d’objet étendue et d’objet pesant. Cette formule est le pont entre deux physiques que l’on ne savait pas comment réconcilier avant. Le corps physique peut alternativement être pensé comme corps pesant, ou comme réceptacle énergétique. (Il faudrait élaborer tout cela plus avant, notamment la notion d’énergie, et son lien avec les composantes fondamentale de la matière, etc).

On voit cette même limite de la pensée dans la double nature tantôt (ou à la fois) corpusculaire et / ou énergétique, du photon. Nous sommes bien là face à un mur conceptuel, comme le mur de Plank sur la création de l’univers. Plank reprensant Aristote, énonce que l’on ne remontera jamais jusqu’au Big Bang. Nous ne le pourrons pas, parce que le raisonnement physique va de cause en cause, remonte les instants de la même manière que la flèche de Zénon parcours l’espace, c’est-à-dire sans jamais arriver au but. Il faut un saut conceptuel, une autre manière de penser pour parvenir à la synthèse, à la globalité. Tel est le mur de Plank, un mur conceptuel. Le génie intellectuel sous toutes ses formes, que ce soit en philosophie, en mathématique ou en physique, tient justement dans cette capacité de dépassement de la série pour parvenir à la définition de la totalité.

C’est vraiment la quintessence du génie d’Einstein que d’être capable de nous faire passer de la théorie la plus pure à la physique la plus concrète, de jeter des ponts entre la théorie pure et la réalité de l’expérience. C’est également toute la beauté de cette loi de la relativité qui instaure un lien entre l’espace, le temps et la masse, la fameuse possibilité d’avoir une courbure de l’espace-temps engendrée par une masse extrêmement importante. Une courbure qui dévie même la lumière passant dans un tel espace. Einstein refusait la thèse de Kant, et lui préférait celle des tourbillons de Descartes, bien plus proche, selon lui, de la réalité physique des choses. Et pourtant, sa physique est incroyablement proche des considérations du maître de Koenigsberg. Le temps et l’espace de Kant reste les intuitions initiales. Le temps et l’espace « déformés » d’Einstein, ne sont justement déformés que par rapport à une référence qui leur est antérieur. Sans l’espace et le temps premier de Kant, il n’y a pas l’espace second et mathématisé prenant en compte la masse d’Enstein. Cette déformation est une courbure qui est mathématisable dans l’intuition de l’espace et du temps.

La cause et l’effet

L’un des buts de Kant était également de fonder la loi de la cause et de l’effet. Il s’agissait pour lui de répondre à Hume qui soutenait que la loi de la causalité se réduisait à l’habitude de la répétition des phénomènes et au principe seulement temporel: post hoc ergo procter hoc, après cela donc à cause de cela.

Or en fondant toutes les sciences uniquement sur la répétition constantes des phénomènes, il n’est pas possible de donner aux lois de la physique le sens et le nom de loi. La relation reste un constat, mille fois répétés peut-être, mais dont rien ne permet d’affirmer qu’il est nécessaire. Kant a-t-il là encore réalisé son programme? Contrairement à la doxa philosophique courante, la réponse nous semble complètement négative. Non, Kant n’a pas montré cela. Il a cependant montré, ce qui est peut-être encore plus fort, comment toute loi physique pour être valide tant qu’elle n’est pas contredite, enchaîne de manière ordonnée les structures a priori de l’intelligence et les données de l’expérience.

La loi de la cause et de l’effet est une loi a priori, mais ces résultats, son application aux phénomènes de la nature doit en permanence être vérifié, contrôlée, testée et retestée. Elle ouvre la voie à une nouvelle forme de science par une nouvelle manière de faire des expériences scientifiques. Pour être valable, l’application de la loi de la causalité nécessite une épuration du phénomène, pour identifier des liens extrêmement claires. Ce sont par exemple les expériences de Lavoisier sur les gaz et la compression des gaz, comme la loi de la dilatation, qui nécessitent de pouvoir isoler les gaz, comprendre leur composition, etc.

