L’époque contemporaine est celle d’un nouvel essentialisme. Tout a commencé par une défense des minorités, qui était à la fois légitime et sympathique, mais qui contenait déjà le germe d’une nouvelle attaque contre l’universel et d’un nouveau racisme. Comment en sommes-nous arrivés là? Les racines sont plurielles et trouvent leur origine au XVIIIème siècle, avec la naissance des mouvements démocratiques nourris de la pensée des Lumières. Le droit de vote fut le principal combat démocratique de l’homme nouveau, non asservi, égal à ses paires, qui était sorti de la Révolution. Il fallut plus d’un siècle pour le rendre totalement universel. Si l’histoire de France est riche de différents moments d’extension du suffrage universel, c’est aux Etats-Unis que l’histoire se précipite.

Les femme américaines, notamment organisées dans le puissant mouvement des Suffragettes, obtiennent le droit de vote en 1920. On pourrait croire que l’histoire va s’arrêter là. Mais le plus étonnant, c’est de voir se dérouler en même temps, toujours chez les mêmes Suffragettes, une affirmation de l’identité féminine qui va bien au-delà de la reconnaissance de l’égalité juridique accordée avec le droit de vote et englobant d’emblée la recherche sur la contraception. Durant l’entre-deux guerre, les Etats-Unis connaissent encore une situation assez terrible de mortalité infantile. Le taux de décès est de 7 pour mille, les rapprochant beaucoup plus des pays du tiers monde que de l’Europe. Tout commence avec la personne de Maraget Sanger, membre active des suffragettes. Elle est le sixième enfant d’une famille d’ouvriers d’origine irlandaise, qui en compte onze. Sa mère aura connu au total dix-huit grossesses. Margaret rencontre Katherine Mc Kormick, dont le père est décédé alors qu’elle avait 14 ans, dont le frère décède d’une méningite quand elle en a dix-huit, et qui perdra également son mari, interné pour schizophrènie. L’alliance improbable de ces deux destins va précipiter à sa suite toute l’histoire mondiale, nous faisant entrer dans le plus grand basculement anthropologique de l’humanité.

Magaret Sanger va présenter Katherine Mc Kormixck à Grégory Pincus, biologiste d’origine juive polonaise, à la réputation de génie, et qui travaillait déjà sur l’appareil reproducteur des lapines. Katherine, après avoir reçu le double héritage de son père et de son mari, financera les travaux de Pincus, auxquels elle participera d’ailleurs activement, et qui vont conduire à la création de la première pilule contraceptive en 1956. Ainsi va l’histoire.
Margareth Sanger est assurément une personnalité à part, l’une des héroïnes silencieuses, mais comme nous le verrons aussi un peu plus loin extrêmement controversée, qui façonnent le monde sans que personne ne s’en aperçoive de prime abord. En 1914, elle édite un journal, The Woman Rebel (La femme rebelle), systématiquement censuré, où elle affirme : « le corps d’une femme n’appartient qu’à elle seule» ; « Les femmes rebelles réclament : le droit à la paresse, le droit d’être mère célibataire, le droit de détruire, le droit de créer, le droit d’aimer, le droit de vivre». Le féminisme était né, incroyablement radical dès le début. Le droit entier est ramené au sexe, au genre dirait-t-on aujourd’hui, perdant totalement son caractère universel. Margareth fonde en 1921, l’American Birth Control League (l’Association américaine pour le contrôle des naissances), dont l’une des missions est de prévenir et d’accompagner les avortements, qui sont encore illégaux à cette époque. L’institut devient en 1941 le Planned Parenthood Federation of America, c’est-à-dire le Planning familiale. Il fallu encore 30 ans de combats avant que l’avortement ne devient légal aux Etats-Unis, en 1973, après le célèbre arrêt de la cours suprême Roe vs Wade. Margareth touche juste.

