Pourquoi la religion?

La religion, objet de toutes les critiques

Dans notre monde moderne, les religions sont généralement disqualifiées pour leur intolérance et pour les guerres incessantes qu’elles ont accompagnées ou déclenchées. Massacre de la Saint Barthélémy, partition de l’Inde et du Pakistan après les conflits avec les musulmans, pratique de la « question » et de la torture au Moyen-Age, maintien des peuples dans l’obscurantisme, appuyé sur des lectures littérales des textes sacrés et refusant l’évidence d’aujourd’hui : l’homme descend du singe et n’a pas été créé, directement au moins, par Dieu.

On leur reproche également leurs condamnations intellectuelles du sens des textes sacrés, comme celles dénoncées par Voltaire (Dictionnaire philosophique) ou par Spinoza, et l’on attaque ce que l’on appelle leur « conservatisme » sur les questions de société. Leur refus de l’avortement et de l’euthanasie, leur défense de toute « vie » en ce qui concerne le christianisme. Sa haine de l’alcool, des juifs et sa promotion de la violence contre les autres communautés pour l’Islam. Son communautarisme viscéral pour le judaïsme. Les religions concentrent, aux yeux des doctrines modernes, tous les défauts menant au fanatisme.

Si les religions instituées nous déçoivent, faut-il pour autant renoncer à toute croyance et à toute religiosité?

Attentat islamiste contre les tours jumelles de New York le 11 septembre 2001

La religion existe toujours

Pourquoi malgré toutes ces critiques, bien réelles et même inattaquables, les religions continuent–elles à régner sur nos vies spirituelles, bien plus que la philosophie, les arts et la littérature, ou la politique ?

Les hommes réellement athées sont finalement très peu nombreux. Même le grand pourfendeur des démonstrations de l’existence de Dieu que fut Kant, reconnaissait en même temps la croyance en dieu comme une nécessité intellectuelle majeure. Voltaire, répète-t-on à l’envie, qualifiait la religion d’ « Infâme » qu’il faut abattre. Mais son Dictionnaire philosophique nous révèle tout au contraire un penseur cherchant à revenir à la parole directe de Jésus, par de-là l’Eglise. Il ne reste que quelques libertains et matérialistes pour tenter de penser le monde et la morale sans dieu. Mais comme il nous faut inévitablement un principe premier source de tout le reste, la matière ou l’énergie deviennent leurs dieux. Nous le savons, notre structure mentale a toujours besoin de mettre un commencement à toute chose, et ce commencement ou principe est toujours dieu.

La religion est une constituante profonde de l’humanité. Les religions survivent aux nations, aux Empires, aux migrations. Elles sont la véritable unité de mesure des ères humaines et des civilisations : égyptienne, grecque, juive, chrétienne, hindou, musulmane, bouddhiste, etc, dont elles définissent les valeurs essentielles en les gravant au fronton des temples : polythéismes, monothéisme, immortalité des âmes, métempsychose, châtiments et récompenses dans cette vie, ou dans une autre, ou dans les générations futures, pour les crimes commis dans nos vies ici-bas. Elles rythmes les grands moment de la vie ici-bas: naissance, mariage et mort. C’est dans le rapport au divin, à la transcendance, que sont fondés les principes de nos civilisations nos principes de vie, nos règles anthropologiques.

Darwin, père de la théorie de l’évolution. Toujours discrédité par les fanatiques religieux, https://www.courrierinternational.com/article/2014/01/04/la-theorie-de-l-evolution-rejetee-par-plus-de-la-moitie-des-republicains

Le besoin de religion, l’attente, le questionnement, la solitude

Le fait religieux prend naissance dans la psyché humaine, avant de s’incarner dans des textes, des rites et des traditions. C’est un véritable appel de l’au-delà. Comme un besoin de communication avec la transcendance. Nous dialoguons avec l’infini presque quotidiennement. Quand le sens de nos vies nous échappe, c’est le ciel que nous interrogeons sur notre destin, comme si nos vies étaient écrites ou dirigées par des principes supérieurs. Quand nous sommes tristes, c’est au Ciel que demandons du réconfort. Quand nos vies nous échappent, c’est lui que nous maudissons, demandant à l’infini quel crime nous avons bien pu commettre pour subir un tel châtiment. Nous le sommons de nous répondre. Prise dans le rythme des saisons, les alternance du jour et de la nuit, le cycle des naissances et des morts, notre âme vacille dans la violence du mouvement. Elle cherche un réconfort qu’elle sait ne pouvoir trouver sur terre. A chaque instant nous tournons nos regards vers l’au-delà. Notre conscience dialogue plus facilement avec l’immatériel qu’avec son propre corps. Avec un peu d’expérience, nous découvrons vite que notre désir n’est jamais satisfait par les objets matériels. Infini, inextinguible, notre désir est métaphysique. Il nous pousse irrémédiablement et incessamment à chercher l’union avec autre-chose, avec un totalité dont seul la divinité nous donne l’image complète.

