La guerre en Ukraine et le temps long de l’histoire

La guerre en Ukraine nous rappelle à quel point l’histoire se joue sur le temps long. Elle nous montre aussi pourquoi, comme nous allons le voir.

Du côté de la Russie

La première preuve en est le comportement politique de la Russie. Nous découvrons grâce aux reportages et documentaires, que la Russie est la proie d’une propagande étatique implacable, qui n’a rien n’a envier à celle qu’elle était en URSS. Le peuple russe n’a pas accès à la réalité des événements. De nombreux témoignages montrent que le mal va encore plus loin. De nombreux russes restés en zone occidentale continue à soutenir le régime de Poutine et à dénoncer comme propagande l’information libre à laquelle ils ont pourtant accès d’un simple clique de leur télécommande. Si l’on me permet une anecdote personnelle, je me rappellerai toujours, lorsque j’était élève en classe en terminal, de la réaction de l’élève russe de notre classe à nos cours d’histoire sur la Seconde Guerre Mondiale. Quand notre professeur, marxiste comme il était courant à l’époque, a commencer à décrire le glacis imposer par la Russie sur l’Europe de l’Est et la chute du « rideau de fer », selon l’expression de Churchill, notre camarade s’est levé et a crié devant toute la classe au mensonge! La réalité qui lui était montré lui était totalement odieuse. Elle allait complètement à l’encontre du discours officiel russe selon lequel la Russie avait « libéré » l’Europe de l’Est, faisant évidemment l’impasse sur la conquête et la mise au pas de ces pays. Jamais je n’avais été confronté à un tel relativisme. Cet élève était le meilleur de la classe, et malgré cela, il ne lui était pas possible ne serait-ce que de questionner ce qu’on lui avait enseigné. Nous voyons bien, en direct, que le peuple russe est toujours organisé de la même manière. La chute de l’URSS n’a pas permis d’enrayer durablement la machine totalitaire. Il est certain que les 26 millions de morts payés par l’Union soviétique (la Russie en ayant perdu 14 millions et presque 7 millions en Ukraine ), soit la moitié des morts de tout le conflit mondial, continue de peser lourdement dans la structuration de la mémoire. La chute communisme n’a pas permis de faire le travail de mémoire et de réconciliation nécessaire à la pacification. Un travail réussi en Europe par la France et l’Allemagne.

Ivan le Terrible – dans le film éponyme d’Einsenstein

Sur un temps encore plus long, la Russie, malgré la révolution communiste, reste prise dans les vieux démons de sa vision de l’Imperium, de l’Empire et de l’Empereur. On pense à Alexandre le grand, Ivan le terrible, ou encore Alexander Nevski. La Russie est-elle maudite? Il serait assez méchant de l’affirmer. Il vaut mieux à contrario espérer que le prochain régime saura réinstaurer au moins en partie la liberté d’expression, qui est la définitivement l’un des piliers centraux de la démocratie.

Emission de la première chaîne russe, montrant en combien de temps les missiles nucléaires russes pourraient réduire les capitales européennes en cendres.

Du côté de l’Allemagne

Outre-Rhin, notre pseudo allié Allemand semble découvrir avec effroi qu’il a mis, par le biais de sa politique économique délirante, toute l »Europe, et singulièrement son peuple, dans la main de la Russie. Les responsabilités de deux chanceliers jusqu’ici encensés est tellement flagrante qu’on se demande s’ils n’étaient pas tout simplement des agents du Kremlin. Comment un ancien Chancelier, Gerald Schröder a-t-il pu piloter directement les projets de gazoduc asservissant son pays? Comme Angela Merkel a-t-elle pu arrêter le nucléaire, coupant au passage la collaboration franco-allemande avec la sortie de Siemens d’Areva? Comment on-t-il pu rester à ce point sourd à toutes les mises en gardes qui lui ont été faites par le France, les Etats-Unis et tous les anciens pays de l’Est?

Tout simplement parce que l’Allemagne est elle aussi en retard d’un coup sur la réalité géostratégique de l’Europe. L’Allemagne n’a pas d’armée, malgré un budget quasiment équivalent à celui de la France, dont on se demande bien où il va. L’Allemagne a vécu dans le rêve qu’elle allait pouvoir faire la médiation entre les Etats-Unis et la Russie, que tel était sa destination, consistant à réaliser le projet grandiose de la réunification de tout l’hémisphère nord de la planète. L’Allemagne se veut la synthèse de la liberté économique américaine et d’une certaine vision communautariste et socialiste de l’ancienne URSS. Une telle thèse a pu survivre, tout simplement parce qu’il faut une génération entière pour changer les mentalités. Angela Merkel est né en RDA. La RDA, qui servait de vitrine au communisme était le mieux traité de tous les satellites. Le mur est tombé en 1989, mais le mur mentale des représentations est bien plus difficile à modifier. Un ami allemand m’a raconté comment, après la chute du mur, il était parti découvrir cette moitié de pays qu’il n’avait jamais vu. Il avait été fasciné de voir un pay radicalement différent du sien et comme gelé dans son état post seconde guerre mondiale. Un pays sans progrès, sans évolution, misérable comparé aux standards de la la RFA. Ce que nous découvrons maintenant, c’est qu’il en était de même des mentalités, y compris chez Angela Merkel, qui a étudié le russe de nombreuses années. Poutine n’a même pas eu besoin d’espion. Il lui a suffit d’utiliser cette latence mentale.

