Qu’est-ce que le romantisme? On a beau chercher, il est difficile de trouver une véritable description organisée et surtout cohérente de ce courant littéraire. Pourquoi une telle confusion? Parce qu’il se cache derrière ce courant littéraire un profond conflit politique lié à la Révolution Française. Telle est la clef pour comprendre ces incohérences. Le premier romantisme est réactionnaire, monarchiste, nostalgique du passé. Le second romantisme est né d’un combat contre ce premier romantisme et d’une volonté de défendre la République. La France est le pays de la littérature. Il revient au poète d’en définir la psyché. Mais avant d’y revenir en détail, commençons par évier quelques contre-sens.
Ce que le romantisme n’est pas
Ce nom de romantisme est ambigu. Nous pourrions croire qu’il a un rapport avec la langue romane, l’art Roman, avec l’art du roman, ou encore avec un comportement romantique. Même si ces quatre dimensions homonymes peuvent être rattachées au romantisme, aucune n’en donnera la définition.
La langue romane est née de la continuité des transformation du latin sur le territoire. Elle fut appelée ainsi au début du VIIIème siècle, pour la différencier de la langue germanique, également très en utilisée dans l’Empire de Charlemagne. Roman viendrait de romain, et correspond à ce que l’on pourrait presque appelée une première Renaissance, qui fit redécouvrir et ré-enseigner le latin antique sous la direction de Charlemagne.
A la suite de la langue, le Roman est le style architecturale qui présidait à la construction des églises du XIème au XIIème siècle en Europe. Il est caractérisé par une grande simplicité, un art de l’épure.

Le Roman est aussi un genre littéraire, dont les plus anciens ancêtres sont sans doute le Roman de la Rose, un long poème amoureux du XIIIème siècle, ou encore le Roman de renart, qui date du XIIème siècle. Le roman remplace peu à peu le poème équipe, comme la Chanson de Roland, datant du XIème siècle, même si ces distinctions reste un peu théorique, les différents textes étant écrit en vers. Le roman est également écrit ou chanté en roman, l’une des formes de l’ancien français et non en germain. Les oeuvres de Chrétien de Troyes et de Rabelais peuvent aussi être considérées comme des romans, mais c’est surtout au XIXème siècle, avec les progrès de l’imprimerie, de l’instruction et de la liberté d’expression que le genre va exploser en France et en Angleterre. Jane Austin, Flaubert, Balzac, Zola… Le « roman » parcourt toute l’histoire de France.
Un homme ou une femme romantique sont des amoureux de la séduction et des liens du cœur. Ils savent plaire et charmer et ainsi renforcer et flatter l’égo de l’autre. Le romantisme trouve ses racines dans une chevalerie qui n’était pas toujours guerrières, mais aussi parfois une chevalerie de cour. C’est Lancelot portant les couleurs de Guenièvre lors des jeux organisés par le Roi Arthur. C’est l’homme galant ouvrant la porte et laissant le passage à la femme. C’est Paris, capitale de l’amour au yeux du monde entier.
Sans correspondre exactement au courant littéraire du romantisme, il y a cependant un lien indirect entre le genre littéraire du XIXème siècle et le passé monarchique et religieux de la France. Voyons cela plus en détail.
Le romantisme pré-révolutionnaire
Le premier romantisme, anachronique du point de vue de l’histoire de la littérature, est celui de Corneille. En plein classicisme Corneille brise les règles classiques de la Poétique d’Aristote. Pas d’unité de temps, de lieu, d’action, dans son Cid. Pas de tragédie ou de comédie, mais une tragi-comédie pour l’Ilussioin comique. La querelle du Cid, durant laquelle Scudéry et d’autres s’opposeront à ces créations non classiques, préfigure la querelle des anciens et des modernes et même la querelle d’Hernani.
Un second pré-romantisme est celui des romans de Rousseau en France et de Goethe dans le Saint Empire. La nouvelle héloïse est un roman épistolaire de Rousseau paru en 1761. Il s’agit pour le philosophe des Lumières de mettre au dessus de tout, et notamment des conventions sociales d’une société monarchique, l’amour simple, pur et authentique. Le cœur est mis en avant. Rousseau défend l’idée d’une société où les sentiments cesseraient d’être garrotés par une hiérarchie sociale pesante et inutile.
A travers cette oeuvre, qui connût un succès phénoménale pour l’époque, le philosophe du Contrat social continue son oeuvre politique démocratique. En attaquant une forme politique qui empêche l’amour et crée tant de drame, Rousseau défend là encore un régime plus vertueux, où les sentiments seraient libres de s’exprimer. « Les hommes naissent libre d’aimer comme ils l’entendent et selon leur cœur », tel pourrait être le nouveau droit de l’homme émotionnel qu’il faudrait ajouter aux droits rationnels et politiques. Quoi de plus authentique, quoi de plus proche de la nature que l’amour?

