La nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l’Education nationale déchaîne les foules, à l’image de Luc Ferry et de Daniel Cohen Bendit qui se sont littéralement injuriés lors de leur débat hebdomadaire dimanche 22 mai 2022 sur LCI. Il est pourtant tout à fait possible de réconcilier en grande partie ces « amis ». Nous espérons modestement que notre texte y contribuera.

Une fausse opposition
D’un côté Luc Ferry, textes et citations à l’appui, montre le wokisme de Pap Ndiaye et le dénonce. Quelques soient par ailleurs les écrits de Nadiaye, il est clair qu’il a repris à son compte et applique à la France les notions de racisme systémique et de culpabilité de l’homme blanc. Ferry explique que les thèses de ce mouvement sont en total contradiction avec l’universalisme républicain, qui justement repose en droit sur le fait et surtout la reconnaissance juridique que « tous les hommes naissent libres et égaux », ce qui veut également dire: indépendamment de leur religion, couleur de peau, sexe, position sociale… dans une liste que l’on pourrait continuer à l’infini. L’homme est homme parce qu’il est homme et c’est tout. Il n’y a rien à ajouter.

En face, Cohen Bendit fulmine. Il y a pour lui un racisme systémique en France. Les droits de l’homme sont de la poudre aux yeux, un discours de manipulation qui sert à cacher la domination de l’homme blanc hétérosexuel. Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les femmes aient enfin le droit de vote. Il raconte comment, embarqué par la police en mai 68 un policier lui a déclaré: » si tes parents étaient morts dans les camps, nous n’aurions pas à subir un individu tel que toi ». Il insulte Luc Ferry « ta gueule..; » qui lui répond » Et la tienne ». Les cîmes de la pensée sont proches des gifles de la cour de récrée.
Pas de wokisme sans droits de l’homme
Il est pourtant bien simple de réconcilier les deux mouvements sur presque tous les sujets, le presque ayant évidemment toute son importance.
Le wokisme prétend dénoncer toutes les inégalités dont seraient victimes les « minorités », noires immigrées, femmes, LGBTQA+ et que savons-nous encore, selon une liste finalement tellement longue qu’elle constituerait très certainement numériquement la majorité de l’humanité. Mais au nom de quoi sont faites toutes ces dénonciations? Quel est leur horizon et leur but? Elle sont justement faites au nom de l’égalité, et n’ont aucun autre horizon que l’égalité, c’est à dire très précisément au nom et sur le support idéologique des droits de l’homme! Nous n’avons pas changé de monde, nous sommes toujours dans la dynamique de l’égalité et de la liberté. Le wokisme n’est qu’une étape, pas forcément la plus glorieuse d’ailleurs, comme nous allons le voir, de la marche en avant des principes de la modernité.
Allez défendre les droits de la femme en Afghanistan… nous vous y souhaitons bien du plaisir! C’est en effet radicalement impossible. Allez défendre la liberté individuelle en Chine… pareil! Discuter politique même, y est interdit. Remettez en cause la parole de Poutine, et vous avez le choix entre le poison et la corde… Il n’y a qu’en Occident, ne déplaise au wokiste, que le discours woke est possible. Selon les autres systèmes de valeurs, la question même est tout simplement impossible. Et cela n’a rien d’un hasard.