Margaret défend la propriété du corps, ce sujet dont les philosophes anglo-saxons, au premier rang desquels Locke, n’ont pas réussi à déterminer le statut, entre possession et propriété, entre self, soi-même, sujet, ou objet que l’on a a disposition. Ce débat sur le corps s’inscrit lui-même dans le cadre de l’individualise des droits de l’homme ( « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit »), du droit de vote individuel, de la propriété capitaliste. Le lien de l’universel et du particulier ne résiste pas à la pression de la réalité et de l’orgueil. L’individu qui s’exprime sous le mode de l’universel pendant le suffrage justement lui-même universel, et qui se soumet à la décision du plus grand nombre, ne disparaît pas dans la vie de tous les jours. Il revient à son individualité particulière et singulière, à son corps, à ses croyances. Il creuse son individualité, la revendique, exigence qu’elle soit de plus en plus prise en compte dans l’universel, puisque le système repose sur cette liaison à l’universel. On ne voit d’ailleurs pas ce qui pourrait l’en empêcher. Descartes, dans son immense sagesse philosophique, avait affirmé « je pense, je suis ». Son individualité, fondement de la modernité, ne reposait que la raison, la pensée accessible à tous. Il fondait l’universel abstrait, rationnel, qui servit de base à la Révolution française. Mais cette digue de rationalité ne pouvait assurément pas résister à ce mélange, cet oxymore, d’individualité et d’universalité. C’est notamment vrai dans la pensée anglo-saxonne, qui ne reconnaît de toute manière pas le primat de la raison sur les passions.
Margaret a fait son choix, et assume toutes les conséquences qui vont avec. Avorter, utiliser la contraception, être mère célibataire, ou de ne pas être mère du tout. Si le droit permet à la femme de devenir l’égal juridique de l’homme, la technique la transforme complètement. Ce radicalisme et cette révolution de la femme sont toujours d’actualité.

Notre monde contemporain semble ainsi sortir de la Woman rebel. La contraception, mais aussi la revendication des droits « à », ceci ou cela, qui dépasse les droits « de »; comme la liberté d’expression, ou la liberté d’association, et en bout de chaîne, la « propriété » du corps, dont la question reste complètement d’actualité dans les mécanismes de GPA, PMA, et autre. Dès le départ, la lutte pour l’universalisme et l’égalité devant la loi se double d’une lutte et d’une revendication corporatiste, d’un droit à la différence qui s’inscrit dans un registre tout à fait différent. Dans ce combat, où l’homme disparaît, l’universel est anéanti par le poids concret de la grossesse. Nous sommes plongés dans la casuistique de l’application des règles universelles àn leur application aux situations particulières. Et c’est directement sur la question anthropologiquement la plus complexe, celle du rapport à la sexualité et à l’engendrement des enfants que l’universel vient se briser.
Impossible de ne pas être sensible aux douleurs des femmes qui avortent dans les circonstances atroces. Impossible aujourd’hui de comprendre comment nos civilisations en étaient arrivées à ce statut si restrictif de la femme. Impossible pourtant à l’inverse de ne pas se révolter contre une démarche qui fait de la question de l’engendrement une question uniquement féminine, évacuant la question du père et de l’homme. Comment trancher? Il est évident que nous sommes passés d’un extrême à l’autre.
Comment le verre entre dans le fruit
La difficulté conceptuelle est toujours la même. Dès que l’on quitte le terrain de l’universel, nous sommes enfermés dans un concept particulier. Ce n’est plus l’homme, sujet de droit universel, mais l’homme ou la femme, qui vient de Bretagne, ou de Paris, qui es blanc, noir, jaune, métisse, ou rouge, qui est avocat, médecin, écrivain, rentier ou ouvrier. Dès que nous avons franchi cette porte, l’universel se met à tanguer. La définition devient limitante et très vite insultante. Luc Ferry donne souvent ce type d’exemples que l’on peut multiplier à l’infini: « le noir est fourbe », « le juif est voleur », « la femme est une dévergondée », « l’homme est violent », « l’enfant est innocent », « le riche est un voleur », « l’ouvrier est un alcoolique », « le Corse est violent »…. Seul l’homme universel et abstrait est au dessus de tous soupçons.
