La monnaie est l’un des plus grands mystères de l’économie. On est littéralement perdu face à l’avalanche de théories la concernant. Qu’est-elle réellement? Sa valeur doit-elle reposer sur l’or ou est-elle libre? Quel est son rapport si mystérieux avec la dette? A-t-elle vraiment un impact sur l’économie ou en est-elle un outil détaché? Pour le dernier article de notre série sur l’Introduction à l’économie, nous revenons sur ce phénomène qui nous fait tous rêver. Réfléchir sur la monnaie, c’est un peu comme réfléchir sur les les origines de l’humanité et sur l’état de nature. Nous sommes toujours pris entre la définition et la réalité du développement historique.
La monnaie contre-valeur universelle… ou presque
Voilà un point sur lequel tous les penseurs sont d’accord. Le rôle de la monnaie est de servir de contrepartie aux biens et services. En revanche, les avis continuent de diverger sur son apparition. Pour la plus grande partie des penseurs, la monnaie est venue supplanter les anciens, voir archaïques, systèmes de trocs. Pas simple d’échanger une poule ou une botte de carottes contre une mesure de tissu ou de blé. Il est bien plus pratique de passer par une mesure universelle qui permet de comparer immédiatement toutes les valeurs. Pour d’autres, les systèmes de troc et les systèmes monétaires sont assis sur des fondements différents, et, aussi satisfaisant soit l’idée intellectuelle du passage d’une forme moins complexe, plus concrète, à une autre forme, plus rationnelle et éthérée, ce passage intellectuel ne correspond pas forcément dans tous les détails au passage réel accompli durant l’histoire.
Certaines recherches menées par les anthropologues font état de système un peu hybride. Le troc pur n’aurait été que fort rare. A sa place, certains systèmes d’échange pouvaient reposer sur une tierce valeur, prélude à la monnaie, comme sur des coquillages, plus ou moins beaux et gros. Le coquillage a en effet de grands privilèges. Il est échangeable en toute saison, facilement stockable, parfois un peu fragile, mais qui manipulé avec soin, peut facilement être conserver longtemps. Plusieurs années même. Il a également deux autres avantages, il est beau et il est offert par la nature. Sa beauté lui confère une valeur esthétique qui dépasse les valeurs d’usages des objets échangés et lui confère ainsi une valeur propre. Il est ainsi désirable sans être vitalement nécessaire. Offert par la nature, notamment pour les peuples proches de la mer qui utilisaient ce type de système, le beau coquillage échoué sur la plage et retrouvé par le marcheur, ou récolté durant la pèche, est un signe des dieux. La beauté peut être pris comme la preuve d’une élection, de la faveur accordée par le destin. Il revêt ainsi une certaine valeur magique qui fait de son propriétaire en même temps qu’un homme riche, un homme béni des dieux.

La thèse la plus historiquement plausible, autant que la plus rationnelle, expose que la monnaie a vite été utilisée pour organiser les échanges et remplacer ou compléter le troc. Le côté pratique emporte tout. Le métal s’impose naturelle, pour les mêmes raisons que celle décrite précédemment pour le coquillage, à part la beauté, sur laquelle nous reviendrons.
Une histoire ultra-rapide de la monnaie
Nous ne nous avançons pas trop en supposant qu’aux origines le divin et la religion était partout. Il n’y a pas de raison pour que la monnaie et l’organisation économique aient échappé à cette réalité universelle. Les temples vivaient des dons. Dans toutes les cérémonies, une partie de don était réservée aux Dieux, comme dans les holocaustes des anciens. Il s’agissait à la fois de s’attirer la protection des dieux en les honorant, et de garantir les transactions par le respect des valeurs religieuses. Ces phénomènes superstitieux ont généré une véritable économie religieuse avec l’au-delà. On achetait la protection des dieux, le salut et la bonne fortune pour soi et les siens. Les dons qui prenaient une place considérable dans l’organisation générale des peuples et donnaient aux églises une place d’intermédiaire entre les fidèles et les dieux, qui en faisait une véritable puissance économique. Il suffit de penser au nombre de temples que l’on ne cessait de construire pour réaliser l’ampleur des investissements consentis. Certaines autorités religieuses, comme le catholicisme, dictaient même des règles financières, comme cet interdit de la spéculation, si puissant durant le Moyen-Age. Le temps était considéré comme divin et le prêt à intérêt était interdit au chrétien. Voilà comment la finance échut aux juifs.
Le second phénomène historico-économique est celui de la guerre. La victoire au combat était synonyme de richesses. Le pillage était la norme. Dans ces temps de disettes et de faible expansion économique, la rapine était un moyen simple et rapide d’assurer son existence et sa prospérité. Cette méthode était totalement institutionnalisée dans la Rome antique. Un autre excellent exemple est donné dans les premiers saisons de la série Vikings. Peu importe que les Vikings aient envahi le nord de l’Europe au Moyen-Age et non durant l’antiquité. (Les phénomènes restent comparables, quand bien même ils ne seraient pas chronologiquement contemporains). Menés par leur chef Ragnar Lothbrok, les sauvages du nord commencèrent par piller les églises anglaises et françaises, regorgeant de trésors faciles à acquérir. Dans les conquêtes antiques, on ne gagnait pas que de l’or ou du grain, les vainqueurs rapportaient également des esclaves. Les vaincus étaient déchus. L’économie de l’esclavage était en partie informelle, au sens où elle était non financière. Les esclaves n’étaient pas rémunérés. En échange de leurs services cependant, ils recevaient logement, nourriture, et sans doute quelques soins médicaux.
En ces temps anciens, pris entre les dieux et l’honneur d’avoir sa place dans la communauté, la question de la richesse est longtemps restée secondaire. Montesquieu le rappelle dans ses passages sur les Républiques antiques, les citoyens ne devaient pas prendre part à la production et à l’artisanat. Ils ne devaient pas y avoir de trop grandes différences de richesses entre eux, pour maintenir l’égalité entre les décideurs. Le travail était une tâche confiée aux esclaves. Ce type d’analyse, fondée essentiellement sur une culture livresque, ne doit cependant pas totalement nous conduire à occulter la réalité. Ce qui était vrai dans les Cités grecques ne l’étaient sûrement pas à Rome. Il est évident qu’il y avait, notamment à Rome, un système économique parfaitement organisé et d’une grande complexité. Les besoins de la puissance romaine, l’équipement et la nourriture des armées, les transferts de produits entre les régions de l’Empire, l’économie de Rome elle-même, la croissance de la ville, les travaux continus des empereurs, la satisfaction du peuple maître de l’univers, tout nous indique que l’économie devait être florissante. Il ne faut pas sous-estimer la réalité du fait parce que les auteurs classiques se sont principalement intéressés à la question politique.
