Les Avengers constituent le phénomène culturel le plus puissant de la dernière décennie. Star wars est devenu démodé d’un coup d’un seul. Le Seigneur des Anneaux et le Hobbit retournent dans leur monde. Alors, à quoi tient ce succès planétaire inédit?
De nombreux facteurs de succès ont déjà été largement commentés, comme la progression de la bande dessinée, le renouvellement des héros américains après la vague Superman, Batman, Wonderwoman, le développement de la culture geek et pop, et la très lente gestation de ces héros qui infusent les comics nés en 1933.
Un nouveau polythéisme
Les Avengers, se sont d’abord une galerie éclectique de personnages héroïques et mythiques, inventés par Stan Lee, Jack Kirby et tant d’autres.

Un panthéon éclectique
On y retrouve les dieux du panthéon scandinave, avec Thor, Odin et Loki. Il s’agit là de réelles divinités, assez fidèles à leurs origines mythiques.
A côté de cela, les hommes héroïques figurent en bonnes places. Iron Man, est l’homme prométhéen, l’homme conquérant l’univers grace à la technique. Black Panther est son alter ego Africain, qui même s’il puise sa force dans la culture tribal du continent sauvage, reste également un homme, succédant à son père. Black widow l’espionne de l’Est retournée par l’occident plonge ses racines dans la guerre froide. Hawk Eye, l’archer, est une sorte de Robin des bois moderne passé par une formation militaire d’élite. Du coté des hommes enfin, Captain Fury, le patron du Shield, qui a la lourde de tâche de faire travailler tous ces héros ensemble, ce qui ne s’avèrent pas toujours possible.
Mais les hommes pour ainsi dire purs ont une finalement une place assez réduite. L’essentiel est composé d’un nouveau type de héros, qui ne descendent pas d’union de dieux et d’hommes, mais de transformation technique, animales, ou magiques. Les plus nombreux sont les hommes animaux, en tête desquels nous retrouvons la gentille araignée new-yorkaise, Spider-Man. La mutation de Spider Man est constante. Tel Superman, il porte toujours son pouvoir en lui. Dans les métamorphosées de la science, se trouvent Hulk, né de l’irradiation du docteur Banner par des rayons Gama. Hulk est l’un des seuls à avoir une double personnalité, comme son ancêtre le docteur Jekyll et Mister Hyde, il passe de sa forme humaine à sa forme monstrueuse. Mais contrairement à son illustre prédécesseur, il est du côté du bien. Le docteur Banner, même s’il se transforme sous le coup de la colère, devient un monstre pour défendre la justice. Dans la même catégorie se trouve Ant-Man, qui malgré son nom d’animal ne se transforme par en animal, mais peut augmenter et réduire sa taille grâce à un sérum technico-magique. Il a la capacité supplémentaire de pouvoir communiquer avec les fourmis. Captain America, invention d’un savant allemand, transformé d’être chétif à demi-dieu quasiment immortel, symbole de l’Amérique du Bien. Docteur Strange a le statut particulier d’être directement relié à une pierre d’infinité. Captain Marvel enfin, signe le retour d’une nouvelle super héroïne, préfigurant de loin la nouvelle place de la femme.
Les méchants suivent quasiment les mêmes codes. Ils ont eu aussi souvent une double identité, un costume, des pouvoirs ou des attributs de pouvoir. Ils sont la plupart du temps des « nemésis », des envers négatifs du héros qui luttent contre eux. L’araignée combat quantité de méchants animaux, comme le scorpion, rhino, le crocodile, etc. Thor et Loki se battent entre eux. Iron Man se bat contre Ultron, sa propre création informatico-robotique. Captain American défait Red Skull, Crâne rouge, la première création du docteur Josef Reinstein. Malheureusement pour eux, les méchants semblent souvent finir du côté du mal. Leur re-transformation dans leur identité civile devient de plus en plus problématique à mesure qu’ils deviennent de plus en plus fascinés par leurs pouvoirs, comme le Docteur Doom, le Bouffon vert, et Octopus. Ils deviennent de plus en plus des monstres, rappelant les bêtes chimériques de la Grèce antique. Les vilains sont le plus souvent des hommes de pouvoir proche de la maturité, tandis que les héros restent pour la plupart éternellement jeunes.

