Nous vivons une nouvelle révolution sociale, encore une fois venue des Etats-Unis, et à nouveau apparemment irrésistible. Ce n’est pas la première et ce n’est sûrement pas la dernière. Quelle mécanique, quels ressorts sont à l’oeuvre?
Ah jeunesse!
La révolution sociale est une affaire de jeunes, des enfants aux jeunes adultes, et principalement d’adolescents. Ils ont la puissance de créer de nouvelles valeurs et de les imposer. Qu’on les aime ou pas, ils ont l’avenir pour eux. Ils sont l’avenir en germe et en construction. Et l’on peut difficilement s’opposer à eux. Dans chaque famille, les parents acceptent de plus ou moins bonne volonté leur frasques. On ne peut pas rompre avec ses enfants. On ne peut pas s’opposer à la jeunesse.
L’un des traits principaux de l’adolescence est la fausse expérience. Dès qu’ils ont lu trois livres et se sont fait quatre amis en dehors du foyer, les jeunes s’imaginent suffisamment expérimentés et cultivés pour juger le monde et le transformer. Cette douce et cruelle illusion permet de formidable invention collective. Les idées et émotions s’échangent et circulent d’autant plus vites qu’elles en sont pas analysées en profondeur. Elles participent de l’ouverture au monde.
Ajouter à cela une jeunesse aussi mal formée et inculte que l’est la jeunesse américaine, c’est à dire aussi non contrainte par les exemples du passé, et vous obtenez à chaque fois une nouvelle génération aux références et à l’expérience minimale, qui doit à chaque fois réinventer ses propres règles.
Attaquer le pouvoir … et les parents
La grande aventure psychique de l’adolescence reste le passage à l’âge adulte. Devenir autonome, vivre selon ses propres schémas et ses propres valeurs. Cela passe presque systématiquement par une mise à distance des parents, qui si elle n’avait pas lieu, risquerait de laisser les enfants dans une enfance éternelle. Pour réaliser ce petit miracle, il n’y a pas trente-six solutions, il faut s’opposer d’une manière ou d’une autre à ses parents.
Comme la confrontation frontale n’est pas si simple, elle devient le plus souvent symbolique et s’attaque au corps sociale. Ce sont les structures de l’organisation actuelles qui sont attaquées comme n’étant pas adéquate à la nouvelle affirmation de soi et du groupe. Il faut contester pour inventer. On comprend que les thèses dites déconstructivistes soient aussi puissant que le chant des sirènes sur les compagnons de Jack Sparrow.
Une quête d’amour, de respect et de reconnaissance
« Moi je », « ma subjectivité », « chacun fait ce qu’il veut », « le respect de l’autre », nous avons parfois que nos ados nous parlent comme s’ils avaient été élevés dans un camp de rééducation communiste. Ils clament leur « moi ». Choyés, câlinés, dorlotés, ils n’en n’ont jamais assez. Ils demandent de la reconnaissance, de l’écoute, quand bien même ils diraient n’importe quoi et se livreraient à tous les excès.
Cette quête s’appuie sur les valeur d’égalité et d’égalitarisme qui fondent nos régimes modernes. Elles semblent parfois un peu triste, tragique même, dans leur revendication de solitude indépassable. Heureusement l’aventure de la jeunesse ne s’arrête pas là.
Une révolution technico-sexuelle
La grande affaire de la jeunesse, ce n’est pas le diplôme de fin d’étude ce sont les premiers ébats et les premiers amours. Il est même fort possible que toutes ces révolutions n’aient d’autres but que de créer de nouvelles manières de se jeter dans le grand bain de la sexualité.
Le mouvement de 68 s’opposait à la guerre du Vietnam. Il fallait « faire l’amour et pas la guerre ». On pouvait vivre d’amour et d’eau fraîche et tout le monde devrait avoir la possibilité d’aimer tout le monde. Les structures verticales du pouvoir étaient attaquées, c’est une constante, et les liens horizontaux préférés. Les vieux et les jeunes pouvaient s’aimer. C’était la révolution sexuelle d’une génération qui pouvait faire l’amour en étant libéré, grâce notamment à la pilule contraceptive, des contraintes de la procréation. On connaît malheureusement les dérives de cet amour universel qui permis notamment les dérapages de nombreux pédophiles.