La loi de la causalité, à vrai dire, n’est rien d’autre, comme le souligne Schopenhauer (De la quadruple racine du principe de raison), que le principe de raison déjà énoncé par Liebniz « nihil est sine ratione« , rien n’est sans raison. C’est un pouvoir a priori de la raison de chercher partout la raison, la cause, de tout phénomène. Y compris quand nous identifions le rapport d’une chose avec une autre dans le temps, selon la doctrine de Hume, nous sommes déjà en train d’appliquer le principe de raison, de lui chercher et de lui trouver un chemin d’application.

La loi de causalité est un type particulier de loi scientifique. La loi de la gravitation, par exemple, n’est pas une loi de causalité, mais de rapport. Elle établit un rapport constant entre certains éléments, rapport universel. Elle décrit un équilibre statique. La loi de la causalité est dynamique. Elle doit rendre compte de la nécessité d’un mouvement. Si ceci arrive, alors cela arrivera nécessairement. Kant a montré que la loi de causalité est un type de jugement a priori, provenant du pouvoir de juger de la raison, qu’il appelle l’entendement. Mais les règles permettant scientifiquement de fonder la validité d’une loi de causalité dans l’expérience reste relative à l’expérience. Dans ce cas, il est exacte de dire que sans le concept l’expérience est aveugle et que sans l’expérience, le concept est vide.

Karl Popper et la relativité des sciences physiques

La logique des découvertes scientifiques – 1934

Popper en a tiré une conclusion toute simple, que nous reformulons ainsi. En dehors de la mathématique pure et de la physique pure, toute loi physique est susceptible d’être réfutée. Toute loi physique est provisoire et ne durera que le temps d’être réfutée. Ainsi les théories d’Einstein continuent toujours aujourd’hui d’être testées par des observations scientifiques, tests qu’elles continuent d’ailleurs de passer avec un incroyable brio.

Aucune loi de la physique a posteriori n’est éternelle. Il en est de même pour toutes les disciplines liées, comme la chimie. Cette fragilité de la découverte et de la loi scientifique n’existe pas dans les disciplines a priori, ou dans la partie a priori de ces sciences. La partie, ou le champ a posteriori des science, est sujette à de nouvelles découvertes et de nouvelles analyses.

Emmanuel Kant

Appendix

Dans le livre 1er, Le monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer revient sur ces questions. Il repart de la position de Kant et de l’a priori de l’espace et du temps. Mais il commet à notre avis une série d’erreurs qui montre les limites de l’idéalisme allemand.

Schopenhauer veut absolument ramener toutes les constructions intellectuelles au Principe de raison. C’est sa thèse initiale, exposée dans la Quadruple racine du principe de raison suffisante. Ce faisant, il se lance dans deux démonstrations tout à fait contestables. Premièrement, il déduit le concept de matière de l’espace et du temps. Secondement, il affirme que tout dans la nature est soumis à la loi de la causalité.

La première thèse, celle déduisant la matière de l’espace et du temps, évite soigneusement les principales questions posées par la matière. D’où vient-elle? Comment peut-on articuler, au sein de la matière, la différence des individus, la singularité de tel arbre, son appartenance à telle espèce et le fait que l’arbre appartienne au continuum de toute la matière? Quel rapport enfin y-a-t-il entre la matière et la vie?

Le fait de déduire la matière de l’espace et du temps est la définition de l’idéalisme. Cela signifie que la matière n’est pas un concept donné par l’expérience, mais qu’il est une construction intellectuelle a priori. Tout sort de l’idée. L’expérience ne sert pas à grand chose. Kant n’est évidemment pas allé aussi loin.

La question de la matière porte aussi le nom dans la tradition philosophique de question de la substance. La sub-stance, est ce qui se tient en dessous de toutes les manifestations d’une chose. C’est l’être concret qui soutient tous les phénomènes. Derrière la pierre que je vois, sous cette couleur, cette forme, ces température, odeur, sensation de lisse, ce poids, etc… ce tient la substance de la pierre. La matière, et non pas la forme qui en était bien distinguée, était pour les anciens, y compris pour Aristote, un principe premier, irréductible à aucun autre et nécessaire à la pensée de la nature.

