Les origines du Woke
Woke signifie éveillé, du verbe wake, woke, woken en anglais. Les partisans du Wokisme se considèrent donc, à l’image du Bouddha, comme des éveillées. Ils ont reçu une révélation qui leur permet de voir clair à travers les défis de l’époque. Ils auraient une clair vision de la réalité oppressive de l’organisation du pouvoir, qui maintiendrait quasiment toute la population sous une servitude symbolique et conduirait à détruire la planète.
Nietzsche, le woke à coups de marteau
Pour la plupart des intellectuels, le Wokisme est enraciné dans la « French theory », qui viendrait du dernier grand moment intellectuel français mené par Foucault, Deleuze, Derrida et une pincée de Bourdieu. Eux-mêmes se définissent principalement comme des continuateurs de Nietzsche, le père de la déconstruction.
Nietzsche voulait abolir les valeurs de l’ancien monde et trouver les principes permettant d’en fonder un nouveau. Il philosophait à « coups de marteau », déboulonnant les idoles anciennes, principalement Socrate et Jésus, accusés d’avoir créer une morale permettant aux « faibles » de dominer partout les « forts » . C’est la grande démonstration de la Généalogie de la morale. Loin d’être le fruit d’une construction logique et philosophique, notre morale serait principalement le fruit d’une histoire des rapports entre deux conceptions du monde, la conception démocratique et celle que défend Nietzsche, l’aristocratique.

Au-delà de la thèse, tout de même assez peu démocratique, c’est surtout la méthode qui a été reprise par les continuateurs français du penseur allemand. Nietzsche prétendait que « Dieu est mort », annonçant par là le renversement des valeurs basées sur le christianisme. Foucault, , reprenant le geste du maître proclamera « la mort de l’homme », c’est-à-dire la fin des valeurs l’humanistes issues des Lumières. Il tentera également, suprême paradoxe pour un philosophe, de déconstruire la raison elle-même et de redonner son rang à la folie. Bourdieu expliquera les ressort de la domination de classe y compris au sein de la culture en dénonçant les « Héritiers » du capital culturel. Peu importe la réalité ou non de la thèse, la rage desconstructiviste continue le geste de la destruction révolutionnaire. Comme dans la destruction créatrice de Schumpeter, il faut détruire pour faire place au monde nouveau.
Le marxisme des universités
La seconde origine intellectuelle la plus marquée vient de Marx. Les universités qui façonnaient les esprits marxistes hier développent aujourd’hui les théories woke comme les gender studies ou la théorie décoloniale. Cette pensée reprend les postulats de la sociologie et de Nietzsche en dénonçant ce que les marxistes appellent la « superstructure », un ensemble de règles non écrites qui s’imposent à tous et permet la domination du système capitaliste. En s’y attaquant, les prolétaires pourront reprendre le pouvoir et instaurer l’égalité politique et économique. De même pour les marxistes, le colonialisme est un rejeton d’un capitalisme prétendant asservir la planète entière. Il fallait libérer les peuples de la domination occidentale.

Rousseau et la réaction écologique
Il y a d’autres sources du Wokisme. L’écologie, qui a été englobée dans le mouvement, s’appuie sur les pensées de Rousseau et Heidegger. Rousseau défend le primat de l’homme naturel sur l’homme technique. Il considère que le progrès nous éloigne de la pureté des origines et développe la corruption morale. Le luxe développé par le commerce empêche le développement de la morale rigide et simple des anciens. Son idéal est la Sparte, virile, intransigeante et guerrière de l’antiquité. Rousseau est aussi le penseur d’une démocratie très stricte, où la vertu des institutions s’appuie sur la vertu des citoyens. Contrairement à la tradition anglo-saxonne, et à la thématique reprise dans la déclaration des droits de l’homme, l’Etat rousseauiste n’est pas construit sur la protection des libertés individuelles, mais sur l’organisation commune du pouvoir. On a pu y voir la première fondation des totalitarismes modernes.