La révolution des réseaux sociaux a aussi largement surfé sur la sexualité, avec des résultats cette fois sans doute plus mitigés. Internet a explosé au niveau mondial grâce à la pornographie. Elle représente toujours aujourd’hui un tiers de la consommation de la borne passante. Puis se fut le temps des applications de rencontre. Il ne s’agissait plus seulement d’être connecté au monde entier et de retrouver toutes nos connaissances en direct, il s’agissait aussi de conclure. Ce mouvement cependant fut finalement moins puissant que 68 ou que la nouvelle révolution woke.
Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle forme de cette même dynamique. A l’inverse de 68, qui portait un certain universalisme, une forme de christianisme païen faisant descendre la doctrine de l’amour au niveau des corps, nous sommes maintenant confronté à un étrange mélange de liberté et de cantonnement identitaire. Chacun revendique le droit d’être ce qu’il est, et refuse d’une certaine manière de le partager. En 68 les identités n’avaient plus d’importance. Il fallait les dépasser. En 2021, elles sont tout et il n’est plus question d’en franchir la frontière. Un non noir ne pourrait jamais comprendre le blues. Un homme ne pourra jamais comprendre la femme. Un blanc n’a plus le droit de se déguiser en noir. C’est devenu une insulte, là où c’était encore hier l’un des meilleurs moyens de comprendre l’autre. Nous sommes, selon l’expression consacrée, assignés dans notre identité.

De ce point de vue, la révolution à l’oeuvre est une sorte de synthèse de 68, des réseaux sociaux, et des nouvelles techniques de procréation. Les révolutions techniques ne sont pas socialement neutres. On savait déjà qu’elles impactaient la répartition des richesses, l’organisation des classes sociales et la dynamique politique des nations. Mais il semble surtout que les modifications soient beaucoup plus profondes et touchent directement les rapports humains et la sexualité. Huxley en avait donné un raccourci saisissant dans Le Meilleur des mondes en présentant la fécondation totalement organisée dans des fermes biologiques humaines. Les techniques que nous inventons changent notre rapport créatif au monde, et en retour, elles nous changent nous aussi dans l’essence même de notre pouvoir créateur, c’est-à-dire dans notre sexualité.

Les superstructures à l’oeuvre
Ces révolutions sociales n’arrivent pas seules et ne sont pas le fait d’une génération spontanée. Elles sont au contraire générées par un système et indissociables de celui-ci.
Ce n’est pas un hasard si l’américain est le pays de toutes ces révolutions. L’Etat y est plus faible qu’ailleurs. La valeur dominante est la liberté individuelle et le libertarisme, qui consiste à penser le groupe sans aucune structure politique, est là-bas une thèse prise très au sérieux. Il résulte de ces principes à la fois une nécessité et une possibilité laissée à la société de créer ses propres normes de vivre ensemble. Au début, les communautés religieuses devaient remplir ce blanc, ce vide qui avait explicitement été laissé à leur épanouissement. Mais elles sont en recul constant. Elles étaient aussi extrêmement rigides. Sans être appuyées sur les structures plus solides du droit et de l’Etat, elles ne pouvaient pas résister aux principes politiques individualistes. Moins que partout ailleurs les comportements sont désormais guidés et normés par des structures religieuses et morales et la reproduction générationnel plus ou moins conservatrice qui prévalait au sein de chaque communauté. Chaque génération doit réinventer son vivre ensemble et se lance ainsi dans l’ingénierie sociale.
La seconde superstructure à l’oeuvre est celle du progrès technique. L’invention de la pilule reste la grande invention absolument révolutionnaire ayant bouleversée les rapports homme-femme, peut-être même plus que les rapports de pouvoir organisés par la communauté politique ( il y avait déjà bien une organisation sociale avant les droits de l’homme). Elle est toujours en cours. La pilule n’était, pour ainsi dire, que le début. La pilule bloquait la sexualité. Il s’agit désormais de l’externaliser, de la démembrer, de la processer. On commence par résoudre le problème médical. Une fois le génie sorti de sa boîte, plus rien ne peut l’y remettre.
La seconde invention majeure est celle des réseaux sociaux, qui a favorisé un éclatement des médias et des discours médiatiques. Une nouvelle forme de start des médias est apparu: les influenceurs et autre youtubers, qui vivent en produisant et diffusant leurs contenus sur leur propre chaîne de télévision. Le public est plus divers et fragmenté que divers. Il ne se reconnaît plus dans des modèles et une communication plus normée et plus centrale. Tout s’éparpille. Tout est multiplié.