Sortant des âges religieux, le développement du système monétaire devait reposer sur une profonde modification des valeurs permettant le développement de l’économie. Fondé sur la religion et la guerre, il devait être transformé par la religion et la guerre. Les effets pourtant furent radicalement opposés. Côté religieux, la principale révolution est celles du protestantisme. Luther, grand réformateur de la lecture de la Bible, fondateur du protestantisme, a dénoncé le scandale des « indulgences ». Ce « produit », lancé par l’Eglise pour se refaire une santé financière, consistait en la vente d’absolution contre les péchés. Il n’était plus besoin de faire amende honorable, ou de dire ses prières. Il suffisait de payer. Les futurs protestants furent scandalisés par ce commerce, jetant un voile de suspicion sur toute l’organisation économique de l’Eglise. Ils rappelèrent comment Jésus chassa les marchands du temple. Le protestantisme ira plus loin encore. Il va contribuer à modifier la perspective du Salut, qui ne sera plus uniquement au-delà de la mort, mais bien dans la vie elle-même. Telle est la thèse développée par Max Weber, dans L’Ethique du protestantisme et l’esprit du capitalisme. La vertu religieuse garante de l’au-delà le cède à la richesse ici-bas. Le signe de l’élection divine et du Salut passe désormais également par le succès ici-bas, sur Terre, y compris dans le succès matériel.


Dans le premier de ces deux ouvrages, sans doute son meilleur, Attali réécrit l’histoire économique mondiale à l’aune de l’histoire juive et retrace le développement des outils financiers. Dans le second, il nous monter comment les gouvernements, toujours impécunieux, ont finit par laisser se développer le pouvoir des banques.
La naissance de l’Etat moderne est parallèle à ce recul du religieux. Dans le monde grec, les peuples étaient dispersés en cités, chacune organisée à sa mode. Les guerres étaient légion. La religion était le ciment qui unissait les parties de cette civilisation au-delà des murs de leurs Cités. La situation du catholicisme en Europe n’était pas si différente. L’histoire de la lente constitution de la France en est le meilleur exemple. De guerres en alliances, il fallut des siècles pour constituer le prototype de l’Etat moderne. La guerre coûte cher. L’entretien de l’aristocratie, qu’elle soit d’épée ou de cour, également. Il n’était plus question de conquêtes de pays extérieurs, comme sous Rome. Il n’y avait pas d’entrées de richesses nouvelles. C’était constamment les mêmes régions qui étaient conquises, réunies, ou séparées. Pour financer tout cela il fallut avoir recours à un système financier plus sophistiqué et à la dette. C’est la démonstration que fait Jacques Attali dans ces deux ouvrages sur la question. Les Etats naissant ont créé ou favorisé le développement les banques dont ils avaient besoin pour financer leur développement.
Dans le premier de ces deux ouvrages, sans doute son meilleur, Attali réécrit l’histoire économique mondiale à l’aune de l’histoire juive et retrace le développement des outils financiers. Dans le second, il nous montre comment les gouvernements, toujours impécunieux, on finit par laisser se développer le pouvoir des banques, véritable pouvoir, à classer au même rang que l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Durant ces siècles cependant, le système monétaire est resté multiple. Il suffit de regarder la France et l’Angleterre de l’âge classique pour se rappeler la complication d’unités d’échanges qui régnait partout. Chaque nouveau souverain et nouvel empire nécessitait sa nouvelle monnaie. Les besoins d’argent, les interdits de l’Eglise, tout poussait à développer l’innovation financière. Les deux principes de cette innovation sont toujours le même : il s’agit de convertir le plus rapidement possible le travail en engagement (les factures), et ou en argent, et à l’inverse, l’argent en engagement (les billets à ordre). Le second principe est la disponibilité immédiate, en tous temps et en tous lieux des sommes, ce qui contribua au développement des premières banques commerciales, permettant de retirer à Paris l’argent déposé à Venise ou ailleurs.
Pour assurer l’acceptation de la monnaie et la confiance dans le système financier, il fallait un pouvoir en garantissant la valeur. On le voit en examinant les pièces antiques dans les musées, la monnaie représentait quasiment tout le temps le souverain, comme l’empereur de Rome, ou le roi en France. Les économistes désignent souvent le système monétaire comme étant un système « fiduciaire », du latin « fides », qui veut dire foi, mais aussi confiance, marquant le passage de la foi religieuse à la confiance dans le système monétaire. Pourquoi en effet ferions-nous confiance à une succession de chiffres sur un compte en banque, à une liasse de papiers imprimées, semblable aux vignettes que l’on donnait jadis aux enfants? Qu’est-ce qui nous garantit que nous pourrons à tout moment utiliser ces métaux et papiers pour récupérer ce qui nous est dû? La monnaie fonctionne parce que nous lui faisons confiance. Nous sommes prêts à jouer le jeu des contre-marques symbolique permettant de mesurer la valeur parce qu’il est garanti par l’autorité politique. Le système repose en dernier ressort sur l’autorité de l’Etat ou de l’Empire, même si elle peut être déléguée à une banque, ou un organisme spécial.
Avec le recul du religieux et les nécessités financières de l’Etat toujours en hausse, le domaine monétaire continue son expansion. Tout ce qui était auparavant garanti par Dieu, devient peu à peu garanti par l’Etat et la monnaie. C’est la financiarisation continue de l’économie. Le meilleur exemple porte directement sur les anciennes solidarités familiales. Il n’y a pas si longtemps, dans la famille dite traditionnelle, l’homme travaillait et gérait les affaires, pendant que l’épouse gérait les enfants et parfois les finances. Pour ce travail, réel et bien plus généralement organisé que l’on ne suppose désormais, la femme ne recevait pas de rémunération en tant que telle. Elle n’avait pas de salaire. Mais elle bénéficiait indirectement du fruit des affaires et recevait donc bien ainsi une rémunération sous la forme d’un échange non monétaire, d’un troc. Il en est de même de toutes les autres « solidarités » familiales. Aujourd’hui, tout a été financiarisé. Les femmes travaillent. Les enfants sont gardés par des nounous, des assistantes maternelles ou en crèches. Les relations entre les personnes, auparavant organisée par les communautés (comme les marieuses, qui passaient de villages en villages) sont désormais médiatisées par des applications de rencontre. Les personnes âgées, qui vivent désormais bien plus âgées, partent en maison de retraite plutôt que de finir leurs jours dans la maison familiale. Le développement des restaurants est un autre bon exemple. Auparavant, l’épouse (mais aussi parfois le mari) faisait le repas pour toute la famille. Désormais, fatiguée par son travail, la femme est moins disponible. Le repas au restaurant, ou livré à domicile, s’impose partout.
Puissance et doctrine religieuse, développement de l’Etat moderne, la médiatisation des rapports humains n’est plus assurée par Dieu, mais par la monnaie. Il revient au système financier d’instaurer une nouvelle équité et une nouvelle éthique des rapports d’échange. Toute est devenu et devient toujours plus « argent » et contrats âprement négociés.