Dès que l’on passe de l’homme universel, à tel catégorie, tel « type », telle « espère », ou « race », la conclusion est inévitablement une réduction du concept au particulier. Le concept « noir » ou « femme », est une sous-espèce, une partie du concept universel homme. A ce titre, son champ ne porte que sur ce qui va différencier la partie du tout auquel elle appartient, des autres parties ou des autres manières de dire l’universel. Le problème est aussi vieux que les catégories d’Aristote. On peut ensuite descendre d’un cran et réduire encore la catégorie secondaire à une catégorie tertiaire. Le rôle de la femme est de faire des enfants et de s’en occuper. L’essence de l’homme est de pourvoir aux besoins de sa famille. Mettre l’accent sur la sous-catégorie, c’est bien souvent oublié la catégorie principale et considérer la sous-catégorie comme la première dans son cercle. Ainsi le féminisme mis en avant ne peut fonctionner premièrement qu’en niant ou mettant à distance la catégorie supérieure à laquelle il appartient, et secondement en le considérant comme supérieur aux autres catégories de même rang, à savoir la masculinité, mais aussi l’enfance, ou tout autre catégorie.
C’est ainsi que l’on crée du racisme, en mettant en avant une détermination particulière, en la mettant au dessus de la catégorie la plus universellement partagée. La désignation d’une victime, d’une catégorie que l’on déteste et que l’on accuse de tous les maux: les juifs, les noirs, les asiatiques, ou tout autre, n’est que le second temps de la désignation d’une catégorie supérieure. Le féminisme a ainsi bien montré la voie d’une nouvelle manière de discréditer l’universel abstrait.
S’arrêter à l’universel abstrait, est-ce réellement possible?
Les défenseurs de la République et d’une certaine idée de l’humanité s’arrête là. L’idée de l’homme est la seule garante de l’égalité démocratique, la seule permettant de ne faire strictement aucune distinction entre les citoyens, par ailleurs tous en position d’accéder au pouvoir et de voter. Pourtant nous voyons bien dans la vie de tous les jours que les déterminations secondaires de l’ « homme » sont mises en jeux en permanence. Il y a bien eu un statut de la femme, rattaché à l’homme père de famille, un statut de l’enfant, qui existe toujours d’ailleurs, une incroyable ségrégation raciale envers les noirs dans la démocratie américaine, ce qui restera sans doute toujours une honte et un mystère pour le français républicain.
Toutes les parties de la réalité correspondent à ce qui nous est donné dans la vie et que nous n’avons pas choisi. L’universel correspond à une expérience commune de la conscience, de la raison, que l’on peut même élargir aux passions. Mais les autres catégories ajoutent à cette détermination générale. Personne d’entre-nous n’est l’homme en général. Nous sommes tous nés quelque part.
« Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes; je sais même grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan; mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie; s’il existe, c’est bien à mon insu ».
Cette citation de Joseph de Maistre est la citation étendard de l’argumentation romantique avancée par les contre révolutionnaires pour combattre l’universalité des droits de l’homme. Il serait pour eux impossible de trouver cet homme universel et de fonder des lois pour lui, puisqu’il n’est qu’une abstraction. La réalité, c’est la diversité des habitants des différents pays, ayant chacun des lois leur correspondant et propre à leur nature particulière. Aussi séduisante qu’elle puisse paraître, cette objection est d’une portée très limitée, pour ne pas dire qu’elle est complètement vide. Nous sommes bien évidemment capable de penser l’homme, le mot étant bien utilisé dans la phrase même sensé le discréditer. Nous vivons dans les abstractions produites par la pensée et les mots. La définition de l’homme est même peut-être plus simple et plus universelle que celle de tel homme particulier. Qu’est-ce que l’Italien? Qu’est-ce que l’Allemand? Toute définition de chacune de ces sous-catégorie, finira par exclure une catégorie de personnes, sauf, et ce sauf est important, d’un point de vue juridique, puisque c’est la loi qui sera le juge de paix en la matière.
Les sous-catégories de l’homme ne se limitent pas au pays dans lequel nous sommes nés. La plupart d’entre-elles correspondent à des déterminations de notre être sur lesquelles nous ne pouvons rien, et qui nous sont données par le destin. Naître à tel époque, de tel sexe, de telle religion, dans tel pays qui vit sous tel régime particulier, de ces parents là et pas d’autres, avec nos dons, nos limites, et pas d’autres. C’est alors le destin, la marque de la Providence, qui nous a crée ainsi et pas autrement que nous pointons du doigt. Et il nous faut bien vivre avec et à travers ses déterminations. Vivre à travers, c’est reconnaître ce que nous sommes concrètement. Les identités déterminées « tiennent chaud ». Elles permettent de se sentir plus proche de certaines personnes ou groupe, et non perdu dans l’identité vide de l’homme universel. C’est d’autant plus difficiles quand nous voyons concrètement qu’elles nous donnent moins de possibilité qu’aux autres.