La troisième superstructure est le système capitaliste. Aussi puissantes soient-elles ces évolutions générationnelles semblent incapables de s’attaquer aux véritables problèmes de la société et de la planète. Malgré quelques soubresauts, les questions clés, les véritables scandales que sont la disproportion des richesses et les pollutions en tous genres échappent aux puissances l’opinion. Pourquoi? La fabrication des enfants sera-t-elle capable de lui échapper encore longtemps? Egalité des sexes, concurrences des législations, lutte contre les déformations et maladies génétiques, mères porteuses pour les grandes actrices américaines. Si la matrice de la révolution sociale est la création d’une égalité toujours plus réelles appuyée sur la technique et la sexualité, il n’y a aucune raison pour que la dynamique ne s’arrête. Rien n’arrêtera le Meilleur des mondes.
Ces questions restent d’une certaine manière des sujets d’adultes. La jeunesse ne se soucie pas d’argent. C’est un angle mort de la pensée jeune. « Les jeunes ont besoin d’amour, les adultes ont besoin d’argent ». Ne travaillant pas, habitant des pays riches, ils ne réalisent pas la difficulté qu’il peut y avoir à gagner sa vie. Ils sont en cela également bien aidés par de riches et puissants lobbies, toujours prêts à financer mille causes plutôt à qu’à remettre en cause la répartition du capital. Il y aurait pourrait tant à dire et tant à faire sur ce sujet!
Les jeunes finissent par rentrer dans le rang de la machine économique. Les « leaders » des mouvements ne continuent pas beaucoup dans la politique, qui nécessite elle aussi des moyens financiers. Ils se retrouvent alors confrontés à la réalité des rapports économiques. Toute le monde a bien conscience des problèmes écologiques. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres tant nos systèmes énergétiques et productifs sont générateurs de pollution. C’est un combat de civilisation, qui prendra plusieurs générations, et pas une seule, pour être résolu.
D’autres système d’équilibre entre les générations viennent aussi mettre un frein. Nous avons en Europe les systèmes de retraite, où les jeunes générations paient pour les plus anciennes, ce qui conduit tout de même tous les pouvoirs à bien s’assurer que la génération suivante rentre dans le rang du système économique. De manière symétrique, le système financier accomplit la même chose. Il repose principalement sur la dette, et la croissance de la dette. La monnaie que nous créons pour financer l’expansion n’est pas de la vraie monnaie créée. C’est principalement de la nouvelle dette, dans une formidable, et folle, pyramide d’endettement. Les générations nouvelles n’ont vraiment pas d’autres choix que d’y entrer.

La psycho-technico histoire
Asimov, lointain héritier de Hegel et de Marx, a inventé la théorie de la psycho-histoire dans Fondations. Pour Harry Seldon, un statisticien de génie, la dynamique des empires est réductible à une série d’équations statistiques permettant de modéliser l’évolution psychologique des nations et des empires. Hegel voyait dans l’Histoire le déploiement de l’Idée, et singulièrement de l’idée de liberté qui se développait dialectiquement. Marx y voyait le résultat concret des conflits liés à la lutte pour la richesse, c’était le matérialisme historique. Tirant les leçon du développement de la psychologie, Asimov prônait la révolution psychologique.
Certains voient dans la révolution woke une véritable atteinte aux fondements même de notre civilisation. Mais c’est sans doute qu’ils continuent de faire référence à un monde qui a déjà disparu avec la Révolution française et la création des Etats-Unis. Avec tous ces excès, la révolution woke continue de se réclamer et de travailler les idées d’égalité et de liberté qui sont les fondements de la modernité. Certaines conquêtes sont tout à fait légitimes et bienvenues. Comment peut-il encore y avoir aux Etats-Unis des statues de défenseur de l’esclavage? Comment peut-on accepter qu’un producteur violeur soit devenu si puissant à Hollywood? Comment la société a-t-elle pu fermer ainsi les yeux sur les viols de mineurs, notamment dans les familles et les églises? Pourquoi la police française ne prenait-elle pas les plaintes des femmes battues? Il y a là autant de scandales dont la résolution ou l’amélioration est nécessaire. A l’inverse, attaquer les adolescents et parfois même des enfants en leur imposant comme nouveau modèle de sexualité les relations LGBTQ+, le changement de sexe, la castration chimique (au plus grand profit de certains laboratoires, notamment en Suède), les jouets dégenrés, faire virer les professeurs qui tentent de résister dans les facultés, imposer une relecture totalement nauséabonde et anachronique de l’histoire et de la colonisation, la haine de l’homme blanc hétérosexuel et l’organisation de la disparition des pères, tout ceci sont des outrances sophistiques où l’amalgame fait la loi.
