Desperate housewives est comme la synthèse d’une bibliothèque de romans à l’eau de rose. Toujours charmante, spirituelle, violente parfois mais dans les limites de l’acceptable, cette série, qui fut l’une des premières de la nouvel ère des série à rencontrer un vif succès, est dotée d’un charme fou.
Le succès ne vient ni seul, ni au hasard. Comme J.K. Rowling, pour d’Harry Potter, Mathiew Weiner, pour la série Mad men, Marc Cherry, l’auteur de Desperate Housewives, a dû attendre sept longues années avant de voir son projet aboutir. Il a eu largement le temps de peaufiner son oeuvre.

Leçon n°1 – Le concept
D’où vient l’inspiration? Comment l’artiste sait-il ce qu’il va écrire? Comment fait-il pour réussir à relier tous les fils de son oeuvres et parvenir au but de son histoire?
C’est aussi simple qu’inattendue. L’artiste ne se laisse pas porter par son imagination ou son élan poétique. Il garde son inspiration pour le contenu. S’il suivi l’instinct du moment, il ne parviendrait jamais à construire une histoire entière. C’est à peine s’il pourrait faire un poème.
En fait l’artiste a déjà une idée de ce qu’il veut faire et de ce qu’il cherche à démontrer. Il commence par dessiner un « concept ». L’art du concept traverse toutes les créations artistiques, que ce soit celles des beaux arts, ou celles de l’artisanat. La fabrication d’une automobile commence par un concept. Cette d’un jeu télévisée aussi. Mais il en est de même de l’oeuvre de Balzac, la Comédie Humaine, qui résulte d’un concept de la description de la société nouvelle. Il en est de même d’Hugo qui expose le nouvel art du Drame, qui mélange comédie et tragédie, dans la Préface de son Cromwell.
Tout le monde n’a pas besoin d’être Hugo ou Zola. Tous les artistes n’ont pas besoin d’un projet gigantesque, gargantuesque, qui consommera toute leur vie. En revanche, l’artiste, comme tout artisan, a besoin d’un but.
Le concept de Desperate housewives est clair, il s’agit d’une série à l’eau de rose qui montre comment cinq femmes habitants dans la même rue essaient de trouver l’amour ou de le conserver.
Leçon n°2 – Wisteria Lane – le lieu
Le cadre de l’histoire, le lieu, fait l’objet d’une épure assez impressionnante. Tout se déroule dans l’une de ses banlieues cossues qui jalonnent les Etats-Unis. La production n’a pas eu peur de la caricature. Toutes les maisons sont magnifiques, et le quartier immaculé. C’est dans ce cadre idyllique que se déroulent les aventures de nos femmes aux foyers.
Leçon n°3 – Les personnages
Eau de rose oblige, les principaux personnages sont toutes des femmes. Les personnages secondaire sont leurs maris, leurs enfants, et leurs amants. Elle forme un groupe d’amis que rien ne peut séparer.
Chaque personnage porte un problème, ici un problème de couple, qui va être le moteur de ses aventures.
Suzanne
Suzanne est l’héroïne de la série. Durant les 4 premières saisons, l’aventure tourne autour de son histoire d’amour et de Mike, le beau plombier qui a emménagé en face de chez elle. Suzanne est l’héroïne type du roman pour femme sentimentale. Elle est douce comme un bonbon à rose. Elle a fait les beaux arts. Elle tombe amoureuse tout le temps. Maladroite au grand cœur, elle cimente le groupe des amies qui habite dans la même rue. Suzanne sort de son premier mariage où elle était avec un tombeur. Elle veut reconstruire sa vie avec Mike, mais il y a toujours un événement imprévus qui vient entraver ses désirs… jusqu’au mariage romantique dans les bois qui marque la fin du premier cycle d’histoire.
Brie Van de Camp
Brie est la belle rousse. Elle est l’épouse parfaite. Son intérieur est parfait. Sa cuisine est parfaite. Elle est marié à un médecin. Elle cherche en permanence à être à l’épouse modèle et à avoir une famille modèle. Sophistiquée, républicaine, tireuse d’élite, et totalement control freak Brie va évidemment connaître une série de péripéties qui vont entièrement transformer sa vie. Son drame commence quand son mari n’en peut plus de sa perfection.
Gabrielle Solis
Gabrielle est la beauté narcissique ex-mannequin qui ne pense qu’à elle, à l’argent et aux diamants. Les vêtements des grands couturiers sont ses « enfants ». Elle a mis fin à sa carrière de mannequin pour épouser un homme d’affaires talentueux et a acceptée de le suivie dans une banlieue cossue. Mais Gabrielle a un amant, son jeune jardinier.