Heiddeger est encore plus que Rousseau, un penseur de la nature et du post humanisme. C’est exactement ce que lui reprochent Luc Ferry et Alain Renaut dans La pensée 68. Heidegger critique la raison calculante qui « arraisonne » la nature. Traduction: il rejette le progrès technique qu’il voit comme un hubris, la démesure d’une humanité qui ferait mieux de repenser sa place par rapport à la nature. Descartes nous a fait perdre la voie de l’Etre, dont on se demande tout de même si elle ne consiste pas tout simplement en un retour du religieux et d’un panthéisme ou d’un animisme proche de celui des Celtes.
Les différentes formes du mouvement Woke
En plus de ces racines philosophiques, le wokisme a encore cela de particulier qu’il agrège un certain nombre de mouvements et de revendications sociales nées la plupart du temps avant lui, qu’il prétend désormais regrouper et organiser.
Le féminisme
Au premier rang de ces mouvements on retrouve le féminisme. Née avec les suffragettes américaines, qui demandaient essentiellement l’égalité civique, il a été amplifié par la création de la pilule contraceptive, puis via des récentes gender studies et enfin dans le mouvement Metoo, contre la violence des hommes envers les femmes. Les Gender studies, ou étude du genre, sont des études universitaires qui visent à montrer comment les femmes ont été les oubliées de l’histoire et comment l’organisation politiques les a asservies aux hommes.

La première thématique a permis de faire émergées une nouvelle histoire des femmes. La seconde est beaucoup plus subjective, tant l’organisation politico-sociale était différente et le risque d’anachronisme présent à chaque moment de ce type de relecture. Elle débouche aussi sur une déconstruction des stéréotypes de genres, expliquant par exemple que les petites filles ne devraient pas jouer à la poupée et les garçons abandonner leurs petites voitures, qui a le mauvais goût de résister à la doctrine. Mais peu importe, l’essentiel es de montrer que la femme fût toujours la victime d’un enferment idéologique, qu’il faut déconstruire sa place et qu’elle doit maintenant est dédommagée pour cela.
Certains de ces combats, sur l’égalité salariale, la fin des violences domestiques, et la fin d’une certaine culture du viol, au moins aux Etats Unis, sont complètement légitime. Quoi de plus scandaleux que d’apprendre que la police, dans les commissariats français, ne prend structurellement pas les plaintes des femmes battues?
Mais sur d’autres questions, comme celle des stéréotypes, plus ou moins réels, ou celle de l’asservissement historique des femmes, frise à bien des égards le ridicule. Faut-il rappeler qu’avant l’invention de l’hygiène moderne, une grande partie des enfants mourraient dans leur jeune âge et certaines mères ne survivaient pas aux accouchements? La survie de la société dépendait d’une organisation permettant aux femmes d’assurer la descendance. Ce seul constat balaie tout le reste. Sur la question salariale, les femmes, notamment en France, font peu d’études scientifiques et se concentrent sur les postes les moins rémunérés, comme les postes d’enseignants, d’infirmières, ou d’une partie du personnel de la justice. La France enfin est le pays de la galanterie, une tradition qui remonte au moyen-âge chevaleresque.
Les LBGTQA+
Il fut un temps pas si lointain où la question de l’homosexualité ne se posait même plus. C’était un temps béni, l’époque du film Pédale douce, et autres. Les pionniers de la Cage aux folles, qui imposaient la réalité homosexuelle, avec finesse et intelligence en utilisant la dérision et en jouant sur un certain « ridicule » gay, avaient laissé place à une tolérance complète et réelle. Le Sida, après avoir engendré une forme de recul sur la question, avait fini aussi, par l’utilisation de l’empathie, en montrant la réalité de souffrance gay face à la maladie, en forçant certain coming out, notamment de célébrité décédées du Sida, comme l’acteur américain Rock Hudson, avait finalement aussi fait de la question un sujet universel. La gay pride défilait avec plaisir. Cette époque était sans doute trop tolérante pour que cela puisse durer.

Puis ce fut l’inflation des revendications sexuelles, symbolisé par l’acronyme évolutif LGBTQA+…. les lettres de l’alphabet ne suffiront sûrement pas à les arrêter. Tout le monde est désormais sommé de « respecter » toutes les formes de sexualité, mais aussi sommé de les représenter partout. On est pas loin de la mise en place de quota, à tel point que dans les productions de divertissement actuel, les formes de sexualité non hétérosexuel sont complètement surreprésentés. Et là encore, comme pour le féminisme, toute remise en cause de telle ou telle argument ou action de ce mouvement débouche immanquablement sur l’accusation d’homophobie.
La cause noire – Black live matters
Le racisme contre les noirs est essentiellement un problème américain, voir anglo-saxon. L’esclavage était institué sur le sol américain, et la ségrégation en Afrique du Sud. Même Thomas Jefferson, père fondateur de la constitution américaine, possédait des esclaves. La question de l’esclavage a déclenché la guerre civile (1861-1865), et il a fallu attendre le 2 juillet 1964 pour que la ségrégation soit abolie. Cela n’a pas suffit à faire disparaitre le racisme américain. Le film Kill the messenger, porté par Jérémy Renner, montre comment le gouvernement Reagen a sciemment financer la guérilla anti-communiste des Contrats au Nicaragua en les laissant vendre du crack aux banlieues noires de Los Angeles, déclenchant « l’épidémie de Crack ».
La situation est très proche du fameux racisme systémique dénoncé par cette minorité. Pour tenter de compenser la situation et de rétablir un semblant d’équilibre, une politique de quota a été mise en place pour permettre une meilleure ascension sociale des noirs américains et une meilleures représentation dans les médias. Mais leur situation reste incroyablement défavorable, et la violence de la police à leur égard est une réalité, comme le montre les nombreuses bavures policières de jeunes noires tombant sous les balles de la police. Le mouvement Black Lives Matter s’est déclenché après l’étranglement de George Floyd en 2013.