Nature versus culture
Hippias est fier et ne laisse pas de le faire savoir à Socrate. Il a fait ses chaussures tout seul. Il a fait sa toge lui-même. Et plus, s’appuyant sur une analyse d’Ulysse chez Homère, il a découvert que le mensonge est plus puissant que la vérité. Ni une ni deux, il a transformé la langue en outil de puissance destiné à convaincre les foules, et accessoirement à ce faire payer se nouvel art très cher.
L’alliance de la technique et d’une certaine démagogie démocratique remonte à la naissance de la démocratie. Etrange mélange de la technicité et du bien public. En face, les philosophes, et Socrate le premier, on quasiment tous eux une posture critique. Si Socrate cherche avant tout une parole permettant de dire la vérité, et pas seulement le mensonge ou la confusion, sans pour autant poser une équivalence complète entre nature et vérité, d’autres iront plus loin, beaucoup plus loin même. Au bout de cette démarche, nous retrouvons Heidegger et sa célèbre critique de la technologie, une critique qui va de paire avec la restauration de la nature comme valeur suprême, dépassant l’humanisme des Lumière. Cette thèse extrême est le fondement de toutes les théories écologiques modernes. Il ne s’agit plus pour l’homme, comme chez les stoïciens, de trouver sa place dans la nature, ou de s’adjointer aux cours des choses. Il s’agit au contraire de renoncer à l’hubris qui nous rend plus puissant que la nature.
Notons tout de même le progrès gigantesque accompli par Socrate face aux sophistes. La philosophie est née de l’étude de la nature, de la Physis, ce terme qui sera la base de notre terme moderne de physique, mais qui désigne une réalité de pensée tout à fait différente. C’est cette physis avec laquelle prétend renouer Heidegger, en reliant nature et vérité. Mais Socrate, lorsqu’il essaie de contrer Hippias, ne s’en réfère pas à la nature comme critère de la vérité. La vérité n’est pas pour lui, pas plus que pour Platon, dans la nature. Le philosophe qui est allé le plus loin dans cette séparation entre vérité et nature est Descartes. Grâce au raisonnement scientifique et à la découverte des lois de la nature, l’homme devient « comme maître et possesseur de la nature ». La technique surpasse définitivement la nature et elle est, chez Descartes comme pour tout le positivisme scientifique, le lieu de la vérité.
Dans ce combat entre la référence à la nature et le triomphe de la culture et de la technique, nous pouvons même remonter encore plus loin dans les origines de la pensée. La chute du paradis constitue le début de notre destin de technicien. L’homme qui a péché, l’homme imparfait chassé du paradis pour avoir goûté le fruit défendu, ne devra plus sa survie qu’à la technique. Il est pour ainsi dire « puni » et n’aura plus de rapport direct à la nature. Les mythes grecs ne disent pas autre chose. L’homme totalement démuni par Epiméthé, qui a oublié, lors de la donation originelle des caractères naturelles, ne pourra pas s’en sortir sans le feu apporté aux homme par son frère Prométhée. L’homme est nu, sans arme, presque sans force. Sa progéniture doit être protégée pendant des années avant de venir à maturité. Sans la ruse et la technique, il eut été voué à la disparition. Il n’aura pas survécut dans la nature. Il n’existe pas « d’homme animal » et il serait bien illusoire d’imaginer même ce que pourrait être un tel animal.
La technique est une réalité et une nécessité qui sous-tend tout le développement de l’humanité. On peut, et l’on doit, la questionner dans son pouvoir de création et de destruction, mais l’on ne peut pas même imaginer un homme sans la technique. Nous ne reviendrons jamais à l’âge de la bougie. Nous n’annulerons plus les incroyables modifications induites par la médecine moderne, au premier rang desquels, non pas l’allongement de la vie, mais la transformation de la démographie, avec ces deux phases d’explosion démographique, puis de ralentissement de la procréation dans les pays riches. La question de l’âge ne vient qu’après et pose le problème du vieillissement induit par les deux moments de ce nouveau cycle. La médecine, en libérant de la mort des nouveaux-nés a totalement transformé l’homme, au premier rang desquelles la femme bien évidemment. Tous les grands récits métaphysiques ont dès lors commencés à changer. Nous sommes, nous l’avons vu précédemment, toujours dans la même dynamique.
