Le secret de l’éducation des enfants? L’amour, mais pas n’importe lequel!

Faut-il être stricte et inculquer une discipline qui permettra aux enfants de se sortir de toutes les situations? Faut-il être tendre, « bienveillant », et laisser l’enfant grandir par lui-même? L’amour que l’on donne est-il la clé de l’éducation? Ou bien faut-il faire tout cela en même temps? Telles sont les questions qui assaillent les parents depuis des générations. Tout le monde autour de nous, journalistes, auteurs de développement personnel, professeurs, voisins, autres parents, tous, semblent posséder ce secret qui nous pourtant nous échappe.

Pourtant personne ne nous donne ce secret de tous les secrets! On nous serine qu’il faut donner de l’amour. Il y aurait un devoir d’aimer, dont le chantre et rien moins que Jésus Christ lui-même. Mais c’est si c’était si simple, tout le monde saurait comment faire. Un enfant a certes besoin d’amour pour grandir. Mais pas directement. Pas uniquement. Alors quel est ce grand secret? De quoi les enfants, et sans doute une grande partie des adultes, ont-ils le plus besoin pour s’épanouïr?

Quel est notre besoin le plus fondamental?

Si le sujet est aussi difficile, c’est que nous sommes tous débordés par son enjeu. Tout parent est confronté à cette question. Quel est le point essentiel de l’éducation? Quel est la chose, le comportement à avoir pour construire la vie d’un être humain, de sa naissance à sa mort? A bien des égards, cette question nous dépasse. Le grand malentendu est justement cette thèse que nous envoie la société et l’entourage à jet continu: de croire qu’il faut et qu’il suffit « d’aimer les enfants ». L’essentiel, tout à l’inverse, est justement de les laisser nous aimer. L’amour donné par les parents est souvent mal donné et prétexte à un certain nombre d’excès, comme nous le verrons bientôt. Mais faire grandir son enfant dans un amour sain avec ses parents, voilà le roc dont nous avons tous besoin pour une vie d’équilibre.

La plupart des personnes souffrants de troubles affectifs, d’addictions, de dépression, ont toutes connues une rupture, une absence, un décès, un désaccord, des violences, ou tout autre forme de traumatisme ou de rejet dans leur vie affective. On croit généralement que la source de leur maux vient de cette absence d’amour donné par les parents. Ce n’est pas totalement inexacte. Comme nous le verrons, l’amour reçu et l’amour donné vont de paire. Mais ce qui caractérise le plus ces personnes, c’est leur tristesse de voir en permanence leur amour envers leurs parents rejeté de manière répété ou être impossible. C’est pour compenser qu’ils vont se lier à d’autres choses ou personnes, la plupart du temps toxique, pour tenter d’équilibrer cet amour qui n’a pas pu être donné correctement.

De quoi en effet, avons-nous le plus besoin? Qu’est-ce qui nous handicape le plus dans notre vie émotionnelle tout au long de notre vie? Ce n’est pas d’être ou d’avoir été aimé. C’est au contraire de pouvoir aimer, de donner l’amour que nous avons en nous, de nous attacher avec plaisir aux autres et à la vie. Tel est aussi le besoin primitif le plus important pour un enfant. La plupart des systèmes décrivant les émotions les plus fondamentales ou les plus courantes, la peur, la colère, l’espoirt, la joie… oublient carrément ce point absolument cardinal de notre développement. Et pourtant, notre fragitilité, notre incomplétude, notre finitude, notre solitude d’être seulement nous-mêmes, tout nous pousse vers l’autre. Nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes. Notre puissance vitale est un désir, et le désir chercher l’union.

Un enfant, quelque soit son âge d’ailleurs, a besoin de pouvoir aimer ses proches pour se sentir bien et avoir confiance en lui. Ce que doit faire un parent, ce n’est donc pas directement d’aimer ses enfants, une attitude dans laquelle il risque de mettre trop de lui-même, sans être suffisamment accueillant envers la personnalité de l’enfant, mais bien de toujours prendre soin d’être aimé par ses enfants et de les laisser développer un amour sain, confiant, solide, envers ses parents. C’est le secret des grands-parents! Ils savent instinctivement que leur rôle n’est plus principalement d’éduquer comme le font les parents. Ils n’ont plus cette charge de la responsabilité et de la survie de l’enfant, de l’accompagner vers l’autonomie, puisque selon toute probabilité leur vie sera terminée avant celle de leurs petits-enfants. Ils n’ont qu’une chose à faire, la plus essentielle d’entre-toutes, laisser leurs petits-enfants les aimer de tout leur coeur et les aimer en retour. C’est ainsi que de nombreux enfants sont en fait plus éduquer par leurs grands-parents que par leurs parents. Cela ne signifie pas que les parents ne font rien, ou ne servent à rien. Mais ils sont tellement pris eux-mêmes par les nécessités de la vie de tous les jours qu’is n’ont pas toujours le recul nécessaire.

