Le secret de la volonté

Impuissante volonté

Un adage populaire affirme qu’il suffit de « vouloir pour pouvoir ». Tout serait très simple et le succès à porter de la main. Mais nous savons tous que rien n’est aussi simple. Il ne suffit pas de décréter ou d’affirmer je veux être riche, ou je veux être célèbre, pour que la prédiction se réalise. Vouloir n’est pas aussi simple que de frotter la lampe et de faire un vœu à son génie. C’est même la plupart du temps exactement l’inverse que nous expérimentons. Nous voulons encore et encore, et il ne se passe strictement rien.

Notre misère ne s’arrête pas là. Le champ de notre volonté, si tant est qu’elle fonctionne, n’est pas infini. Nous ne pouvons faire que nous soyons nés ailleurs ou dans un autre temps. Nous ne pouvons vaincre la mort. Nous ne pouvons pas changer l’intégralité de notre corps. Epictète en a borné le champ en distinguant ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, laissant tout de même ouvert le champ de ce qui dépend de nous.

Ovide: je vois le meilleur et le l’approuve, et je fais le mal

Enfin, la philosophie occidentale nous a plongé de longue date dans un paradoxe apparemment insoluble. Nous serions libres, mais en même temps extrêmement faible face aux passions. Nous voyons le meilleur, et pourtant nous faisons encore le pire. Nous savons les ravages de la drogue du tabac, de l’alcool, et pourtant nous continuons! Non seulement cette liberté seule ne fonctionne pas, mais en plus nous culpabilisons de ne pas être à la hauteur de ce que nous ont enseigné nos grands penseurs.

C’est Saint Augustin qui fixe la problématique de la liberté occidentale

Volonté, résolution, détermination

Le seul penseur qui nous mette sur la voix de la liberté pratique, de l’application de la volonté concrète aux choses du monde est Descartes. la seconde maxime de sa morale provisoire nous invite à « être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais », y compris si elles ne sont pas totalement déterminées par la raison! Pour bien comprendre notre génie national, il faut comprendre ce qui nous empêche généralement de suivre notre volonté. Et c’est la plupart du temps parce que nous hésitons d’une manière ou d’une autre. Descartes substitut le terme de résolution à celui de volonté. Suivant la même voie, nous parlerons de détermination.

Descartes – notre plus grand génie

Les poisons de la volonté

Qu’est-ce qui nous empêche d’être résolu?

  • Il est patent que lorsque nous hésitons, que nous cherchons un équilibre, que nous tentons de négocier avec nous-mêmes, notre volonté est éparpillée entre plusieurs objectifs. Notre force se décompose. Quand une personne hésite, elle est toujours prête à dire non.
  • Nous avons tous tenté le système de la récompense. Si j’atteins mon objectif, je me ferais un cadeau bien mérité. Las, cette méthode ne fonctionne pas. L’esprit ne pense plus qu’à la récompense et tout notre désir y est orienté. Il ne nous reste plus d’énergie pour accomplir notre véritable but dont nous sommes détourné. C’est que la récompense promet du plaisir, là ou le but ne promet que de la dureté.
  • Parfois aussi nous nous soumettons à d’autres règles qui entravent notre objectif. Nous voulons être riche, mais nous voulons aussi nous occuper de notre famille et écrire un livre. Nous nous entêtons parfois dans des relations toxiques avec nos proches, parce qu’il faut suivre les règles de la sociabilité. Nous voulons perdre du poids, mais en même temps nous voulons suivre les recommandations des trois repas par jour. Nous voulons arrêter de fumer, mais pas sacrifier la cigarette sociale. Nous sommes comme un chef d’entreprise qui ne penserait plus qu’au processus, règles, lois, et finirai par oublier que le but est de gagner de l’argent.
  • Autre obstacle: nous poursuivons plusieurs buts à la fois. Nous voulons par exemple devenir musclé et souple. Nous nous posons des buts incompatibles ensemble.
  • Se fixer des buts contradictoires, est aussi un bon moyen de paralyser l’action. Par exemple lorsque nous cherchons à maigrir et à prendre du muscle en même temps. C’est impossible.
  • L’intellectuel a souvent à faire face à un obstacle supplémentaire. Il a la passion de comprendre. Mais pas celle de faire. Il cherche les lois de la richesse, plutôt que de tout faire pour gagner de l’argent. Il réfléchit aux règles et aux lois du pouvoir, plutôt que de devenir un homme politique. Mais le domaine de la réflexion n’est pas exactement celui de l’action. L’homme politique construit sa stature dans les réunions, l’accès au poste, les prises de décision, mais pas majoritairement dans les bibliothèques.

