Lettre à mon fils pour sa profession de foi

Il est de coutume, pour préparer la confirmation, que les parents écrivent à chacun de leur enfant, une lettre détaillant les motifs les ayants conduit à vouloir leur baptême. Les prêtres organisant le voyage à Rome, nous ont rappelé cette coutume, et je c’est ainsi que je profite de l’occasion pour te rappeler ces motivations, qui ne t’ont d’ailleurs jamais été cachées.

Il s’agissait avant tout pour moi de te donner accès à ce que je n’ai jamais connu, faire partie d’une communauté de croyance et de traditions dans laquelle tu pourras retrouver ta famille, du côté de ta mère, et de nombreuses autres personnes. Il est facile, et assez commun, de faire l’esprit fort, de se clamer indépendant, au-delà ou au-dessus des croyances populaires et religieuses. On les perçoit volontiers, surtout lorsque l’on est comme toi, à l’âge où la raison s’éveille, comme un archaïsme du passé, une vaine superstition et un lien inutile avec les autres. Mais comme tu le sais, j’ai moi-même suivi, sans pour autant vraiment le choisir, ce chemin. Je sais comme il est âpre et solitaire, loin de l’organisation commune du monde. Rares sont ceux qui n’appartiennent à aucun groupe, à aucune communauté. Plus rares encore ceux qui participent à plusieurs groupes. Cela reste le meilleur moyen de n’être vraiment engagé nulle part. Les expériences communes et partagées rapprochent, créent des liens, tissent des solidarités.

Une autre des objections communes que l’on fait au baptême, et à la participation des enfants aux rites religieux en général, est de souligner que ce baptême, ou ces cérémonies, sont imposées aux enfants, sans leur consentement. Ils n’ont pas leur mot à dire. Ils ne réalisent pas ces actions de leur propre chef, de sorte que les forcer ainsi à participer serait une forme de violence éducative. Ce n’est pas complètement faux. Mais le choix inverse, qui consiste à laisser les enfants choisir, les conduit la plupart du temps à ne pas participer aux rites. Ce n’est donc pas véritablement un choix, ou tout au plus un choix par défaut. L’âge auxquels on leur propose de décider est trop jeune. Les enjeux sont trop complexes pour un enfant ou un adolescent. C’est aussi à la communauté de vous embarquer avec elle, de vous accueillir en son sein, de vous confirmer comme l’un de ses membres. Choisit-on sa famille, l’heure de sa naissance, son pays? Est-il si simple de croire qu’il faudrait choisir sa religion, alors que nous naissons dans une famille qui est la très grande majorité du temps déjà inscrite dans une religion ?

Avoir l’expérience des rites, des cérémonies auxquelles il faut participer, parfois se plier, pour faire partie d’un groupe est une composante importante de l’apprentissage de la vie sociale. En moins solennel, et ayant moins de sens, on trouve ce type de rites dans différents groupes, pour ne pas dire en tous. En entreprise, en association, dans les partis politiques, chez les francs-maçons, dans le sport, et dans ton collège actuel, avec son polo et ses lectures de notes. Ce sont autant de codes et d’expériences auxquels je n’ai pas ou peu été formés, mais que je vois universellement partagées par les autres. Elles nous apprennent que la vie en communauté est faite de règle, de rythme, et qu’il faut accepter et jouer avec elles pour progresser dans la construction d’un personnage social et de notre identité.

Cela encore n’était pas encore suffisant. Il s’agissait aussi de te mettre dans le chemin de la croyance en dieu. La croyance est à la fois de un phénomène intellectuel innée et le résultat d’un long cheminement de pensée. Trop souvent l’on pense que rester dans l’indécision sur la question de l’existence ou la non existence de dieu est un problème. On demande des preuves, qu’elles soient ontologique, cosmologique, ou physico-théologique. On veut être sûr. Mais c’est justement le sceau, la marque même de la croyance, que de demeurer dans l’incertitude. La croyance n’est pas du même ordre qu’une vérité mathématique. Elle n’est pas l’objet d’une démonstration complète et assurée. Sinon, elle ne serait plus une croyance, mais une certitude, une vérité ou une loi. Le rapport que nous pouvons avoir à Dieu ne prend pas que ce chemin. Il reste de l’ordre du questionnement. Il passe par la pensée et l’intelligence, mais aussi par l’imagination et les émotions. La compréhension de Dieu, l’interrogation sur son existence et les moyens d’accéder à sa connaissance, constitue pour chacun d’entre-nous un itinéraire spirituel qui nous accompagne dans tous les grands moments de notre vie. C’est le point central de nos interrogations sur le sens de la vie.