A peine quelque année plus tard, en 1774, Goethe publie Les souffrance du jeune Werther, considéré comme l’acte de naissance du romantisme allemand. Werther se pense artiste et veut peindre la nature. Il vit une histoire d’amour rendue impossible par l’organisation sociale de l’époque. L’élue de son désir se marie à un noble, alors que le pauvre Werther est lui-même roturier. Comme chez Rousseau, il s’agit de montrer la souffrance d’une société rigide qui empêche l’amour, ce sentiment si naturel.
Le romantisme allemand porte le nom étrange de Sturm und Drang, littéralement Tempête et Passion. La situation politique allemande n’est pas comparable avec celles de la France et de l’Angleterre. Le Saint Empire Germanique n’est pas en danger de mort comme l’est la monarchie en France. Il n’a pas non plus connu les troubles révolutionnaires ayant conduit l’Angleterre à la Monarchie constitutionnelle. Son romantisme est beaucoup plus circonscrit à l’exploration des sentiments nouveaux d’une nature redécouverte.
Le Romantisme, ennemi des Lumières
Les Lumières des XVII et XVIII-èmes siècle sont portées par les philosophes. Ce sont Diderot, d’Alembert, Rousseau et tant d’autres, rédigeant l’Encyclopédie et mettant la raison et la rationnalité au-dessus de tout. En Allemagne, l’Aufklarüng est d’abord porté par Leibniz, puis par Kant. En Angleterre, c’est l’Enlightement – que l’on pourrait traduire par l’Illumination – du siècle allant de Locke à Newton et à Hume. Tous ces penseurs ont un point commun, un dénominateur clair et universel. Ils placent tous, en successeur de Descartes, la raison au-dessus de toutes les autres caractéristiques humaines. Armé du raisonnement nouveau, de la méthode scientifique nouvelle, ils renversent les sciences anciennes, la foi et la religion, et même les régimes politiques. La Révolution française, qui affirme la liberté et l’égalité de tous les hommes, est fille des Lumières.
Mais tout le monde n’adhère pas en chantant à ce monde nouveau. Le nouvel ordre fait des nombreux perdants. L’Angleterre d’abord, dont la grande majorité des philosophes, de Shaftesbury à Adam Smith, ont placé l’émotion au delà de la raison, refuse ce nouveau paradigme rationnel comme ils refusent la Révolution. Burke sera le premier penseur à vouloir attaquer la Révolution sur le terrain intellectuel. Cette contestation sera bien aidée par les dérives à n’en plus finir de la Terreur, les décapitations de nobles, la confiscation des biens de l’Eglise, le massacre des prêtres, et autres épisodes dramatiques des différentes étapes de la Révolution. Les nobles, tantôt exilés, bienôt revenus en France, sont évidemment parmi les plus virulents contestataires de la Révolution. Ils seront de toutes les Restauration.

Quels sont leurs arguments? Le premier, nous l’avons vu, est de refuser le primat de la raison sur les sentiments. Le second est une critique du système républicain et démocratique, de sa passion pour l’égalité (Burke, Tocqueville), de ses ferments tyranniques, d’une tyrannie de la majorité. Le troisième argument est la défense de l’histoire passée, retrouvée, et idéalisée. Chateaubriand en est le premier auteur. Il fait l’éloge de la petite noblesse de campagne dans ses Mémoires d’outre-tombe. Il rappelle que tous les nobles n’étaient pas riches mais que tous avaient à cœur de s’occuper du peuple. Il devient est le fer de lance de cette contestation morale.