D’où vient la valeur de la monnaie?
Or et étalon-or
La monnaie est un outil permettant la simplification de l’échange des biens et des services. Il n’est pas le seul moyen, même si son extension est toujours plus large. Le troc, le don, existent toujours. Il suffit de penser à tout ce qui touche la famille, l’un des derniers bastions de l’échange non marchand. Un autre domaine concerne l’ouverture des échanges internationaux. Les droits d’entrée des produits et services dans un pays dépendent largement de l’ouverture d’un autre pays, ou d’une autre zone économique aux produits et services du partenaire. Les négociations commerciales faites sous l’égide de l’OMC ressemblent bien plus à un troc préliminaire qu’à une financiarisation, qui n’en sera qu’une conséquence. Pour tout le reste, le domaine de la marchandisation ne fait que croire, stimulé et accompagnant l’incroyable développement des échanges de toutes sortes entre les hommes et les nations.
Une fois la monnaie mise en place, la seconde question porte sur la valeur de cette monnaie. Et de la même manière que nous avons vu que toutes les relations et tous les échanges ne sont pas nécessairement monétaires, il existe également une grande variété de forme de monnaies. Le principal archétype de monnaie a longtemps été la monnaie métal. C’est ici que nous commençons à entendre parler de l’or, qui a joué un si grand rôle dans l’histoire monétaire. Les premières pièces étaient donc en fer, étain, bronze, argent, et parfois en or. Pourquoi? Parce que la monnaie n’était pas une valeur en elle-même, virtuelle comme elle l’est aujourd’hui. Il ne suffisait pas que la monnaie garantisse l’échange, il fallait pour que les utilisateurs aient confiance dans le système, que la monnaie ait une valeur en elle-même.

Or, soif de l’or, ruée vers l’or… Marx a tout résumé dans la formule célèbre « le fétichisme de l’or ». L’or est vénéré comme un dieu, le dieu de la matière, du concret, de l’épicurisme aussi. Il est le veau d’or, celui qui apportera l’abondance éternelle. Nous retrouvons dans l’or une partie de ce schéma de pensée religieuse qui organise la validité et le respect de l’échange. Mais cette fois sous une forme toute matérielle. Pour le comprendre il faut sans doute faire un léger effort. Nous avons l’habitude de penser dieu comme un être éthéré, immatériel. Mais il est tout à fait possible et commun de penser la divinité et la puissance comme des principes matériels. Dans le Seigneur des anneaux, l’arkenstone, la pierre principe (arké= principe, source, fondement, origine, en grec), est le bijou qui fonde le pouvoir des nains et légitime leur main mise sur toutes les richesses de la montagne. Leur roi en devient fou, pris par la « fièvre de l’or ». Thanos, dans les Avengers, devient tout puissant grâce aux pierres d’infinités, renfermant les pouvoirs fondamentaux de l’univers. Pierre d’infinité est évidemment un oxymore, assez proche d’Arkestone d’ailleurs, puisque la pierre, principe limité, matériel, divisible… est justement pour nous ce qui n’est pas du tout infini ou principe, mais au contraire ce qui n’est que matière presque illusoire. Il suffit pourtant d’avoir tenu un lingot en main, ou surtout d’avoir contemplé l’incroyable transparence d’une pierre précieuse, à la fois totalement matérielle et pourtant entièrement pure, pour comprendre la fascination que peuvent exercer ces beautés naturelles. La matière chez les grecs, hulé, était un principe à part.

Comme pour les coquillages évoqués ci-dessus, l’or a sa propre valeur sociale, sa valeur de bijou, de distinction sociale, de valeur quasiment de tous temps universels, faisant fi des frontières. Il en est de même des bijoux, mais l’or a encore sur cette avantage d’être facile à travailler, avec un point de fusion de mille degrés, et une grande souplesse naturelle. C’est une partie de l’histoire monétaire quasiment millénaire qui s’ouvre. Sans revenir sur toutes ces étapes, rappelons le principal. L’or tient sa légitimité de sa double valeur, valeur intrinsèque d’une produit toujours recherché et valeur d’échange en faisant la « marchandise de toutes les marchandises », pour paraphraser Marx. Les déclinaisons ont été nombreuses. Il y eut d’abord la monnaie or, soit pure, soit contenant une part d’or. Puis il y eu le système de l’étalon-or. Il ne s’agissait plus d’avoir directement de l’or dans sa poche ou sa bourse, mais d’avoir des billets et pièces représentant une fraction d’un stock d’or gardé sous clé dans un coffre géant. Puis, ainsi vont les choses, la parité d’échange entre la monnaie fiduciaire et le stock d’or ne cessa de changer. La monnaie représentait une part toujours plus petite du stock d’or. La guerre du Vietnam et son coût astronomique ont achevé le système. A force d’imprimer de l’argent pour financer la guerre, la conversion dollar/or a volé en éclat. La valeur du dollar ne repose depuis que sur lui même.
La fin de l’étalon-or
De nombreux penseurs de l’économie, comme Philippe Simonnot continuent à soutenir que l’argent non garanti par l’or ou par une autre contrepartie n’a pas de valeur et qu’il s’agit d’un système voué à s’effondrer. Sans l’or, la monnaie perdrait sa valeur intrinsèque et ne vaudrait plus rien. Sans l’or, il n’y aurait plus de limite à l’inflation, aux dépenses des gouvernements, et la ruine des peuples serait inéluctable.
Disons-le tout de suite, nous ne partageons pas du tout cette thèse, dont l’histoire récente nous a largement montré la fausseté. Le dollar ne s’est pas effondré avec la fin de l’étalon-or. Et pour cause. La valeur de la monnaie réside tout à fait ailleurs que dans sa conversion en or. Qu’est-ce en effet qui garantit la valeur de l’or lui-même? Rien d’autre que les lois du marché, offre et demande d’or. Sous le régime de la conversion, les gouvernements devaient à la fois stocker des quantités d’or faramineuses, mais en plus passer leur temps à en acheter et à en vendre, pour maintenir les parités cibles qu’ils s’étaient fixées. La conversion en or n’a d’ailleurs par protégée des dévaluations en tout genre. Ni même de l’inflation. Si la parité entre la monnaie et l’or avait due rester constante quand l’économie croissait, la seule manière de créer de la monnaie était d’augmenter les réserves d’or. Comment faire? Il fallait soit en récupérer auprès des nations étrangères, via le commerce international (ce que les mercantilistes défendaient), soit produire de l’or nouveau, en extraire plus des entrailles de la terre. Les ruées vers l’or, comme la célèbre Gold rush californienne de 1848, ont rendu soudain les Etats-Unis beaucoup plus riche. Tant mieux pour tous les chercheurs d’or! Mais en y regardant d’un peu plus près, ont peut se demander quelles valeurs nouvelles ils avaient apportées. De nouveaux produits? Une découverte scientifique majeure? Une oeuvre d’art dont la beauté et la réussite lui promettait une gloire universelle? Une valeur morale décisive dans l’édification d’une humanité plus juste? Rien de tout cela évidemment. Juste la capacité à creuser le sol et extraire un métal à la valeur sans égale, la réalisation, très différée de la promesse des Cités d’or du nouveau monde, et le sentiment pour toute une nation, d’être bénie des dieux lui ayant apporté autant de signes réels et tangibles de son élection.