La question de la substance, en plus de la question de son existence objective, se heurte à la problématique de l’un et du multiple. Y-a-t-il une seule substance, comme dans la philosophie de Spinoza, ou bien y-en-a-t-il de multiples, comme chez Leibniz, où règne la multiplicité des monades? Les philosophes insistant sur l’unicité de la substance, prennent en compte l’interdépendance de toute chose dans la nature, sous le concept de totalité. Les philosophes de la multiplicité de la substance prônent, au contraire, la reconnaissance de la multiplicité et de l’irréductibilité de chaque individu aux autres. Les substances sont autonomes.

L’un des principaux problèmes de la substance est celui de la question de l’âme. A côté des substances matérielles, existe-t-il un autre type de substance, purement intellectuel, non matériel, et qui survivrait à la destruction du corps et serait immortelle? Ici la question de la substance dépasse celle de la matière.

Schopenhauer, en réduisant la matière à l’espace et au temps, oublie la leçon kantienne de la formation des concepts empiriques. L’entendement est la faculté des concepts. Mais il y a un contenu du concept qui ne peut pas être a priori. Le concept de chien, animal à quatre pattes, compagnons de l’homme, obéissant et apparenté au loup, ne peut pas être forgé a priori. Il dépend de l’expérience que l’on a du chien. Mais la capacité à définir l’animal est la capacité à forger des concepts. Il escamote la question de l’Un et du Multiple. Pourquoi en effet suis-je pris dans cette dualité de considération qui me rend possible de considérer alternativement tel élément de la nature comme une simple partie ou comme un tout en soi? Où est la réalité des êtres? Est-elle réellement quelque part? Il est fort probable qu’il n’y ait pour nous rien d’autre que de la sensation et du concept. La question de la matière devient totalement indécidable. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de trouver des enchaînements plus ou moins logiques dans les phénomènes. De trouver des lois de l’enchaînement, c’est-à-dire des enchaînements nécessaires de phénomènes. La nature, la substance, nous restant à tout jamais inaccessible.

L’autre point sur lequel Schopenhauer va trop loin est l’application du principe de raison et de la loi de la causalité. Tout semble, pour lui, lié par une véritable causalité universelle, comme si tout ce que nous expérimentons dans la nature l’est (est expérimenté) sous la loi d’une causalité. C’est un usage bien trop absolu du rapport. Car si nous cherchons la chaîne des causes, tout n’est pas directement lié par de la causalité, ou en tout cas par de manière absolu. Il manque à sa description de la causalité tout un ensemble de nuances des rapports possibles des choses. Certaines causes sont nécessaires, et celles-là seulement sont comprises dans la loi de la causalité. Mais d’autres sont contingentes, adjuvantes, probables, possibles, ou simplement inexistante. Ce ne sont plus des lois au sens de nécessité, mais des rapports dans lesquels le hasard peut avoir une place.

Ainsi nous pourrions tout à fait renverser l’ordre du raisonnement de Schopenhauer. Le principe de raison n’est pas premier, pas plus que le principe de causalité. Il est au contraire second. Dans l’expérience, l’entendement est pris dans une tension qu’il ne sait pas résoudre entre la totalité et la singularité, entre l’ensemble et ses composants. Cette tension est de tous les instants. L’arbre appartient-il au paysage que je contemple devant moi? Ou bien est-il un partie isolable de l’expérience? Même question pour la racine, le tronc, la feuille… De sorte que tout dans la nature peut-être étudié séparément ou de manière conjointe. La nature semble nous mettre sur la voie de ce qui est détachable et au contraire de ce qui est continu. Ainsi le soleil semble un astre à part. L’arbre est un tout, ce que peut confirmer son empotage. Mais en même temps, comme nous le montre amplement la génération et la nutrition, l’individu de l’espèce est engendré par son espèce, et se nourrit des autres espèces. Tout est lié dans l’organisation de la vie. Dès lors se pose la question du passage d’une chose – définie comme telle – à une autre. Et c’est uniquement dans cette recherche d’une liaison que se comprennent les tentatives logiques de poser des rapports: cause nécessaire, probable, possible, impossible, et même magique. La cause magique, qui n’appartient pas au registre des causes philosophiques (en tout cas pas dans les systèmes rationnels), est bien exactement du même ordre. Elle tente d’expliquer les liens entre les choses, même si elle échoue. La science est une magie qui a réussi.