Lynette Scavo
Même si les autres femmes, Suzanne, et Brie, ont aussi des enfants, Lynette est la mère au foyer. Elle fait des enfants en permanence et son couple avec Tom est parfaitement équilibré. Mais Lynette doit abandonner sa carrière professionnelle pour s’occuper de ses enfants. Maman ou manager? Voilà son dilemme.
Eddie Britt
Eddie est la croqueuse d’hommes, la beauté insecure qui se jette aux pieds de tous les hommes. Agent immobilier, elle est financièrement indépendante, à défaut de l’être émotionnellement. Elle ne se fait pas beaucoup d’amies, et préfère courir après les maris des ses « amies ».
Les files de la tapisserie
Chaque héroïne est prise dans une double rapport, à ses amies d’un côté, et à ses amours de l’autre. Dans chacune de leurs aventures, leurs valeurs et leur caractère propre vont être mis à rude épreuve. Leurs passions déterminent toutes leurs actions.

Développer des émotions envers les personnages
Un jour, un ami m’a fait lire un roman qu’il avait écrit. Arrivé à la moitié, et malgré les qualités de l’ouvrage, je n’arrivais toujours pas à m’y intéresser réellement. Le livre était original, plutôt bien écrit, le rythme bon, et pourtant, il me tombait des mains. C’est là que j’ai compris une grande leçon. Un livre n’est rien si l’on ne s’interesse pas au personnage principal.
Dans son roman, mon ami avait choisit une voix provocante. Il avait voulu faire ce que personne n’avait encore fait: mettre au premier plan un héros totalement antipathique. Il s’appelait Daniel, et c’était un politicien entièrement cynique, que seul le pouvoir intéressait. Il ne faisait finalement qu’une chose, tout faire pour obtenir le maximum de pouvoir politique, suivant les leçons des sophistes, de Machiavel ou de l’ENA. Le roman étai très réaliste. Trop même. Et ce héros ne faisait finalement que nous rappeler la tristesse de la réalité de la politique dans nos démocraties. Le héros était l’anti-héros parfait. Méchant, égoïste au dernier degré, cynique, n’ayant avec les autres que des rapports de manipulation. Il n’avait même pas la moindre motivation réelle pour se comporter ainsi. Il ne s’agissait pas de réparer une blessure ou de compenser une injustice, de se battre pour un idéal. Rien.
Je n’ai pas pu finir le livre. Et c’est là que j’ai compris l’importance qu’il y a à rendre son héros aimable. Soit qu’il se batte contre une injustice (Batman, le comte de Monte Cristo), qu’il cherche l’amour, et que celui-ci soit impossible, comme (Bérénice de Racine), qu’il vive un drame déclenché par son propre égoïsme (Achille cherchant à venger la mort de Patrocle), qu’il luttre contre le destin et les dieux (Ulysse), pour les valeurs et l’amour de son frère, quand bien m^me cela le conduirait au sacrifice et à la mort. (Hector, toujours dans l’Illiade), etc.
Le héros doit être ambivalent, ou torturé. Il doit avoir un problème à résoudre, ce qui le rend humain et nous permet de nous identifier avec lui. Il est facile de s’identifier avec un héros parfait défendant la justice. Mais même s’il n’est que ça, il ne nous interessera pas. Superman a une double identité, et il vient d’ailleurs. C’est le héros positif, comme Luke Skywalker, Obi Wann, Batman. Mais ils ont leurs épreuves, leurs combats, leur chemin de sagesse. Même les grands méchants ont leur raisons et leurs dilemnes. Il cherche le pouvoir, mais surtout la vengeance. Ils peuvent aller jusqu’à la rédemption, comme Darth Vador. C’est d’autant plus magnifique qu’aucun héros n’a besoin d’une rédemption complète, puisqu’il luttre contre le mal.
On pourrait facilement trouver les raisons qui nous amènent à aimer les héros. L’équilibre du caractère passe souvent par la révélation de son enfance, par le discours des origines, qu’on appelle désormais back story. Mais ce n’est pas une nécessité, d’autres modalité sont possibles.
L’anti-héros pur est un repoussoir complet. Il empêche toute identification. A l’inverse, le héros pour lesquels nous ressentons de l’admiration, de l’amour et du désir, de la pitié, ou qui nous font peur, comme les méchants et vilain; les héros qui passent à l’acte, qui ont une faille, qui nous ressemblent, ou enfin, qui ont une capacité à changer, à se révéler à eux-mêmes à travers les événements, les péripéties de l’histoire, voilà les héros auxquels nous nous attachons.
Leçon 4 – Le destin
Les passions
Si la littérature était un traité de philosophie, les romans seraient aussi calmes que les cimetières. La passion est l’un des moteurs de l’histoire romanesque. Toutes ces femmes défendent leur valeurs et leurs émotions jusqu’au bout. Lynette ne lâche jamais rien et veut tout diriger. Brie cherche en permanence à sauver les apparences. Si nous donnions de cette manière libre court à nos passions, la vie serait invivable.
