De la beauté (L’imagination 1/2)

La question de la beauté est l’une des principales énigmes de la pensée. Qu’est-ce que le beau? Quel est le critère de la beauté? Comment définir une belle chose?

Ce qui plaît universellement

Longtemps la question du beau a tourné sur la manière de construire l’objet d’art le plus beau possible. Dans La Poétique, Aristote détaille les méthodes qui font le succès des oeuvres d’art de son époque. Ces remarques sur la production artistiques ont été reprises et transformées en théorie, notamment par les tragédiens français du XVIIème siècle . C’était la période de l’art poétique. Une autre branche, notamment chez Platon avec son Ion, réfléchit non pas à la technique, mais à l’art du poète lui-même. D’où vient l’inspiration? Est-ce un don des dieux? Comment les émotions dégagées par l’oeuvre se communiquent-t-elle au spectateur? Qu’est-ce qui fait le génie?

Puis l’art disparaît un peu des radars philosophiques. Rien ou presque chez les Stoïciens, ni chez les Cartésiens. La question commence à resurgir avec les Encyclopédistes et les descriptions des Salons officiels de peinture par Diderot (1759-1771). Le penseur réinvente la critique d’art et met l’accent sur la description de l’effet des oeuvres sur le spectateur.

Autre tendance de fond, la fin de la domination de l’art classique, qui commence après la Révolution française avec la naissance du Romantisme. Le champ des sujets artistiques possibles s’étend. Ce ne sont plus seulement la religion, la gloire et les batailles. Les sujets mythologiques, la nature et le moi entrent en jeu et accèdent à la représentation. Mais c’est la révolution impressionniste qui oblige réellement la théorie à se repenser. C’est l’époque du Salon des refusés (1863). Toutes les oeuvres qui n’ont pas droit de cité au Salon officiel, grande messe de la présentation des oeuvres nouvelles organisée tous les ans au Louvre, y sont présentées. Les « Refusés » provoquent une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes. Il ne s’agit plus d’imiter la nature et de la représenter avec précision et réalisme ou vraisemblance. Le quotidien, les paysages, les portraits, prennent le dessus. Le dogme de l’imitation de la nature comme principe du beau et critère d’appréciation des oeuvres est déboulonné de son trône. L’impressionnisme veut reproduire le sentiment produit dans l’âme par un spectacle, et non plus le spectacle lui-même.

La théorie philosophique, plus ou moins figée, se réveille. Si le beau ne vient pas de l’imitation plus ou moins réussie de la réalité, alors d’où vient-il? La question agite tellement les esprits que Kant réintégré cette question dans le domaine de la philosophie. La question ne peut plus être résolue par la compréhension de ce qui est en dehors de l’homme, dans la nature et sa recopie. C’est au contraire dans la configuration intellectuelle, dans les causes et effets de la beauté dans la vie de l’esprit qu’il convient de chercher la vérité du beau. L’ancienne définition étant devenue caduque, Kant en tire une conséquence radicale. Il n’y aura plus de définition du beau du tout. Il s’agira de définir ce que le beau est pour l’esprit. Comment dire ce qui est beau, alors que le beau n’est que sensible et sans définition? Kant définit le beau comme « ce qui plaît universellement sans concept ». Nous sommes bien loin des règles de l’esthétique. Mais que peut bien vouloir dire cette définition aux termes si barbares et techniques?

Cela signifie tout simplement que le beau touche directement la sensibilité et la subjectivité du spectateur, mais sans passer par la raison ou l’entendement. Il plaît. Il n’y a pas de concept du beau que l’on puisse appliquer à l’oeuvre pour dire: ceci est beau, ou ceci est laid. Le beau n’est pas l’objet d’un jugement comme peut l’être l’affirmation: ceci est une chaise, ceci est une montagne, ou tout autre étant définissable. Face à l’oeuvre d’art, nous ressentons, nous sommes émus, et nous qualifions le plaisir que nous ressentons. Nous ne pensons pas. Nous sommes émus, nos facultés esthétiques, nos sens et notre imagination, sont mises en mouvement d’une manière très spécifique, qui n’a rien à voir avec ce que l’on peut ressentir en face d’un objet mécanique ou d’un sujet intellectuel.

Ce n’est pas un objet technique

Cela ne signifie pas que l’objet mécanique soit forcément laid. Bien au contraire, nous savons tous qu’un objet de la vie de tous les jours peut être également beau. C’est tout l’art du design que de rendre les objets industriels ou fonctionnels beaux et de leur faire ainsi franchir le pallier du foyer. L’exemple principal est celui d’Apple, qui vend ses produits jusqu’à 50% plus cher parce qu’ils sont plus esthétiques que ceux des concurrents. Mais l’objet mécanique et technique a quelque chose de plus que l’objet esthétique. Il a un but, une fin, il est finalisé. Il sert à autre chose qu’au seul plaisir. Il est pris dans notre préoccupation d’être au monde. Une chaise peut-être splendide, elle n’en reste pas moins chaise, et cela quelque soit le talent de l’artiste. Si elle n’est pas confortable, si elle ne remplit pas correctement sa fonction, elle ne sert à rien. Son concept est d’être une chaise. Il en est de même de tous les objets du quotidien qui nous entourent; voiture, table, bureau, maison, etc. Leur beauté peut être détachée de leur finalité, mais la plus part du temps, ils sont d’autant plus beaux qu’ils accomplissent plus parfaitement leur oeuvre, qu’il figure leur concept sous-jacent avec un maximum de pureté. Il est jugé bon ou mauvais, efficace par rapport à un but externe, une finalité externe qu’il doit remplir. La plus belle télévision ne sera pas une bonne télévision si elle ne permet pas de regarder nos émissions préférées. Le beau artistique n’a pas d’autre fins que lui-même. Il n’est pas utile comme un objet, ce qui ne signifie pas cependant qu’il soit sans utilité.