Alexandre Dumas, l’exemple type
Dumas publie Les Trois mousquetaires en 1844, dans les dernières années de la Monarchie de Juillet. Typiquement romantique, le récit raconte comment nos quatre héros réussirent à faire en sorte que l’amour de la reine de France, Anne d’Autriche, pour l’anglais Duc de Buckingham ne se transforme pas en une affaire d’Etat. Les valeurs des chevaliers et de la religion sont toutes réincarnées par nos héros, Athos le noble parfait, Aramis, à la fois chevalier et prêtre, Porthos, la force brute, nourri par la bonne chère et le bon vin, et l’entreprenant d’Artagnan.
Dans ces différents romans narrant les aventures des Mousquetaires, Dumas va réécrire une grande partie de l’histoire de France des règnes de Louis XIII et Louis XIV. De sa plume déliée, Dumas relie l’histoire réelle et l’invention littéraire. Il explique dans la Préface des Trois mousquetaires comment il a découvert d’Artagnan dans les archives de la monarchie.
Dumas serait sans conteste du côté des Anciens. Fonder son récit sur les amours d’une reine dont dépend le sort de deux pays voisins et rivaux, donne un relief et un enjeu à ces aventures qui surpasse tout ce que peut offrir le pâle monde moderne désenchanté. On y retrouve, si ce n’est la même intensité, au moins les mêmes enjeux que dans les amours d’Agamemnon et de Clytemnestre. Les souverains avaient déjà la richesse et la gloire. Ils étaient très souvent dirigés par leurs passions et ses passions entraînaient réellement le cour du monde.
Cette tradition fait vivre l’attachement à une France qui n’est pas républicaine, continuera jusqu’au Rois maudits de Druon et sera aussi le ferment d’un certain nationalisme.

Nietzsche, le penseur du romantisme réactionnaire
Si le romantisme allemand nait dans les passions, il continue, comme le romantisme français, dans la réhabilitation du Moyen-Age. Le Faust de Goethe, se déroule au XVème siècle et fait revivre la mythologie et les coutumes antiques. Il correspond à la seconde définition du romantisme.
Autre grand artiste romantique, Wagner va encore plus loin dans le passé et remet au goût du jour la mythologie germanique dans sa tétralogie L’anneau du Nibelung. Siegfried est crée en 1876. Il s’agit désormais de revenir aux mythes fondateurs pré-chrétiens de l’âme germanique.
Nietzsche, ami du compositeur dans ses premières années, est sans doute le penseur romantique à l’état pur, surtout dans la première partie de son oeuvre. Il rejette la rationalité des Lumières et décrète que tout est interprétation. La pluralité des vérités n’est donc pas impossible. Il prétend détruire « à coups de marteau » tout ce qui a pu fonder la civilisation moderne. Il critique sans discontinuer le pouvoir du peuple, lui préférant la force des individus exceptionnels, rappellant évidement monarchie et aristocratie. Nietzsche attaque tout et tout le monde, Socrate, Kant, Jésus, les juifs et les catholiques. Rien n’a de « valeur » à ses yeux, si ce n’est le système de castes hindou du code de Manou.

Il reste une exception. Quand bien même il aurait inspiré tous les déconstructeurs qui sévissent encore, son refus d’une large partie de la raison, sa promotion de la force et des passions, sont des preuves suffisantes pour affirmer que Nietzsche rompt tellement avec la tradition philosophique qu’il n’en fait peut-être pas partie.
Victor Hugo contre-attaque – le romantisme républicain
Luc Ferry défend souvent l’idée selon laquelle Victor Hugo aurait réconcilié le romantisme et la République. Nous n’irions pas jusque-là. Si le romantisme et la République étaient pleinement réconciliées, nous le saurions! La vérité est moins glorieuse. La France reste, encore aujourd’hui, profondément divisée par la Révolution.
Pour bien comprendre cette idée, il faut se rappeler qu’Hugo est aussi un écrivain post- révolutionnaire qui traite lui aussi du passé monarchiste. Dans Notre dame de Paris, publié en 1842, la description de l’Ancien régime n’a rien d’élogieux. Hugo ne s’intéresse pas à la noblesse des sentiments des chevaliers ou la grandeur des Princes de sang. Il rappelle la misère lamentable dans laquelle vivait le peuple du Paris de 1482. La cour des miracles, la vie des gueux et des bohémiens, la perversité de l’Eglise et des hommes de pouvoir, rien n’est épargné pour discréditer les temps anciens. Seul l’amour authentique du laid Quasimodo, rappelant la Bête du conte populaire, est moralement digne.