Le wokisme est un avatar, pour ne pas dire carrément un bâtard, de la lutte pour l’égalité. Malheureusement pour lui, né dans les universités, il aussi comme parentèle tous les anciens discours communistes et pas seulement l’idée d’égalité. Il en ressort une doctrine consternante qui prétend combattre l’Occident au nom d’un égalité qui est l’un des sommets de la pensée occidentales. Dès lors que le principe d’égalité est inscrit dans le droit, au fondement de la constitution, et que le droit est cohérent avec ses principes fondateurs, il n’est pas possible de parler de racisme « systémique ». C’est de la rhétorique. Mais cela ne signifie pas non plus qu’il n’y ait plus de combat à mener au nom de l’égalité.
(Pour une étude plus complète du wokisme, c’est ici : https://foodforthoughts.blog/2021/10/31/le-mouvement-woke/)
Historicité d’une idée
Ou pourrait en rire si ce n’était aussi consternant de bêtise. Non, il n’y a pas de racisme systémique en France, et la preuve la plus simple, la plus claire, est la loi elle-même qui interdit toutes – et nous soulignons « toutes » – les formes de discrimination. Ndiaye est la preuve vivante que ce qu’il dit est faux. Normalien, agrégé, docteur, ministre… jamais dans notre système éducatif, sa couleur de peau n’est rentrée dans les critères de choix de sa notation. Pas plus que le fait d’être un homme ou une femme n’a eu la moindre conséquence sur l’accès de Mme Borne, nouvelle première ministre, à Polytechnique.
La France n’est pas les Etats-Unis. Il n’y a pas eu de politique de ségrégation contre les noirs. Il y a eu Vichy, dont la responsabilité a été reconnu par Jacques Chirac. La France est le premier pays au monde à avoir aboli l’esclavage, justement et même si ce fut 50 ans plus tard, dans la lignée des principes de la Révolution française.
Le principe de l’égalité universelle entre les hommes n’est évidement pas un donné immédiat. La déclaration des droits de l’homme n’a pas, par magie, transformé tous les chinois en homme libre le jour de sa rédaction. Il faut une singulière courtesse de vue pour ne pas comprendre que même le plus beaux des principes a besoin de temps pour se déployer dans l’histoire. C’est même ce que l’on appelle une civilisation. Cela prend en moyenne entre 2 et 4 mille ans. Quand Hegel voit Napoléon passer sous ses fenêtres et décrète que l’histoire est terminée, il ne veut évidemment pas dire que toute l’humanité va disparaître dans l’instant. Il reconnaît que la civilisation occidentale a accouché de la plus sublime et de la plus universelle de toutes les conceptions de l’homme, et que celle-ci n’a plus qu’à se généralité sur toute la terre, fusse par les armes. Oui, tous les combats pour l’égalité sont légitimes, mais uniquement parce que nous disposons des principes qui les rendent légitimes. Oui, l’inégalité homme / femme était un scandale, en grande partie résolu aujourd’hui. Oui, la condition des noirs aux Etats-Unis reste un scandale, même après une guerre civile et un président noir. Mais non, ce n’est pas en renversant les droits de l’homme que l’on va y arriver. C’est tout à l’inverse en les défendant sans relâche!