Buggati Black Chiron

Ce n’est pas un objet intellectuel

Il en est de même de l’objet intellectuel. Il n’est pas non plus sans beauté. Il a le charme de la pureté démonstrative, de la synthèse, de l’économie de moyens couplées à la plus grande efficacité herméneutique possible, la plus grande puissance d’interprétation. Il en est ainsi des formules mathématiques, comme la règle de trois, ou du théorème de Pythagore, qui permet d’inclure dans une même formule, une même loi, toutes les formes de triangle possibles. Ou encore de la formule de la gravitation universelle de Newton qui, en quelques signes, donne la clé de l’organisation de toutes les planètes du système solaire. Elle émerveille l’esprit. Elle procure un grand plaisir quand on parvient à la comprendre, à en saisir la pureté intellectuelle. Mais son impact sur les sens est très faible. C’est un plaisir né de l’esprit. D’ailleurs, les pièces de Sophocle n’ont jamais plus à personne parce qu’elles obéissent aux lois de La Poétique d’Aristote. Le beau esthétique n’explique pas le monde, en tout cas pas à la manière du concept.

Formule de la gravitation universelle de Newton

Le beau est sans concept, mais pas sans idée

Dire du beau qu’il plaît et qu’il est sans concept c’est d’une certainement manière dire deux fois la même chose. Le beau satisfait la sensibilité, mais sans pouvoir entrer dans une définition. L’objet beau est unique, original. Être sans concept ne signifie pas que le beau soit lui-même sans concept, puisque son concept, sa définition est justement d’être d’après Kant « ce qui plaît universellement sans concept ». C’est une définition qui, bien que construite par la raison (l’entendement), met de côté la raison. La pensée reconnait son absence dans l’expérience esthétique. L’entendement reconnaît qu’il n’est pas dans son élément, mais dans un autre qui n’est pas uniquement celui de la sensibilité. Lors de la contemplation de l’œuvre, l’imagination est la faculté reine. Elle réoriente le pouvoir de liaison de l’entendement sur elle-même et sur l’objet de l’expérience. C’est ce phénomène intellectuel que Kant appelle la réflexion, et qui n’a rien à voir avec le sens courant du terme de réflexion.

La définition du beau rejoint ainsi, chez Kant, celle du bonheur. Dans les deux cas, il n’y a pas de définition de la chose elle-même. Seule la construction intellectuelle, le jeu des facultés, est expliqué. Dans les deux cas, Kant souligne l’absence de concept et un discours s’adressant directement à la sensibilité au sens large. Pour Kant en effet, le bonheur présente une question insoluble. Chercher le bonheur, c’est chercher le plaisir continu, la satisfaction totale du désir, ce qui est, malheureusement, rigoureusement impossible. La nature même du désir, qui est de présenter sans cesse de nouveaux buts, de nouvelles insatisfactions à combler, et qui ainsi fait avancer l’homme dans la vie, ne peut pas plus s’interrompre que les battements du cœur. Le bonheur ainsi réduit à la quête du plaisir, est un idéal inaccessible. Seule l’expérience heureuse est possible, fugace, éphémère. Mais le bonheur est inatteignable.

Qu’est-ce que le beau? Alors d’où vient le beau?

La finalité de l’œuvre

La principale source du plaisir vient de l’organisation de toute œuvre, la liaison et les réponses de ses parties. Tout s’y tient. Tout fait sens dans le cadre de l’œuvre. L’esprit est totalement absorbé dans cet enchevêtrement d’unités diverses réunies en seul tenant.

Le beau vient de l’organisation de l’unité de l’œuvre et de son indépendance par rapport à tout autre chose. L’œuvre est, par construction, achevée, délimitée dans le temps et l’espace, complète en elle-même. Si l’œuvre est réussie, son processus de création est comme disparu, et le résultat se présente comme si elle étant née d’une causalité propre, d’une autoconstitution, comme une causa sui. Comme si elle n’avait pas de naissance, ni de cause hors d’elle-même. Le rapport de cause à conséquence disparaît sous l’illusion. L’avenir de l’œuvre est également suspendu, perdu dans un futur à la fois inutile, sans importance et pourtant garanti. Elle échappe à la mort. Seule sa présence, une présence maintenue indéfiniment dans la durée, compte. C’est un objet en soi, qui clame son indépendance, son autonomie au sein de la création, y compris face au spectateur. Qu’on la regarde ou pas, elle survivra.

A l’intérieur de l’œuvre, chacune de ses parties renvoie aux autres, comme dans un kaléidoscope. Une causalité circulaire, une finalité interne relie tout, à tel point que l’œuvre présente une forme de continuité qui rend difficile la délimitation de ces mêmes parties semblant se répondre parfaitement. L’œuvre présente ainsi une densité de renvois et de sens  qui paraît supérieure à celle de la vraie vie.

L’expérience esthétique

Pour profiter de l’œuvre d’art, nous n’avons besoin d’aucune condition préalable particulière. Il suffit de venir comme nous sommes et de la contempler, sans rien d’autre. Quand nous profitons de l’œuvre, nous ne pensons plus aux soucis du quotidien. L’esprit est libéré de la contrainte d’être perpétuellement en train de chercher de nouveaux buts à réaliser, de se poser sans cesse de nouvelles causes finales. L’action de tous les jours, la nécessité de satisfaire nos besoins, est mise entre parenthèse et libère la place pour une autre activité intellectuelle tournée vers la contemplation. L’œuvre n’est pas un outil, et le spectateur n’est plus non plus dans l’action. Le plaisir esthétique est ainsi dit gratuit, définalisée, sans but en dehors de lui-même. Les sens et l’imagination sont mobilisés, comme happés par la puissance de l’œuvre. Cette libération du souci est la première cause de plaisir. La seconde est la fascination dans laquelle tombe l’imagination, soudain prise dans un monde où tous les rapports sont possibles, un monde indépendant des lois de la logique de l’entendement, et principalement de la loi de la cause et de l’effet.