Lorsqu’elle travaillait à l’Académie des sciences de RDA, A Merkel a occupé à partir de 1981 un poste de secrétaire des Jeunesses communistes pour l’Agitation et la Propagande, ce qu’elle nie toujours.

Aujourd’hui enfin, mais uniquement à la faveur de la guerre, l’Allemagne se réveille de son rêve géopolitique. Mais le chemin de la prise de conscience n’est pas encore terminé. L’Allemagne n’a pas encore compris qu’elle était européenne et uniquement européenne. Au contraire de la solidarité avec ses partenaires, son premier réflexe a été de montrer son allégeance aux Etats-Unis avec ses commandes d’armes (notamment 35 chasseurs) évitant au passage soigneusement la France. Le vieux réflexe « RFA » a pris la place du rêve nordique. Mais le réflexe « européen » n’est toujours pas là. Espérons que le réveil allemand sera cette fois suffisamment brutal pour que notre pseudo allié, après tous les efforts consentis par la France pour construire l’Europe, sera enfin à la hauteur.

Et la France?

Le plus frappant en France est l’attentisme d’une partie de la population. Là encore, les causes viennent de loin et plongent leur racine dans l’ancienne puissance du parti communiste, mais aussi dans une certaine lâcheté française. L’Angleterre, dont la tradition libérale est bien plus forte, a réagi immédiatement. En France, une partie non négligeable de la population adhère aux thèses pro-russes. « C’est de la faute de l’OTAN qui s’est trop étendu », « il faut permettre à Poutine de ne pas perdre la face et puisse s’en sortir avec honneur, pour pouvoir arrêter la guerre », « les Etats-Unis sont prêts à sacrifier jusqu’au dernier ukrainien » (Luc Ferry), « il faut arrêter l’escalade (Pascal Praud), jusqu’au totalement délirant « Dès la fin de la guerre, il faut faire entrer la Russie dans l’OTAN (Marine Le Pen, 42% au second tour des présidentielles), sans même évoquer le délire de la propagande russe qui prétend « dénazifier » l’Ukraine.

Heureusement qu’il nous reste le nucléaire – cuve de l’EPR de Flamaville

Tous ces arguments sont totalement faux. Il suffit de leur opposer une réalité très simple, la Russie a déclenché la guerre et tenté d’envahir toute l’Ukraine. L’Ukraine n’a jamais menacé d’envahir la Russie. L’Occident a tout fait pour arrimer la Russie depuis la chute du mur, des pipelines, aux investissements de Total, en passant par Chelsea appartenant à Ibrahimovic (il y a 1000 exemples). La Russie entretient un discours belliciste, doublé de nombreuses opérations extérieures qui évidemment inquiète ses voisins (Tchétchénie, Syrie). Et surtout, les peuples et les Etats souverains décident d’eux-mêmes de leur choix géopolitiques. C’est bien la Russie, avec l’invasion de la Crimée et du Donbass qui a été la première la violer les traités internationaux.

En 1994 a été signé le Memorandum de Budapest qui organise la dénucléarisation de l’Ukraine contre la garantie de l’intégralité de ses frontières. Le traité a été signé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie, puis rejoint pour la France et la Chine. La Russie a violé le traité.

https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-quest-memorandum-Budapest-cense-garantir-lintegrite-lUkraine-2022-03-14-1201204902

On reproche aussi à la CIA d’avoir financé la révolution de Maïdan. Et alors? L’Ukraine avait déjà connu la Révolution Orange en 2004. La Russie ne se gène pas pour intervenir dans l’élection américaine, notamment avec ses odieux chatbot qui pourrissent les réseaux mondiaux. De toute évidence l’Ukraine était prête à un tournant démocratique, après des années d’ingérence russe, y compris via l’empoisonnement du précédent président ukrainien. Si la guerre déclenchée par Poutine l’était contre l’extension de l’OTAN, c’est complètement raté, puisque l’OTAN va s’élargir à la Suède et à la Finlande, et que l’Ukraine, pour la partie restante, entrera dans l’Europe. C’était évident. Poutine n’en a que faire. Le seul reproche que l’on puisse faire à l’Europe, c’est celui de son aveuglement géostratégique. Aveugle aux assassinats d’opposants et de journalistes et maintenant d’oligarches. Sourde à la consolidation du pouvoir autour d’un Poutine qui a perverti les institutions de son pays. Sourde au système économique mafieux mis en place, à l’escalade militaire, aux discours incitant à « buter » les tchéchènes jusque dans les « chiottes », etc. Les opposants à l’aide apportée à l’Ukraine n’ont de fait aucune solution au conflit, si ce n’est laisser la Russie envahir l’Ukraine, exactement comme la France, l’Angleterre et la Russie avait laissés Hitler envahir la Pologne.

