Le Covid nous a beaucoup appris sur notre pays et nous a largement dévoilé la réalité de notre contrat social.
Un contrat social…social
On a l’habitude de rappeler que le fondement de notre contrat social moderne est né après la Seconde guerre mondiale, sur la base du programme du CNR (Conseil National de la Résistance). La solidarité est le maître mot, mis en oeuvre dans la sécurité sociale, le système des retraites, et la redistribution sociale. En France, contrairement aux Etats-Unis et bien plus qu’en Grande-Bretagne, nous avons la volonté de former un peuple dont les citoyens sont soudés quelque soit leur âge, leur conditions sociales, et bien sûr leur religion et leur couleur de peau. Cela s’exprime par cette solidarité sociale qui régit nos transfers sociaux.

Le vrai contrat social
Si l’on revient au Contrat social avec un grand C, celui défini par les philosophes, on voit qu’il s’agit tout de quelque chose de plus fondamental. Il s’agit de comprendre comment des hommes sortant de l’état de nature parviennent à fonder ensemble un Etat politique. Les différentes théories, de Rousseau, Locke, Spinoza, Hobbes, et autre, partent toujours d’une nature humaine pensée en dehors de toute société et de l’établissement d’une union politique entre les hommes partageant cette nature. L’accord nécessite une organisation fondamentale du pouvoir entre les participants de la nouvelle entité politique. Le pouvoir social est conçu comme appartenant d’abord aux individus, puis ensuite seulement à l’Etat. Ainsi chez Rousseau, les hommes ont-ils d’abord un pouvoir individuel, qu’ils remettent en son intégralité au Souverain et à l’Etat, qui leur rend ensuite une partie, comme par exemple le droit de vote. Chez Locke c’est différent, les citoyens gardent toujours des droits inaliénables qui leur permettent de limiter le pouvoir de l’Etat. Cette différence qui pourrait sembler technique au premier regard, explique pourtant tout l’écart entre les démocraties américaine et française. Les différents auteurs déploient ainsi mille nuances.
Le Contrat social fondamental porte sur la forme de l’organisation politique, la délégation des pouvoirs, la manière de faire les lois et de gouverner la communauté. Il s’agit de fonder le pouvoir et d’organiser le pouvoir. Cette organisation repose elle-même sur des principes qui resurgissent dans l’organisation politique choisie. Nous l’avons vu, le contrat social rousseauiste n’est pas le contrat social lockien. Le vivre ensemble, et principalement l’extension et la limite du doit individuel, qui en découle n’est pas le même. Quelles sont dès-lors les caractéristiques de notre contrat social? Il est clair qu’il y a en France une tension assez forte entre les droits individuels et l’organisation commune, solidaire, de pans entiers de la vie sociale.
La réponse au Covid
Les moments de crises, dit-on, sont révélateurs de la l’état de la structure qui y est soumise. Comment réagit-elle? Va-t-elle survivre, se dépasser ou disparaître? Quelles sont les valeurs qui permettent de faire face à la crise? Sont-elles suffisantes, ou faut-il les réformer? Nous l’avons bien vu à travers les différentes réponses, en Chine, aux Etats-Unis, en Allemagne et bien sûr en France, tout le monde n’a pas réagi de la même manière.
La dictature chinoise a commencé par un moment de déni et de censure qui a finalement été préjudiciable au monde entier en permettant la diffusion du virus et freinant la réponse à la pandémie naissante. En cela la Chine est certainement coupable aux yeux du monde, sans avoir encore de certitude sur l’origine même de la maladie. Puis elle a fait volte face et devant la gravité de la situation, elle a utilisé toute la puissance de son administration. Dans les deux cas, censure et réactions, l’individu, dès le début, l’a cédé au groupe. On voit bien dans ce cas précis les inconvénients et les avantages de ce régime, tout deux liés à la même source.

A l’opposé inverse du spectre, les Etats-Unis, présidés par Trump, ont commencé par accorder une grande liberté individuelle à leurs citoyens. Le résultat fut dramatique. La liberté individuelle, dans un pays ou le niveau intellectuel et culturel moyen est plutôt bas, n’est pas le meilleur moyen sanitaire de lutter contre une maladie contagieuse. Il faut cependant noter que les différents Etats ont aussi réagi de manières différentes. La décision centrale n’a pas empêché des confinements locaux, comme à New York et ailleurs. Mais le déni des citoyens, emmené par un Président populiste, qui ont refusé de croire à la gravité de la maladie, mais qui ont aussi placé leur liberté individuelle au delà du risque et de la mort, a entraîné l’un des pires bilans humain officiel de la planète (nous disons officiel, car il est très difficile d’accorder la moindre confiance aux chiffres venant de Chine).
L’Angleterre a fait pour ainsi dire le pont, entre les Etats-Unis et l’Europe. Elle a commencé par miser sur l’immunité de groupe. Le nation anglaise aurait été plus forte que le virus. Comme si le fait d’être une nation venant d’affirmer son indépendance à travers le Brexit lui donnait une forme de super-force ou de super-pouvoir de groupe. Cela n’a pas mieux marché qu’aux Etats-Unis. Mais l’Angleterre en est revenu plus vite, reprenant des mesures pour toute sa population et devenant avec Israël, l’un des premiers pays à vacciner massivement sa population.