L’harmonie

La beauté provient donc en partie du dispositif même de l’œuvre, qui permet de la sortir du jeu des choses utiles, et d’ouvrir le jeu de l’imagination. Cela explique que même des œuvres parfaitement abstraites, apparemment sans aucune forme prévue par l’artiste, puisse tout de même nous émouvoir. L’émotion vient autant, voir plus de la liberté de l’émotion que du spectateur lui-même.

Ce pouvoir de l’œuvre est tout de même soutenu par les techniques artistiques, dont les premières sont celle travaillant sur les proportions. C’est surtout visible pour le dessin et la sculpture classique, dont une partie des charmes provient de l’utilisation de la perspective et du nombre d’or.

Le nombre d’or est proche de 1,62 voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_d’or

Cet type de beauté, tout en proportions, se retrouve dans la nature. Ainsi en est-il de la spirale formée par les pétales d’une rose, de la distribution des fleurs d’un brocolis ou d’un chou romanesco. Pour rendre compte de certaines de ces formes, Mandelbrot a créé un nouveau type d’équations mathématiques, les fractales. Cependant, l’harmonie dans l’art ne suit pas exactement les mêmes proportions que dans la nature. Le cas des super héros nous en donne un bon exemple. Les proportions utilisées sont différentes. Les jambes sont allongées pour donner le sentiment de grandeur. Il en est de même dans la musique, le chant, la littérature. L’harmonie n’est plus spatiale, mais temporelle, à travers le rythme et la mélodie. La distribution des couleurs d’une toile repose sur les mêmes principes de distance et de complémentarité des couleurs entre-elles.  

Il n’est donc pas exact de prétendre que l’art « plaît » au sens. Le sous-jacent mathématique est bien trop présent pour réduire le beau aux sens désintellectualisés. C’est bien plutôt l’accord des sens et de la proportion géométrique ou mathématique, qui fait vaciller l’imagination. La causalité, la finalité interne de l’œuvre s’appuie sur le calcul. Ce n’est donc pas uniquement une illusion de l’imagination, mais aussi un travail de la nature ou de l’artiste.

Pour Hegel la beauté va grandissante avec l’abstraction et la dématérialisation de l’œuvre. La sculpture surpasse l’architecture, comme la peinture surpasse la sculpture. La musique est l’art le plus abstrait et évanescent.

La métonymie et les autres règles du beau

En dehors de l’harmonie mathématique, le second procédé artistique le plus émouvant est la métonymie ou métaphore. La métonymie est une figure de style large. Son principe est de remplacer une chose par une autre, comme par exemple la possibilité d’utiliser le détail pour la totalité, d’ajointer des oppositions, etc. Le sphinx mélange les formes humaines et animales. Les statuts de dieux nous montrent toute la puissance de l’univers dans un bloc de marbre, « Cette douce lumière qui tombe des étoiles ». Le contraste des couleurs dans la peinture donne de la profondeur et dessine les formes. La métonymie produit deux effets psychiques de premier plan. En mettant en relation des éléments qui ne le sont pas d’habitude, comme l’homme et l’animal, elle soutient l’idée de la continuité et du mélange de toute chose, qui correspond à la principale loi de l’imagination. Elle renforce en l’exemplifiant concrètement également l’application de la causalité finale. En procédant ainsi, et c’est le second effet, la métaphore déboussole la conscience. Elle lui impose un lien incongru, illogique, qui viole les lois de continuité de la pensée scientifique et de la pensée pragmatique. Elle impose le merveilleux. La conscience déboussolée baisse la garde et ouvre la porte de l’inconscient. Les émotions développées par l’œuvre d’art entrent ainsi dans le cœur du spectateur et emplissent le corps pour ainsi dire jusqu’aux viscères.   

Le jeu mathématique, lié aux principes de transformation de la métonymie, le respect ou l’accord des proportions et l’enchaînement des contrastes forment la beauté. Dans la sculpture antique, c’est le contraste entre la forme arrondie, le mouvement courbe, et la dureté de la pierre, sa rigidité, qui fait la beauté. Il y a comme du mouvement dans l’immobilité de l’œuvre, ce qui est vrai pour la peinture et la sculpture, qui sont immobiles et qui dessinent malgré tout « comme » un mouvement.

La musique fait le lien entre le temps, le rythme, la hauteur des notes et l’émotion. Même sans dire un seul mot, elle mime l’effet des passions sur le corps, l’accélération ou la décélération du cœur, la gradation de la peur à l’espoir et procure ainsi du plaisir ou de la peine. Tout fonctionne comme si les sons permettaient de formaliser le système des d’émotions. Le grave, avec une succession rapide, correspondent à la colère, la vengeance. Le grave, avec une succession lente, correspondent à la tristesse, à la dépression, à la mort. Les sons aigus lents, ou moyennement rapides, correspondent au plaisir, à la joie, comme dans les 4 saisons. Les sons aigus rapides au contraire correspondent à la peur, comme dans la scène de la douche du Bates motel. Dans les Dents de la mer, l’arrivée du requin est d’abord moyennement lente, grave, exprimant une forme de colère et de puissance. Puis le requin attaque, et le son est aigu et rapide. L’on retrouve bien dans les définitions de temps : adagio, lento, andante, etc. Les notes de musique respectent une mathématique particulière, elles sont entièrement proportionnelles à la fréquence. Plus mystérieux encore, l’oreille humaine peut identifier la même note selon toutes les octaves différentes, montrant une persistance sous la diversité.

Les œuvres jouent également avec le temps en le comprimant et en le dilatant. Une action de quelques années est résumée en quelques heures de lecture, comme dans l’Iliade. Une action d’un instant est dilatée en une heure d’analyse, comme le discours de l’épouse de Bloom dans Ulysses de James Joyce. Les jeux sur le temps incluent le récit sur le passé, comme celui d’Enée décrivant à Didon la chute de Trois, et les prédictions de l’avenir, comme Athéna dévoilant son avenir à Ulysse. Deux histoires peuvent se développer en parallèle, comme dans le Parrain 2.  L’exemple le plus connu est celui de Proust, qui perd et retrouve le temps, mélangeant celui du narrateur et celui du récit. L’émotion d’une seconde marque une vie. La routine quotidienne, répétée mille fois, ne marque pas autant, voire pas du tout. Un thème, une émotion qui suit un personne toute une partie de sa vie, est ramassé en une seule analyse. Le récit nous libère de la durée réelle, de l’énergie qu’il faut pour remplir une journée entière. Il nous fait miroiter la promesse d’un moment d’éternité.