Chateaubriand sera ministre des affaires étrangères sous la Restaurations en 1822. Hugo sera député de la IIIème République en 1871. En France, toutes les grandes batailles sont aussi littéraires que politiques. Victor Hugo va porter le coup de grâce en inventant un genre nouveau, le « drame », mis en avant dans La Préface de Cromwell (1827). Le drame est le genre littéraire qui convient à l’ère moderne. Fini la tragédie grecques, terminé la tragédie monarchiste. Au temps de la liberté et de la République, il faut parler au peuple et au citoyen, il faut fusionner la tragédie et la comédie.
« Au lieu d’une individualité, comme celle dont le drame abstrait de la vieille école se contente, on en aura vingt, quarante, cinquante, que sais je? de tout relief et de toute proportion. Il y aura foule dans le drame. »
« Que ferait le drame romantique? Il broierait et mêlerait artistement ces deux espèces de plaisir. Il ferait passer à chaque instant l’auditoire du sérieux au rire, des excitations bouffonnes aux émotions déchirantes, du grave au doux, du plaisant au sévère. Car, ainsi que nous l’avons déjà établi, le drame, c’est le grotesque avec le sublime, l’âme sous le corps, c’est une tragédie sous une comédie. La scène romantique ferait un mets piquant, varié, savoureux, de ce qui sur le théâtre classique est une médecine divisée en deux pilules. »
A vrai dire, dans cette déclaration, Hugo n’est pas encore à la hauteur de ce qu’il va accomplir. Le sujet reste Cromwell, l’homme qui a reversé l’absolutisme anglais en exécutant le roi Charles 1er (celui-là même que nos Mousquetaires tentent de sauver dans 20 ans après). Son sujet reste en partie classique. Mais bientôt le peuple rendra la place de rois et deviendra le premier sujet des romans et de la littérature. L’important ne sera plus le sort du monde, mais l’accès au bonheur dans le nouveau monde démocratique, le sens de la vie individuelle et de l’amour.
Plus forte, plus essentielle, est la déclaration d’Hernani » Je suis une force qui va ! » (Acte 3 scène 2). L’homme n’est plus rationnel. Il n’est plus le cogito, le « je pense donc je suis » de Descartes. Il est défini par sa force naturelle, pure, une force qui le relie à la science physique. Contrairement au romantisme contre-révolutionnaire qui remet la noblesse de caractère au centre de l’homme, l’essence du héro romantique hugolien est totalement désubstancialisée. La force remplace l’honneur comme valeur cardinale.
Du romantisme au réalisme
A travers ses différentes formes, pas toujours parfaitement cohérentes, le romantisme aura eu pour mission de faire passer l’art du monde ancien au monde nouveau, de la Monarchie et de ces censures, à la République et à l’intérêt pour les passions et la conscience individuelle. Retrempée dans l’authenticité de la nature, les états de cœur et de conscience de chacun d’entre nous devient cruciaux. De nouveaux modes de vies, des émotions, de nouvelles aventures sont désormais possibles dans une vie sociale totalement transformée.
C’est ce nouveau champ des passions sociales que vont explorer les génie du roman français du XIXème siècle. Le Rouge et le Noir de Stendhal date de 1830. Les Illusions perdues de Balzac de 1837. La Chartreuse de parme de 1839. Madame Bovary est publiée en 1856. La fortune des Rougon, premier des 20 tomes des Rougon Macquart, est publié en 1870. Bel ami, de Maupassant, le successeur de Flaubert, date de 1885.
Il est temps, au moment de conclure de critiquer la manière dont le romantisme est enseigné en France. L’école de la République jette un voile pudique sur son versant contre-Révolutionnaire. Elle soutient que le Romantisme commence avec Victor Hugo et sa Préface de Cromwell, et passe sous silence son versant contre-révolutionnaire. Cette confusion, ce non-dit, rend le romantisme incompréhensible à tous les élèves des écoles publiques et à la plupart d’entre nous. Nous espérons avoir pu donner les clés permettant de le comprendre et de l’apprécier.

Annexe
Victor Hugo – préface d’Hernani
Dans la Préface d’Hernani, Victor Hugo nous dit « Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, que le libéralisme en littérature »… »La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques »… »La liberté littéraire est fille de la liberté politique ».
Cette définition est plus politique que littéraire. L’action d’Hernani, crée en 1830, a lieu en 1519 à Saragosse. comme celui de Ruy Blas, crée en 1838? est situé en Espagne au 17ème siècle.
Les racines du romantisme révolutionnaire
Un excellent article Wikipedia donne les racines du romantismes révolutionnaire, rappelant notamment le rôle de Diderot, et l’idée d’une fusion des genres dans un type nouveau de pièces, idée qu’il devait développer dans ses Entretiens sur « le Fils naturel » (1757) et son Discours sur la poésie dramatique (1758), et celui de Beaumarchais, dans son Essai sur le genre dramatique sérieux (1767) énonçant que le drame bourgeois offrait au public contemporain une moralité à la fois plus directe et plus profonde que l’ancienne tragédie.