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Il y a encore plus. Keynes nous met sur la voie (Sur la monnaie et l’économie, chp IX, Perspectives économiques pour nos petits enfants), sans avoir le recul que nous avons désormais. Le système monétaire basé sur l’or correspondait à un monde pré-capitaliste d’où l’innovation technique était quasiment absente. Pas ou peu de progrès technique allié à l’interdiction de la spéculation et donc de la rémunération de l’emprunt. Il n’en fallait pas plus pour bloquer toute la société. Les grands à coups sont venus des découvertes minières, comme l’afflux d’or venant d’Amérique après la découverte du continent, qui correspond pour Keynes à la première étape de « l’accumulation primitive du capital » permettant de financer un tout nouveau commerce avec le nouveau monde. Il vient également de la guerre, quand l’Angleterre se refinança grâce aux fabuleux butins des corsaires du Golden Hind, dirigé par le capitaine Drake. Il permit à la Couronne de payer toutes ses dettes et finalement d’investir dans la Compagnie des Indes. L’or a été le soubassement de la première colonisation. Mais c’est le développement du système bancaire et de l’étalon-or allié et concomitant du développement technique, qui permet la première Révolution industrielle.

D’où vient la valeur d’une monnaie?
La valeur d’une monnaie nationale ou transnationale, ne correspond en rien à la contrepartie en or détenue par l’émetteur. La monnaie est en fait la contrepartie économique de la totalité des biens services et de tous les autres éléments de puissance de la zone correspondante. Ainsi pour un pays africain dont l’économie est dépendante du pétrole, comme l’Algérie, la valeur de la monnaie dépend-elle presque entièrement de la valeur du baril de pétrole. Au contraire, pour un pays comme les Etats-Unis, fort de leur armée, de la résilience jamais mise en défaut de leur peuple, des multiples moteurs de leur économie, culturelle avec Hollywood, financière avec Wall Street, pétrolière avec le gaz de schiste, industrielle avec son innovation permanente, la course à l’espace, sa domination hight tech, et la domination de leur monnaie dans les échanges mondiaux, et notamment du pétrole, possèdent une monnaie dont la valeur est quasiment illimitée. « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème », déclare Nixon, alors Secrétaire d’Etat au trésor en 1971.
Entre la valeur d’une monnaie, la valeur des autres monnaies et les valeurs des autres biens et services, les ajustements sont constants. C’est justement le rôle des marchés financiers que de réaliser, toutes les secondes, le maximum d’ajustements de valeurs possibles. Le marché monétaire, celui qui concerne uniquement l’échange des devises, est de très loin le plus grand marché financier au monde. Au sens large, tout est monnaie, tout est échange de monnaie.
Si l’on nous permet cette comparaison, il en est d’une certaine manière de la monnaie comme de l’art chez Hegel: plus le temps passe, plus la monnaie devient abstraite. La création des monnaies virtuelles, comme le Bitcoin, n’est que la dernière étape de cette virtualisation qui a commencé avec l’éloignement de l’or physique. Le développement du Bitcoin est une réplique numérique des ruées vers l’or. A proprement parler, il s’agit plus d’un produit financier que d’autre chose. Il tire sa valeur de son abstraction et de sa digitalisation. Il met en relief cependant la capacité à faire de tout une monnaie ou valeur. Hyper abstrait le Bitcoin, rattaché à aucune valeur précisément, le bitcoin ne peut que souffrir d’une volatilité incroyable, et servir de monnaie à toutes les activités illégales. L’or, quoiqu’il en soit, a largement perdu son rôle valeur de refuge. L’art, les pièces de collections, les bouteilles de vin, et même les paires de Nike et les boîtes de Lego sont devenus des valeurs refuges plus ou moins puissantes.
Cependant, pour que lee système monétaire continue à tenir la route, il faut maintenir un équilibre entre la masse monétaire – la somme de toute la monnaie en circulation – et la masse de tous les biens disponibles. C’est la question de l’inflation et de la déflation.

Création monétaire, inflation, déflation, une expérience de pensée
Pourquoi et comment crée-t-on de la monnaie? Pourquoi dit-on que l’inflation et la déflation sont toutes les deux mauvaises pour l’économie? Une simple image permet de répondre tout simplement à ces questions. Imaginons un pays possédant une masse donnée d’argent en circulation, par exemple 1000 €, et que cette quantité de monnaie ne puisse absolument pas varier. A l’intérieur de ce pays, tout le monde vaque à ses occupations, qui sont elles-mêmes constantes. Imaginons tout à coup qu’un habitant supplémentaire arrive, ou qu’un habitant lance une nouvelle activité, même très simple, comme donner des cours de mathématiques, ou encore qu’un commerçant fasse entrer un nouveau produit de l’extérieur. Tout à coup, la masse de produits disponibles sur le marché s’en trouve augmentée. Mais comme nous l’avons dit, la masse monétaire elle, ne change pas. Quel est le résultat? Il est tout simple, le prix nominal de toutes les marchandises, ou de certaines d’entre elles, va baisser pour laisser une place au nouveau produit. Si l’on continue à introduire ainsi de nouveaux produits, la valeur nominale de chacun des produits entrant en concurrence avec les nouveaux produits va continuer à baisser. La monnaie sera de plus en plus forte, au sens où la même quantité de monnaie permettra d’acheter de plus en plus de biens.
Ce système peut paraître absurde. Il est en effet complètement contraint par une quantité de monnaie qui reste désespérément fixe. Il constitute pourtant le modèle même de la monnaie-or, et dans une moindre mesure de l’étalon-or. Il fallait sans doute, aux premiers âges de l’échange, donner une contre partie réelle et tangible lors d’un achat. Plus tard, il fallait de même une sureté réelle lors des échanges internationaux entre les différentes nations. Mais dans ces systèmes, l’expansion économique est totalement freinée par la quantité de monnaie existante. La seule manière de créer de l’expansion économique, de financer de nouvelles activités économique, est de trouver plus d’or. Il n’y a pas 36 manières de le faire. Soit on ouvre de nouvelles mines. Soit on faire rentrer des devises par le commerce extérieur – ce pourquoi la balance commerciale était vue d’une manière totalement différente par les anciens économistes. Soit enfin, on fait la guerre ou on vol de l’or aux autres. Rappelons que même après la première guerre mondiale, les Réparations exigées par la France à l’Allemagne sont calculées sur une base or.
