Présenté comme le véritable Graal de l’époque moderne, la confiance en soi est presque devenue synonyme de bonheur et de réussite à elle toute seule. Où la trouver? Comment la garder et la développer? Comment être pleinement soi? La confiance en soi est au centre d’une certaine éthique de l’authenticité et de la réussite. Largement vantée, personne pourtant ne nous en donne vraiment les clés. Cette vertu semble un bien aussi précieux que rare. Les images des stars défilant sur les tapis rouges lors du photo call ou faisant la une des magazines people paraissent en donner une vision idéale qui nous submerge. Mais à part chez ces dieux vivants immortalisés sur papier glacés, où est cette confiance en soi? Est-ce un mythe ou une réalité.
La source de l’amour de soi
Trop souvent nous pensons que l’amour de soi est une forme d’auto-glorification, de libération de notre ego, de narcissisme bien pensé, voir tout simplement d’égoïsme assumé. L’époque nous serine en permanence « be yourself », comme chez Nike, et comme s’il était possible de ne pas être soi-même. On nous répète sans cesse que méritons tout ce que nos passions nous présentent, « Parce que je le vaux bien », affiché en 4 par 3 par L’Oreal sur les cinq continents. Nous sentons pourtant vaguement que cette auto-référence à soi est une impasse, un monologue, un soliloque qui ne nous aide pas justement à « devenir nous-mêmes ».
Même s’il est important de travailler à la puissance de notre ego bien compris, l’individualisme radical est une erreur, une impasse, y compris quand l’on cherche à développer l’amour de soi-même. La vérité est que la manière dont nous nous regardons nous-même dépend en très grande partie de l’amour que nous recevons et avons reçu des autres, principalement de nos proches et de nos parents. L’amour de soi n’est pas un sentiment direct que l’on a envers soi-même. C’est un sentiment médiatisé. Cette circularité est fondée sur la nature de la conscience, qui est elle-même médiatisé par la découverte de l’autre. Je me comprends comme personne parce que je suis capable de reconnaître autrui comme une personne. La conscience est conscience d’autre chose qu’elle-même, et c’est ainsi, en découvrant autre chose, qu’elle se découvre et se comprend comme conscience. C’est la grande découverte, ou l’un des premiers principes de l’âge contemporain. Il marque la rupture avec le sujet cartésien transparent à lui-même du « je pense, je suis ». Nous nous aimons si nous sommes aimés et surtout si nous avons été aimés. Je me vois dans le regard des autres. Mon âme se reflète dans l’œil de celui qui me regarde.
L’amour de soi est une passion sociale. La première constitution du soi, réalisée durant l’enfance, se fait dans le reflet que nous trouvons de nous-même dans le regard de ceux qui prennent soin de nous. Françoise Dolto remarquait que les enfants mis en hospice grandissaient mieux et plus quand une infirmière les prenait dans leurs bras pour leur donner leur biberon. Quand ce même biberon était simplement déposé dans leur lit à barreaux, les nourrissons n’avaient généralement pas ou peu d’appétit. Même nos fonctions dites vitales dépendent du regard de l’autre. Et l’on sait que les premiers instants et les premières sensations de la vie imprègnent profondément la psyché.
Une autre preuve, par l’absurde cette fois, est donnée par les enfants battus et maltraités. Dans leur grande majorité, ces enfants que l’on appelle pudiquement mal-aimé, sombrent dans la drogue et quantité d’autres problèmes. Non-aimés, ils n’ont pas appris à s’aimer eux-mêmes. Ils n’ont jamais compté pour autrui. Ils ont intériorisé le mauvais amour qu’ils ont reçu et continuent de vivre selon cette affreuse mélodie, désaccordée et discordante. Ils se mal-aiment et se font ainsi naturellement du mal. La dévaluation d’eux-mêmes, qu’ils ont eux de l’extérieur, entre en conflit avec les nécessités qu’a leur corps pour assurer leur survie.