La question est ainsi complète. Nous sommes reliés à l’universel, et nous l’exigeons. Mais nous sommes aussi particuliers, ce que nous acceptons et refusons à la fois. Toutes les revendications catégorielle sont d’une certaine manière paradoxale. Rien de plus étrange qu’être femme et de revendiquer au titre même de sa féminité, le droit à ne pas avoir d’enfant, alors qu’au titre de la féminité elle-même, la femme se définit évidemment principalement dans sa différence par rapport à l’homme, par le fait de porter les enfants et d’accoucher. Revendiquer sa sous-catégorie, c’est souvent la refuser, mais pas uniquement. C’est aussi lutter pour le dépassement de cette catégorie et son accès à l’universel, qui prend la forme de l’égalité.
Toutes les revendications portent sur la dénonciation d’être « assigné à résidence » dans son concept étroit et particulier, et ne même temps dans la nécessité de défendre ce fragment concret d’identité. Le noir est sommé de revendiquer avec les autres noirs. Les femmes doivent toutes être féministes. Les juifs doivent absolument défendre Israël, sans quoi, ils ne seraient « pas véritablement juifs » et complice des antisémites. L’ambivalence entre la catégorie générale et l’espèce particulière n’en finit plus. D’un côté on revendique le droit d’en être, de l’autre celui de lui échapper. Versant pile, on se plaint d’appartenir à une catégorie défavorisée, et côté face on demande plus de reconnaissance pour cette catégorie particulière. Il n’est pas jusqu’aux entreprises qui ne revendiquent leur ADN, sans ce rendre compte du potentiel incroyablement raciste de cette référence.
L’égalité devant la justice, l’égalité de droit, était supposée résoudre ce conflit. La justice, la démocratie, reconnaît en chacun un citoyen, en faisant totalement abstraction des autres déterminations non universelles. C’est bien d’ailleurs cette doctrine qui est à la base de toutes les émancipations, de toutes les demandes de respect de l’égalité, toutes parfaitement légitimes du point de vue de la loi. Dès lors, la loi se doit d’organiser au maximum cette égalité. Elle doit le faire de manière formelle, avec tout d’abord le même pouvoir politique pour chacun, un citoyen, une voie, la même justice pour tous, et la même éducation pour tous. Lâs, nous sommes encore loin d’une égalité acceptable. Il a fallu 150 ans pour que les femmes obtiennent le droit de vote. L’inégalité des salaires, même si elle est en partie discutable, les deux sexes ne choisissant pas les mêmes professions, est aussi parfois une réalité, comme le montre les actrices américaines. La discrimination à l’embauche selon la couleur de peau ou l’origine existe encore, même si elle est très limitée, la compétence réelle passant au-dessus des autres critères.
Conflit, ou développement de l’égalité?
Faut-il se plaindre de cette nouvelle mode de la mise en avant des situations particulières? Tant qu’elles restent dans un cadre républicain, c’est-à-dire dans le cadre de la définition générale de l’homme, et qu’elle ne prétende pas fonder des droits spécifiques en quelque manière supérieurs à ceux accordés à tous, et bien non, il n’y a rien à en redire. Pourquoi? Parce que cette contestation n’est propre qu’aux démocraties, justement. Elles seraient totalement interdite dans tout autre régime politique. La plupart du temps, comme le combat des noires aux Etats-Unis le montre, la catégorie qui se sent opprimée ne fait vraiment rien d’autre que de revendiquer ces droits. Elle veut accéder à l’universel. Les noirs américains ont parfaitement le droit de se battre pour leur droits, et à ces revendications là, la démocratie devra se plier, parce qu’elles correspondent à son principe égalitaire. Il en est ainsi des religions dans un Etat laïc ou multiconfessionnel. Tant qu’elles n’attaquent pas les principes de l’Etat, toutes les religions sont les bienvenues. Mais que se passe-t-il lorsqu’une religion dépasse le terrain de la loi? La loi doit-elle l’emporter? Ou la loi doit-elle être aménagée pour laisser vivre une communauté comme elle l’entend?