Les formes du dialogue avec l’infini

L’une des premières demandes que nous adressons au ciel est cette question si banale, si courante, et si universelle. « Pourquoi moi » ? Tous ceux qui trouvent la vie injuste envers eux interrogent ainsi le ciel. Les autres admettent avoir de la « chance », ce qui n’est finalement pas très différent et pose également la question du « pourquoi moi? ». Cette question pourrait paraître individuelle. Nous interrogeons le destin sur notre vie particulière. Nous requerrons une justice, un chemin meilleur dont rien ne nous prouve que nous ne pourrions pas y avoir droit. L’au-delà est le critère de la justice d’ici-bas. A y regarder de plus prêt pourtant, cette question, que chacun pose pour lui, est en fait une question universelle. Si chacun la pose, c’est qu’elle renvoie à une composante universelle de toute vie humaine et cette composante est la solitude. Ce sentiment d’être séparé de quelque chose, de ne pas être à notre place, de ne pas être totalement en phase avec notre propre vie, ni même avec notre propre conscience à jamais insondable dans sa profondeur vide. Ces incompréhensions sur le pourquoi moi, le maintenant, l’ici, dans telle famille, pays, époque, nous taraudent en permanence. Elles traversent toutes les religions, mais aussi toutes les philosophies. Toute la doctrine de Platon, et le platonisme qui le suit, cherche le lien avec la divinité. Kant s’émerveille devant le ciel étoilé qui semble seul détenir les réponses.

Le ciel vu de l’île de Niu dans le Pacifique

Nous ne savons pas comment dialoguer avec l’infini, et c’est dans cette interrogation que naissent les récits mythiques et magiques des religions. Ils s’adressent à ce besoin de réconciliation et de complétude en parlant à l’imagination. Ils nous inscrivent dans une lignée divine dont nous descendrions. C’est ici que nait la multiplicité des discours religieux. Plusieurs discours vont expliciter ce rapport au divin, du monothéisme rationnel au polythéisme magique. L’interrogation est partout la même. La réponse partout différente.

Dans la Baggavat Gita, le coeur du Mahabharata, le grand texte sacré Hindou, Arjuna demande au Dieu de se révéler à lui, non pas simplement sous la forme du discours rationnel, mais aussi comme une image, pour que lui Arjuna, puisse avoir une idée plus concrète du Dieu. C’est ainsi que Dieu se manifeste, ou est recherché par le plus grand nombre sous la forme d’images. Jésus est une image particulièrement efficace de Dieu, faisant le lien entre Dieu et l’homme. Le judaïsme et l’islam interdisent en théorie de représenter dieu. L’image devient alors un buisson ardent, une parole entendue, un Prophète, les tables de loi gravées par Dieu. L’image parle aux émotions, ce que même la raison ne parvient pas à faire, ou ne fait pas avec la même efficacité. C’est l’un des principaux arguments expliquant la multiplication des religions et la difficulté qu’il peut y avoir à les regrouper en une seule.

Shiva se révèle à Arjuna sous ses formes matérielles et visuelles

Le mythe répond aux interrogations métaphysiques sur la création du monde, de la vie et du sens de la vie. Tout étant mystérieux, tout peut devenir divin, le ciel, la terre, la mer, le fleuve, l’arbre, etc. Il le fait en incluant la définition des rapports anthropologiques entre les hommes, la structure familiale, avec par exemple la domination du père dans la religion juive, la reconnaissance de la sainteté de la mère et de la femme, dans la religion catholique, ou encore toute la famille, avec ces cousins, ses infidélités dans le polythéisme grec. Le mythe catholique inscrit sa réponse dans la description d’une structure familiale à laquelle chacun peut s’identifier, par et au-delà même de sa propre famille. C’est ainsi que la religion devient elle-même une tradition familiale. Elle passe des parents aux enfants presque aussi sûrement que les gênes. La religion juive en donne le spectacle le plus éclatant. Plus forte que le temps, plus forte que l’espace, que les nations, que la tragédie même. Ce sont les religions qui définissent les civilisations. Elles en sont le fondement, bien plus que les organisations politiques, qui plus attachées à la terre, nécessite une diversité et une adaptation plus grande aux circonstances. Les religions évoluent sur un temps extrêmement long, et les églises sont les garantes de cette lenteur.