En France, la situation est complètement différente. La France fut le premier pays au monde à abolir l’esclavage, le 27 avril 1848. Même si la situation n’a sans doute pas été idéale, rien de comparable avec la situation américaine n’a jamais été mis en place en France et il est complètement absurde de parler de racisme systémique.
Les descendants de la colonisation
On a même du mal à les nommer tant on ne sait pas très bien de qui ou de quoi il s’agit. Parle-t-on des descendants des pays colonisés qui sont nés en France? Parle-t-on des descendants des colonisés dans leur pays d’origine? Parle-t-on enfin des peuples colonisés eux-mêmes? Un peu de tout cela en fait, ce qui permet d’attaquer sur un front large les pays colonisateurs, France en tête. Les colons seraient désormais responsables de la situation des pays, de leurs habitants, depuis 60 ans et de toutes les descendances.
Evidemment on oublie très vite Singapour, Hong Kong ou la Corée du Sud. On oublie aussi les héros, les résistants, Gandhi et Mandela. On feint aussi d’oublier que la colonisation est terminée depuis belle lurette. Elle continuerait dans les cœurs, dans les lois, dans une espèce de « système » colonisateur toujours à l’oeuvre. La sociologie est l’outil parfait, l’alibi scientifique taillé sur mesure pour ces revendications. Il suffit de nommer le trait que l’on veut identifier, et on le reconnaîtra à coup sûr dans l’analyse que l’on veut développer. La sociologie est en effet une science particulièrement difficile à utiliser, peut-être même inutilisable d’ailleurs, car elle nie la liberté humaine. Elle nie la possibilité de changer et fait de chacun d’entre-nous les pantins de forces que nous ne pouvons pas comprendre. En faisant cette étude, il ne s’agit surtout pas d’être fin et profond. Il s’agit au contraire d’éliminer la complexité du monde pour ne mettre en avant qu’un seul facteur, être « femme », être « noir », être « homo », comme si cela suffisait à expliquer la complexité d’une personne et à déterminer fondamentalement son destin.
Le destin est quelque chose de bien plus complexe, qui se joue des générations avant notre naissance. Les anciennes religions avaient au moins ceci de cohérent qu’elles cherchaient parfois dans la filiation aux héros et aux temps anciens une cause profonde des destinées actuelles. Le destin est désormais réduit à peau de chagrin et ne peut plus servir de guide.
Les écologistes, les descendants de la colonisation, les pro-palestiniens et les musulmans
Le mouvement Woke comprend de nombreuses autres dimensions, plus ou moins liées à l’extrême gauche.
Les écologistes, continuateurs de Rousseau, dénoncent la pollution, mais aussi le système politique qui conduit à détruire et exploiter la nature. La colonisation est terminée depuis une cinquantaine d’années, mais le logiciel de gauche anti colonisation, un grand classique des années 60-70, est revenu en force sous la forme de la dénonciation des stigmates dont sont marquées les descendants de la colonisation. La défense des mouvements pro-musulmans n’est jamais qu’un faux nez de l’antisémitisme consubstantiel de l’anti-capitalisme.
Plus étrange est la défense des musulmans. Ils représentent une grande partie des peuples colonisés, et en cela il marque des points. Ils détestent les juifs. On ne compte plus les citations antisémites du Coran. L’Iran continue à dénoncer l’existence même d’Israël et sa volonté de détruire l’Etat hébreu. En cela ils gagnent encore des points. Mais ce n’est pas suffisant. La vraie raison est bien sûrement beaucoup plus dans leur refus obstiné de la modernité politique.