Dans le monde réel, et dans notre monde moderne, de nouvelles activités sont crées tous les jours et d’anciennes disparaissent également. Pour que le pouvoir d’achat de la monnaie reste constant, il faudrait être capable de créer exactement la quantité de monnaie correspondant à l’écart net entre la destruction et la création de nouvelles activités. Ainsi, personne ne se trouve lésé de la création de nouvelles activités. La croissance de l’activité et la croissance de la masse monétaire iraient parfaitement de concert.
Evidemment, la réalité est loin de suivre ce schéma idéal. C’est ainsi que l’économie devient souvent malade. Elle peut être prise soit d’un excès de monnaie par rapport aux biens, et c’est l’inflation, soit à l’inverse d’un défaut de monnaie par rapport à l’offre de biens disponible est c’est la déflation. Tout l’enjeu de la création monétaire et dans notre système moderne, du rôle des banques centrales, est de maintenir la bonne quantité de monnaie en circulation par rapport à l’activité. La monnaie est comme le sang ou l’oxygène qui alimente le corps, les muscles et les organes. Si le sang, l’oxygène et ses composants sont en trop grandes quantités, le corps s’emballe. A l’inverse, s’il n’y en a pas suffisamment, le corps s’effondre et l’activité devient impossible.
Le rôle du système bancaire
Pour maintenir l’efficacité du système, les banques centrales ont deux outils principaux, ceux que l’on appelle les outils « conventionnels », par opposition au rachat de dette ou à la planche à billets que l’on appelle du doux euphémisme « d’outils non conventionnels » : la dette et le taux d’intérêt.

Intéressons-nous au premier moyen, celui de la création de monnaie. On glose à l’infini, surtout en France, sur la nocivité d’un système de création monétaire confié aux banques, plutôt que de réfléchir au système lui-même. Pour évacuer rapidement cette question, qui mériterait un article à part, rappelons que lors de la privatisation de l’émission de la dette en France, la banque de France, pas plus que le gouvernement français, n’avait la moindre dette. Au contraire la privatisation d’une partie du système a soutenu à la fois le système économique, mais aussi « permis » à l’Etat de ne pas avoir un seul budget à l’équilibre depuis 1974, et ainsi de financer à n’en plus finir les déficits en tout genre et notamment les déficits sociaux. La responsabilité est celle de l’Etat, pas du marché. Mais revenons à l’essentiel.
Nous voyons qu’un système monétaire sain nécessite d’avoir une expansion ou une rétraction monétaire qui corresponde à l’augmentation ou à la diminution de l’activité économique. Le principal outil pour réaliser cette objectif est l’émission et la destruction de dette, qui n’est rien d’autre que la création et la destruction moderne de monnaie. La dette classique, la dette d’entreprise, repose sur deux principes, l’un économique, l’autre formel. Le principe économique est simple: quand un entrepreneur développe une activité, il a besoin d’argent pour se lancer. Il s’agit de financier les investissements nécessaires à la création de son nouveau produit. Il s’agit bien de créer l’argent correspondant à la nouvelle activité et ainsi de maintenir l’équilibre entre monnaie et activité. Après analyse de son projet, et en fonction de ses ressources, la banque va lui accorder un prêt.
Pour créer l’argent correspondant au prêt demandé, la banque ne va pas uniquement se baser sur le projet de l’entrepreneur. Elle va aussi s’appuyer sur ses ressources bancaires, qui déterminent en partie le montant des prêts qu’elle a le droit d’émettre. On ne peut pas simplement dire, comme on l’entend souvent, que la banque va créer de l’argent ex-nihilo. Cette quantité de dette qu’une banque peut émettre fait l’objet d’un calcul reposant en partie sur les fameux ratios prudentiels de solvabilité bancaire qui font l’objet des accords de Bâle (Bâle 2, Bâle 3, précédemment ratios de Cooke). Quant une banque crée de la dette, elle enregistre une dette pour 100 à son actif, ce qui signifie que le client lui doit 100 et elle écrit une dette de 100 à son passif, ce qui représente l’argent qu’elle doit à son client. Une fois l’argent versé au client, le compte de dette de la banque est ramené à 0. A l’inverse, quand un client rembourse la banque, la dette qu’il avait contractée disparaît. La création est donc temporaire.
Mais la situation ne s’arrête pas là. La capacité d’une banque à prêter n’est pas infinie. La réglementation, autant que le bon sens, lui impose certaines limites. Une banque universelle reçoit un certains nombres de dépôts de la part de ses clients. Dans son bilan ces dépôts sont des dettes, de l’argent que la banque doit restituer à ses clients s’il les demandaient. Evidemment, quand tout va bien, tous les clients ne demandent pas 100% des remboursements en même temps, sans quoi la banque ferait immédiatement faillite. Or tous ces dépôts constituent un fantastique trésor, que la banque peut utiliser pour prêter de l’argent à ceux qui en ont besoin pour développer leurs nouvelles activités. C’est là qu’ interviennent les ratios prudentiels. Ils donnent, en fonction de chaque type de dépôts, les pourcentages que la banque doit conserver en réverse pour faire face aux éventuelles demandes de remboursements et de retraits. Plus le dépôt est risqué, plus le pourcentage à conserver est important. Le reliquat peut être prêté aux clients. La création monétaire n’est pas en théorie illimité. Elle dépend de la taille du bilan d’une banque. Ce n’est pas le seul outil. L’autre outil, comme nous l’avons vu, est le taux d’intérêt, qui augmente ou diminue le prix de l’argent attractif ou dissuasif. Quand les taux montent, les clients se font plus rare, et la banque ne crée par de monnaie. Elle se contente de recevoir ses remboursements, donc de détruire de la monnaie, et son bilan diminue.
Cependant, Keynes a montré que la création monétaire réalisée par une banque qui émet une dette ne se limite pas à cette dette. En effet, le client qui reçoit la dette ne va pas l’utiliser directement en totalité. Il va au contraire la déposer sur un compte en banque, le plus souvent de la même banque. Et ce faisant, il va augmenter à nouveau la capacité de la banque à accorder de nouveaux emprunts. C’est ce que Keynes appelle « l’effet démultiplicateur du crédit ». Imaginons que l’entrepreneur emprunte 100K€ à ma banque. Il met ces 100k€ en dépôt. Et suivant les ratios prudentiels et le type de dépôts, la banque aura le droit de prêter à nouveau 90k€, en estimant que le ratio oblige la banque à conserver 10% sur ce type de ligne de crédit. La banque prête à nouveau les 90k€, qui atterrissent sur un nouveau compte, et constitue ainsi une nouvelle capacité de création monétaire de 81k€… et ainsi jusqu’à atteindre le montant nominal minimum de ligne de prêt qu’accorde la banque (en réalité nous n’aurons donc pas une création égale à la dette initiale divisé par le ratio de solvabilité, selon la formule des suites convergentes, sans quoi une dette initiale de 100 donne une création monétaire de 100/0,1 à savoir 1000).