Les rites

Ce dialogue avec l’au-delà n’a pourtant rien de simple. Les religions instituées, les temples, les cérémonies, lui donne une chaleur, une épaisseur réelle, qu’il n’a pas lorsque nous nous confrontons directement au néant de l’infini. En posant des rendez-vous réguliers, la religion permet de cultiver ce lien si particulier, qui comme toute chose à besoin d’être entretenu. Ils permettent de maintenir le lien imaginaire avec le principe dont nous sommes métaphoriquement issus. La religion catholique, avec sa mise en scène familiale permanente, ses messes du dimanche, ses grands événements de l’année, judicieusement placé aux tournants des saisons, donne un bon exemple des mille et une manière de rattaché le croyant au mystère insondable de la vie.

Religion, re-liguere, relier selon l’étymologie la plus souvent retenue, est la réponse à tous nos manques. Enfin presque. Nous cherchons en effet le lien, la réunion, avec tout ce qui nous entoure. Nous sommes cet être imparfait, fini, qui cherche par tous les moyens à vaincre cette finitude. C’est le principe du désir, né de la part de vacuité logée au plus profond de notre conscience. Il s’attache horizontalement à des choses, des objets, des personnes, qui lutte avec ce qu’il déteste et cherche à s’approcher ou s’unir avec ce qu’il aime. Et il s’attache verticalement à ce qui remplit son incompréhension du monde. Les deux modes d’attachement communiquent… plus ou moins bien.

Répondant au désir de transcendance, la religion pousse son avantage jusqu’à la tentative d’organisation de tous les désirs. Leur but est toujours de nous faire désirer dieu et leur église par dessus-tout. Les églises autorisent et interdisent. On doit désirer ce qu’elles nous imposent de désirer. Elles organisent la famille, interdisent l’adultère, veille à la procréation, donne des places aux hommes, aux femmes, aux enfants. Cette organisation du droit civile a longtemps primé sur toute autre forme de droit de l’Etat. Elle en sert aujourd’hui de doublon symbolique, sauf quand la théocratie règne encore, comme dans l’Islam.

Evidemment, les religions concrètes entraînent avec elles leur lot de problèmes. Elles sont imposées à la naissance. C’est très beau, du point de vue du symbole, puisque cela marque dès le début de la vie la vocation humaine à la transcendance. Dès nos premiers instants, nous sommes ainsi rattachés au monde absolu que nous venons de perdre en accédant au monde terrestre. Mais ce n’est pas un choix, ce n’est pas le résultat d’un raisonnement, d’un parcours ou d’un éveil. C’est une tradition imposée, parfois avec une redoutable violence, qui se perpétue de générations en générations. Renoncer à sa religion revient souvent à se sépare de sa famille et de son groupe d’amis. Et bien sûr, elles organisent par leur diversité même une rivalité pour le lien à la divinité qui est une cause récurrente de guerre.

Une foie sans religion

Pourquoi nous est-il si difficile, malgré tout ce que nous venons de dire, d’être dans ce rapport transcendant au monde? Pourquoi l’immensité semble-t-elle si vide de prime abord? C’est parce que nous quittons alors le domaine de l’expérience commune. Tout notre appareil d’analyse, tous les concepts qui nous servent à régler nos problèmes de tous les jours, que l’on peut dire horizontaux, tous semblent inopérants pour questionner, comprendre, dialoguer avec Dieu.

La croyance en dieu est donc quasiment partout nécessaire. Nécessaire au savant et à la raison qui cherche le terme premier de toute chose, nécessaire au désir qui y trouve la seule réponse à son infinie puissance, nécessaire même à l’ignorant qui s’émeut et s’étonne devant la beauté du monde. Nécessaire au sens de la vie, dont nous sommes l’infime partie. La philosophie n’est donc pas forcément une sotériologie, comme la définit Luc Ferry, une doctrine du salut sans dieu, un humanisme radical selon lequel l’homme devient le dieu. Elle est au contraire, comme elle l’a toujours été, une doctrine du salut avec dieu, mais sans les religions terrestres habituelles. Même Luc Ferry ne parvient pas à tenir sa position d’humanisme radical, comme lorsqu’il condamne l’euthanasie au nom, tout simplement, de la défense de la « vie », ce qui constitution bien un principe différent, si ce n’est supérieur, à celui de l’humanisme, et rejoint la doctrine chrétienne de la « vie » comme don de Dieu et valeur supérieures à toute autre. Dire que l’homme est le dieu ne suffit pas à évacuer la question du divin.

