La mémoire des émotions
Les premiers bonheurs et les premières déceptions de notre vie marquent à jamais notre psyché. Il est même fort possible que nos premiers moments, les premiers instants de notre venue au monde, forgent notre caractère pour le restant de notre vie. Dans nos premières années, nos premières émotions, nos premiers plaisirs et peines restent également à jamais gravés. Nous pouvons ainsi en tirer un incroyable bénéfice. Nous pouvons, dès que nous en avons besoin, retrouver ces plaisirs primitifs en retrouvant leurs causes. C’est ce que l’on appelle une « madeleine de Proust », en référence au génial passage de La recherche du temps perdu ou le narrateur se rappelle prendre le thé chez sa grand-mère et les madeleines qu’elle lui servait.

L’idéalisation du passé
Chacun de nous, et chaque génération a ainsi ces repères d’enfance, fondateurs de nos expériences individuelles et fédérateurs du groupe les ayants vécues en commun. Il y a la génération Star Wars, la génération Harry Potter, la génération Avengers. Nous nous rappelons l’histoire, les héros, le temps qu’il faisait quand nous avons vu ces films pour la première fois, ce que nous avons mangé ce jour-là et surtout avec qui nous avons partagé ce moment. C’est comme une bulle isolé du temps, comme une cabine étanche au milieu de la tempête de la vie.
Dans notre cœur, c’est définitivement Goldorak, Grendizer en japonais, qui tient la première place. Pourquoi lui et pas un autre? Parce qu’entre tous il parle à l’âme des enfants et singulièrement à celle des petits des petits garçons.
Actarus, le héros descendu sur terre
Actarus a toutes les caractéristiques du héros classique. Comme Héraclès, il descend du ciel, ce qui lui confère une origine divine. Couper de sa lignée divine, disparue dans une guerre des dieux, une guerre galactique, il doit se faire adopter sur terre par un professeur d’astronomie qui veille sur les horreurs provenant de l’espace, le professeur Procyon. Actarus en hérite une double identité. Il est à la fois le prince d’Euphore et le garçon de ferme qui travaille dans un ranch. A l’image des héros grecs, la force d’Actarus est colossale, inhumaine, faisant de lui un être radicalement supérieur à tous les autres. Bien sûr il est aussi noble moralement que beau et fort. Il ne profite jamais de ses atouts pour devenir un roi ou un tyran. Son but est de protéger cette planète bleue qui l’a accueilli alors que l’univers le rejetait de ses limbes.