Les péripéties
Pour qu’il y ait des histoires, il faut qu’il « se » passe quelque chose. Et c’est le rôle du romancier, de l’auteur, de jeter ses héros dans un lot d’aventures. Les personnages n’ont plus alors qu’à réagir selon leurs définitions. Chacune des héroïnes a son arc narratif, dans lequel elle est en permanence confronté à des événements niant sa nature. Elle doit se battre, soit pour rester elle-même, soit pour mettre fin à ses souffrances. Eau de rose oblige, leur but est le grand amour. Mais bien sûr, rien ne se passe comme prévu….
L’art de la péripétie repose sur la métaphore, la métamorphose, la comparaison, le quiproquo, le déguisement, le remplacement, l’incompréhension, le mensonge, le passage du malheur au bonheur et du bonheur au malheur. Pour paraphraser Ricoeur, on pourrait parler de « métaphore vive », ou vivante. Il s’agit, tout à fait à l’inverse des mathématiques, de ne pas mettre les choses à leur place. Les auteurs de série sont passés virtuose dans cet art.
La métaphore et la métonymie sont l’essence de l’art. Bien sûr tout ce qui touche à l’équilibre, aux proportions, au rythme, à l’élévation du langage est indispensable. Mais c’est dans la métaphore que se loge toute la créativité. Les fleurs du mal, « la douce clarté qui tombe des étoiles », « on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve », et tant d’autres exemples. La métaphore ne se limite pas aux jeux de vocabulaires, elle doit intégrer et irriguer l’histoire elle-même.
Le MacGuffin
Dernier ingrédient magique, le mystère. Desperate housewives excelle dans cet art. Un incident, un accident, un meurtre, une disparition, ont lieu au début de chaque saison et trouve leur résolution à la fin de la saison. Rien ne permet de savoir vraiment à l’avance ce qu’il va se passer. Le suspens est tellement complet que la plupart du temps nous avons totalement oublié le sujet lorsqu’il revient en fin d’aventure. La toute dernière scène de la série montre la jeune femme qui a racheté la maison de Suzanne en train de cacher une boîte contenant des secrets mystérieux dans l’un des placard du garage.
Le MacGuffin est un concept scénaristique popularisé par Alfred Hitchcock. Il s’agit d’introduire un élément totalement indéterminé dans l’histoire, pour lui servir de fil rouge. Hitchcock donnait l’exemple d’une boîte mystérieuse dont le secret ne serait révélé qu’à la fin de l’intrigue. C’est l’élément secret qui sera le support de plusieurs interprétations, de chemin qui ne mène nulle part, et qui sera l’objet de la révélation finale. On finirait par penser qu’il suffit de créer une situation simple, puis de la complexifier à l’infini et de raconter tout cela à l’envers pour faire une bonne histoire!
Parfois, c’est totalement raté, comme dans ces séries où les héros courent après un but inconnu, ou un méchant qui n’existe pas. Et nous sommes totalement frustré lorsque la fin arrive. Il suffit de penser à la terrible non fin de Lost, ou à ces séries dont la production s’est arrêtée avant la fin de l’histoire… Desperate housewives est l’exception qui confirme la règle. Les intrigues de long court sont parfaitement menées. La première concerne le suicide de l’une des amies du groupe, Marie Alice, cette mort par laquelle, paradoxalement, tout commence. Ces intrigues assurent les relations entre les histoires individuelles, ou de couple, de chacune des héroïnes, et constituent le ciment, l’arc général reliant tous les points de l’action. Ces intrigues font l’objet de renversement si réussis qu’ils nous rappellent les dénouements des romans policier d’Agatha Christie, tout en restant beaucoup plus doux.
La fin de la série (malgré la mort de Mike que nous ne pouvons accepter…), est de toute beauté. Toutes les grandes étapes de la vie y sont résumées en quelques images. Un mariage pour Renée, un nouvel amour pour Bree, la réconciliation du vieux couple Scavo, la naissance de la petite fille de Julie, l’ascension professionnelle de Gaby, et enfin la mort paisible de Mc Cluskey la voisine atteinte du cancer.
L’opposition, la rivalité, le combat
Une bonne histoire matérialise le combat pour le sens de la vie. La plupart du temps, cela passe par la création d’un opposé, d’un ennemi, d’une némésis, c’est à dire d’une sorte d’envers du héros. L’exemple type est la rivalité entre Achille et Hector. Leur rivalité est complexe, l’un est un demi-dieu pas très aimable, tandis que l’autre est un grand-frère qui suit des règles le conduisant à une mort certaine.