Mais comment communiquer avec cette transcendance? Si l’on met de côté les pratiques religieuses et la superstition, il reste au fondement des pratique religieuse la médiation, la concentration sur la pensée de dieu.

La consultation des augures -1617, de P. P. Rubens

Au plus profond des mythes, nous retrouvons aussi la poésie, qui permet de dire la beauté, et la raison qui permet de comprendre l’organisation de la création. La poésie est au cœur des grands mythes. Elle est ce délire dont nous parle Platon, ce mélange des images qui parle à l’imagination par delà la raison. Ses sources sont multiples et elle englobe notamment l’émerveillement devant la beauté de la nature. Il y eut également la voix de la raison fut celle des philosophes cartésiens. Mais depuis Kant, la raison est retombée sur terre. Elle n’atteint plus la transcendance. Son domaine est circonscrit à l’expérience au sens stricte.

Le « divin » ou la « beauté » sont comme des réponses données ici-bas à notre appel à la transcendance et à la perfection d’une union ou d’une réunion complète. Nous le sentons et nous l’expérimentons, notamment quand un spectacle magnifique comble nos sens et notre imagination par la beauté de ses proportions. Nous le sentons également dans l’effet d’une gorgée de vin, ce nectar des dieux, et dans mille autres spectacles de la nature. Le chant des oiseaux, les levés et couchés de soleil, la clarté de la lune et des étoiles. En extrapolant, nous pourrions affirmer que toute notre sensibilité repose sur notre recherche, notre quête de l’union avec les êtres et le principe de toute chose. Nous ne sommes heureux que dans une forme de dépassement de notre condition.

La communication avec le divin est donc libre. Elle n’est déterminée ni par la raison, qui ne parle que du monde, ni par l’imagination, dont les résultats ne peuvent qu’être multiples. Elle ne peut pas s’incarner dans une seule religion, un seul dogme, une seule philosophie qui déduirait tout de l’existence de Dieu. Cette communication nous dépasse, et la peur de ce dépassement, autant que la puissance des interrogations métaphysiques qui nous assaillent, nous force à le remplir d’images, de mythe, de pratique, etc.

 L’amour de dieu

Nous ne pouvons pas communiquer réellement avec la divinité. Il est clair qu’elle ne nous parle pas et qu’aucun des langages que nous avons pu développer ne permet ne lui parler et d’avoir une réponse en retour. Dieu est silence. Seule la création est accessible. En revanche, nous pouvons méditer sur Dieu, sur cette incroyable et mystérieuse puissance qui se tient derrière toutes les manifestations. Nous pouvons nous concentrer sur cette idée de la totalité et la parcourir en tout sens, comblant notre imagination. Nous rappeler que derrière chaque rose, comme chaque orage, derrière le juste comme le criminel, c’est la puissance et la volonté de la divinité qui agit. C’est ce que l’on appelle l’amour de dieu. Rien d’autre, aucune autre idée, aucune réalité, n’est en mesure d’étancher la soif infinie de nos désirs et de notre raison, de panser les plaies de notre sentiment d’injustice et répondre à notre expérience esthétique du monde.