Le besoin d’aimer est fondamental. Il est plus important d’aimer et d’exprimer la puissance de notre désir, que d’être aimé. On le voit notamment dans la manière qu’ont les enfants de se comporter avec les animaux et principalement avec les chats et les chiens. Le chien est bien le « meilleur ami de l’homme ». C’est un animal doué d’une forte empathie et particulièrement réceptif à la manière dont il est aimé. Le chien, enfin la plupart des chiens, ont un besoin d’amour quasiment constant. Il est très gratifiant pour l’enfant de sentir que son amour est valorisé par l’animal. Grâce à lui, l’enfant peut sentir que son amour compte, et en plus il reçoit toute la douceur de cette peluche vivante chaude et douce. Quand notre amour est reçu, nous nous sentons pour ainsi dire affectivement utile et notre vie à un sens du point de vue émotionnel. Alors, nous nous aimons nous-mêmes plus facilement. Il est même pour certains adultes plus facile d’aimer que d’être aimé.

La plupart du temps, on nous explique, surtout l’entourage culpabilisant, qu’il faut savoir aimer son enfant. Le sous-entendu est que certains savent le faire et d’autres non. Les parents se valorisent eux-mêmes d’être aimant, mais oublient ou ne voir pas que c’est parce qu’ils aiment qu’ils se sentent meilleurs. L’amour qu’un adulte a pour son enfant est cependant très différent de celui que l’enfant a pour son parent. Et parfois les deux ne se rencontrent pas ou ne se comprennent pas. Il y a plusieurs formes d’amour. Il y en a autant qu’il y a d’objets à aimer. L’amour des parents a au moins deux caractéristiques que n’ont pas celui des enfants. Il est emprunt de responsabilité. Quoiqu’il arrive, les parents doivent être là pour leurs enfants. C’est le devoir moral de celui qui a donné la vie à l’autre. Il est aussi sourdement investi de la peur de perdre son enfant. Maintenir sa progéniture en vie est l’un des buts de l’amour parental et nous sentons tous, même si ce malheur ne touche pas toute les familles, que nous serions dévastés si nos enfants venaient à disparaître. Le parent a un amour inquiet de l’avenir et la survie de son enfant. Et parfois cette inquiétude, et d’autres facteurs que nous verrons plus tard, impacte la manière dont il aime son enfant.

L’amour de l’enfant en revanche est plein d’espoir. Un enfant n’est pas inquiet pour l’avenir de ses parents. Il deviendra inquiet de son avenir quand il deviendra adolescent ou jeune adulte. L’enfant peut aimer avec beaucoup de tendresse, moins d’arrière pensée. Mais il a aussi une mission impérieuse, celle de grandir. Et nous sommes les tuteurs sur lesquels ils s’appuient de toutes les manières possibles pour grandir. Leur amour cache aussi une certaine prédation, la manière dont ils absorbent tout ce que nous pouvons leur donner, et plus encore, parfois jusqu’à notre épuisement. Ils prendront tout ce qu’ils peuvent, et nous devons leur imposer certaines limites. Ce n’est pas tout. L’enfant a aussi besoin de sentir que son amour compte, qu’il est important pour nous, qu’il nous soutient. Pour que cela fonctionne, nous devons accepter de lui montrer une certaine partie de nos fragilités et de nos besoins. Un parent « parfait », un parent qui se met d’emblée en position d’autorité, de commandement, de perfection, ne laisse pas de place, pas de prise à l’amour-pitié, l’amour soin qui donne tant de sens à l’affection qu’un enfant donne à ses parents. Mais il ne faut pas inverser la relation. Il ne s’agit ni d’être le parent qui donne toute son affection et n’attend rien en retour, ni d’être le parent-enfant qui a besoin d’être aimé en permanence et empêche son enfant d’être autre chose qu’un être affectif à son service.