Notre exemple est ridiculement petit, pour capter le mécanisme. Maintenant imaginer la vague de crédit qui est initiée lorsque c’est la banque centrale américaine lancer un programme de 1000 milliards de dollars, comme elle a pu le faire pendant la crise des subprimes, et prête ses montants aux banques commerciales. Si le ratio moyen est de 5%, comme il peut être pour une dette aussi sûre qu’une dette d’Etat, la somme initiale sera multipliée par 20 (1 000 milliards / 5%) quand elle aura fait le tour du marché, soit 20 000 milliards de dollars de création monétaire… de quoi inonder la planète entière!
Comment une telle masse de création monétaire n’a-t-elle pas entraîner une inflation galopante? C’est ce que l’on entend parfois désigné comme le problème de l’arrivée de l’argent de la planche à billets dans l’économie réelle. Notons d’abord qu’il s’agit d’une situation de crise, où de la valeur monétaire est détruite en permanence. Une grande partie de la somme vient compenser ces pertes et permettre à l’économie de ne pas s’effondrer. Mais il y a quantité d’autres chemins pour limiter l’inflation, le premier étant pour les banques de ne pas diriger tout cet argent vers le financement de l’industrie ou des entreprises classiques. Suivant leur politique de diversification des risques, cet argent va se retrouver partout. Une partie sera convertie de dollars en autres monnaies, une autre servira à financer des instruments financiers utilisés sur les marchés, contribuant à la hausse des actions; une autre ira au crédit immobilier, machine qu’il faut bien relancer; une autre enfin partira dans les fonds d’investissement de la banque et servira à investir soit aux Etats-Unis, soit à l’étranger en rachetant quelques belles entreprises européennes, dont les dividendes finiront par revenir au Delaware. C’est arrivé, et ce qui fût d’autant plus facile que l’Europe faisait encore preuve à l’époque d’une naïveté monétaire à tout épreuve. Ajouter enfin à cela les gains de productivité massifs de l’économie numérique, et vous évitez une inflation galopante. Nous sommes d’ailleurs toujours dans ce schéma après la crise du Covid.
La création monétaire n’est donc pas totalement discrétionnaire et au pouvoir des banques. Nous avons déjà vu les principaux moyens de contrôle:
- La banque ne délivre le prêt qu’après étude du dossier. Si elle prêtait à tout va à des clients non solvables, elle ne récupèrerait jamais son argent et ferait faillite. A l’inverse, meilleure est la qualité de ses clients, plus elle pourra croitre rapidement.
- La création de monnaie que peut réaliser une banque n’est pas illimité, elle est contrôlée par des ratios de fonds propres qui doivent permettre aux banques de faire face à certaines pertes dus aux clients non solvables, et à faire face à des retraits de la part des clients.
- La création monétaire est encore contrôlée par les taux d’intérêt, qui sont imposées par les banques centrales, et rendent l’argent plus ou moins cher. Quand les taux d’intérêts augmentent, les clients se raréfient. Pendant ce temps, les prêts continuent d’être remboursés et la masse monétaire diminue. Notons que la fixation du taux d’intérêt dépend en grande partie du taux d’inflation. L’inflation est mesurée par les instituts de statistiques, des organes indépendants, et reposent sur l’étude des prix d’un panier de produit de consommation courante.
Pour être complet, mentionnons qu’après la crise des Subprimes, les autorités financières ont ajouté aux ratios de liquidité, des obligations de renforcement des fonds propres. Lors du passage aux normes comptable IFRS, les banques s’étaient en effet vues refuser toutes provisions non justifiées par un risque concret. Les FRBG, Fonds pour Risques Bancaires Généraux, ont été supprimés. Après la crise, on les a donc recrées en imposant une plus grande surface de capitaux propres. Ces règles prudentielles n’étant pas les mêmes en Europe et aux Etats Unis, entraînent une forme de distorsion de la concurrence entre les établissements financiers des deux côtés de l’Atlantique).
Les bulles financières
Il y a bien des biais et des imperfections dans ce système. Il y a notamment deux dégâts collatéraux absolument dramatiques de notre point de vue, mais qui laissent les autorités en grande partie indifférentes. Le premier est la constitution de bulles sur les marché actions et immobiliers, deux marchés qui font l’objet de traitements différenciés et qui échappent, eux, aux calculs basés sur l’inflation, au grand profit des propriétaires d’actions et de biens immobiliers.
Encore plus grave, une concentration du capital sans précédent depuis le XIXème siècle a eu lieu depuis la crise des Subprimes. Les plus riches lèvent plus facilement de la dette en temps de crise, alors que la plupart des autres ne peuvent absolument plus rien lever et se font racheter. Les crises profitent aux plus riches.
Les autorités ont choisi d’exclure les prix de l’immobilier et des actions des calculs de l’inflation, ce qui permet de continuer à y faire monter les prix sans se poser de question. Il en est de même du prix des actions, cotés ou non cotés d’ailleurs. Même s’il est normal d’avoir des traitements en partie différencié pour des activités aux cycles et enjeux différents, il faudrait au moins avoir un indicateur complémentaire incluant tous les prix pour mesurer réellement l’inflation.

L’épargne
C’est encore le mérite de Keynes d’avoir mis en évidence le rôle perturbateur de l’épargne dans la recherche de l’équilibre monétaire. En effet, jusqu’ici, nous avons réfléchi sur la situation parfaite dans laquelle tout l’argent circulait, et nous avons principalement mis l’accent sur la dette et non sur le capital. Mais il est une autre forme de l’argent et de la monnaie, celle qui n’est pas dépensée ni investie, c’est l’épargne. On voit très vite que si tout le monde gardait son argent chez lui, toute cette masse monétaire serait bloquée et comme sortie du système. C’est comme si cet argent n’existait plus. L’épargne a un impact déflationniste. Il faudrait en permanence compenser la perte en épargne par une nouvelle création de monnaie, ce qui a mécaniquement un effet inflationniste. C’est pourquoi les gouvernements et les banquiers font tout pour nous inciter à ne pas laisser nos économies sur nos compte courants, des comptes à vues sur lesquels nous pouvons récupérer 100% de l’encours n’importe quand, et nous incite au contraire à placer sur des livrets A, des fonds d’assurance vie ou tout autre type de fonds. D’où également les différentes tentatives des gouvernements pour orienter l’épargne directement vers l’investissement dans les entreprises.
Les Krachs financiers et banques systémiques
Les krachs ne sont pas tous identiques. Le krach des subprimes de 2007 n’est pas comparable au crachs des valeurs internet de 2001. Tout dépend de la corrélation entre la chute brutale des valeurs boursières et le montant des dettes réelles qui ne sera pas remboursée.