La plupart des oppositions sont bien plus simples. Il y a le gentil et le méchant, les amoureux, et ce qui vient contrer leur amour. L’opposition est ensuite redoublée dans les personnages secondaires. Le modèle de cette structure reste le théâtre classique.
La voix off et les effets de style narratif
Le destin est organisé par l’auteur. Il y plonge ses personnages et leur caractère avec délice. Pour ne pas se faire voir, pour se cacher même, l’une des méthodes les plus sûres est de se cacher derrière un personnage. C’est souvent le grand manitou, un peu comme le cardinal de Richelieu dans les Trois mousquetaires, le méchant dans James Bond, etc… La vie est un roman. Nous sommes tous uniquement armé de notre caractère et plongé dans les difficultés de la vie.
Dans notre série préférée, c’est le personnage de cette amie disparue, qui joue ce rôle en introduisant et concluant la plupart des épisodes en livrant une leçon de vie.
Il n’en faut pas plus pour écrire de bonne histoire. Enfin si, il faut encore ajouter ce dernier ingrédient magique et indescriptible qui fait toute la différence entre une histoire réussie et une histoire qui manque son but, le talent.

Appendix
Plusieurs recherches croisées (narratologie, psychologie de la lecture, dramaturgie et même neurosciences) convergent : certains types de personnages, de traits de caractère et de trajectoires créent presque universellement de l’attachement.
Voici une synthèse détaillée, structurée par personnages, caractère et type d’aventure.
1. Types de personnages qui suscitent l’attachement
| Type de personnage | Pourquoi il fonctionne | Exemples |
|---|---|---|
| Le “héros vulnérable” | Faiblesses visibles → humanise le personnage, stimule la compassion. | Frodo (Le Seigneur des Anneaux), Harry Potter. |
| Le “juste” | Sens moral fort, protecteur des autres → respect et admiration. | Atticus Finch (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur), Aragorn. |
| Le “rebelle au grand cœur” | Extérieur dur, mais loyauté et tendresse → surprise affective. | Han Solo, Lisbeth Salander. |
| Le “personnage en quête de rédemption” | Tension dramatique forte + empathie → on espère sa transformation. | Jean Valjean, Severus Snape. |
| L’outsider / marginal | Identification des lecteurs qui se sentent “hors norme”. | Holden Caulfield (L’Attrape-cœurs), Gregor Samsa. |
| Le mentor faillible | Figure protectrice mais imparfaite, qui révèle une part d’humanité. | Dumbledore, Gandalf. |
2. Traits de caractère qui séduisent le lecteur
| Trait | Effet émotionnel | Exemples |
|---|---|---|
| Vulnérabilité assumée | On s’identifie et on veut protéger le personnage. | Anne Frank, Charlie dans Le Monde de Charlie. |
| Résilience / courage malgré la peur | Admiration, inspiration. | Katniss Everdeen, Huckleberry Finn. |
| Humour / autodérision | Connexion immédiate, légèreté face aux épreuves. | Tyrion Lannister, Elizabeth Bennet. |
| Loyauté / sens du sacrifice | Respect profond, attachement durable. | Sam Gamegie, Sydney Carton. |
| Complexité morale (zones grises) | Crée de la tension et de l’ambivalence affective. | Raskolnikov, Walter White. |
3. Types d’aventures qui renforcent l’attachement
| Type d’aventure | Pourquoi ça marche | Exemples |
|---|---|---|
| Quête initiatique (voyage, transformation) | Le lecteur grandit avec le personnage, partage ses épreuves. | Harry Potter, Le Hobbit, Jane Eyre. |
| Aventure de survie | Danger + vulnérabilité = tension émotionnelle et compassion. | Seul sur Mars, Robinson Crusoé, Hunger Games. |
| Histoire de rédemption | On espère la réparation et on s’attache à la progression morale. | Les Misérables, Crime et Châtiment. |
| Drame intime | Forte identification émotionnelle, proximité psychologique. | Madame Bovary, Mrs Dalloway. |
| Lutte contre l’injustice | Le lecteur se solidarise avec le personnage. | 12 Years a Slave, To Kill a Mockingbird. |
4. Fondements psychologiques de l’attachement
- Identification : on projette nos désirs, peurs ou valeurs dans le personnage.
- Empathie : les épreuves et émotions du personnage activent les mêmes circuits cérébraux que si on les vivait.
- Espoir et tension : l’histoire maintient l’attente d’une issue positive ou juste.
- Arc de transformation : voir le personnage évoluer renforce le lien affectif.
Synthèse : la recette de l’attachement
Un personnage imparfait mais digne, qui traverse une épreuve forte, avec une évolution émotionnelle ou morale et des valeurs universelles (loyauté, amour, courage, justice), tend presque toujours à susciter l’attachement.
Veux-tu que j’illustre ces catégories avec des exemples spécifiques dans un roman précis que tu analyses ?