Les conséquences de l’amour de soi
Notre confiance en nous-mêmes, la manière dont nous nous jugeons et nous considérons et les émotions que nous avons envers nous-mêmes, irriguent et colorent et structurent la manière dont nous jugeons et vivons le monde extérieur.
L’homme optimiste, qui s’aime lui-même, voit en général le monde comme un champ d’opportunités. Il voit la « vie en rose », et pose également le même type de regard sur les autres. Il est aussi généralement capable de se mettre en avant et de « réussir » dans la vie. Malheureusement, il perd son sens critique, et ne peut généralement pas se remettre en cause. Il n’en a pas besoin. Il préférera tout faire pour détruire son ou ses adversaires que de ce juger avec un tantinet de réalisme. Il se sent « spécial » au point d’être réellement spécial à ses yeux.
L’homme pessimiste, à l’inverse, est toujours dans la remise en cause de lui-même. Indécis. Le peu de considération intellectuelle et émotionnelle qu’il a pour lui-même, le force à se remettre en cause en permanence. Pour lui, comme pour l’optimiste, ce sentiment s’extériorise dans ses réflexions sur les autres, et sur le monde. Il voit les ruptures, les difficultés, les risques. Toujours critique, mais pas forcément défaitiste, il ne se fait pas apprécier de ses proches, qui le plus souvent détestent la remise en cause et ne voient pas ce qu’elle peut apporter.
Plus profondément encore, la dynamique de notre estime de nous-mêmes, la manière dont nous nous définissons à notre propre yeux, conditionne la manière dont nous vivons. Nos difficultés et nos succès dans nos vies affective et professionnelle prennent en grande partie les formes et les représentations de notre psyché. C’est en ce sens que l’on peut dire que notre destin nous appartient, ou plus précisément que notre destin est conditionné par le rapport que nous avons à nous-mêmes. La psychanalyse nomme névrose ce rapport à soi lorsqu’il est défectueux et nous enferme dans une situation répétitive « d’échecs ». Mais en principe, personne n’y échappe.
L’évolution ou la guérison
Les principes énoncés jusqu’ici, aussi justes et pertinents qu’ils puissent être, n’englobent pas encore la totalité de la complexité de la confiance en soi. Dans l’enfance, l’image que nous avons de nous-mêmes est la synthèse d’une construction multiple, prenant en compte le regard de chacun de nos proches. L’amour que nous recevons des parents est plusieurs: père, mère, grands-parents, frères et sœurs, déclinaison selon différents « supports »: intellectuel, corps, professions… La première définition, et la plus puissante est celle venant de la famille. Au second plan les accompagnateurs, les différents mentors que nous rencontrons sur notre chemin, peuvent être d’importants adjuvants de motivation et de développement. Les événements enfin, la ronde des succès et échecs, les dons, contre-dons, caractère et tempérament naturels finissent d’ajouter formes et couleurs à cette peinture. Notre demande d’affection envahit tout. Nous attendons l’amour des autres et même celui de tout l’univers. C’est que nous en avons besoin pour nous aimer nous-même.
Parmi les remèdes traditionnels siège au premier rang l’Amour, avec un grand A majuscule. Il nous est promis par les films et les romans. Le grand Amour guérit tout, surtout en littérature. La logique est correcte. Elle vise le problème réel. La douleur de la confiance en soi est celle d’un amant blessé. Pourquoi Juliette ne pourrait-elle vivre sans Roméo? Elle ne perd pas celui qu’elle aime. Elle perd celui qui l’aime. Mais cette solution, aussi belle soit-elle, existe-t-elle vraiment? La fiction dépasse certainement la réalité sur ce point comme sur tant d’autres. Il reste vrai cependant que la création de liens affectifs, dans la famille (d’origine et de destination), l’ amitié et les relations professionnelles, est fondamental. Sans écarter l’Amour avec un grand A, ruse de la nature pour nous accompagner vers la procréation, il faut parler d’Amour au sens grec de philia, d’amitié compris au sens large.