Le krach des subprimes
En 2007, ce sont les montants faramineux des dettes subprimes inscrit dans les bilans des banques qui ont entraînés le krach. Les clients étaient incapables de rembourser. Tout un peuple s’était lancé dans la spéculation immobilière. Les règles qui étaient supposées prévaloir lors de la délivrance des prêts avaient été abandonnées, sous la direction du gouvernement Clinton. Que les titres aient été titrisés ou pas ne changeait finalement pas grand chose, car la masse des prêts hypothécaires étaient devenus trop importante par rapport à tous les autres types de prêts. Quand les clients commencèrent à cesser de payer, les banques durent déprécier les créances. Leur capacité à prêter en fut automatiquement réduite. La récession s’installe.
Les banques sont en liens quotidiens les unes avec les autres. Tous les comptes des particuliers et des entreprises sont dans des établissements parfois différents. Quand une entreprise paie une autre entreprise pour ses services, il faut que l’argent passe d’une banque à une autre. Or si la banque payeuse n’a plus de quoi payer, la banque receveuse est elle-même en défaut. Imaginez maintenant une très grande banque ayant largement trop investie dans les subprimes et se retrouvant ruinées par leur faillit? Elle serait incapable, dans de très large mesure, de payer ses autres partenaires bancaires dans leurs échanges quotidiens et leur règlements mensuels. C’est ainsi que la crise se propage. C’est ainsi que la décision de laisser Lehman Brothers faire faillite s’est révélée complètement improductive. L’établissement était tellement lié à tous les autres établissements bancaires que le laisser faire faillite, c’était provoquer une casque de faillite. Le multiplicateur du crédit joue à l’envers dans les krachs, mais il se referme beaucoup plus vite qu’il n’a été monté.
Une autre manière de considérer le problème des krachs est de considérer la différence entre les flux et les stocks. Lors de la création de dette, une banque crée un stock important d’un seul coup, qui sera ensuite uniquement remboursé en flux sur plusieurs années. Mais si le remboursement doit être fait d’un seul coup, le flux ne sera jamais suffisant. De la même manière, les ratios prudentiels correspondent peu ou prou aux flux de décaissement auxquelles une banque doit faire face en temps normal et en temps légèrement difficile. Mais lors d’un krach, c’est la réalité et la quantité des stocks qui entrent en piste, notamment via les dépréciations d’actifs, les prêts consentis aux clients dont la valeur est ramenée à 0.
Que faut-il faire? Il n’y a qu’une seule solution. L’Etat doit se substituer aux flux défaillants. On se plaindra pour mille et une raisons de se rôle. Mais il faut le voir comme celui d’une assurance universelle. L’intervention peut prendre plusieurs formes, notamment celles de prêts spéciaux ou d’une recapitalisation, permettant de reconstituer les stocks de la banque défaillante le plus rapidement possible, et d’empêcher le système bancaire d’être contaminé par la faillite d’un de ses membres. La question de la responsabilité des dirigeants relèvent de la justice, et ce sont des loi spécifiques qui doivent les amener devant les tribunaux.
Le krach internet de 2001
En 2001, le krach boursier des valeurs internet n’a pas eu autant d’effets négatifs. C’est que la proportion des dettes liées aux sociétés de la nouvelle économie n’étaient pas encore si importante relativement à la totalité des emprunts.
Les mauvais résultats des sociétés du secteur, très loin des résultats envisagées, ont provoqué une vente massive de titres. Or les titres sont en parties acquis pas de la dette, ce qui rendit les remboursements difficiles. Les sociétés du secteur étaient également endettées et peu ou pas toutes capables de payer leurs dettes. Et c’est ainsi, de dette en dette, que la chute d’un secteur entraîne tous les autres, par la contagion des dépôts.
Dès qu’un fonds fait faillite, c’est tout le système bancaire qui est est impacté. Il est très difficile de rester éloigné de tous les risques. Ce pourquoi, là encore, les gouvernements interviennent généralement assez vite pour rétablir ou compenser la situation.
La circulation monétaire
La monnaie n’a désormais quasiment plus aucun secret. Continuant l’analogie de la monnaie et du sang, nous proposons de conclure sur la question de la circulation monétaire. Quand le sang circule mal, c’est tout le corps qui en souffre. Le but de l’exercice physique est d’ailleurs principalement de maintenir ou d’augmenter cette circulation, en musclant le cœur et in favorisant la circulation du sang dans les organes.
Il en est de même pour la monnaie. Plus la circulation est rapide, plus le système est en bonne santé. Que la circulation vienne à être freinée en un seul point, et c’est tout le système qui risque l’embolie. Au niveau des banques, c’est ce que l’on appelle désormais le risque systémique. Au niveau des entreprises c’est le problème de la rotation du stock de capital et des délais de paiement.
Le risque systémique est devenu tristement célèbre avec la faillit de Lehman Borthers, point de départ de la crise des Subprimes. Lehman ne pouvait plus régler ses dettes quotidiennes auprès des autres banques. Comment est-ce possible? Tout simplement parce que la banque n’a plus d’argent à envoyer aux autres banques pour régler les transactions émises par ses clients auprès d’autres banques. Il suffit pour cela que l’argent ne rentre plus, parce que les créances propres de la banque ou de ses clients sont trop mauvaises, que quelques uns de ces fonds fassent faillite, que certains clients effectuent des retraits massifs. La circulation de cash est coupée. Les autres banques, qui ne sont pas si nombreuses sur le marché des méga-banques, ne peuvent pas absorber un tel manque de cash, et la faillite peut s’étendre. Il n’y a alors pas d’autre choix que de donner de l’argent aux banques, comme on donne une perfusion de sang à un malade en ayant trop perdu. On le fait en les recapitalisant, ou en leur rachetant à bon prix une partie de leur mauvaise créances. Les deux méthodes permettent d’éviter le défaut de paiement et la contagion du mal.
Vu sous l’angle positif cette fois, la vitesse de la circulation monétaire est un élément clé de la rentabilité des entreprises. Un exemple concret donne une bonne idée de la problématique, bien connu des spécialistes de la distribution. Un commerçant a en générale le choix d’acheter sa marchandise soit chez un grossiste, soit directement chez le producteur. Quand on lance une activité, très souvent, on commence par acheter chez un grossiste, parce qu’on n’a pas les moyens de passer des commandes minimum demandées par le constructeur ou l’industriel. Le grossiste vend un produit fini, immédiatement disponible et souvent dans la même monnaie que le distributeur. Et cela simplifie énormément les choses. Imaginez que vous ayez 100k€ pour développer votre activité. Vous achetez chez un grossiste. La marchandise est disponible tout de suite. Et vous la revendez très rapidement. Vous récupérez entre environ 107k€, la marge dite de trading ( achat revente) étant toujours plus faible que la marge usine. Mais vous pouvez récupérer votre mise et la marge très rapidement, dans le même mois parfois . Ainsi vous pouvez réinvestir 107k€ et récupérer environ 115k€ à la fin du second mois. Si vous réalisez la même opération pendant 6 mois d’affilée, vous allez faire tourner votre capital 6 fois, avec une légère augmentation à chaque fois, réalisant une marge d’environ 50k€, soit 50% par rapport à votre marge initiale! Vous avez alors une superbe rentabilité en terme de cash quand bien même votre marge unitaire resterait faible. (C’est le modèle du drop shipping).