L’Allemagne quant-à-elle a encore montré toute sa force. Bien équilibré sur tous les plans, y compris celui de la répartition démographique de la population et des équipements médicaux, l’Allemagne était prête et a beaucoup moins souffert que ces voisins.
Et la France?
Elle nous a une fois de plus montré son impéritie. Toujours en retard d’une crise, elle a commencé par ne pas prendre la mesure des événements, alors même que les constructions d’hôpitaux de campagne en Chine et le confinement du navire japonais le Diamond Princess, tournaient en boucle sur les chaîne d’information. Le gouvernement clamait que le virus ne viendrait pas jusqu’à nous, alors qu’il était déjà là. Le masque ne servait à rien, quand bien même la Chine entière en était couverte. Et tout cela cachait une impréparation quasiment complète.
Face à la gabegie médicale, le gouvernement a trouver une autre solution pour se rattraper, une solution financière et administrative, le « quoi qu’il en coûte ». Le gouvernement s’est mis à dépenser sans compter pour geler, congeler même pourrait-on dire, l’économie française. Personne ne devait perdre d’argent, personne ne devait perdre son emploi… Enfin presque personne parce tous les chômeurs au moment de la crise se sont retrouvés exclus du marché du travail, ainsi que la grande majorité des intérimaires et des indépendants. Les plus protégés ont été les salariés. Les bailleurs n’ont même pas eu à annuler leur loyers, alors que les boutiques étaient fermées pendant les confinements. On a principalement aidé les riches et les installés en tout genre. Tous les autres ont pu sentir tout le mépris que le pays a pour eux. On sait que la situation fut toute différente en Allemagne où les indépendants et intérimaires ont reçu des aides réelles.
Le « quoi qu’il en coûte » aurait coûté tout de même 240milliards au gouvernement. Et il ne s’agit que de chiffres provisoires. Le coût de toutes les faillites que ce fleuve d’argent n’a fait que repousser n’est pas pris en compte. Une autre politique était tout à fait possible. Souhaitable même. C’était l’occasion d’essayer de faire renaître un certain esprit de responsabilité chez des français en manquant singulièrement. En dépensant moins que les autres, nous aurions pu réduire le delta de dette avec nos voisins et revenir à un sens de l’effort plus partagé. Mais la démagogie l’a emporté. Contrat social oblige.
Le contrat social français
L’Etat paiera et l’endettement
Notre contrat social réel, effectif, celui qui nous permet de construire notre réponse à la crise, et non pas même celui qui est déposé dans nos textes fondateurs, n’est pas beau à voir. Il repose sur une réponse financière de l’Etat, financée par la dette, doublé d’un refus de leur responsabilité financières des différents acteurs, et triplé d’un refus de la prise en compte de la valeur de l’argent. « L’Etat paiera » est la première devise de notre contrat social. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on a pas entendu beaucoup d’objections à cette politique pourtant complètement irresponsable dans les détails de sa mise en oeuvre.

La puissance du groupe
Le second trait le plus saillant est apparu avec le vaccin et le pass sanitaire autour de la question du libre choix individuel portant sur la réponse à donner sur la question de se faire vacciner ou pas. La patrie des droits de l’homme s’est particulièrement distinguée par le peu de cas qu’elle a fait du choix individuel. Les vaccinés, quand bien même auraient-ils eux-mêmes choisis de se faire vacciner pour leur propre bien, ont expliqué partout que leur geste était altruiste et moral, et qu’au contraire, les « anti-vaccins » ou les anti « pass-sanitaires » étaient des égoïstes au comportement immoral. Ce discours de l’égoïsme du non vacciné a même été seriné en boucle dans une spot publicitaire gouvernemental très peu, voir absolument pas questionné par les médias. On a même eu l’impression que le choix individuel n’avait pas le droit d’exister face à la masse de la foule, à la puissance de l’opinion publique. Le groupe était devenue la valeur phare. Le groupe dans ce qu’il a de plus questionnable, pour ne pas dire détestable, d’instinct grégaire, de réflexe d’exclusion de toute pensée non conforme, de haine de l’autre. Le « groupe a raison » est le second trait de notre contrat social. Hallucinante vérité au pays des droits de l’homme, mais aussi de La Servitude volontaire de la Boétie.
Ce principe a de nombreux corollaires. Nos systèmes de santé, de redistribution et de retraite sont des systèmes de groupe qui laissent peu, voire pas de place à la responsabilité individuelle. Notre administration, le corps le plus puissant de l’Etat, est partout et les citoyens n’ont contre elle quasiment aucun recours juridique réel. La France se voit et se conçoit comme étant une seule et uniquement communauté, d’où la place unique qu’elle accorde à la laïcité. Dernier corollaire, le refus de la réussite et de l’ascenseur social. Tout le monde doit rester à sa place. Toute tentative d’ascension économique est particulièrement mal vue, nourri de jalousie, de haine de l’argent et d’égoïsme réel cette fois-ci.