L’impasse du bouddhisme

Cette méditation est l’exacte inverse de celle du bouddhisme. Pour détruire tout désir, il nous invite à méditer sur la vacuité de toute chose. Derrière les phénomènes et les images que nous voyons partout, il n’y a pour le bouddhisme, strictement rien. C’est le néant absolu. Le bouddhisme nous invite à nous unir de tout notre être à ce néant, cette conscience vide par delà toutes les représentations qui peuvent la remplir provisoirement, comme les nuages emplissent le ciel avant de disparaître. Nihilisme absolu, Il soutient que nous allons ainsi nous purifier de tout désir et le faire totalement disparaître. Le pari des philosophies de dieu, comme Spinoza, ou de l’hindouisme, en est le symétrique inverse. Le désir est une réalité qu’il est impossible de nier sans supprimer la vie empirique elle-même. Mais le désir, par son infinité, par sa nature constitutive, n’est jamais satisfait. Il demande toujours plus. Il n’est pas que puissance d’agir, il est élan vers quelque chose d’autre. Nous sommes comme les spectateurs dans la caverne décrite par Platon. Les ombres projetées sur le mur ne nous suffisent plus. Souvent nous sommes appelés, attirés par certaines images plus que par d’autres : la nourriture, le sexe, l’argent, le pouvoir, la possession. Elles prennent une place très importante dans nos vies. Mais ce n’est pas encore suffisant. Ce ne sont que des images particulières de la puissance divine. Seule l’idée selon laquelle nous sommes en permanence réunis avec la totalité de l’être, que nous y avons une place donnée tout aussi légitime que celle de tous les autres être sur terre, est capable de nous satisfaire et de rendre notre vie à nouveau pleine, de faire enfin cesser tout sentiment de manque, de vide, et de séparation. Le Dieu créateur de Descartes maintient en permanence sa création. Tout en reconnaissant notre faiblesse, nous trouvons le soutien assuré de la divinité qui agit à travers nous comme à travers toute la création.

S’éveiller à la philosophie est comme sortir d’une caverne où l’on ne voit que le reflet des êtres

Le pari de Spinoza, étrangement et incroyablement ressemblant à celui de la Bhagavad-Gîta, est de soutenir que cette méditation d’amour du dieu va permettre de nous transformer et nous conduire à la purification de nos passions. Se placer du point de vue de la divinité, reconnaître partout sa puissance derrière la diversité des manifestations, et en même temps admettre notre propre faiblesse, tel est le véritable lâcher-prise. Notre désir dépasse tout parce qu’il cherche l’union avec l’univers. Mais notre pouvoir n’est en rien à sa hauteur, il ne dépend que de la physique usuelle des corps. Nous ne pouvons presque rien sur les événements. Nous sommes démunis y compris face à notre propre nature et notre corps. Non pas parce que nous devrions, selon le point de vue de l’ego, augmenter notre pouvoir sur les choses. Mais bien parce qu’elles ne sont tout simplement pas en notre pouvoir. Elles sont dans les mains du dieu qui a crée ces êtres, ces enchaînements, ces situations, cette nature. Toutes nos illusions concernant notre pouvoir sur les choses, et l’illusion sur la réelle destination de notre désir, seraient brûlées, purifiées par le feu de l’amour de dieu. Ah quoi bon vouloir ceci ou cela, qui n’étanchera pas ma soif, alors que partout c’est la même union à la totalité que je recherche ? Pourquoi passer par des médiations absurdes et temporaires, alors qu’il me suffit de me poser et de méditer sur la divinité ? Pourquoi forcer mon corps et mon action en permanence, alors qu’il me suffit de me laisser porter par la puissance divine qui agit en moi, comme en tout autre chose ?

Spinoza franchit une étape supplémentaire dans sa méditation. Il passe par Dieu pour revenir vers l’homme et singulièrement vers lui-même. En reconnaissant que Dieu est derrière toute réalité et au principe de toute chose, nous reconnaissons également qu’il est notre principe, qu’il est également en nous. Pour Schopenhauer, nous avons conscience de la puissance vitale qui est en nous, et il n’y a qu’en nous que nous faisons cette expérience. Nous pouvons bien être subjugué par la beauté du lever du soleil, mêlant les plus grandes forces cosmiques pour nous offrir le plus fin des spectacles. Nous ne ressentons la puissance de la vie que dans l’expérience que nous faisons de de notre propre conscience et de notre propre volonté. Ainsi, notre conscience, qui est l’accès à la transcendance, est elle-même divine. Spinoza franchit une étape supplémentaire et déclare qu’en aimant dieu, nous pouvons nous aimer nous-même. Le bonheur et la suprême béatitude est de sentir notre union avec la divinité. ( Spinoza pose le syllogisme suivant : nous aimons dieu, dieu aime toute chose, nous faisons parti de toutes ces choses aimées par dieu, donc en aimant dieu, nous nous aimons nous-mêmes qui faisons partie de toutes ces choses. Il mélange ainsi le sentiment et la raison).