L’œuvre est ainsi, la plupart du temps, une compression ou une dilatation, du temps et ou de l’espace. L’oeuvre à l’échelle 1:1 est rare, même en sculpture. En peinture, il s’agit par exemple dans l’art des paysages, de faire tenir sur une petite toile la représentation d’une forêt, d’une scène de ferme, de chasse, un immense navire, une scène de combat, etc. Malgré l’unité de temps au théâtre, et même si l’action est supposée se dérouler sur une journée, la représentation de la pièce dure environ deux heures. Ces compressions ou dilatation du temps s’accompagnent d’une compression des actions et des émotions. Les tirades qui servent à exprimer les émotions, ou les monologues à l’opéra, condensent en quelques minutes, ce qu’il faut parfois une vie pour ressentir. La compression est un gage d’accélération de l’expérience et permet de capter l’attention au maximum. C’est aussi le rôle de la richesse des détails.

La nuit étoilée de Van Gogh – plus lumineuse que le jour

L’imitation

 L’alliance du travail sur les proportions et de la communication des formes permet à l’esprit émotionnel de dialoguer avec l’œuvre. Nous sommes imprégnés d’émotions qui ressemblent aux émotions de tous les jours. Nous éprouvons de la peur, du courage, de l’espoir, au rythme des aventures des héros. Aristote a nommé mimesis, imitation, ce phénomène. Il ne s’agit pas seulement de l’artiste imitant la nature. Le spectateur imite les émotions induites par l’œuvre. Il ne les vit pas réellement, de sorte que l’émotion artistique n’est pas une simple copie de l’émotion réelle. Nous pouvons supporter de terribles spectacles, comme celui d’un dragon ravageant un village, quand ils sont décrits par Tolkien. Mais si nous étions réellement dans ce village en feu, voyant devant nous de jeunes enfants dévorées par les flammes d’un animal monstrueux, nous serions très certainement traumatisés pour le restant de nos jours. L’art met à distance l’émotion autant qu’il en rapproche. Il la ressort de la vie de telle manière que l’on peut parler d’une « expérience » émotionnelle au sens scientifique du terme.

L’art offre une sorte de réalité alternative. Tout peut y être plus extrême, plus fort. L’amour, la haine, la bêtise, le crime, le pouvoir, les enjeux, les couleurs, les perspectives. Dans la peinture ou au cinéma, nous aimons voir des « gueules », des visages non lisses. Les animaux fantastiques, comme dans la mythologie, sont légions. Aristote défend l’idée d’une vraisemblance des faits racontés par les poètes. Les situations et événements sont très souvent invraisemblables d’un point de vue objectif, et c’est l’art du poète qui les rend vraisemblable  pour l’imagination, et non pour la raison. Untel a perdu la mémoire et ne retrouve plus son passé, un autre se bat contre l’empereur de toute la galaxie, une prostituée devient l’amour d’un milliardaire, un gang de conducteurs de voiture réalise le casse du siècle, les œuvres d’un musée prennent vie, les héros voyagent dans le temps, etc. Le prosaïque et le terre à terre sont souvent réservés à la comédie, qui nous dévoile l’absurdité drôle de la vie de tous les jours. Les sentiments et les émotions s’y présentent avec la totalité du pouvoir et de la puissance qu’ils auraient sur l’imagination si la conscience n’y était mélée.

Les héros sont terriblement beaux, ou laids, riches, ou pauvres, généreux, ou égoïstes. Ils sauvent le monde, ou veulent le détruire. Il n’y a pas de demi-mesure. Mais comme il faut du contraste, il en faut également dans le caractère, comme un héros brillant intellectuellement, et sauvage moralement. Ou le génie qui déjoue les crimes d’un diable. L’insigne est partout, alors que nous le recherchons en vain dans la réalité.

La beauté, image éphémère du bonheur

La Beauté donne un instant de satisfaction intégrale du désir. Cela ne signifie pas que tous nos désirs soient satisfaits. Ils sont mis entre parenthèse et non réalisés. Cette suspension produit l’illusion que les désirs sont assouvis, et cette illusion est encore renforcée par l’intensité maximale émotionnelle communiquée par l’œuvre. Nous nous sentons ainsi vivre pleinement, l’esprit et le corps sont satisfaits.

Cette puissance des émotions ressenties permet une détente émotionnelle générale. Rien ne nous détend plus. Aristote a nommé catharsis, cet effet purificateur de l’art.

Les plaisirs de la beauté sont tels que certains d’entre-nous sont constamment à la recherche de nouvelles beautés, image, histoire, communication, nature, musique. La beauté nous rassure, nous offre un suspend dans la course à la survie, et / ou nous garantit ou promet que nous allons survivre. Ce qui signifie que la beauté « compense » tous nos manques, réelles, objectifs et subjectifs, émotionnels. Elle est le reflet de nos plaintes, de nos angoisses, de notre négativité.

La beauté est ainsi l’image d’une compensation universelle à toute l’injustice de la vie.

La beauté est la promesse de la satisfaction de tous nos désirs. Devant une belle toile, c’est l’intégralité du monde qui prend sens. La beauté ne prépare pas à la morale. Elle est comme un reflet du bonheur parfait. Durant l’écoute d’un opéra de Verdi, nous n’avons plus besoin ou envie de rien. La beauté suspend totalement le désir en le comblant comme rien d’autre au monde ne peut le comble. Elle entraîne également l’entendement loin des calculs et des manœuvres pour le concentrer sur la description des éléments de la beauté.