Parmi les méchants, Thanos a évidemment un statut très spécial. Il est le seul Dieu, Titan, plus exactement, pris directement du panthéon grec, même s’il n’y a pas une place très développée. Il est surtout le dieu de la mort, et nous aurons à y revenir.
Les Gardiens de la galaxie constitue une étape supplémentaire et décisive dans la diversification. Leur style est en rupture avec ceux des Avengers, ce qui n’est pas étonnant puisqu’ils ont été crée par une nouvelle équipe, Roy Thomas pour le dessin et Arnold Drake pour le scénario. Ils n’ont plus besoin de se transformer. Ils affichent fièrement leurs différences, qui viennent des différentes planètes dont ils sont issus.
Une nouvelle religion
A travers cette liste de personnages, se dessine un véritable univers religieux, reprenant la forme du polythéisme greco-romain. Les personnages s’ajoutent, se rencontrent, connaissent leur propre cycle d’aventures, comme Jason, Persée, Ulysse, Héraclès, et parfois se retrouvent pour des quêtes plus grandes, comme Héraclès rejoignant Jason et les Argonautes ou Ulysse allant combattre à Troie.
Les Avengers renouent avec la tradition des héros d’antan et en même temps correspondent à une série de personnages à laquelle la société multiculturelle américaine peut s’identifier. Si toutes les valeurs sont apparemment les bienvenues, certaines se détachent néanmoins. Iron Man représente la croyance positiviste en la technologie, et en l’individualisme. Il colle parfaitement à la génération smart phone et aux tycoons du rêve américain, des Rockefeller à Elon Musk. Captain America est le héros du patriotisme, symbole de la victoire militaire contre le nazisme. La veuve noire rappelle la victoire contre le communisme. Docteur Strange peut être relié à l’école de Palo Alto et les avancées du développement personnel en partie par le bouddhisme, des campus de la cote Ouest américain dans les années 70. Tous les personnages sont là pour rappeler la gloire des Etats-Unis et contribuer à cimenter la communauté autour des valeurs de la diversité, la technologie, et du nationalisme.

Ce versant religion populaire est largement accentué par les films, centrés sur les Avengers. L’oeuvre des comics est encore plus large, avec les 4 fantastiques, les X-men et leurs innombrables méchants en tous genres. Mais ils reposent tous sur les mêmes principes. Un manichéisme simple, voir primaire, la victoire toujours renouvelée, mais jamais acquises, sur les forces du mal. Le respect voir la promotion des différences. Le tout forme une sorte de paganisme moderne sous-tendant la lutte pour la reconnaissance des différences et la tolérance. Notons cependant que leur statut de super-héros reste un problème et un défi pour l’humanité. Leurs pouvoirs font peur, parfois à raison. Les Avengers traitent directement ce thème avec l’affaire des Accords de Sokovie, mettant les Avengers sous la responsabilité d’une autorité internationale. Mais c’est indubitablement les X-Men, plongeant certaines de leurs racines dans le nazisme de la seconde guerre mondiale, qui aborde parfois avec une certaine brutalité la question de l’insertion des détenteurs de super-pouvoirs dans une communauté où ils peuvent être vus comme une menace. Qu’est-ce que la différence? Comment intégrer des personnes radicalement différentes dans une même société? Ces héros savent se remettre en cause et questionner leurs destinée super-héroïques.
Avec les Gardiens de la Galaxie, nous franchissons une nouvelle étape. Les valeurs de tolérance et de diversité ne se réfèrent plus uniquement à d’anciennes mythologie européennes. Elles s’ancrent dans l’espace et dans une nouvelle forme de différence beaucoup plus radicale. Il s’agit de fédérer des espèces différentes, qui n’ont plus grand chose de commun, sauf des missions à réaliser ensemble. On peut y voir un certain retour de « l’essentialisme », c’est-à-dire d’un discours racialiste, où les individus deviennent radicalement différents les uns aux autres. La différence n’est plus culturelle, ou générée par des expériences scientifiques. Elle est raciale. Avec cette nouvelle génération, une nouvelle forme d’humour reposant souvent sur des attaques systématiques contre toute logique voit également le jour. Est-ce un simple hasard? Sans doute pas. Quant à Captain Marvel, inventée en 1967, elle montre la femme toute puissante, la femme rêvée des féministes.

Pierres, Pouvoirs, Planètes et Reliques
L’un des principales innovations de l’univers vient de l’existence des pierres d’infinités, permettant à leur détenteur de contrôler des puissances cosmiques. Elles sont au nombre de six et existent depuis la création de l’univers : espace, temps, âme, esprit, réalité, pouvoir. On aura du mal à voir un véritable système dans ces 6 universaux. Loin de désigner des concepts permettant de mieux comprendre la réalité, les pierres donnent à leur porteur des pouvoirs magiques, voyager dans l’espace et le temps, lire les pensées (esprit), devenir immortel (âme), être invincible (pouvoir), et modifier la réalité. Elles rappellent les pouvoirs que les sciences occultes, ou plus prosaïquement la gemmothérapie, prêtent aux pierres. Comme l’Archenstone, la pierre principe du Seigneur des Anneaux, les pierres nous renvoient au pouvoir enfermé dans matière, à la force dressé et emprisonnée dans le joyau qui en irradie la beauté. Peut-être désignent-ils en fait tous les super pouvoir de l’écrivain, capable de créer un monde à lui tout seul et de s’affranchir de toute réalité pour décrire des histoires merveilleuses?
Ces pouvoirs, comme ressemblent beaucoup, et c’est l’un dés côtés les plus jouissifs de l’univers Marvel, à ce que chaque enfant peut inverter seul dans sa chambre en jouant avec des figurines. « Moi je suis tout puissant! » « Ah whouais, et bien mois je peux me déplacer dans le temps et l’espace et tu peux par m’attraper », etc. Ils s’annulent et se complètent, mettant les héros au défis de pouvoir qui les dépassent tout en mettant plus ou moins à égalité ceux qui les portent. Ils s’ajoutent aux pouvoirs que les héros détiennent eux-mêmes, la foudre, la force, la magie… mais sont cette fois communicables d’une personne à l’autre.