Le secret de la détermination de la volonté

Ces obstacles ont tous un point commun. A chaque fois la volonté est dispersée entre différents objectifs. Mais la volonté ne peut en fait poursuivre qu’un seul but principal, surtout lorsqu’elle se reforme pour changer un comportement. Le domaine de la volonté est celui de l’action. L’homme d’action regarde son but et tout s’ordonne et se hiérarchise pour ainsi dire naturellement par rapport à celui-ci. Ce n’est pas le résultat d’une réflexion fine, d’une argumentation développée. C’est pourquoi, la plupart du temps, l’homme d’action ne comprend pas vraiment comment il a fait pour réussir. Ce type de comportement lui est inné. Il ne peut énoncer les lois de son succès, sauf certains d’entre-eux qui, une fois le succès acquis, prennent un peu de recul et prennent la plume pour fair retour sur leur parcours. C’est tout l’écart existant entre la théorie et la pratique. La théorie et la réflexion mettent en jeu une articulation des concepts. La volonté fixe un but unique et primordiale et en tire les moyens nécessaires à l’exécution.

Viser le centre, laisser tomber les autres parties du cercle

Descartes le dit, le secret de la volonté est de prendre une décision ferme et définitive. Si on précise sa pensée, il faut affirmer qu’il s’agit d’une seule décision. La volonté ne peut se fixer qu’un seul objectif, à l’exclusion de toute négociation intellectuelle. Les stoïciens le disent aussi d’une autre manière: la volonté doit se donner des lois strictes qui ne doivent accepter aucune exception. Nous ne pouvons pas négocier. La liberté est une capacité intellectuelle de penser et de choisir. Mais elle n’est pas la capacité de mettre en oeuvre les choses. Elle est une capacité intellectuelle qui peut diriger l’action. Mais elle n’est pas l’action, qui peut être déterminée par le désir et les passions, ou par la volonté. Ces trois instances, pensée libre, passion, et volonté sont différentes. La volonté est ce qui permet de faire passer la raison dans l’action, mais elle le fait selon les règles de son fonctionnement propre. Si l’on suit ces règles, la question de l’opposition entre la pensée et les désirs disparait, car le désir est lui-même réorienté directement. A l’inverse, quand la volonté est insuffisamment déterminé, nous restons ballotés par les passions, tout comme nous restons hésitant ou éparpillé du point de vue intellectuel.

Une fois toutes ses règles connues, il reste tout de même une difficulté, celle de choisir nos buts. Il y a pour ce faire un chemin simple à suivre. D’abord nous ne pouvons pas tout. C’est par l’expérience, par les essais et les échecs que nous nous nous découvrons nous-mêmes, dans nos forces et nos faiblesses. Pour réussir, il vaut mieux suivre ses talents et éviter les situations d’échecs. Toute la difficulté est de savoir jusqu’où les choses dépendent de nous, et c’est un long apprentissage, propre à chacun. C’est l’un des buts que devrait se proposer l’éducation. Ensuite, il faut suivre son cœur. Ce que nous faisons avec plaisir sera toujours mieux fait que ce qui nous donne de la peine et que nous n’aimons pas. En général il « suffit » d’écouter notre conscience pour le savoir. Cette détermination là peut cependant prendre un certain temps.

D’où vient la force de la volonté?

Pour parvenir à réaliser l’objectif fixé et que la volonté s’est appropriée , il nous faut de la force. D’où vient cette force spécifique qui va nous permettre de nous changer nous-même ou de changer la réalité? La première source est la force commune par laquelle nous réalisons et pensons toute chose. Mais au lieu d’être dispersée, la force est désormais concentrée sur un seul but déterminée. Elle tire de cette détermination intellectuelle une détermination pour l’action.

Mais pour changer une habitude ou se lancer dans une nouvelle aventure, il nous faut un surplus de force. Celle-ci ne vient pas de la raison, qui ne suffit pas à imposer un comportement, ni même vraiment de l’imagination qui d’une certaine manière reste dans son domaine. Il ne reste pas beaucoup d’autres options, cette énergie doit venir directement du corps. Ce pourquoi le sport, l’activité physique intense, celle dans laquelle on se dépasse, et non pas seulement celle où l’on s’entretient, est essentielle pour la construction de la volonté. Les généraux romains avaient une volonté d’acier et étaient tout le temps en exercice. Les philosophes grecques et stoïciens s’exerçaient au gymnase quasiment tous les jours.