Si vous voulez maintenant augmenter vos marges, parce que votre business a commencé à grossir, il faut vous débarrasser de l’intermédiaire et acheter directement au fabricant. Que se passe-t-il? Là où le distributeur pouvait à la limite n’être payé que lors de la vente réalisée à votre niveau, le fabricant va demander une avance de BFR pour lancer la fabrication. Et vous entrez dans un cycle de financement tout différent, surtout quand vous allez acheter en Chine, avec un délai de production de 3 à 6mois. Pendant ce temps, votre cash est immobilisé, et il ne tourne pas comme avant. Votre rentabilité en % de marge va augmenter, mais pour que votre CA augment, il va falloir investir massivement en cash pour obtenir le même résultat qu’auparavant. Si nous restons sur un même délai de 6 mois, il va falloir cette fois investir 600k€ pour obtenir une marge sur achat de 40%, soit 240k€, à la place des 50k€ du modèle précédant. Une partie de votre marge cependant partira chez le banquiers qui fournira ce cash.
Dans le même ordre d’idée, l’allongement des délais de paiement, comme nous pouvons les connaître en France, en réduisant la vitesse de circulation du cash, coûte littéralement une fortune parce qu’ils brident la rentabilité du cash. Pour y pallier, les banquiers fournissent tout un tas d’outils, comme le factoring (cession des créances clients) et le reverse factoring (côté fournisseur) qui n’ont finalement pas tellement d’autres raisons d’être que de nourrir les banques. Il suffirait en effet de réduire le délai de paiement légal pour que ce problème disparaisse. Vous l’aurez compris, nous sommes fervent partisans de la réduction des délais de paiement. De la même manière, on attaque Amazon qui nuirait au petit commerce. Mais le modèle d’Amazon est construit sur la vitesse de vente et de livraison dans un boutique mondiale ouverte 24/24, 7/7. S’il est évident qu’Amazon est un concurrent extrêmement rude, il fournit aussi un mécanisme de rotation du cash, d’accélération des transactions qui est extrêmement bénéfique à l’économie dans son ensemble.
Georges Soros et l’irrationalité des marchés
Comment finir cet article sans parler de l’immense Georges Soros, aussi brillant que controversé ? Soros est sans conteste le plus grand financier du XXème siècle, si ce n’est de tous les temps. Son secret? Il ne l’a jamais vraiment dévoilé, malgré tous les ouvrages qu’il a écrits. Son secret ne peut reposer que sur une maîtrise parfaite des marchés, appuyée sur une compréhension apparemment infaillible des systèmes monétaires et doublée d’une qualité d’exécution sans faille.

La stratégie d’investissement de Soros est dite « macro-globale », et il serait l’un des seuls à utiliser ce type de stratégie, permettant de jouer sur tous les tableaux de la bourse. Le monde dans lequel il évoluait semble cependant définitivement disparu depuis les subprimes et maintenant quasiment 15 ans de planche à billets sans discontinuer et quasiment sans krach financier. Soros a fait son premier grand coup lors de la faillite des prêts immobiliers américains des années 80, puis sur la bulle des fusions-acquisitions. Il ne s’est plus arrêté, battant la banque d’Angleterre et empochant 1 milliard en quelques jours. On ne compte plus ses « coups », qui sont tellement impressionnants que l’on se demande parfois s’ils n’entrent pas dans une stratégie délibérée des autorités américaines pour affaiblir les banques centrales et les monnaies de certains pays (attaque contre la Turquie, l’Inde, l’Indonésie)… On le critique beaucoup, avec parfois un fonds d’antisémitisme pointant le juif apatride ruinant des nations entières… Mais il est clair que son génie repose surtout sur sa capacité à lier un déséquilibre monétaire et un déséquilibre économique sous-jacent, que ce soit sur un secteur ou sur un pays tout entier. Soros a beaucoup bénéficié de la nullité des banquiers centraux qui ont longtemps cru qu’il suffisait de vendre leurs réserves pour acheter leur propre monnaie et la faire ainsi remonter… quand bien même leur économie réelle était en train de s’effondrer et que lui-même était capable de mobiliser plus de ressources que ces banques elles-mêmes.
A y regarder de plus prêt, la complexité du système monétaire international, que nous n’avons fait qu’effleurer, et l’incapacité des banques centrales à vraiment maîtriser le système sans créer de bulles, la propension des banquiers à prendre toujours plus de risques en inventant sans cesse de nouveaux produits purement financiers sans aucun respect des règles prudentielles si difficilement négociées et sans respect des principes comptables, comme avec les CDS qui ne sont pas compensées… On ne peut en conclure qu’une chose: la stratégie macro-globale a un bel avenir devant elle!
Annexe
Le monde a publié un excellent article sur le Bitcoin.
Comme nous l’avons vu, le principal problème de notre système monétaire est, justement, qu’il ne crée pas de monnaie, ou juste de manière dérisoire. Il ne fait principalement que créer de la dette. Les dettes précédentes sont remboursées par les dettes précédentes, toujours plus importantes. Le système monétaire est devenue une gigantesque pyramide.
Pour réguler le système il faut créer de la monnaie, de la vraie monnaie et pas uniquement de la dette. C’est l’angle mort de la situation actuelle. Or le bitcoin est une création de monnaie. Il pourrait tout à fait remplir ce rôle. On peut même dire qu’il devrait le faire. Hélas, il n’en est pas du tout ainsi. Le premier problème du bitcoin est sa création continue. Sa croissance n’a rien de proportionnelle avec l’activité économique. Son second problème, bien expliqué par l’article, est qu’il n’est pas intégré au système économique, ou très peu. Le bitcoin reste à part. Il ne s’échange que de manière limitée, contre de la monnaie essentiellement,, et désormais contre quelques biens. Il ne sert pas de monnaie de réserve aux banques. Il n’est pas transmissible, ni garantie dans ses échanges. Ainsi le Bitcoin ne sert pas à augmenter la masse monétaire. Il est essentiellement un produit de spéculation. Pire nous disent les auteurs, il « capture » une partie de l’argent du système monétaire qui est investi en bitcoin et pas en autre chose. C’est un réservoir d’argent qui est sorti du système. Pour devenir une véritable monnaie, le bitcoin ne devrait pas être échangé contre une autre monnaie, mais directement injecté dans les banques, sans échange, pour financer l’activité économique.