Métamorphose ou la métaphore de la venue au monde
A chaque nouvelle attaque des forces du chaos, de l’Empire galactique de Véga, la même scène clé se répète. Actarus court dans un couloir, se jette dans un passage à travers un mur (alors qu’une porte mystérieuse est aussi présente à la droite de ce passage). Il glisse dans un tunnel étroit, tombe dans un vaisseau à moteur qui le propulse le long d’une rampe et finalement se jette dans le vide en criant « métamorphose ». Il revêt alors son habit de lumière et plonge dans la salle de commande de la navette portant Goldorak. Il n’en a pas pour autant terminé avec tous ces passages. Actarus doit maintenant choisir pour Goldorak une route lui permettant de quitter sa base secrète située au cœur de la montagne où est installée l’observatoire astronomique de son père terrestre. La plupart du temps et après avoir traversé un dédale de grottes, Goldorak doit franchir une cascade pour s’envoler dans le ciel. Lors des combats, Actarus doit se transporter dans son robot, donnant lieu à certaines manœuvres de retournement, comme le Transfert et Autolargue.
Pourquoi ce passage nous fascine-t-il autant? Tout simplement parce qu’il nous rappelle notre venu au monde et en donne une image tout à fait crédible. Il y a d’abord l’âme elle-même, Actarus, qui doit rejoindre le corps. Elle le fait en empruntant une série de tunnel. Nous sommes très proche de la tradition platonicienne, qui décrivait deux lieux de communication entre les âmes et le monde, deux passages leur permettant de venir s’incarner dans les corps, puis de repartir dans le cosmos après le décès des porteurs. Porphyre le décrit dans son Antre des nymphes. Avant d’entrer dans le corps, l’âme se métamorphose, elle devient âme humaine. L’essentiel est acquis, mais le voyage ne fait que commencer. Il faut encore rejoindre le corps et l’accompagner jusqu’à la naissance, la sortie de la grotte. A chaque épisode, Goldorak renaît ainsi. Une fois sortie de la grotte, son corps n’est pas tout de suite prêt au combat. Il est dans une sorte de latence. Il vole, bien à l’abri de sa soucoupe toute ronde. Mais quand l’ennemi arrive, il lui faut bientôt quitter ces langes des premiers jours et rejoindre son corps d’homme. Le si bien nommé « Transfert » et ses deux retournements successifs, qui ont fait couler beaucoup d’encre et dont leur créateur a juste révélé qu’ils les avaient conçus parce qu’ils étaient super classe, rejouent le moment de la naissance, le moment ou lé bébé se retourne pour présenter sa tête au passage qui doit l’emmener au monde. Pourtant il s’agit bien plus sûrement de décrire la puberté, la sortie d’un certain giron familiale, l’accession à un corps d’homme et plus seulement de petit garçon. Le symbole le plus évident, comme dans toutes les histoires pour « homme », est le moment où Goldorak utilise son astéro-hache pour vaincre ses ennemis. La hache prend ici la place traditionnellement dévolue à l’épée, symbole phallique de la puissance de l’homme et de sa capacité à faire advenir les générations futures.
Lé héros contre le chaos du destin
En quelques minutes répétées et ritualisées, nous enfants revivons la force et l’élan qui nous a mise au monde et nous découvrons symboliquement l’avenir qui nous attend.
Mais il y a encore plus. Actarus est aussi le symbole d’une lutte contre le destin et de la défense de la vie Il mène une lutte typiquement héroïque. Venue au monde de manière particulièrement chaotique, l’âme-Actarus n’a aucune nostalgie de ce monde d’avant. Au contraire d’un Platon, ou de pensées religieuses nous expliquant que « la vraie vie est ailleurs », que notre réalité n’est pas à la hauteur de nos âmes, Actarus nous présente un autre monde d’une laideur consommée, comme le sont Idargos, le Grand Stratéguerre et consorts, et dont le seul but semble être d’anéantir – de faire retourner au néant – toute création. Actarus, lui qui a payé si cher sa venue au monde, est un fervent défenseur de la vie. Comme tous les héros, et comme tous les hommes, son destin est finalement de lutter contre le chaos et de restaurer l’ordre. Le monde des étoiles dont il vient n’est plus du tout un but, c’est au contraire un ennemi. Seule la vie sur terre vaut la peine d’être vécue.
Le prisme japonais et technologique a remplacé la force pure du corps, qui ne suffit plus à lutter contre les déchaînements de la nature et des astres. Les héros antiques avaient un corps parfait et une âme d’homme. Mais le héros antique avait aussi une armure divine. Héphaïstos qui forge l’armure d’Achille à la demande de Thétis, la mère du héros. Actarus lui aussi a complété son corps par une armure venue du ciel, nouvelle figure de la perfection technique. Tout se passe comme si les parents concevaient le corps, mais n’avait finalement pas tant de pouvoir sur l’âme elle-même. Cependant, comme dans tous les dessins animés, le héros souffre réellement physiquement en même temps que son armure de chevalier reçoit coups et insultes de son ennemi, ce qui montre assez qu’il n’y a pas de différence entre la machine et l’homme.

Philip Rundell (1746-1827)
Il est assez impressionnant de voir un dessin animé japonais du XXème siècle reprendre quasiment à l’identique les codes des mythes grecs les plus anciens, et peut-être plus encore de voir le succès millénaire de ces contes formant la psyché des petits garçons. Gravé dans notre imagination, à chaque moment de découragement de notre vie, il nous est possible de retrouver le sens de notre venue au monde, de retrouver courage et moralité, en regardant à nouveau ses épisodes ayant bercés notre tendre enfance.