Quand la revendication déborde et commence à revendique plus que ce qui est donné aux autres, elle dérape et doit être interdite. La limite est parfois, souvent même, difficile à tracer. Quoi de plus légitime que le combat des actrices américaines contre une espèce de culture du viol, et pour l’égalité ou l’équité des salaires par rapport aux hommes? En revanche, quand les femmes exigent une forme de compensation professionnelle pour la grosse, comme l’obtention d’une promotion même quand elles se sont absentées pour un congé maternité, la situation est plus complexe. Qu’est-ce qui les empêchera d’avoir la dite promotion l’année prochaine? Que pensez des combats des mères célibataires? Que penser des revendications portant sur la GPA et la PMA? A quelle aune juge-t-on de l’égalité des situations?
On les juge tout simplement en fonction des principes fondateurs du droit, principes eux-mêmes mouvant en fonction de l’état de l’opinion publique. Le cas de la différence de conception de la France et des pays anglosaxons en montre toute la latitude. Les conceptions de la démocratie sont largement différente des deux côtés, et notamment parce que la construction des Etats est différentes. Les anglo-saxons sont fédéralistes. La France est nationaliste. Le fédéralisme suppose la possibilité de donner plus de latitude aux différents Etats, là où le nationalisme ou l’étatisme, suppose une homogénéité complète. La seconde différence, plus profonde, tient à la différence de conception des droits fondamentaux qui s’opposent à l’Etat. La troisième concerne directement la différence de conception de l’égalité. La quatrième et dernière, est connexe à la précédente et porte sur les valeurs qui peuvent être opposées à l’égalité. Le meilleur exemple est celui de la nature. La « nature » impose des limites: les femmes portent les enfants, les couples homosexuel ne peuvent pas avoir d’enfant (sauf à recourir à un partenaire extérieur).
Les sociétés anglo-saxons sont à la fois beaucoup plus individualistes et plus communautaristes. Ce n’est pas un paradoxe, c’est le résultat de l’histoire. Les Etats-Unis sont construits sur la théorie des droits individuels qui s’opposent et s’imposent à l’Etat. Leur droit de propriété est un droit naturel. Le droit de religion, le droit de la famille, la conception du corps, tout y est différent. En France, la place de la liberté individuelle est en fait bien plus limitée. Elle est inscrite dans le préambule et dans les déclarations des droits de l’homme. Mais la réalité de la France construite après 1945, plus proche d’un compromis entre communisme et individualisme. Des pans entier de l’économie sont nationaux, comme l’électricité, ou le train, mais aussi l’assurance santé et les retraites. La conception de l’égalité est radicalement différente. La place de la religion aussi. Il a fallu en France mettre à l’écart un catholicisme qui était bien trop puissant et avait historiquement assumé certaines fonctions juridiques à la place de l’Etat, notamment sur tout ce qui portait sur l’état civil, le mariage, les naissances, l’éducation et la mort. Excusez du peu. L’Angleterre avait bloqué une telle extension de l’Eglise catholique bien plus tôt. Les Etats-Unis n’ont jamais eu ce problème.
L’articulation du particulier et de l’universel doit être organisée. Elle doit servir à faire ressortir l’universel dans la particularité, et non à réduire l’universel sous la particularité. Le danger est toujours présent, comme le montre Magaret Sanger elle-même. Ses motivations se réduisent finalement à une haine de soi comme femme, à une haine de la femme et même de la procréation qui l’ont conduit aux pires extrémités. Magaret avait accepté l’invitation du Klu Klux Klan, pour défendre ces idées. On devine malheureusement vite lesquelles. Elle traite les pauvres et les immigrés de « lie de l’humanité ». Il était pour elle hors de question qu’il puisse se reproduire. Le contrôle des naissances mis en place par le planning familiale permettait « ni plus ni moins que l’élimination des inadaptés ». On pourrait lui trouver des excuses, rappeler que l’Amérique dans laquelle elle vivait était effectivement raciste et hygiéniste. Mais sa croisade ne s’arrête même pas là. « Je pense que le plus grand des péchés est de mettre des enfants au monde – qui ont des maladies à cause de leurs parents, qui n’auront pas la chance de devenir des êtres humains dignes de ce nom. Des délinquants, des prisonniers, toutes sortes de choses qui sont déjà inscrites à la naissance. Ça pour moi, c’est le plus grand péché que l’on puisse faire. » Elle déclare en 1934 : « il est devenu nécessaire de mettre en place un système de permission de naissance. » Toutes ses thèses semblent se réduire à une haine farouche de l’enfantement, une haine si profonde de cette condition féminine qui lui fut imposée par le destin, qu’elle en devint une haine de l’humanité.