Les limites de l’art et du beau

Pourtant, l’art ne présente qu’une image du bonheur, pas le bonheur lui-même. C’est une voie qui se transforme rapidement en impasse. La beauté est une maîtresse déceptive, elle ne donne pas ce qu’elle promet. Le charme fini par s’évanouir. Que nous reste-t-il d’autre alors, que le souvenir d’un moment de bonheur, un rêve fugace de complétude ? Nous revoilà au monde, avec tous soucis alourdis de la tristesse d’avoir quitté le monde de la magie.

La beauté ne résout pas nos problèmes vitaux et ne permet même pas d’avancer vers une solution. Parfois, elle nous fait mal, tant elle nous rappelle tout ce qui nous manque et tant la forme artistique, réalité déréalisée, le rend aussi accessible qu’inaccessible. Parfois elle nous transforme en junkie du beau. Il faut payer le prix de ce passage clandestin dans le monde imaginaire. Nous pouvons devenir tellement accrocs que nous n’arrivons même plus ou ne supportons plus de ressentir les émotions réelles. Nous n’en voulons plus. Nous préférons celles de l’art, qui nous arrivent à la fois plus puissantes et entourées d’un doux coton. Mais l’expérience que nous retirons de l’art n’est pas utilisable dans le monde hors de l’art. Embellissant la réalité, l’art la gâche également. Comment retrouver le chemin de l’action quand l’art promet le bonheur dans la contemplation, l’absence d’action ? Baudelaire a révélé la beauté du mal, mais pas le mal de la beauté

Certains auteurs et formes d’art, qui ne touchent pas toujours au chef d’oeuvre, abusent de l’addiction de leur public. Ils le soumettent à une véritable extorsion émotionnelle en usant de figures violemment contradictoires. Zola, dans l‘Oeuvre nous montre un artiste mourant pour son art, perdant tout famille et enfant pour ses toiles ne rencontrant aucun succès. Hugo peint la misère qui touche l’enfance dans les Misérables et va jusqu’à écrire dans l’Homme qui rit des dizaines de pages sur les tortures pratiquées sur les enfants enlevés pour en faire des bêtes de foire. Sans même parler de toutes ces productions que l’on aura du mal à qualifier d’artistiques qui ne font que jouer et développer la peur. Aliment puissant, nous devons rester vigilant aux quantités et qualités et influences auxquelles nous nous soumettons.

L’Embarquement pour Cythère, Antoine Watteau

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur

D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,

Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;

C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire

Annexes

Le beau, le bien, la foi

On s’interroge pour savoir si la beauté donne accès à la moralité. Le beau serait un symbole du bien. C’est notamment Platon dans le Banquet qui a instauré cette célèbre position du beau. Cela permet à ses yeux de « sauver » le beau, qui sans cela est tellement loin de la raison qu’il nous détourne de la vérité. Le Banquet répond ainsi à l’allégorie de la caverne de la République, où le beau est presque décrit comme une méthode d’asservissement des masses. C’est en tout cas lui qui maintient les hommes dans la cavernes. Il reste dans comme hypnotisés par les images qui se reflètent sur le mur de leur caverne.

Pourtant, notre analyse du beau montre surtout qu’il est un chemin vers cet idéal de l’imagination qu’est la foi. La foi est en effet une extension de la cause finale à l’intégralité de l’univers. La fréquentation des oeuvres d’art éduque à la beauté du monde, à la recherche de l’Ordre, qui est pour Malebranche le principe de Dieu. Elle nous conduit sur le chemin qui nous fera voir l’univers comme l’oeuvre parfaite d’un créateur parfait. L’Art a plus place insigne au côté de la Religion. Hegel suit ce parcourt dans son esthétique, des pyramides aux cathédrales. Le Vatican et les musées italiens débordent de beautés religieuses. Le passage à un art non religieux, à l’art abstrait, continue à être un chemin, un reflet des valeurs majeurs de la société dans lequel il est crée. Mais nous pouvons tout de même nous interroger. Ce nouvel art remplit-il son but, ou nous éloigne-t-il du monde et de la divinité?

Art et réalité

L’art pour Aristote a un effet cathartique sur les passions. Cela ne saurait cependant faire oublier la différence, l’écart béant, qui existe entre l’art et la réalité. Dans une tragédie, tout le monde meurt. Tout l’art du poète ou du compositeur nous fera au mieux pleurer. Mais que de telles événement arrivent dans la réalité, et notre réaction sera incommensurablement plus forte. Dans la comédie, nous pouvons rire de comportements moraux qui nous scandaliseraient dans la vie normale. On peut lire L’Iliade et prendre plaisir à la description des combats. Mais de nombreux militaires développent un syndrome post traumatique. L’art est infiniment plus doux que le réel.

Le récit donne un sens à des actes autrement affreux qui paraissent bien plus gratuit dans la réalité. Face à la violence, l’âme et l’imagination sont littéralement submergées par des émotions incommensurablement plus fortes que celles d’un spectateurs regardant un spectacle. La différence d’intensité des émotions est telles que l’on peut affirmer que ce ne sont plus les mêmes émotions. Dans la réalité, la parole fait le plus souvent défaut. Le suicidé ne chante pas le temps d’un monologue. Le traumatisme s’inscrit directement dans les profondeurs de nos entrailles.

L’art peut alors avoir un rôle thérapeutique et pédagogique. Ils nous apprend à découvrir des émotions mêlées d’une certaine raison. Il nous dévoile une partie de la palette infinie de nos sentiments. En y ajoutant l’art du poète, le jeu des mots, des sons, des couleurs, l’art nous enseigne quelques moyens de discipliner les passions, de les nommer, de les lier dans un discours, de leur modification grâce à la parole. Même si cette voie montre une indéniable efficacité, elle reste dérisoire face aux émotions les plus fortes, traumatismes et folies, qui requièrent un traitement médical (que la cure ait été trouvée ou non).

