Le Schtroumpfissime

Tout le monde connaît les petits lutin bleus inventés par Peyo en 1958. Cachés dans une forêt à l’abri des hommes, ils habitent un village de champignons, sont dirigés par un Grand Schtroumpf, et parlent le schtroumpf.

Tous les schtroumpfs sont identiques. Impossible de dire quel est leur âge, impossible même au début de leurs aventures, de faire une différence entre eux. Une seule exception, le Grand Schtroumpf, âgé de 542 ans, habillé en rouge quand tous les autres sont en bleu, parlant le langage des hommes et grand magicien. Le Grand Schtroumpfs dirige ce peuple d’enfants avec bienveillance.

Le merveilleux village des Schtroumpfs

Utopie politique

Le monde des Schtroumpfs a tout d’un monde merveilleux. Chacun y suit sa nature, y compris le Schtroumpf paresseux. La nourriture est rarement un problème. Ils parlent aux animaux. Et ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est organiser des fêtes, sorte de banquets populaires, illuminés de lampions.

En dehors du Grand Schtroumpf, il n’y a pas d’organisation politique. Tous les Schtroumpfs sont à égalité. Le Schtroumpf à lunettes, l’un des premiers à se différencier, tente bien de s’imposer comme le numéro 2 ou l’adjoint du Grand Schtroumpf, sans le moindre succès. La culture, symbolisée par ce Schtroumpf, a une place à part et en même temps, est totalement ridiculisée par les autres Schtroumpfs qui ne s’y intéressent absolument pas.

L’image d’une société communiste parfaite s’impose d’emblée, et le Grand Schtroumpf ressemble beaucoup à un gentil « petit père des peuples », le surnom de Staline. Quand un Schtroumpf veut conquérir l’espace, il ne s’appelle pas l’Astro-Schtroumpf, ou le Schtroumpfonaute, mais bien le Cosmoschtroumpf. Il faut désormais expliquer aux enfants que les Cosmonautes étaient les astronautes de l’URSS. D’ailleurs, il faut aussi leur expliquer ce qu’était l’URSS… La propriété privée est limitée au maximum. L’autogestion semble la règle, sauf en situation de crise, quand la nourriture manque, ou que le barrage, qui empêche le village d’être inondé, menace de céder.

Le Schtroumpfissime

La situation politiquement pure des Schtroumpfs en fait un terrain idéal pour imaginer l’impact d’un changement social sur leur communauté. On dirait aujourd’hui, pour imaginer une dystopie, ou plus précisément, une dystopie dans une dystopie, qui par un mouvement hégélien de renversement des contraires, nous ramène à notre propre réalité. Le Schtroumpfissime en donne un excellent et très perspicace exemple.

Le Grand Schtroumpf doit partir pour affaires et laisse son peuple sans chef. Confronté à cette situation inédite, les petits Schroumpfs s’interrogent. Qui doit diriger le village?

Leur première réaction est de voter chacun pour lui-même. Evidemment, cela ne permet pas de désigner un représentant. L’un des schtroumpfs met alors en oeuvre une technique imparable. Au lieu de tenter d’imposer un programme, il dit à chaque schtroumpf exactement ce qu’il veut entendre. Il leur renvoie l’image que chacun d’entre-eux se fait du bonheur, souligne l’importance des farces auprès du farceur, au paresseux qu’il ne faut pas travailler, au musicien qu’il devrait diriger la fanfare… Un niveau sans doute rarement atteint de démagogie, qui montre parfaitement comment se gagnent les voix lors d’une élections démocratique.

Une fois élu, avec un score stalinien, le nouveau Schtroumpfissime veut marquer sa nouvelle grandeur. Il constate rapidement que personne ne lui obéit, « et là, tout s’enchaîne ». Il transforme le schtroumpf musicien en héraut (les médias) devant annoncer ses avis à la population. Il crée une police (ministère de l’intérieur), dirigée par le schtroumpf costaud, qui oblige les citoyens a construire son nouveau palais. Il emprisonne le schtroumpf farceur qui a commis le crime de lèse majesté, en offrant l’un de ses cadeaux explosifs au nouveau souverain. Le farceur devient l’opposant politique et le symbole de la liberté. L’opposition s’organise bientôt. Son premier fait d’arme est de libérer l’opposant politique. Pour motiver ses troupes, le souverain décide de donner une médaille, entre récompense en appelant à la vanité et paiement, à chacun des citoyens qui voudra l’aider à chasser les insurgés. Bientôt la guerre éclate, le village fortifié est envahi par les rebelles.

Heureusement, le Grand Schtroumpf arrive pile au bon moment pour mettre fin au combat, alors que le Schtroumpfissime, dans un geste napoléonien, allait faire donner sa garde. Evidemment, tout se finit bien et le schtroumpf, qui fait amende honorable et abandonne son habit de souverain, est réintégré dans la communauté.

En à peine quelques pages, Peyo nous donne une véritable leçon de critique de la démocratie, parfaite pour initier les enfants à la politique – pourvu que l’histoire sont bien expliquée. Le vote est fortement déconsidéré, via la campagne démagogique d’abord, puis par le comportement du schtroumpfissime, qui une fois en place abandonne ses promesses, ne pense qu’à son propre pouvoir et à se placer au dessus des autres. Même chez les Schtroumf la conquête du pouvoir diffère radicalement de l’exercice du pouvoir, selon la célèbre distinction de Lénine. Les schtroumpfs sont jaloux de leur indépendance et de leur liberté et de leur égalité quasiment parfaite. Ils refusent d’obéir, si ce n’est au plus vieux et sage d’entre-eux.

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