Avant de se poser la question du rapport des choses, il faut bien avoir poser ces choses, même de manière incertaine, entre lesquelles nous cherchons un rapport. La première question est donc celle de la production intellectuelle des choses, ou objets. La nature, les phénomènes extérieurs, nous y invitent tout particulièrement. Les données des sens nous plongent d’emblée dans cette dualité du tout et de l’individu. Tout est uni dans la représentation de l’espace concret. Et en même temps, nous distinguons les parties de cette composition: arbres, terre, ciel, bâtiments. Tout est à la fois continu et différent. Certains objets sont détachables, comme la fleur, le fruit, l’animal… et semblent constituer des éléments de décor à part. Mais ils sont également liés au reste par d’autres moyens. La chose, l’objet, est avant la liaison. Et la production intellectuelle de l’objet nécessite un appareillage logique: le nombre, l’unité, la multiplicité, et quelques règles d’application de ces concepts aux phénomènes.

A partir de ce point, la question de la substance comme réalité physique disparaît. Il « suffit » de penser le rapport entre des objets que nous définissons nous-mêmes. Et c’est bien ce qu’il se passe dans les différentes sciences de la nature. Kant rebaptise la substance en lui donnant le nom de « noumène », pour signifier ce qui est totalement hors de portée de la raison. Il est tout à fait possible d’aller plus loin, et de faire disparaître le noumène lui-même, ne laissant en face du sujet qu’un continuum d’être que l’on peut qualifier de substance unique. La question de la substance matérielle est alors tranchée du point de vue de la science. Reste la question de la substance intellectuelle, de l’âme.

Sur la physique pratique, l’exemple de la densité

Le calcul de la densité, du rapport entre la masse et le volume, qui fit s’écrier le célébrissime Eureka à Archimède, donne un parfait exemple de jugement synthétique a postériori, de loi de la physique appliquée, ou pratique.

Le calcul, très simple, de la densité, est égale à la masse (ou dit en langage commun, le poids) divisée par le volume. Dans cette loi, ce calcul forgé par l’intellect et applicable à tous les éléments de la nature, une donnée est a priori, le volume, l’espace, l’étendue, qui est la formalisation mathématique de l’intuition de l’espace, et de l’autre côté, une donnée empirique, le poids, devant faire l’objet à chaque fois d’une prise de mesure. Le volume ne varie jamais, il est toujours le résultat de la hauteur, de la largeur et de la longueur de l’objet dans l’espace, ou autre formule plus complexe. Peu importe le contenu. Le poids, au contraire, est à chaque fois différent. Il doit faire l’objet d’une mesure. La masse volumique d’un corps est l’un des éléments permettant de le différencier d’un autre,

Appendice

L’argumentation sur le temps et le paradoxe de Zénon s’applique également de la même manière et pour les mêmes raisons au Paradoxe du Big Bang, selon lequel nous ne pouvons jamais remonter à l’infini jusqu’au premier instant en utilisant l’outil conceptuel de la cause et de l’effet appliqué uniquement au temps.

3 commentaires

    1. Bonjour, merci pour votre commentaire. Il est vrai que j’ai ecrit cet article de manière un peu precipité pour un ami qui me posait des questions sur le sujet… et que l’orthographe n’est pas mon point fort! J’ai fait quelques corrections, j’espère que la lecture sera plus fluide.
      Cordialement,

      J’aime

Laisser un commentaire