Le paradoxe du Sage

Voilà pourquoi il y aura toujours en nous, du plus profond de notre finitude et du désir qui nous anime, un élan irrépressible vers la pensée de Dieu. Cet appel, ce besoin intellectuel et psychique d’union et d’amour n’a aucune autre réponse que celle du Dieu. C’est la seule solution à la fois logique et réconfortante, celle qui pourrait nous conduire vers une certaine sagesse, un lâcher-prise, une acceptation de la vie, toutes ces caractéristiques qui définissent traditionnellement le Sage. Mais un grand nombre de questions apparaissent alors. Quelle est la nature de la divinité dont nous parlons ? Est-elle séparée ou incluse dans l’Etre ? D’où vient-elle ? Pourquoi accepte-t-elle le mal ? Nous qui sentons et pensons la divinité, sommes-nous dotés d’une âme immortelle ? Est-elle séparée ou unie à l’âme divine ?

Ce sont toutes les questions de la théologie philosophique, de Ennéades de Plotin à La Religion dans les limites de la simple raison de Kant. Les multiples réponses auxquelles elles ont donné lieu sont comme autant de fruits de la méditation sur l’idée de dieu.  

Frédéric Lenoir reprend l »idée du Ame du monde à Plotin

De quel dieu parlons-nous?

Les différentes religions nous proposent, nous l’avons déjà vu, différent types de divinité à aimer et auprès desquelles chercher le sens de la vie. Le Dieu des juifs n’est pas le polythéisme hindou. Odin n’est pas le dieu de Mahomet. La multiplication des dieux est un problème.

Le dieu chrétien, qui paraît si évident à Descartes dans son Discours de la méthode, est pourtant le résultat d’une incroyable synthèse intellectuelle. S’il est à la fois tout puissant, rationnel, bon, et unique, c’est que l’Eglise a repris au fil du temps et en les transformant toutes les caractéristiques de la divinité qui sont à la base de notre tradition intellectuelle. Le dieu intelligent vient du noùs d’Anaxagore, l’idée que l’univers est dirigé par un être intelligent. Le Dieu monothéiste et cause de l’univers vient de la tradition juive et d’Aristote, qui cherchait la cause première, la première cause de l’Univers. Sa bonté lui vient de la tradition de justice divine qui nous vient des égyptiens. Il est créateur, comme le dieu juif de la Bible. Le dieu est le Père, source directe de toute généalogie humaine, etc. On pourrait continuer cette liste.

Le problème de cette synthèse chrétienne, qui est à la base de notre pensée, est qu’elle a produit deux contradictions, parfaitement identifiées par Schopenhauer, dont nous n’arrivons plus, en restant dans ce système, à nous sortir. Le première concerne la bonté de dieu. Si Dieu est bon, pourquoi le mal existe-t-il? Pourquoi la souffrance, pourquoi la douleur? Il n’y a pas de réponse à cette question. Ou plutôt il y en a une, c’est la conception du Dieu qui est fausse. La catégorie « bon » ne lui ait pas applicable. Dieu crée tout l’universe. La création nécessite de la transformation. La transformation entraîne de la souffrance. Il n’y a pas d’étant sans séparation de l’être total. Il n’y a pas d’existence sans mort. Le Dieu Hindou Shiva l’explique à Arjuna. Il est le dieu de la victoire comme de la défaite, de la vie comme de la mort. La seconde contradiction porte sur l’homme. Nous sommes libres parce que Dieu nous a créé à son image. Mais, parce que suivre la raison est suivre Dieu, nous ne sommes finalement libres que de faire des erreurs. La liberté ne convient pas à cette définition de la divinité. Mais ce paradoxe n’est que le résultat des prémisses. Si dieu est le seul créateur, nous ne pouvons rien créer.

Une religion sans église

La seule solution valable est la création d’une religion sans église, une religion qui correspond et soit reliée à ce que l’on appelle le « dieu des philosophes », c’est-à-dire une définition rationnelle de dieu, dans laquelle toute l’humanité pourrait se retrouvait, loin des oppositions des différentes religions. Cette idée de dieu et cette croyance en dieu existe bien sûr, et nous sommes tous libres d’y croire, de le chercher, de l’aimer ou de nous plaindre à lui. Loin du fanatisme des dogmes. Il n’est pas venue avec telle loi pour tel peuple. Il n’a pas envoyé son fils ou son prophète. Il est juste là, toujours, dans son silence et dans la beauté comme dans la violence de sa création. On peut dialoguer avec lui, par la raison, dans le désir, dans l’interrogation des origines et le suspend du but de toute chose.

La série American Gods nous montre les différents dieux régnants et se disputant les Etats-Unis

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