La beauté, promesse d’amour et de bonheur

La tradition nous donne deux grandes grilles de lecture. Il y a la beauté qui obéit à des règles et produit un effet à coup sûr en les respectants. Les éléments que nous avons décrits ci-dessus ont déjà été résumés par Aristote dans sa poétique. Puis il y a une autre tradition, celle de Kant, qui repose sur l’intuition que la beauté n’a rien d’intellectuelle. Même si elle est construite en reposant sur des règles, ce qui n’est pas une obligation, ce n’est pas à la raison en nous que la beauté, ou les beautés s’adressent. La beauté parle le langage des sens et des émotions et s’adresse à nos sens et à nos émotions.

Ces deux dimensions ne sont pas aussi opposées qu’on pourrait le penser, ou nous le faire croire, si l’on veut pencher du côté intellectuel ou du côté sensible. Le miracle de la beauté est bien plutôt dans la synthèse de ces deux dimensions. C’est ce qu’à voulu souligner Platon en mettant kalon, le beau à côté d’agathon, le bon ou le bien. L’idée de Platon est que le beau est le symbole du bien moral, et qu’il doit nous aider, nous soutenir dans notre renforcement moral. La morale serait ainsi la plus haute discipline, rejoingant le but ultime de la philosophie, la recherhe de la sagesse.

Il reste pourtant possible d’aller différent sur ce même chemin. Il y a quatre beautés, celle venant de la beauté d’un spectacle naturel, celle venant des oeuvres des beaux arts (sans autre finalité qu’elle-même) et celle des oeuvres de la techniques (finalisés), celle des belles et grandes actions, les actions morales, notamment quand elles incluent un élément de sacrifice, quand on a fait partie la morale au-dessus de son intérêt, et enfin la beauté des corps. La beauté des corps à trait à la beauté de la nature, quand on contemple la beauté d’un cheval ou d’un animal, et à l’homme quand il s’agit de la beauté d’un corps, d’un homme ou d’une femme. Or la beauté qui nous touche le plus, et il est assez inutile de le nier, est cette dernière beauté.

Pourquoi, et qu’est-ce que cela nous apprend sur nous-mêmes? Dans tous les cas, la beauté est un moment de grâce. Tous nos soucis disparaissent d’un seul coup et le spectacle de la beauté nous offre le temps d’un instant d’éternité. Il ne s’agit pas de la même éternité que celle du philosophe, celle de l’éternité de la loi mathématique, éternité rationnelle de la logique. Il s’agit de l’éternité du bonheur, de la satisfaction de toutes nos émotions.

A ce moment naît une forme de promesse de bonheur. Le rayon de soleil à travers la pluie, le dégradé de roses parfait d’un coucher de soleil, le plaisir pris à la lecture d’un poème ou à contempler une belle femme ou un bel homme, tous nous disent tout à coup: oui, il est possible de trouver le bonheur sur terre. Il est possible d’avoir un spectacle parfaitement satisfaisant, et nous ne devons pas perdre espoir.

Il en résulte alors chez nous une forme particulière de plaisir et d’amour. De là sans doute vient l’optimisme et l’idéalisme des adolescents, eux qui sont bien plus sujets à l’amour que les adultes. La vie nous semble nous offrir quelque chose qui nous convient parfaitement, et elle nous donne ainsi un message d’amour. La vie nous donne ce dont nous avons le plus besoin, ce que nous désirons le plus, cette satisfaction émotionnelle complète qu’on appelle le bonheur. Nous l’aimons pour cela, mais surtout, nous nous sentons aimés, compris, réconforté, alors que la plupart du temps, nous sommes dans le manque, le vide, le désir toujours à renouveler. Recevant ainsi de l’amour, car l’amour est tout entier dans l’union charnel et sensible, nous arrêtons un instant de nous sentir rejeter par la vie et par le monde. Nous ne sommes plus les mal-aimées, les repoussés, les défectueux.

Limité, incomplet, être de désir que nous sommes, nous sommes également ainsi naturellement portés vers autre chose que nous-mêmes, vers les autres, la nature et l’univers. Nous pouvons nous penser comme des individus et comme libres. Mais nous ne le sommes pas tant que cela. Nous sommes aussi ouvert aux autres. Notre individualité n’est pas celle d’un dieu. Elle est au contraire à la fois individuelle et incomplète. Nous avons affectivement besoin des autres pour vivre. Nous vivons plus heureux quand nous recevons l’amour de nos propres et que nous pouvons les aimer à notre tour. La beauté nous donne de l’amour et nous redonne ainsi de la confiance en nous-mêmes. Si la nature nous aime, elle qui nous plonge pourtant la plupart du temps dans la séparation et la souffrance, c’est que nous sommes dignes d’être aimés, et de nous aimer nous-mêmes, tant il est vrai que l’amour que nous nous portons à nous-mêmes dépend de celui que nous recevons des autres.

La beauté suspend notre rapport à l’action, notre inquiétude d’être au monde. Nous n’avons plus à être prudent. Nous n’avons plus besoin de tempérance, ni de courage, ni même de justice, pour reprendre les 4 vertus platonniciennes. Nous ne sommes plus confronté à la réalité, mais dans un rapport pacifié au monde. Malheureusement, cet état est de courte durée. Il n’y a pas de monde possible où cet état puisse durer plus d’un instant. L’éternité de la beauté est plus fugace que celle de la vérité. La beauté est une promesse d’amour et une consolation, la suspension d’un instant, mais pas un bonheur réel complet. Son pouvoir s’arrête là. Il est assez incroyable déjà de penser, et c’est je l’espère un grand motif de motivation pour tous les créateurs, de penser que le vrai fondement de la création est une communication émotionelle positive, une promesse et un don d’amour.

L’imagination et la raison

L’imagination suit ses propres regles qui ne sont pas celles de la raison, mais celle d’un certain agencement des passions et des emotions.