Rousseau, et ce n’est pas un hasard, donne la clé: « Mahomet eut des vues très saines, il lia bien son système politique, et tant que la forme de son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela. Mais les Arabes devenus florissants, lettrés, polis, mous et lâches, furent subjugués par des barbares ; alors la division entre les deux puissances recommença… ” (Du Contrat social, Livre IV, De la religion civile). Rousseau admire un peuple capable de suivre ses seuls principes moraux, fussent-ils religieux. Armée du seul Coran l’organisation politique théologique des musulmans est pour lui supérieure à celle de l’Europe de l’époque, prise entre les deux systèmes civil des Etats ou Cités-Etats, et religieux avec l’Eglise catholique. Les musulmans, plus disciplinés religieusement, moins soumis à la religion du progrès, sont, ou étaient moralement plus « purs ». Rousseau dénonce leur modernisation, reprenant sa critique habituelle de la technique et du progrès. Ils sont devenus « mous », dans un type de critique qui préfigure les analyses de Nietzsche.
En fait, cette observation est toujours valable. Les musulmans fondamentalistes refusent toujours toute modernité avec une incroyable constante. Et peut importe qu’ils puissent en être ainsi parce qu’ils font fortune grâce au pétrole, constitue une part significative du marché militaire mondial ou trafic l’héroïne.
Fondations et paradoxes du mouvement Woke
Le mouvement Woke a indéniablement un fondement philosophique cohérent qui semble bien plonger ses racines directement dans la pensée de Rousseau. Mais il présente aussi de nombreuses contradictions, souvent lié à la technique.
La dénonciation du progrès, le refus du capitalisme, la défense des mœurs, entraîne un refus du nucléaire. Or aujourd’hui, il est impossible de construire un monde décarbonné sans recourir à l’énergie nucléaire. Pire, la gauche woke refuse cette technologie, mais elle accepte sans ciller toute la bio-ingénierie, de la pilule contraceptive, à la transformation sexuelle physique des adolescents transgenre, en passant par la PMA et la GPA. Le progrès n’est accepté que lorsqu’il va dans le sens de leurs « valeurs ».