Les droits de l’homme n’ont pas été pensés par une groupe d’hommes blancs capitalistes et colonialistes, mais par une série de philosophes, anglais avec Locke, hollandais et juif avec Spinoza (ruiné et excommunié), catholique et suisse avec Rousseau (ruiné et poursuivi par ses anciens amis), et enfin allemand avec Kant (pur esprit). Il faut être totalement inculte pour ne pas avoir la moindre notion de ce que furent les Lumières, cette quête intellectuelle grandiose, sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, qui a cherché à refonder toute l’humanité pour justement libérer tous les hommes de ce qui les sépare. Le Wokisme devrait honorer ses pères, chez lesquels il trouve la force de déboulonner les statues des esclavagistes américains, mais comme tous les mauvais enfants, il est consternant d’ingratitude.
Le côté obscur du woke, un racisme qui ne dit pas son nom
Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. Le wokisme a un gros problème dans son combat pour l’égalité, un péché originel qui lui est commun avec tous les groupements défendant une classe particulière, un groupe plutôt qu’un autre, une couleur de peau ou un sexe. L’intersectionnalité des luttes n’a pas trouvé d’autre dénominateur commun que l’accusation portée contre l’homme blanc hétérosexuel, capitaliste et colonialiste responsable de toutes les inégalités (Kant, Locke, Rousseau, Spinoza… tous blancs et hétérosexuels..). Le wokisme désigne un coupable, un bouc émissaire à la foule en délire, un coupable qu’il est allé chercher dans la vulgate marxiste et sa détestation du « riche » mais aussi du juif apatride.
Bien sûr, certains hommes abusent de leur pouvoir. Et bien sûr il faut les combattre. Il est consternant de voir qu’il a fallu attendre le XXIème siècle pour que la question des violences faites aux femmes trouvent enfin un échos médiatique. Mais au même moment, les islamistes afghans enferment à nouveau leurs femmes sous la Burqua. Le combat ne peut avoir lieu que dans le cadre du droit, qui le permet d’ailleurs depuis des décennies! L’évolution des mentalités prend du temps. Il faut l’encourager, mais ne pas en refaire un principe de guillotine, où tout supposé coupable pourrait être décapité sous la seule suspicion qu’ils puissent un jour futur et hypothétique abuser de son pouvoir.
Pire enfin, en mettant en avant des « minorités » contre une « majorités » le wokisme est un racisme. Dès que l’on quitte l’universalisme, on est en effet raciste, il n’y a aucune autre possibilité. Il n’y a qu’à voir la haine des hommes qu’a déclenché le féminisme et la recherche effrénée de droits supérieures et spéciaux pour les femmes, sans aucune considération ni pour la réalité, ni pour l’égalité. Il n’y a qu’un seul universalisme. Toute brèche est une concession qui détruit l’universel. La tentation totalitaire du wokisme est patente. Tout opposant est considéré comme un nazi (vieille technique communiste, là encore), tout homme blanc est suspect parce qu’il est blanc. Si ça ce n’est pas du racisme!
L’égalité, mais laquelle?
S’il sait maîtriser ses pulsions totalitaires, le wokisme ne sera donc rien d’autres, ô magnifique ironie de l’histoire, qu’une étape dans le développement de l’idée d’égalité. Toute la question, toujours pas résolue, est de savoir de quelle égalité il s’agit, et jusqu’où peut nous conduire ce principe. L’égalité juridique cède de plus en plus le pas à la volonté d’égalité réelle, alors même que l’inégalité des richesses n’a jamais été aussi forte depuis le XIXème siècle. Tout semble allez de travers dans cette quête. On cherche l’égalité là où elle n’existe pas, comme à l’école, où les talents naturelles ne peuvent être équivalent chez tous, et on ne la cherche plus du tout du côté de l’argent, là où nous en avons le plus besoin. Pire, en France, ce vieux pays décidemment catholique, nous ne la cherchons pas du tout du côté de la liberté, toujours plus ensevelie sous les règlements, les lois et l’administration, alors qu’elle est la seule valeur permettant d’équilibrer l’égalité, comme l’ont bien compris les pays protestants.

Annexes
Robert Brooke Taney, premier Président de la Cour suprême des Etats-Unis de 1836 à 1864 déclarait que le Noir « n’avait aucun droit que l’homme blanc fût tenu de respecter ». On aura quand même du mal à trouver un tel exemple de racisme systémique en France.
L’erreur de Ndiaye et l’erreur conceptuelle du romantisme. C’est le refus et l’incompréhension de l’universalisme. Une fois l’abstraction refusée, la recherche de l’égalité a forcément besoin de quelque chose de concret sur lequel s’appuyer, quand bien même ce serait faux! Le problème, la contradiction fondamentale, c’est qu’on ne peut pas être romantique et chercher l’égalité, car le romantisme est une pensée du concret, de l’histoire, du cas particulier, de la différence. Elle s’enferme toute seule dans ces différences et refuse de comprendre le saut conceptuel de l’universalisme. Le même romantique pourra ainsi affirmer qu’il n’y a pas d’homme en soi, mais uniquement des anglais, des français et des italiens… et que cet état de fait est parfaitement honteux et porteur d’inégalité. Alors que le point de vue de l’universalisme permet justement de faire abstraction des détermination concrète pour chercher et fonder un droit qui repose sur l’idée de l’homme en tant qu’homme.
Citations:
Selon le nouveau ministre de l’Éducation nationale, «les insultes et les agressions contre les Blancs ne sont pas du racisme, car elles ne modifient pas leur trajectoire personnelle étant membre du peuple dominant.». Pap Ndiaye (https://www.lefigaro.fr/vox/societe/alain-finkielkraut-la-france-insoumise-c-est-le-nom-que-se-donne-la-france-soumise-a-l-islamisme-20220601)