Annexes
Les gender studies et le mouvement Woke
Une bonne partie du discours sur le femmes est devenu anachronique depuis la pilule. Prenons l’exemple, Esprit des lois Livre 7 Chapitre IX (ou encore la dernière page du Traité politique de Spinoza) ², qui parle essentiellement de la condition des femmes, montre toutes les contradictions de leur position. Enfermées dans les foyers, il ne leur reste effectivement pas beaucoup de possibilités pour agir. Cette situation vient très certainement des nécessités de la procréation, qui était la grande affaire de toute ses générations. La vertu était aussi fort conseillée aux hommes. Et c’est aussi la médecine et le progrès économique qui ont depuis modifié la vertu et la condition des femmes. Armée de la pilule, la femme d’aujourd’hui n’est plus la femme d’hier. Le temps consacré à la procréation est radicalement réduit.
Les gender studies cherchent à déconstruire le discours de genre dans la culture et les institutions. Elles sont nécessaires pour nous rappeler d’où nous venons et vers quoi nous allons. Oui, notre monde social n’a plus rien à voir avec celui du début du XXème siècle. Mais elles sont aussi désastreuse parce qu’elle attaque un sujet qui n’existe déjà plus. Elle tort les références culturelles en oubliant de mettre les textes dans leur contexte historique. Elles prétendent innover en défendant une liberté qui est déjà inscrite dans nos sociétés et qui continuent à ce développer par le soutien de la loi et des tribunaux.
La culture Woke réédite ces méthodes du féminisme en allant sur d’autres terrains, comme la couleur de la peau et la cause écologique. Mais là encore, qui leur contesterait raisonnablement le fond? Personne de raisonnable. En revanche, quand il s’agit de brandir la carte « minorité » pour tout de suite dénoncer un acharnement et une injustice, alors même qu’ils sont en train de commettre une injustice, nous nous trouvons devant la défense la plus banale au monde: « je ne suis pas coupable, je suis une victime ». Ni la police, ni les tribunaux ne sont dupes.
Egalité, équité, méritocratie
Se rapprocher de l’universel et ainsi atteindre une certaine forme d’égalité, est un critère intéressant. Mais est-ce suffisant? C’est une chose de se battre pour que tout le monde, quelque soit sont genre, sa religion, etc, accède aux même règles, conventions et lois. Mais les lois elles-mêmes sont-elles justes? Organisent-elles l’égalité? Il est évident que non. Les lois organisent la société, et dans la société tout le monde est loin d’être réellement égal. Nous n’avons pas tous les mêmes talents. Nous n’avons pas tous le même destin. Une minorité gagne immensément plus que la majorité, et cet écart ne fait maintenant que progresser. Comment justifier cela?
Il n’y a absolument qu’une seule solution possible. Du point de vue de l’égalité de tous les hommes entre eux, c’est injustifiable. Mais du point de vue du groupe, de la collectivité en son ensemble, c’est parfaitement justifiable. C’est exactement ce que proclame la Déclaration des droits de l’homme dans l’un de ses premiers articles: la disproportion des fortunes n’est justifiée que par l’utilité publique que la société dans son ensemble en retire. Nous voyons à quel point nous sommes éloignés de la conception anglo-saxonne et du primat de la propriété individuelle. Mais il y a plus. Nous avons beau nous plaindre, il est clair que l’égalité parfaite est non seulement impossible à atteindre, ce n’est qu’un concept, et serait d’une affreuse banalité, totalement contraire à la richesse de la diversité que l’on voit partout, dans la nature et chez l’homme. « Il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme » affirme Montaigne. Nous ne pouvons pas tous être Kylan MBappé ou Brad Pitt. D’ailleurs nous ne le voulons même pas tous. Nous cherchons tous une place particulière autant qu’équivalent à celles des autres. Si nous avons un intense besoin d’égalité, nous avons aussi besoin de nous démarquer. L’égalité juridique doit d’ailleurs permettre à chacun de trouver sa place. Les impératifs de l’organisation économique ne le permettent pas non plus. Nous ne sommes pas interchangeables. La division du travail, qui donne à chacun un poste, permet un accroissement des connaissances et de la production.