Septembre 2004, l’Ukrainien Viktor Iouchtchenko, candidat de l’opposition, héros de la Révolution orange, tombe gravement malade en pleine campagne pour la présidentielle qui l’oppose à Viktor Ianoukovitch, candidat favori de Moscou.
Des médecins autrichiens identifient trois mois plus tard un empoisonnement à la dioxine. Iouchtchenko est cependant élu à la tête de l’Ukraine en janvier 2005. Malgré les soins, son visage grêlé et déformé porte toujours les traces de la maladie.

Une partie de la France n’a pas tiré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et n’a toujours pas compris la validité universelle de la prophétie de Churchill « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur. Vous aurez la guerre ». La guerre face au totalitarisme ou à la dictature est inévitable! Seul le déshonneur est évitable. La boussole géopolitique, qui avait admirablement fonctionnée pour refuser la seconde guerre d’Irak, a fait faillite.

My secret? No sport.

Une partie de la France vit toujours dans le sillage de l’éducation communiste qu’elle a reçu à la sortie de la guerre. On sait à quel point le tropisme communiste était et demeure surreprésenté chez les anciens et chez nos intellectuels. Mieux valait l’URSS que les Etats-Unis. Ce discours tourne à vide, mais continue à tourner! Oui, les Etats-Unis seront sans doute les grands gagnants de la guerre. Mais pourquoi le leur reprocher? S’il y a des reproches à faire à un pays, c’est bien à l’Allemagne, qui nous a mis dans cette situation absurde. Rappelons qu’à l’heure où nous écrivons l’Allemagne préfère toujours acheter du gaz russe que de prolonger l’utilisation des 4 réacteurs nucléaires toujours actifs dans le pays, et ne parle même pas de redémarrer les autres!

Une partie de la France vit dans une faillite morale complète, et préfère son petit noir assis à une terrasse de café à la défense de la liberté. Les appels à la désescalade sont totalement fous, puisqu’il est impossible de faire la paix avec une Russie qui ne veut pas faire la paix! Mais qu’importe à nos pacifistes pétris de bon sentiment. Il suffit de se coucher pour avoir la paix, alors couchons nous. Et demandons aux ukrainiens de faire pareil, parce que leur comportement , bien loin de nous obliger, nous donne mauvaise conscience, et que la guerre nous fait peur. Cette faillite morale procède de la même lâcheté qui empêche les français de regarder leur dette et surtout la puissance et la douleur des réformes qu’il faut accomplir pour réformer le pays.

Derrière tous ces renoncements, c’est l’étatisme français qui pointe. Tout ce que le peuple refuse, il en transfert à l’administration, trop heureuse de son côté de gonfler en permanence et de réduire toujours notre liberté, sous couvert d’organisation. Tocqueville l’a parfaitement analysé dans l’Ancien régime et le Révolution. En France, les régimes changent, mais l’administration croit en permanence. Une grande partie du peuple n’est pas à la hauteur de la liberté dont il a été la flamme dans le monde entier.

Le temps long de la civilisation

Nous ne pouvions évidemment pas couvrir l’évolution de tous les pays, ni tout les arguments. L’essentiel est de montrer comment nous restons dépendant des représentations des générations précédentes. Sur un autre sujet, il nous aura fallu plus de 30 ans pour développer la voiture électrique, alors que nous savons depuis plus de 30 ans que la pollution réchauffe la planète!

Toutes les grandes guerres ont lieu deux fois. La guerre mondiale a eu deux actes. La Seconde Guerre Mondiale a débouché sur une guerre froide. Les Etats-Unis ont gagné le premier acte en Afghanistan. La guerre en Ukraine est le second acte de la chute de l’URSS, après la guerre froide. Espérons cette fois que la victoire militaire soi complète, que l’Ukraine reste une démocratie et intègre l’Europe. Quand à la Russie, le régime de Poutine ne sera pas éternel et il faut espérer que l’Occident sera enfin suffisamment habile pour réussir, non pas une démocratisation de la Russie, qui ne dépend que d’elle (et passe souvent par une partition, une guerre civile ou une Révolution) mais au moins en conduisant une certaine pacification de la Russie.

Annexe

Les achats d’énergie à la Russie depuis le début du conflit.

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