L’amour est un échange

L’autre grande incompréhension de l’amour est de nous faire croire que l’amour serait une sorte de don inconditionnel. L’amour n’attendrait rien en retour et l’aimant n’aurait qu’un seul but, le bien de l’être aimé. C’est beau comme un poème de Boccace, ou beau comme la publicité pour un produit minceur miracle. Mais ce n’est pas vrai pour autant. Nous sommes attachés à ce que nous aimons et nous avons besoin d’être aimé par eux en retour. Ce besoin est impérieux et peu de peines sont aussi fortes que le chagrin d’amour, quand nous sommes forcés de réaliser que notre amour n’a pas de contre-partie chez l’être aimé, qu’il ne sert à rien et que nous ne sommes pas aimés en retour. Il est parfois impossible de ne pas aimer, mais nous devons mettre à distance ces personnes, souvent nos parents, qui n’acceptent pas cet amour et nous font replonger systématiquement dans la souffrance. Le plus difficile est de ne pas s’entêter. Nous devons détourner notre désir vers d’autres objets, d’autres buts, d’autres personnes. Nous ressourcer dans la beauté du monde, chérir nos buts et cultiver nos talents.

L’amour, l’affection, l’amitié, sont des relations réflexives. L’amour est un lien par lequel nous sommes attachés aux autres et par lequel les autres s’attachent à nous. L’amour déçu impacte directement la manière dont nous nous voyons nous-mêmes, dont nous nous aimons nous-mêmes. Il nous renvoie l’image que nous ne sommes pas digne d’aimer, ni d’être aimés en retour, donc pas dignes de nous aimer nous-mêmes. C’est ainsi que l’amour porté par les parents va conditionner, en partie bien sûr, l’estime qu’un enfant se porte à lui-même. Loin des clichés et des absolus, l’amour est un échange reposant sur un équilibre subtile.

Comment l’amour vient aux enfants

Les enfants sont pour ainsi dire programmés pour aimer leurs parents et dans une moindre mesure ceux qui s’occupent d’eux. Nous, adultes et parents, sommes d’autant plus responsables de cette amour que nos enfants ne choisissent pas de nous aimer ou de ne pas nous aimer. Même la haine d’un enfant pour l’un de ses parents n’est que de l’amour déçu et trompé. L’indifférence est impossible. Seule la mort sans doute peut adoucir une relation contrariée, alors qu’un amour sincère et positif pourra y survivra. C’est en cela que l’amour est parfois plus fort que la mort. Nous continuons à penser à nos êtres chers, ceux qui nous ont tant apporté, qui restent pour nous un modèle et un soutien, avec lesquels d’une certaine manière nous continuons à vivre, à échanger. Avec lesquels justement l’histoire d’amour n’est pas terminée, même après la mort.

Les enfants sont donc ouverts et prêts à aimer leurs parents et bon nombre d’adultes autour d’eux. Evidememnt ces relations s’insèrent dans un cadre qui a souvent déjà été posé avant même leur venue au monde (voir à ce sujet nos articles sur le Destin). Les raisons qui ont conduit leurs parents à vouloir un enfant, l’amour que se portent les parents, les liens qu’ils ont eux-mêmes avec leur propre parents, sont autant de modalité qui auront également un impact.

L’imitation de l’amour des parents

En dehors du besoin primitif d’aimer, le plus important dans cette construction de l’amour des enfants pour les parents est le modèle que les parents leurs donnent à travers les relations qu’ils ont entre-eux. Depuis Freud, on appelle cela le complexe d’Oedipe. Mais la manière dont on le formule nous paraît inadéquate, forcée. Il ne s’agit pas tant de prendre la place du père auprès de sa mère ou de sa mère auprès de son père. La racine du processus est bien plutôt celle pensée par René Girard. Le désir, notre puissance vitale, est aussi immense et infini, qu’il est indéterminé. Nous désirons sans savoir ce que nous désirons. Pour déterminer le désir, l’une des premières voies, et notamment chez les enfants, est d’imiter le désir de l’autre. L’exemple est bien plus fort que la raison, surtout avant le développement intellectuel. C’est en premier lieu ce que l’on a sous les yeux toute la journée qui est imité, à savoir les parents et notamment le désir des parents. Un fils prendra modèle sur le désir du père, qui lui ressemble plus, pour sa mère pour construire son propre modèle de désir. Une fille aimera aussi d’autant plus son père qu’elle vera sa mère amoureuse. La jalousie éventuelle viendra dans un second temps. La dimension éventuellement sexuelle n’est pas une nécessité comme le laisse trop penser le complexe d’Oedipe, même s’il y a bien une dimension charnelle, celle des câlins et des embrassades entre les membres d’une même famille. Mais au-delà de cette imitation, la nature de l’amour d’un enfant à son parent n’est de toute manière par identique à celle des parents entre-eux. Ce sera aussi aux parents de poser les limites, si besoin, pour faire grandir les désirs dans la bonne direction. Le but de cette éducation sentimentale n’est pas directement d’avoir des enfants et de fonder un foyer, mais dejà de se préparer à la vie en communauté et de fonder son rapport à l’altérité. Même si les parents ne s’aiment plus, ou s’aiment mal, l’enfant saura s’appuyer sur cet exemple non pas seulement pour le copier, mais pour en faire un modèle, un marche-pied de son propre développement émotionnel. Il n’y a pas de fatalité à reproduire un modèle et de nombreux vairantes sont possibles.