Le sport prépare le corps à l’action

La volonté est donc bien une fonction différente des passions, de la raison ou encore de l’imagination. Descartes dit la même chose lorsqu’il affirme que  » la liberté de la volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en faisons ». C »est ce chaînon qui manque dans toutes les théories portant sur la question. La raison l’éclaire, mais la volonté ne peut pas en suivre toutes les finesses et circonvolutions. Elle tient sa force du corps et c’est là son secret. C’est d’ailleurs le corps qui donne la force de se concentrer sur un seul objectif, de faire le tri entre toutes les options, tous les désirs et plaisirs qui nous envahissent lorsque nous sommes trop faibles. Le corps détermine, par delà la raison. Alors nous avons la force de nous engager sans réserve dans nos objectifs. Nous ne sommes plus pris par nos passions. Nous passons de la réflexion à l’action, et c’est le corps qui agit. La force physique nourrit l’espoir. Le plaisir né de l’activité physique, et de l’action est le plaisir qui surpasse tout. Nous laissons directement passer l’énergie qui nous anime, notre élan vital propre, qui est dirigée avec fluidité, investi dans la réalisation de nos objectifs. La volonté à son tour, une fois clairement déterminée, sans peur de l’échec, sans hésitation, sans multiplication de lois, sans discours sur l’injustice de la vie, nous donne une nouvelle énergie entièrement orientée sur l’action. Certains personnes, déjà régulièrement engagée dans l’action, déjà déterminée, n’ont pas besoin du soutien d’une activité physique. Mais elles perdent tout de même une importante source d’énergie.

Encore plus fort, une fois le résultat de la volonté atteint, il ne sera normalement plus jamais besoin d’y revenir, même dans les pires situation. Il faut un effort assez violent de quelques mois, puis en général d’une année, avant d’inscrire complètement l’habitude dans le corps et l’esprit. Mais une fois ce travail fait, c’est pour la vie.

Focalisation d’un rayon optique: tous les raies de lumières sont orientés vers un but unique.

Annexe

Synthèse de la morale et l’éthique

On peut définir la morale comme la discipline portant sur les lois de l’action. La morale pose des principes et réfléchit à la manière dont la pensée peut ou doit guider l’action. L’éthique serait quant à elle la discipline nous expliquant comment réussir l’action, comment agir de la manière la plus efficace possible. La morale est intellectuelle et théorique, quand l’éthique est pratique. La morale a atteint son sommet avec Kant, dans sa doctrine de l’impératif catégorique, donnant une loi et une limite à toute action. L’éthique a atteint le sien dans les doctrines d’Aristote et de Platon, portant sur les vertus, ces qualités de cœur et d’esprit qui doivent permettre la meilleure action possible.

La distinction entre la morale et l’éthique instaure et rejoue la différence entre l’esprit et les passions. Elle fonde et repose sur une dualité de principe d’action. La doctrine de la volonté est le point qui permet le passage entre l’une et l’autre. Inspirée par la raison, nous trouvons des motifs rationnels d’action et des règles formelles de limitation de l’action. Portés par les passions et le corps, nous avons des envies, des besoins et des désirs. La volonté est ce qui permet de diriger toutes les passions, tout en étant conduit par la raison. La doctrine de la volonté est donc la synthèse de la morale et de l’éthique. Un but uniquement passionnel reste une seule passion. Je peux désirer une grande maison, il n’y a rien de morale dans cela. Je peux œuvrer à ma perfection et à celle du genre humain, il y a là un commandement de la raison morale. La volonté permet d’accorder les deux et enfin de ne plus voir le meilleur tout en continuant à faire le pire. Cette synthèse de la volonté repose comme nous l’avons vu sur une épure de sa détermination, de son intention et de son but, épure qui est intellectuelle d’abord et se retrouve ensuite dans la perfection augmentée d’une action réalisée dans la plus grande clarté possible donnée à l’action.

La boussole de Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes indiquent uniquement ce que l’on désir le plus. Si les désirs sont multiples, le pirate n’a plus de cap.

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