La vie par dessus tout
Derrière ces deux principes, un autre, soi-disant plus philosophique, a été érigé en principe suprême, notamment par Luc Ferry dans ses articles dans le Figaro ( https://www.lefigaro.fr/vox/societe/luc-ferry-la-liberte-plus-que-la-vie-20210127), et tant d’autres. En privilégiant le quoi qu’il en coûte, les gouvernements européens auraient pour la première fois dans l’histoire mis la préservation de la vie des citoyens au-dessus des considérations économiques. La « vie » serait ainsi notre valeur ultime. En apparence, bien-sûr, il faut être fou pour contredire ce principe. Mais en réalité, il faut peut-être être tout aussi fou pour choisir la « vie » ou en tout cas la définition qui nous en est donnée dans ce contexte. Il est patent que s’il y a un facteur social qui tue bien plus largement que tous les autres, c’est la pauvreté. Or au nom de la vie et de présupposés lamentables qui opposent argent et vie – essentiellement au bénéfice des plus riches comme nous l’avons vu précédemment, la France s’enfonce dans la pauvreté la plus sinistre.
Plus encore, le concept de « vie » est tout à fait contestable. Il est d’abord ce qui s’opposerait à la raison calculante et rationnelle. La raison ne nous ferait voir qu’une partie de la réalité, celle qui est mathématisable, prise dans l’espace et le temps. Mais il y aurait plus, une volonté, un élan vital, « une vie » qui serait le vrai principe de toute chose. Ce concept repose sur les analyses de Schopenhauer. Il s’agissait, pour le continuateur du kantisme, de chercher comment aborder la « chose en soi » qui reste cachée aux yeux de la raison. Schopenhauer prétend avoir trouvé cette autre voix dans le concept de Volonté, lui-même enraciné dans l’expérience que nous faisons de nous-mêmes comme d’un être qui « persiste » à travers l’espace et le temps, et dans le déploiement de cette expérience, de cette appréhension de soi au reste du monde. Schopenhauer va encore plus loin en affirmant que sa doctrine est celle qui se rapproche le plus de celle du christianisme réel, celui des Evangiles, complétée par la doctrine de Saint Augustin (« mon éthique est donc réellement dans l’esprit du Nouveau Testament » et autres passages de Sur la religion dans Parerga et Paralipomena).
On comprend vite l’impact qu’une telle affirmation de la « vie » et de l’alliance de cette doctrine au Nouveau Testament a pu avoir sur le catholicisme français. Il y aurait une thèse à faire sur ce sujet, montrant comment la philosophie française reste dans son ensemble prise dans sa dominante catholique. Et comment singulièrement ce concept de vie, issue de Schopenhauer, mais à l’origine la plupart du temps tue, irrigue et surtout limite toute créativité intellectuelle. Pour revenir à l’essentiel, il faut revenir à la définition de la « Vie », qui n’est pas tout à fait celle de la Volonté. La vie pour Schopenhauer reste une réalité tragique. Elle est vie tout aussi bien naissance que mort et néant. La transformation perpétuelle de toute vie individuelle implique également la mort de toute forme individuelle. C’est un concept d’opposés. Schopenhauer critique la conception de dieu créée lors des Lumières, qui en fait un être de « bonté », rendant inexplicable tout le malheur du monde. Il lui préfère la vision hindou du dieu, Shiva en l’occurrence, qui est un dieu à la fois de création et de destruction. La Vie en elle-même est un concept qui ne vaut pas tellement mieux que celui de Nature. Il est bon et mauvais, il soutient une vie proprement humaine, mais la vie humaine est aussi un combat contre cette force de destruction. La vie n’est pas un principe moral.
Tout à chacun ne se retrouve pas dans ce concept de Vie très spirituel et philosophique. La vie c’est surtout en France une certaine manière de vivre. La puissance du Pass sanitaire l’a montré. Les points saillants de la vie de tous les jours pour les français, sont avant tout la possibilité d’aller au restaurant et dans les bars. La fréquentation des cinémas a baissé avec la mise en oeuvre du pass. Celle des restaurants beaucoup moins, d’autant que tous ne contrôlent pas. La nourriture, l’alcool et singulièrement le vin, la fête. Voilà le sens de la vie en France, brillamment caricaturé par Goscinny dans Astérix et les banquets clôturant les épisodes. Temporairement à l’abri sous le déluge de liquidité du gouvernement, les français n’ont qu’une en-vie: retourner au restaurant. Au moment même ou j’écris ses lignes, une manifestation « Non Binary », contre la vision binaire d’une sexualité partagée entre masculin et féminin passe sous mes fenêtres et chante » Venez les dimanches, on mange, on boit, on danse ». La déclinaison réelle et concrète du principe de la « vie », c’est l’épicurisme à la française.

Ce qui est perdu à travers cette vision très idéalisée de la vie, c’est le sens du tragique, de la lutte, du conflit et de l’effort, et même de la remise en cause. Tomber et se relever. Vivre autrement qu’en attendant l’ivresse du verre, du joint, de l’anxiolytique.