La plupart des grands romans ont pour sujet l’amour et le pouvoir. Nous y contemplons les actions de personnages qui ne vivent pas nos voes sagement policées par les rythmes du travail, de la famille et de la religion. L’oeuvre parfaitement prosaïque n’est pas la plus intéressante.

Nous aimons assister à la vie de grands personnages qui ne sont justement pas soumis aux lois qui regissent le quotidien du commun. Le destin des rois et des grands bandits ont en commun d’être en marde de la loi et des règles. Ils peuvent vivre selon leurs passions, leur laissant bien plus de place et d’empire. Un souverain fait la loi. Un mafieu crée sa loi. Pour l’imagination, la loi légale est l’homonyme de la loi rationnelle. En s’affranchissant ainsi de la raison, l’oeuvre d’art vien parler à l’imagination et aux émotions.

Elle passe par le truchement de grands faits et personnages. Elle nous sort justement du quotidien. Hercule nous interesse parce qu’il est une forme de justicier qui vient expier son crime originel – avoir tué femme et enfants sous l’emprise d’une colère envoyée par un dieu. Les héros des Rois maudits sont les puissants, uniquement soumis aux règles de la famille et à quelques accommodements avec la religion. Pour le reste, ils sont libres, aussi

Libres que les bandits des Affranchis.

Participant à ce spectacle, vraisemblable non pas pour la raison, mais pour l’imagination et sa logique, nous ressentons, à travers l’exploration des emotions pour ainsi dire à l’etat de natute, un relachement de nos propres emotiosn et pulsions. La catharsis, la purification des emotions, vient déjà de l’ouverture vers des emotions qui nous sont bridées par la force de notre organisation sociale. L’art permet d’eviter leur explosion et contribue à leur regulation sociale. C’est ainsi sans doute qu’il faut comprendre la réhabilitation de l’art faite par Aristote. L’art n’est un mensonge que si on le juge avec la raison. Mais il est vrai du point de vue de la passion et de l’imagination.

Meurtre, vol, pouvoir, amour, richesse, dépaysement en tout genre, symbole, matière… l’imagination y est aussi liberée de la plupart des contraintes du corps. Le héros a un corps parfait, qui n’a presque pas besoin de nourriture ou de sommeil. Il ne connaît que les douleurs mentales et symboliques. Il lutte contre tout se qui entrave sa puissance.

Imagination et politique

Peu d’hommes sont capables d’avoir un peu de raison. Beaucoup sont intelligents, très intelligent même, mais peu recherche la sagesse. C’est ainsi que la plupart du temps, la politique est dominée par l’imagination. Il suffit pour un politicien d’évoquer une politique raisonnable ou rationnelle pour mettre fin à sa carrière.

La monarchie et les regimes autoritaires continuent à faite rever, toujours pour cette raison qu’ils parlent plus à l’imaginaire. On prefere presque vivre en monarchie, s’identifier aux princes et vivre par procuration que de supporter la dure responsabilité de la liberté. L’argent est l’ennemi intime de l’imagination. Il empêche tous les reves et oblige partout au calcul.

François Mitterand, bien au fait de cet état d’esprit avait pris pour slogan: L’Imagination au pouvoir! Tout un programme en effet. La droite, conservatrice plus que liberale, toujours religieuse et vaguement monarchiste est aussi un parti de l’imagination, mais d’un imaginaire different. Ce clivage se retrouve dans les gouts litteraires de ces deux partis. Grande litterature, Druont, Dumas, Chateaubriand, d’un côté, Hugo, Flaubert, Zola, Aragon, Giono de l’autre. Au milieu, ou entre les deux. Stendhal, et quelques autres.

La France, pays de poete, car pays d’imagination… jusqu’à en être malade? L’imaginaire structuré pendant des siecles par la monarchie, puis par la littérature, inteiquée si fortement dans le système éducatif, gagne largement le combat contre la raison. La litterature en exces, comme tout medicament, devient un poison. Elle sert à reguler une raison puissante. Elle peut même sous cette condition nous aider à reguler nos emotions. Mais cela fonctionne que dans un equilibre par rapport à la raison. Pas quand il ne reste que l’imagination.

Les français sont encore de grands lecteurs, même si la place des series fausse et change en partie la consommation culturelle. Ils sont surtout d’enormes consommateurs de deogues en tout genre, alcool, cannabis, anti-depresseurs. Ils sont aussi de plus en plus nuls en maths et incapables de tenir leur budget depuis plus de 40 ans! L

’imagination entraine aussi la valorisation des relations sociales. Rien ne semble plus important au pays de Rabelais que le fameux consensus social. Jusqu’à la lâcheté ? Le pas de vague dans l’Education nationale n’est pas une exception, c’est un mal qui a contaminé tout le pays, y compris l’entreprise, où il a pris le nom anglais de soft skills. Il est certes lié à la forme démocratique de nos pays. Mais d’autres pays comptent tout de même un peu mieux et raisonnent avant de laisser parler un coeur qui n’a pas toujours raison

Imagination, création, expérience esthétique et réelle

L’imagination est une faculté de recomposition de l’expérience. Elle permet ainsi de composer à partir des expérience passées, mais aussi des idées, sentiments, etc, une nouvelle expérience possible.

Cette expérience, l’oeuvre de d’art, l’oeuvre de l’esprit, correspond non pas à une réalité, le « réalisme » n’étant qu’un courant créatif parmi tant d’autres, mais à une réalité possible pour l’imagination elle-même. A travers l’oeuvre, l’imagination parle à l’imagination.

Ainsi, reprenant le réel et l’augmentant pour arrivée à une véritable réalité augmentée, avec plus de sens, plus de beauté, plus de tout, l’imagination élargit notre expérience au-delà même de la réalité, contrairement à la simple histoire l’histoire. Elle nous rend plus expériementé et mieux expérimenté, et l’expérience étant une forme du savoir, plus savant et intelligent. Encore mieux, en élargissement notre connaissance du monde, elle prépare parfaitement l’entendement à la création de concept plus nombreux, plus large (comprenant plus d’éléments), et ainsi plus puissants ou intenses.