La combinaison de ces deux principes, nécessité de développer notre individualité et nécessité de l’efficience de la production économique sont les fondements de l’équité. La subjectivité que nous avons besoin d’exprimer dans le monde ne se réduit à aucun des critères secondes comme le genre, la langue, etc. La subjectivité est liée à toutes ces déterminations et en même temps transperce ces détermination. C’est par elle, par cette singularité, qu’aucun homme n’est équivalent à aucun homme. La singularité même est universelle.
Des concepts
Tous ces concepts, homme, femme, masculin, féminin, etc, sont tous empiriques. En cela ils ne différent pas des concepts d’arbre, de chien, de montagne. Nous n’aurions jamais l’idée de catégoriser ces éléments si nous ne les rencontrions pas dans l’expérience, c’est-à-dire aussi dans notre rapport à la nature.
En cela, le concept d’homme n’est pas identique à celui du nombre ou de dieu. Ni le nombre, ni dieu ne sont présents directement dans la nature. Ce sont des idées idées, ou des concepts a priori. Ils sont inscrits dans notre esprit, mais ils ne viennent pas de l’expérience. Ils servent au contraire à structurer ou expliquer l’expérience. Grâce aux nombres, je peux compter les pommes dans mon panier. Mais je ne croiserai jamais de « 1 » dans la nature. C’est une capacité purement intellectuelle. C’est un concept a priori, ou une idée innée.
Les concepts d’homme, femme, enfant, sont au contrarie des concepts empiriques. Nous les forgeons, comme ceux d’arbre, de chien, de chat, parce que nous rencontrons dans la nature, dans l’expérience, des arbres, des chiens et des chats. Le concept d’homme a cependant un statut spécial. Il ne renvoie pas uniquement à l’expérience que j’ai de tous les autres hommes, pour ainsi dire à l’extérieur. Il renvoie également à l’expérience que j’ai de moi-même.
Le concept d’homme est donc une construction intellectuelle qui inclut tous les autres concepts que l’on peut subsumer, c’est-à-dire inclure, à l’intérieur de ce concept le plus général possible pour désigner son objet. Ainsi « homme » contient les sous-concepts, homme, femme, enfant, vieillard, fille, garçon, riche, pauvre, petits, grands… qui ne sont que des manière de dire l’homme, et qui correspondent tous à des déterminations un ou plusieurs crans plus précises de ce que l’on peut rencontrer dans la nature.
Cependant, chacun des sous-concepts communique encore avec une multitude d’autres. Ainsi, le concept de femme va inclure celui de mère, de marié, de célibataire, de grandes, petites, blanche, noire, pauvre, intelligente, artiste, chômeur, avocat…
Aristote et l’esclavage
Aristote, défenseur de l’esclavagisme? Une erreur de l’histoire.
Un aparté s’impose pour tout philosophe à ce moment de l’argumentation. Que faut-il penser du livre 1 des Politiques d’Aristote qui nous explique non seulement qu’il y a des esclaves, que c’est leur nature, et qu’il est ainsi de leur nature d’être inférieur aux autres, et que tout doit être hiérarchisé, de l’homme à l’esclave, en passant par la femme et l’enfant, et que tout ce beau monde doit être dirigé par « les meilleurs », dont on se demande qu’elles peuvent bien être les critères. Pour nous, la réponse est très claire: une argumentation aussi simple, voir simpliste ne peut qu’être, soit le fait du jeune Aristote, doté d’un caractère un peu rebel et cherchant à s’imposer face aux thèses totalement égalitariste de Platon, soit le fait d’un plagiat, d’un complément apocryphes rajouter par des auteurs ultérieurs. C’est notamment flagrant pour deux raisons: le style, excepté au tout début, n’est pas du style d’Aristote. La fin du chapitre, qui ressemble fort à un commentaire, est typique des ajouts ultérieurs, que l’on trouve parfois ça et là dans l’oeuvre, par exemple les derniers chapitre de la Poétique, après le chapitre sur la métaphore.