Comment conclure cette vue synthétique des rapports entre nature et culture sans parler de Rousseau? Ce que nous voyons dans les débats modernes, c’est la complexité de ce rapport toujours renouvelé entre nature et culture. Les défenseurs des sexualités diverses peuvent tout à fait se réclamer de la nature. Il n’y a évidemment rien d’innaturel à l’homosexualité. Mais les défenseurs de l’hétérosexualité peuvent également soutenir que sans hétérosexualité, il n’y aurait plus d’espèce humaine. Et ils auront tout aussi raison. La nature ne donne pas de critère. La nature est multiple. C’est bien l’homme qui forge et reforge ses propres représentations, selon ses propres analyses, mais aussi selon le nouveau monde humain que ne cesse de lui donner une technique toujours plus puissante. Rousseau défend le retour à la nature. Il défend l’idée selon laquelle l’homme est naturellement bon. Mais une fois en société, et la société est inévitable, nécessaire, l’homme devient corrompu. Il se transforme. Et cette transformation ne s’arrête plus. L’homme de Rousseau, non pas l’image de l’homme à l’origine, mais l’homme concret, réel, est « perfectible », pris entre ces besoins naturels, comme le sommeil et la nourriture, et sa créativité technicienne qui le pousse sans cesse à inventer un monde pour lui, en recomposant en permanence les forces de la natures. Schumpeter, qui met en lumière le processus de destruction créatrice à l’oeuvre dans l’économie, ne dit pas autre chose.
Annexe
Montesquieu et la théorie du climat / Rousseau la vertu et les arts
Montesquieu, dans L’esprit des lois, propose sa théorie du climat. Pour le dire en terme grec, l’ethnos, la nature du lieu, influe sur l’ethos. L’un des exemples les plus emblématiques de Montesquieu est celui de l’organisation de la sexualité. Cela complète d’ailleurs un axe important de son analyse historique du droit, qui porte sur l’évolution des règles du mariage et de la succession et de l’héritage du pouvoir. Montesquieu nous explique que la puberté dépend de l’exposition au soleil. Dans les pays du nord, les femmes font leur puberté plus tard. Dans les pays du sud, c’est plus rapide. Il en tire un grand nombre de conséquences sur la démographie et l’organisation de la société. Les statistiques disponibles aujourd’hui montre cependant qu’il avait tort, ce lien n’est pas du tout aussi puissant. Cependant, la question reste pertinente.
Rousseau est lui, comme nous l’avons entre aperçu, pris entre deux thèses. Il nous montre comment les mœurs ont évolué avec le temps et les inventions humaines. il dénonce l’invention de la propriété, puis regrette le développement des arts, c’est-à-dire de la technique, qui rend les hommes moins vertueux. Son grand modèle reste Sparte et la rigueur. Il se désolé que le progrès des arts, loin de nous faire progresser, nous fait au contraire reculer moralement. Le luxe décourage la vertu et nous rend paresseux. Rousseau est plus proche de la réalité. L’évolution de la technique a plus d’impact que le climat. Rousseau tombe alors dans sa propre contradiction. Il critique l’évolution au nom de la nature. Mais il montre comme aucun autre avant lui que l’homme n’est pas uniquement un être naturel. Il n’est pas comme le pigeon déterminé à ne manger qu’un seul type de nourriture. L’homme n’est pas un animal déterminé par l’instinct. Il est « perfectible », ou si l’on préfère effacer le positivisme moral, disons que l’homme est plastique, capable de changement et de modification. Nous ne serons plus jamais les hommes des cavernes. N’en déplaise à Rousseau, nous ne redeviendrons jamais non plus des spartiates. Il met tout son espoir dans les institutions politiques qu’il veut calquer sur son grand modèle. Mais il y a fort à parier que l’évolution technique rende cela totalement improbable, y compris pour les meilleures institutions politiques possibles. La puissance des Etats-Unis vient beaucoup plus des conditions violentes de leur création, puis de la guerre civile. En face d’eux, on ne trouve plus de démocratie capable de mobiliser une grande armée. C’est plutôt du côté des régimes dictatoriaux et doctrinaires, Russie, Turquie, Chine, Iran, que l’on trouve la croissance de la puissance militaire.