Comment être un bon parent?

Pour être un bon parent, il faut donc réussir à aider son enfant à nous aimer d’un amour de bonne qualité, un amour qui lui permet d’avoir confiance en lui, d’avoir un attachement serein, qui le prépare et le soutien pour toutes ses relations affectives futures. On parle souvent d’intelligence émotionnelle, comme s’il s’agissait d’un secret, voir d’un don que certains possèderaient et d’autres, les malchanceux, n’auraient pas. L’intelligence émotionnelle est essentiellement dans cet équilibre de l’échange affectif.

Tout ce qu’il ne faut pas faire

Il ne faudra donc pas, de la part du parent, abuser de cette disposition naturelle à aimer qu’elle celle du parent, ni abuser de cette disposition naturelle qu’à son enfant de l’aimer. Nous voyons malheureusement des abus tous les jours.

  • La forme la plus courante est le chantage affectif perpétuel. « Si tu ne fais pas ou ne pense pas ceci ou celà, c’est que tu ne m’aimes pas. » Sous entendu, ton amour t’oblige à faire comme je le souhaite et tu es esclave parce que tu es amoureux. C’est insupportable, et bien sûr jusqu’à un certain point, cela fonctionne.
  • Une autre modalité, pire encore que la première est l’abandon sous toutes ses formes. Ne pas s’occuper des enfants, vivre « sa » vie émotionnelle ou professionnelle, c’est dire à son enfant que nous n’avons pas besoin de lui, que son amour pour nous est inutile. L’enfant va mécaniquement se sentir indigne de vivre et inutile lui-même. La voie des addictions, qui servent à compenser ce déséquilibre des l’amour de soi et des autres, est grande ouverte.
  • Troisième figure de l’amour abusif, celui consistant à écraser l’enfant sous le poids de notre propre affection, parce que « c’est bien pour lui », et de ne jamais lui donner voie au chapitre sur sa propre vie. Le parent est en quelque sorte lui-même écrasé par son amour responsabilité, et il en oublie son amour-reconfort ou estime. Il finit par punit l’enfant pour avoir lui-même à en être responsable, tout en flattant son égo de « bon parent ». Si la relation ne fonctionne pas, c’est la faute de l’enfant.
  • La quatrième forme d’amour abusif est celle de l’autocrate qui maintient son entourage dans une enfance perpétuelle. Il est le chêne dont l’ombre couvre les descendants. Il va exercer son emprise par un chantage financier, ou encore il va « faire plaisir » aux enfants en permanence. L’enfant n’aura en fait pas le droit de se développer par lui-même et devient accro, dépendant au sucre, aux récompenses, aux cadeaux, à l’argent, que lui donnera le parent. L’enfant devient un esclave dont le rôle est de soutenir l’égo du parent. Il ne sera jamais question pour le parent de l’aider à grandir, mais uniquement de le maintenir dans la faiblesse et la dépendance. C’est le père extrêment riche qui ne donne réellement rien à ses enfants. Ni discipline, ni autonomie, mais qui les emploie dans l’affaire familiale. Il refusera systématique de laisser la moindre place symbolique au mari ou à l’épouse de son enfant.
  • Nous ne rentrerons pas ici dans les détails des autres abus, maltraitance physique, psychique, sexuelle, qui sont malheureusement si développés dans notre pays comme l’a récemment montré un rapport sur l’inceste. Ces questions sont surtout à condidérer du point de vue du parent, qui doit faire tout le travail sur lui nécessaire pour purifier l’amour qu’il a lui-même reçu, ou pas, et transformer sa manière de faire envers les enfants pour ne pas reproduire un shéma négatif.