L’Evangile selon Saint Mathieu – Pasolini

Il s’agissait, enfin, de choisir une la religion. Notre nom est juif. J’ai été élevé dans la religion juive, même si je n’ai pas moi-même fait ma bar-mitzvah, donc la Confirmation est l’équivalent chrétien . Et comme de nombreux juifs avant moi, dont la famille a été écrasée par le poids des traditions, vivant dans une communauté soudée parfois jusqu’à l’étouffement, et marquée par le sentiment juif de la culpabilité, j’ai cherché dans la parole de Jésus, une cure, un remède, à la dureté de la religion de mon enfance. Jésus est peut-être le fils de Dieu. Mais ce qu’il est très certainement, c’est un juif venu apporter une paix nouvelle dans la religion judaïque. Il a rappelé aux hébreux l’importance de l’amour et son rôle d’équilibre par rapport à la loi. Même si en toute chose, l’excès est mauvais, et que même l’excès d’amour, ou d’abnégation, me paraît impossible, le respect dû aux autres, à tout le moins, s’inscrit plus facilement dans l’empathie et la pitié que l’on peut avoir envers les autres, que le seul respect envers la loi, qui peut, surtout quand elle est imposée de l’extérieure, rapidement se transformer en tyrannie.

La France est un pays dont les racines sont et restent chrétiennes. Les communautés y sont bien plus organisées qu’on ne le dit parfois, et il est bon d’appartenir à un groupe. Cette tradition à ses grandeurs, et ses insignes bassesses, comme l’Edit de Nantes. Mais il est un fait que les meilleures écoles restent principalement catholiques et jésuites. Te permettre d’être chrétien, dans ce contexte, c’était te permettre d’accéder aux meilleures écoles, dans un moment de l’histoire où malheureusement, l’école laïque connaît un fort recul en terme de résultat.

« Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai chrétien. »74
CLOVIS (vers 466-511), invoquant le Dieu de sa femme chrétienne, bataille de Tolbiac, 496
Histoire des Francs
 (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours.

Cependant, et avant de conclure, il me paraît important de rappeler, à tout juif comme à tout chrétien, les liens qui les unissent. Jésus appartient à la tradition qu’il cherche à dépasser. Le christianisme est une continuité du judaïsme, une rénovation, un adoucissement. Les rites chrétiens sont une adaptation des rites juifs, qu’ils reprennent de mille manières. La seule chose peut-être, qui n’a pas été reprise, est la rigueur intellectuelle judaïque du questionnement des textes sacrés, qui est la base de toute la formation intellectuelle juive. De ce point de vue, j’ai toujours été assez consterné par la faiblesse argumentative de tes cours de catéchisme. Le texte sacré juif se double d’une exigence de compréhension complète de la divinité et de sa parole. Au contraire des autres religieux, le texte n’est pas seulement une autorité à laquelle il faut obéir. Il est une énigme qu’il s’agit de résoudre en utilisant tous les moyens à notre disposition. Cette tradition intellectuelle est largement supérieure à celle de l’Eglise, et il ne faut pas l’oublier. La grandeur intellectuel du catholicisme est chez ses philosophes, de Saint Augustin à Leibniz, puis Hegel. Mais chez les juifs, elle est en chaque rabbin, qui ne se privent d’ailleurs pas de reprendre sans les citer tous les arguments des philosophes.

Jean-Paul II, lors de son pontificat, a œuvré pour la paix et la réconciliation entre juifs et chrétiens. Il a prononcé le discours suivant le 17 novembre 1980

« Les chrétiens doivent se sentir frères de tous les hommes et se comporter en conséquence, mais cette obligation sacrée vaut encore plus quand ils se trouvent en face de ceux qui appartiennent au peuple juif ! Dans la « Déclaration sur les rapports de l’Eglise avec le judaïsme » du mois d’avril de cette année, les évêques de la République fédérale allemande ont débuté par cette affirmation : « Quiconque rencontre Jésus-Christ, rencontre le judaïsme. » Je voudrais aussi faire mienne cette parole. La foi de l’Eglise en Jésus-Christ, fils de David et fils d’Abraham (cf. Mt 1, 1), contient en effet ce que les évêques dans cette déclaration appellent « l’héritage spirituel d’Israël pour l’Eglise » (§ 11), un héritage vivant qui, chez nous chrétiens catholiques, est comprise et conservée dans sa profondeur et sa richesse. »

Jean-Paul II priant au Mur des lamentations

Hormis la très célèbre Profession de foi d’un Vicaire Savoyard, présentée au livre IV de l’Emile de Rousseau, son traité d’éducation, je n’ai pas trouvé dans la tradition intellectuelle beaucoup d’exemples de profession de foi. Pour te livrer le fond de ma pensée sur cet te questions, j’ai écrit un texte sur la signification exacte de la foi (La foi – De l’imagination) que tu pourras lire si un jour tu cherches des réponses à cette question. Pour tout ceci, et je l’espère pour ton bonheur et pour t’aider à construire ta vie, j’ai voulu que tu tu sois baptisé, et je suis très heureux que tu fasses ta profession de foi.

Ton père qui t’aime,

Emile et le vicaire

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