Il convient cependant également de prendre garde à la manière dont nous nourrissons notre imagination. Comme pour les aliments et les recettes de cuisines, certaines oeuvres vallent plus que les autres.

L’expérience esthétique – pourquoi le beau est-il agréable?

Pour Kant, nous l’avons vu, le beau est une affaire d’émotion esthétique, c’est à dire de sentiment. Le coeur de la beauté d’une oeuvre est sa capacité à nous émouvoir, à puissamment mettre en mouvement nos émotions et nous faire ainsi découvrir un nouveau monde.

La connaissance que nous donne l’oeuvre d’art est de l’ordre de l’expérience sensible, et non de la connaissance théorique. C’est ainsi qu’il faut comprendre que l’esthétique relève du jugement réfléchissant, qui n’est rien d’autre que le jugemnet d’expérience, par opposition au jugement déterminant, qui part des concepts a priori pour établir les lois de notre connaissance de la nature. L’art augmente notre expérience, et il le fait de telle manière qu’il l’élargit au delà de toute expérience réellement possible. Nous ne vivrons jamais dans le futur, mais nous pouvons le faire quelques heures en regardant Start Wars ou Avengers. Grâce à l’art, nous pouvons ressentir et vivre par imitation les émotions de personnes, ou personnages placés dans des univers totalement différent.

L’oeuvre d’art réussi est ainsi la plus dépaysante par rapport au monde dans lequel nous vivons, celle qui va nous ouvrir un autre monde, une autre dimension de notre propre sensibilité que nous ne connaissions pas encore, qui est comme latente dans notre vie prosaîque de tous les jours, mais jamais vraiment explorée. L’oeuvre d’art réussi, le chef d’oeuvre est ce qui nous ouvre finalement à la profondeur qui est en nous-mêmes. Grâce au Réquiem de Mozart, je fais l’expérience de la mort et de la tristesse, avec une clareté et une intensité peut-être supérieure à toute expérience réelle que je pourrais avoir de la mort. Le nouveau roman, avec la technique du flux de conscience, le stream of conciousness, inventé par James Joyce dans la dernière partie de son Ulysses (1922), je découvre l’incroyable richesse de mon monde intérieur, comme aucune autre expérience ne me le fait découvrir.

Cette découverte de soi-même ne se fait pas n’importe comment. Le dispositif de l’art est particulièrement complexe et repose sur l’identification avec les personnages. Grâce à la mise en scène, aux dialogues, aux descriptions et à l’évolution de l’action, le lecteur s’approprie les émotions des personnages, tout à fait comme s’ils étaient de vrais personnes, des amis, ou des proches. L’art mime une forme d’intersubjective, de dlalogue et d’échange d’une âme à une autre. Je peux ainsi être un homme petit gros et chauveau, et ressentir malgré tous les dilemmes dans lesquels sont plongées les héroïnes antiques de Racine, Bérénice, Phèdre, ou Andromaque. Je me découvre moi-même dans le miroire de la subjectivité du personnage présentée par l’auteur.

Le chef d’oeuvre nous émeut tellement fort qu’il nous fait complètement sortir de notre état émotionnel postérieur au spectacle. C’est ainsi que ce produit une version de la catharsis légèrement différente de celle d’Aristote, puisqu’elle ne repose pas forcément sur une opposition des passions avant et pendant l’expérience esthétique. Mais il y a bien une intense détente, un relâchement profond de notre situation émotionnelle induit par le chef d’oeuvre. C’est ainsi que naisse les larmes, produit par le relâchement des tensions et du stress provoqué par l’univers émotionnel totalement différent de l’oeuvre.

Les plus belles histoires ont cependant quasiment toute le même sujet: l’amour. Et si l’on est un peu attentif, on verra que ce n’est pas seulement l’amour, mais les retrouvailles avec l’être aimé, selon la figure de style de la reconnaissance finale. C’est Ulysse reconnu par son chien et sa nourrice, puis par Pénélope. C’est l’épouse de Bloom, Molly, finissant après un long monologue intérieur à rertouver tout l’amour qu’elle a pour son mari. Ce sont tous les dilemnes des pièces classiques et romantiques entre l’amour, l’honneur et la mort. C’est la beauté de la jeune fille à la perle. L’amour et l’au-delà sont les deux thèmes principaux de l’art. Cela fait de l’amour, sous toutes ses formes, l’émotion fondamentale qui sera purifiée par le chef d’oeuvre. Le poète chante l’amour et n’est pas autorisé à en dire du mal, selon cette légende nous rapportant qu’Homère serait devenu aveugle après avoir critiqué l’amour. C’est toujours d’amour que nous manquons, et le poète vient combler ce vide. L’agréable dans l’art, c’est littéralement de tomber amoureux des personnages ou de s’imaginer digne de leur amour. Ils nous deviennent plus importants à nous-mêmes que nous-mêmes, et finir un chef d’oeuvre est un véritable deuil de l’être aimé.

L’agréable esthétique n’est ainsi peut-être pas uniquement l’agréable d’une couleur ou d’un son, mais bien le plaisir, la satisfaction et le bonheur de ressentir de l’amour. Qui n’est pas tombé sous le charme de telle actrice ou de tel acteur? Cet amour est plus simple et moins violent que l’amour expérimenté dans la vie réelle. L’art impose une distance qui permet un amour d’imagination qui n’a pas à souffir de tous les affres de l’amour réel et qui est notamment étranger à toute forme de jalousie. Il faudrait placer cette forme d’amour aux côtés de la caritas, la phylia et l’éros. On pourrait l’appeler phyléatre, l’amour du spectacle, en hommage au théatre, ou phylhéros, pour désigner l’amour des héros.

Jess Bush dans Start trek Brave new world – l’émotion de l’image bvie de ce mélange d’espoir et de tristesse qui anime le visage – et de l’originalité de ce mélange que je n’expérimente pas – en tout cas en ce qui me concerne, tous les jours.

Un commentaire

Laisser un commentaire