Quel est l’ingrédient secret qui permet à l’amour de l’enfant de s’épanouir au mieux? Quel est le secret du secret? C’est tout simplement la confiance. L’enfant doit savoir que vous êtes là pour lui. Non pas pour le sortir de tous les embarras, ce qui serait nier sa capacité à s’en sortir par lui-même et donc nier ses capacités, mais bien qu’il doit pouvoir vous aimer en sachant que vous n’allez jamais trahir cette amour. Le mensonge, l’injustice, la violence, la dissimulation, l’oubli, les promesses non tenues, tels sont les poisons de tout amour. Faire passer son enfant après le reste, en terme d’importance et de valeur, ne pas s’occuper de lui régulièrement, ne pas l’écouter quand lui-même va vous donner ses conseils, car nous aussi sommes faillibles, sont autant d’erreurs qui détruisent la confiance et qui empêchent d’aimer. Le second secret, qui a trait à la pratique, est l’adaptation. Il faut sans sens s’adapter à la situation, à la réalité des capacités, des forces, des faiblesses et des provocations de son enfant. Parfois il a besoin de nous et parfois non. Il faut parfois l’encourager et parfois le gronder. Il faut parfois être discret, tout en sachant rester présent.

L’amour n’est pas un sentiment parfaitement pur. Il est au contraire composé et intéressé. Rien n’est pur, rien n’est simple. Croire l’inverse va juste entraîner de mauvaises interprétations. Le souci de notre survie est présent à chaque instant. Nous cherchons de temps à autre, à faire payer ou porter à notre enfant le poids de la responsabilité que nous avons envers lui. De son côté, il va chercher à nous faire payer le fait de l’avoir mis au monde, dans cet univers où il va bientôt devoir s’occuper de lui-même, sans nous, sans notre argent, ni nos ressources. Même dans l’amour chacun cherche à repousser la responsabilité chez l’autre. Nous devons poser sur ces sujets des limites pour empêcher que la situation ne s’envenime. Ces limites seront différentes à chaque fois, suivant la proportion des choses. Nous ne sommes pas là pour l’entretenir, mais sûrement pas là pour le laisser mourir de faim ou de froid. Il n’est pas responsable de la responsabilité que nous avons de lui. Il peut nous aider, mais sans devenir notre parent à son tour. Il peut chercher de l’aide, mais pas au point de ne plus travailler sur lui-même. Chacun doit rester dans son rôle, avec pour but ultime l’épanouissement de l’enfant. Il est l’avenir, il est le futur, il finira par avoir raison, quoiqu’il arrive.

Les blessures d’amour sont les plus difficiles à guérir. Elles ruinent notre amour propre, déséquilibrent notre rapport au monde et nous poussent dans les mauvais comportements. Je peux voir le meilleur avec les yeux de la raison, mais continuer à faire le pire, nécessairement, sans pourvoir m’en empêcher, pour faire face aux besoins de mes émotions déréglées. Ne pas pouvoir aimer, ne pas pouvoir admirer, ne pas avoir confiance, ne pas avoir de support, de soutien et vivre seul face à un monde froid et vide. Tout ceci est insupportable.

Savoir aimer, la clé du bonheur ?

La manière dont nous aimons nos proches et dont nous nous aimons nous-mêmes conditionne une grande partie de notre rapport au monde. Nous ne nous en rendons pas toujours bien compte quand il s’agit de nous. Mais c’est presque transparent lorsqu’il s’agit des autres. Une personne triste, qui n’aime pas grand chose, critique beaucoup, exprime ses difficultés en permanence. C’est en général aussi une personne qui se critique beaucoup et se fait de nombreux reproches. Elle est aussi pessimiste et sombre que sa vision du monde. A l’inverse, une personne plus optimiste, même si elle peut paraître un peu niaise, aura plus confiance en la vie et aura plus d’émotions plaisantes. Nous nous voyons comme nous voyons le monde. Nous projettons à l’extérieur le rapport que nous avons envers nous-même.

Apprendre à aimer, même si l’on n’a pas soi-même reçu un amour suffisant de nos proches, est une voie de résilience. Elle a en plus l’avantage décisif d’être en grande partie en notre pouvoir. Ce que nous proposons pour les enfants, nous pouvons très bien l’appliquer à tous nos proches et à nous-mêmes. Avec plus de distance et plus d’exigence bien sûr. Apprendre à aimer et à laisser les autres aimer ne requiert pas nécessairement d’avoir été aimé soi-même. Cela permet de redonner une teinte positive à tous nos désirs, à les voir à nouveau comme quelque chose de positif qui nous relie au monde, quand bien même ils restent difficiles à gérer selon leurs autres multiples dimensions.