Des quotas
Que pensez des quotas, des places accordées dans les universités américaines selon la couleur de la peau? Que pensez des bourses, des places réservées aux boursiers qui se développent dans les universités françaises?
La première réponse est évident que ce système est injuste. Si l’on se place au seul niveau de l’examen, et de la note, c’est évidemment une injustice. Celui qui a la meilleure note doit avoir la place. Malheureusement plus rien n’est aussi simple. Les enfants ne sont plus égaux dans la course. Tout le monde ne part pas de la même ligne de départ. Mais est-ce si grave?
Nous ne le pensons pas. Il n’est pas si facile d’accéder aux premiers postes et aux plus grandes universités. Il faut la plupart du temps plus d’une génération pour produire un enfant capable d’y arriver. Comment un enfant d’immigré arrivé à 10 ans dans un nouveau pays, ne parlant pas la langue ni les us et coutume, comment devrait-il pouvoir, en dehors de son seul génie académique, pouvoir accéder aux meilleures université et aux postes auxquels elles mènent? C’est quasiment impossible.
En revanche, que le même enfant n’est pas les moyens d’apprendre la langue de son nouveau pays, pas la capacité de suivre des études, et plus tard, aucune ou très peu de chance de trouver un emploi meilleur que celui de ses parents, que le pays qui l’a accueilli n’ait pas la capacité de le faire monter en humanité, voilà qui est inacceptable.
Ce qui est inacceptable, c’est un pays qui n’intègre pas les parents de cet enfant, ne leur donne pas les codes de la nouvelle société, l’enferme dans une banlieue dont il ne peut plus sortir et lui donne comme seul horizon de devenir délinquant et trafiquant de drogue.
Les quotas ne sont que le sparadrap, le rafistolage mal fait, l’aveu même que nos promesses sont des mensonges. Alors on triche, on manipule, on cache la vérité. Et surtout, on ne s’attaque pas aux vraies racines du problème. Ce cache-misère vrille toute la machine et engendre un sentiment d’injustice, alors qu’il est supposé la corriger.
Faut-il pour autant arrêter les quotas sous toutes leurs formes? Imaginons maintenant une société très diversifiée, ou non homogène. Elle compterait plusieurs religions, dont aucune ne pourrait se proclamer vraiment la première du pays. Elle compterait des groupes de populations immigrées venant de plusieurs pays, se mélangeant parfois, mais restant aussi en partie à l’intérieur de leur communauté. Elle aurait enfin, conséquence naturelle des deux précédentes, une population variée en terme de couleur de peau. Dans une telle société, que se passerait-il si l’une des communautés dominait toutes les autres sur tous les plans, dans l’éducation, les affaires, et l’Etat? Que penseraient les autres communautés? Dans une démocratie, serait-il ainsi acceptable d’exclure une part de la population des la direction du pays? Serait-il acceptable qu’une partie de la population, sélectionnée sur des critères qui tout en relevant d’une certaine universalité, reviendrait également à mettre une communauté au-dessus de toutes les autres? Ce ne serait évidemment pas acceptable. La sanction des urnes entrainerait forcément une lutte politique et un rééquilibrage. Le pays ne ferait pas vraiment corps. On ne voit d’ailleurs se régime perdurer que dans des pays abritant des régimes durs. Aux Etats-Unis, l’émancipation des noirs était absolument nécessaire à la survie de la démocratie, même si elle a pris des siècles. Nous l’avons déjà vu avec l’accession des femmes au droit de vote.
Le système des bourses
Alors comment faire? En France, les statistiques dites ethniques sont interdites. Le résultat est que nous ne savons pas vraiment où nous en sommes. En revanche les statistiques économiques sont largement disponibles, et ce sont les boursiers qui sont aidés. Le critère d’aide est économique. L’avantage est qu’il est ainsi toujours possible d’aider, indépendamment de toutes couleur de peau ou religion, ceux qui en ont le plus besoin, pour peu que le calcul permettant d’établir qui est boursier soit correctement fait.
Le système des bourses a un autre avantage. Il est progressif, divisé en neuf niveau, suivant les revenus de la famille. Mais ce n’est pas tout. On a rajouté un quota de boursiers à différents moments du système éducatif.
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