Seconde contradiction, qui n’est peut-être qu’apparente, le woke défend à la fois les minorités en tant que minorité, et le libre choix de la position sexuelle. Ainsi, il n’y a pas de raison de lutter contre le fondamentalisme religieux musulman, qui va jusqu’à asservir les femmes en leur faisant porter des Burqua, mais il faut libérer les femmes occidentales de la domination des hommes. Il faut laisser chaque communauté vivre selon ses mœurs, quitte à bafouer les lois de la République et accorder des droits spéciaux à certaines catégories. Mais chacun doit pouvoir vivre selon ses propres inclinations, ce qui n’est tout de même possible qu’en République ou en démocratie.
Troisièmement, le Woke défend le passage d’une identité à l’autre, mais il assigne aussi à l’identité. Assez incroyablement, il déteste le théâtre et le jeu d’acteur. Changer de sexe avec un bistouri n’est pas un problème, mais se déguiser en noir quand on est blanc, ou jouer une lesbienne quand on est une actrice hétéro est un pur scandale. Seul un homo pourrait jouer un homo, et un noir jouer un noir. Le woke réduit à la couleur de peau et à l’orientation sexuelle.
La quatrième contradiction est dans le rapport à la nature. La encore, c’est sur la sexualité qu’échouent les principes Woke. D’un côté, selon l’écologisme, l’homme est inférieur à la nature et la nature est le principe. De l’autre encore, l’identité sexuelle naturelle n’a aucun sens réel. L’identité que l’on ressent dans son cœur serait supérieure au corps que nous aurait donné la nature. Encore pire, l’identité de genre ne serait qu’une construction sociale… enfin surtout pour les hétéros, les LGBTQA se mettant à part et prétendant ainsi être la norme réelle de l’humanité. Nous sombrons là encore dans un discours raciste anti tout ce qui est LGBTQA+.
La matrice de la modernité
Les critiques contre le Woke fusent. Ses excès racistes et intolérants, sa rhétorique dirigée vers les adolescents, cet âge de transition et de construction de l’identité, ses attaques systématiques contre toute masculinité, et sa manière de faire de l’homme blanc hétéro occidental le bouc émissaire de tous les maux de l’humanité sont proprement détestables. Il recycle directement la haine du capitaliste, lui aussi blanc occidental et colonialiste, dénoncé par les marxistes (soyons toujours équilibré, les américains ont utilisé la même tactique en dénonçant les »rouges » lors de la crise du maccartisme). L’excès nuit à la cause et déclenche une forte réaction, ce qui s’avère tout à fait contre productif.
La recherche d’un bouc émissaire, une victime expiatoire qu’il faut sacrifier pour restaurer un ordre pensé comme supérieur et plus originel est la marque d’une pensée plus primitive et religieuse que rationnelle et philosophique. Les sacrifices humains étaient rares, même dans les religions archaïques. Certaines « victimes » du mouvement Woke n’ont pas du tout volé les jugements à leur encontre. On pense notamment à Weinstein. Et dans ces cas, ce sont bien plutôt les mœurs qui ont fait preuve d’un retard assez incroyable sur la loi. Cette désignation du blanc comme bouc émissaire est donc plus symbolique que réellement active. Elle sert de point commun à la convergence des luttes. Mais elle sert également à désigner un coupable des nombreuses injustices qui sont dénoncées, coupable auquel on refuse au passage tout droit à la douleur, à l’injustice, et finalement à l’humanité. Or l’injustice, comme nous avons pu le développer ailleurs, est métaphysique et concerne l’humanité tout entière. D’un point de vue politique, c’est dans la recherche consciente d’un monde vivable pour tous, à travers des relations d’affections et d’échanges acceptées et « juste » en un sens tout humain, que nous pourrons trouver un chemin vers la résolution du problème de l’injustice.
Il est facile de critiquer sa position technologique complètement embrouillée, ou sa défense des valeurs à géométrie variable, allant de la défense du radicalisme religieux au changement de sexe. Mais personne ne trouve vraiment d’argument décisif pour contrer cette question identitaire. Et pour cause.
Les contradictions du Woke ne sont pas nouvelles. Elles reprennent et rejouent la querelle des Lumières et du Romantisme, et sa déclinaison politique entre la Démocratie et Communautarisme. D’un côté l’universalité des droits de l’homme concerne tous les hommes sur terre et principalement les citoyens des pays qui ont la chance d’avoir des institutions basées sur cette conception. Nous sommes tous libres et égaux en droits, quelque soit notre sexe, couleur de peau, religion et naissance. De l’autre, l’universel abstrait, aussi efficace soit-il des points de vue théorique et juridique, où il est intellectuellement indépassable, nous laisse démuni dans notre vie de tout les jours, dans la constitution de notre identité pour ainsi dire non juridique, dans notre particularité et notre singularité. Qu’est ce qu’être un homme, une femme, un enfant? Qu’est-ce que naître ici, et dans une famille de telle religion?
On a l’habitude, et la tradition intellectuelle nous y invite également, d’opposer les deux mouvements. Mais ces questions n’existent que dans nos Etats occidentaux modernes. Les autres pays, restés plus ou moins dans leur tradition religieuse, sont également restés dans des modèles d’organisation sociale dits traditionnels. Parce que c’est finalement l’universalisme abstrait et l’humanisme qui, en refusant de mettre un quelconque déterminisme avant l’autre, ouvrent littéralement la question de l’identité dans toute l’extension de son concept. L’égalité juridique est le moteur de l’accession des femmes à la propriété, au travail, au vote. Il est également à l’origine de la lutte contre toutes les formes de racismes, qui sans lui serait totalement impossibles. Ainsi, malgré toutes leurs dénonciations et leur critique de la modernité, les Woke continuent pour l’essentiel le lent travail de la Révolution.

Rousseau, le père de la modernité sociale
Comment, au moment de conclure, ne pas revenir sur l’incroyable destin de la pensée rousseauiste? Une fois de plus, en cherchant d’où viennent les idées modernes, nous constatons à quel point nous sommes façonnés, jusque dans notre plus intime, par la pensée des anciens. Les thèmes de Rousseau sont le vrai file rouge de toute l’argumentation que nous avons parcourue. Comme un lointain hommage à son penseur fondateur, le mouvement s’est dénommé en référence à la Conscience. Le Woke, l’éveillé, « a pris conscience » en dehors des formes actuelles. Rousseau, dans ces Confessions a crée l’âme moderne, celle qui s’interroge sur sa propre réalité et ses déterminations. Il a montré, bien avant Nietzsche, comment la structure politique et la structure morale et mentale des citoyens étaient reliées. Dans ses Confessions, Saint Augustin, son illustre prédécesseur, écrivait d’un certaine manière le poème de la conscience catholique. Mais c’est Rousseau qui a crée la conscience moderne.
« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n’est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. S’il parle à tous les cœurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l’entendent ? Eh ! C’est qu’il parle la langue de la nature que tout nous a fait oublier. La conscience est timide, elle aime la retraite et la paix ; le monde et le bruit l’épouvantent ; les préjugés dont on l’a fait naître sont ses plus cruels ennemis […], il en coûte autant de le rappeler qu’il en coûta de la bannir. » La profession de foi du Vicaire Savoyard, Dans l’Emile ou de l’éducation

Illustre bien la situation actuelle
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