Les philosophes ont parcouru de nombreux chemins à la recherche du bonheur Epicure l’a poursuivi dans le suspens de la peur de la mort. Il s’est aussi tourné vers le plaisir, ce qui lui a vallu les foudres des chrétiens. Puis vers l’ataraxie, la suspension de toute émotion. Mais aucune de ces pistes n’est la bonne. On évite pas la peur. Le plaisir, comme la douleur, n’est rien sans la source qui le génère. Il y a de bons plaisirs et des mauvais plaisirs. La suspension de tout émotion est quand à elle rigoureusement impossible. D’autres ont mis le bonheur dans l’usage de la raison. Pour Aristote, la vie heureuse est la vie contemplative, celle qui est tournée vers la contemplation de la divinité. Il est en cela resté l’élève de Platon pour qui le bonheur est dans la contemplation des idées. Mais là encore il y a une faille. Difficile de tenir toute une vie en contemplant une formule mathématique, aussi éternelle et belle soit-elle. Le plaisir intellectuel ne remplit pas tous les instants de la vie, alors que les émotions ne cessent jamais. Les religieux trouvent leur bonheur dans leur rapport à dieu, loin du monde. C’est une vie de dévotion qui tourne tout notre amour vers notre créateur, et nous enlève tout de même pas de forces pour nous occuper du monde d’ici bas.

Kant, renouvelant le stoïcisme a déclaré que le bonheur était tout simplement impossible. Le bonheur est pour lui une donnée sensible, lié à la faculté de désirer, contingente et dépendante des circonstances. Les émotions sont par nature volages et changeantes. Il est impossible de prétendre les figer éternellement. Kant dénonce cette contradiction. Le bonheur est concept impossible, puisqu’il ne peut pas y avoir de constance dans le plaisir et les émtions. Il va encore plus loin. Si nous devions être heureux, nous ne serions pas des êtres pensants, car la pensée nous montrant toutes nos imperfections en permance, et notamment nos imperfections morales, est là pour nous humilier et nous faire grandir par cette correction permanente qu’elle nous impose. On est loin du plaisir intellectuel pris à la compréhension des lois du monde et de l’esprit!

Il reste cependant un autre philosophe, une dernière voie. Spinoza. Peu compris, jamais dépassé, il met le souverain bien, le bien définitif ultime et parfait, dans l’amour intellectuel de Dieu. Notre désir qui est notre essence même, est par nature infini. C’est uniquement en aimant quelque chose d’infini, ou pour le dire autrement la totalité de l’être, que nous pourrons le contenter. Il ne s’agit pas cependant d’un amour aveugle, comme celui que peut avoir le religieux. C’est un amour éclairé par la raison, un amour qui voit partout le lien rationnel entre les choses et les êtres. Accompagné voir même engendré par la raison. Un amour intellectuel, tel est l’oxymore que propose Spinoza. L’amour est une passion chaude, charnelle. Prise seule, nous devenons son esclave. La raison est froide et, justement, rationnelle. Si nous devions être uniquement rationnel, nous ne serions pas plus aimable qu’une calculatrice. L’amour et la raison, c’est le feu et la glace. L’alliance que propose le philosophe hollandais est une tempérance entre le coeur et la raison. Elle est parfaitement cohérente avec le reste de sa doctrine, qui allie l’étendue et la raison, le tangible et l’intangible, le désir et l’intelligence, qui n’est rien d’autre qu’un désir ayant connaissance de lui-même. En aimant ainsi toute chose, nous finissons par nous aimer également nous-même, puisque nous faisons partie de toutes ces choses et de tout ce qui est. C’est finalement ce désir lui-même, notre puissance vitale, notre conatus, qui est la parcelle du divin en nous. En aimant ainsi dieu, en reliant notre désir infini à sa source infini, nous aimons toute la nature, toute la création, et donc aussi nous-mêmes, qui participons à cette infini de la création et du désir. Nous ne faisons pas que penser l’éternité sous le mode de la vérité rationnelle éternelle, nous « sentons et nous expérimentons » que nous sommes éternels, relier par l’amour à la totalité de l’être.

You got me in love a-gain…

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