La salle aux trésors d’Odin contient un grande nombre de reliques. Les plus connues, utilisées dans les films, sont le Tesseract, source infinie de pouvoir, et les flammes éternelles, qui comme leur nom l’indique sont inextinguibles. On peut y ajouter comme objet magique le marteau de Thor et le bouclier de Captain America. Trophée de guerre, ou construits spécialement pour leurs héros, ils rappellent les armures que leurs mères demandent à Héphaïstos de forger pour Achille et Enée. « Il faut en être digne », comme du marteau de Thor, et en général chaque héros a son objet, en plus de son pouvoir et de sa tenus, qui participe de son identité super-héroïque.
Les super-héros ne s’arrêtent pas là. Ils passent leur temps à créer de nouveaux objets, avion furtifs, combinaison robotisés, vaisseaux spatiaux, nouvel élément chimique pour Tony Stark… Les méchants sont particulièrement créatifs, comme Octopus qui cherche à maîtriser le pouvoir de la fusion atomique du soleil, le Bouffon vert, ancien fournisseur de matériel militaire américain (sorte de Captain America ayant mal tourné), et le touchant Connors (The Amazing Spider-man), qui devient le Lézard, après s’être injecté le sérum sur lequel il travaille avec Peter Parker.
L’univers des Avengers est d’abord celui de la mythologie nordique des neuf mondes et de l’arbre Yggdrasil qui les soutient et les relie. Les principales planètes, sont Ásgard, où vivent les dieux, Midgard, la terre des hommes, et Niflheim. Ces mondes sont aussi la principale source d’inspiration des mondes de Tolkien.

La géographie terrestre n’est pas en reste, avec l’invention du Wakanda, ce territoire black mythique, situé quelque part en Afrique et caché, à l’instar de celui des Amazon dans Wonder Woman, aux yeux de tous. Avec les Gardiens de la Galaxie, l’univers est pour ainsi dire ré-ouvert et de nombreuses autres planètes et systèmes sont possibles. Ils ont ce que n’avait pas les Avengers avant eu: un vaisseau spatial.
Un Univers étendu
Telles sont les bases de l’univers étendu, dont est dérivé par un coup marketing assez génial le Marvel Cinematic Univers, l’univers cinématographique Marvel. Mais la créativité des auteurs originaux et de leurs successeurs est telle que tout peut être bouleversé, réécrit, recommencé (rebooté) en permanence. Chaque auteur va donner son interprétation, sa vision d’un héros et parfois sa propre chronologie. Là encore, nous sommes proches du mode de génération des grands récits mythiques comptant de nombreux auteurs, comme celui de la Quête du Graal ou de la mythologie greco-romaine dont la genèse s’étale sur des siècles, voir tout simplement comme celui de la Bible et de ses multiples contributeurs. C’est un récit pour ainsi dire « open source ». Tout créateur peut se l’approprier (dans le respect de certains droits d’auteurs), et apporter sa pierre à l’édifice.
Saluons l’incroyable vision de ses juifs new-yorkais, Joe Simon (créateur de Captain America), Martin Goodman (propriétaire de Timely comics, l’ancêtre de Marvel), et les déjà cités Stan Leen et Jack Kirby. Steven Rogers, en reste le meilleur symbole. Le futur Captain america est, avant sa transformation, un grand jeune homme frêle d’origine irlandaise et doué pour le dessin. Il poursuit des études d’art avant de devenir militaire. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à ses créateurs. Depuis le début, tous ces héros, en avance sur leur temps, sont constamment vus comme des symboles de l’Amérique qui advient. Captain America a explicitement été crée, avant que les Etats-Unis n’entrent en guerre, pour lutter contre le nazisme. La nécessité de trouver un public par toujours au rendez-vous, la multiplicité des auteurs et des formats, une création centrée sur des personnages devant charmer l’audience, l’imagination au pouvoir et le syncrétisme, cette combinaison de doctrines apparemment inconciliables, sont les ressorts de cette oeuvre à nulle autre pareille.
Les frères Rousso, avec leurs trois films sur les Avengers, ont continué cette tradition avec une maestria que nous analyserons dans le prochain article.

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