Si ces liens ne sont pas suffisants, il y a encore la psychanalyse et les thérapies du corps et de l’esprit. Elles nous apprennent à cerner notre discours mental, celui que nous tenons sur nous-même, et sur le monde, conséquence et symptôme de notre rapport interne et réflexif. La thérapie nous conduit vers la réécriture d’une nouvelle histoire qui devient la réécriture de notre histoire. L’un des moyens est de retrouver les silver lining de ce récit. Se rappeler les mots positifs, les discours authentiquement sains, honnêtes et juste, et de s’appuyer dessus. Faire son deuil des nuages et des orages pour se concentrer sur les, peut-être rares, mais précieux rayons de soleil de notre vie. N’oublions pas que ceux qui ont été abîmée par la vie, ont aussi été ouverts à une remise en cause, certes douloureuse, mais qui leur donne accès à la créativité nécessaire pour se réinventer. La redéfinition, la réécriture de notre discours personnel permet la construction d’un nouveau projet de vie, fondé sur de nouvelles valeurs qui permettent de nous voir et nous juger différemment.

Toutes les autres méthodes permettant de remonter l’estime de soi seront un soutien utile. Les victoires du quotidien, la capacité à identifier ses forces et ses faiblesses, la foi – pour ceux que cela peut aider -, le sport, etc. Mais l’essentiel est le discours que nous avons sur nous-mêmes, le récit de notre histoire personnelle, bien plus souple et facile à réécrire, au moins en partie, pour le remettre dans un sens positif. Si nous avons survécu jusque-là, c’est évidemment que nous avons connu des succès dont nous pouvons être fiers.
Le méta-récit – le récit personnel
La manière dont nous nous définissons à nos propres yeux va se précipiter comme dans une réaction chimique, en un certain nombre de pensées structurantes, de définition de notre rapport au monde. Ces méta-représentations conditionne la manière dont va fonctionner du point de vue psychologique, notre rapport au monde. Ce récit est subjectif et propre à chacun. Il va inclure des éléments positifs, et des éléments négatifs. Tant que ce discours ne bouge pas, reste identique, nous restons dans le même modus operandi pour toutes nos expériences. Mais si nous parvenons à le modifier, nous pourrons modifier toute notre vie et notre action.
Il est simple de repérer les pensées limitantes et nous menant à l’échec venant de notre discours intérieur, intériorisé depuis notre enfance. Il suffit de trouver toutes les pensées qui nous rendent tristes. Toutes celles pour lesquelles nous pensons que nous n’y arriverons jamais, et pour lesquelles une vue objective de la situation ne nous suffit pas. Dès que l’émotion envers nous-même est négative, c’est la signature que cette idée contribue à la haine et la détestation de nous-mêmes. Tout l’art de la thérapie est d’identifier ces pensées-émotions, puis de les redresser vers un jugement objectif qui nous permettra de redevenir libre.
Donnons deux exemples assez généraux. Au travail, nous avons souvent l’impression de ne pas être rémunérés à notre juste valeur ou de ne pas être reconnu. Face au coût exorbitant du logement, nous pouvons avoir peur de ne pas avoir de foyer. Dans les deux cas, nous sommes enclins à nous plaindre et à nous voir comme des « ratés », notamment parce que ces deux points touchent nos fonctions vitales, notre survie, que nous avons du mal à assurer. Et pourtant…rien de plus commun et de plus banale que ces situations. Objectivement, aucun travail n’est pas parfait, il faut faire des compris, et il est préférable, selon certaine limite, d’avoir un travail plutôt que de ne pas en avoir. Il en est de même pour le logement. C’est cher pour tout le monde, et plutôt que de rêver et se torturer sur l’inaccessible, notre devoir est de nous trouver un endroit qui nous convienne.
Ces exemples sont génériques et peuvent ne pas être pertinent pour tous. Cependant, nos problèmes de discours sur nous-mêmes vont forcément porter sur ce qui nous est essentiel: famille, amour, travail, foyer, etc. En nous appuyant sur une relecture du discours des autres, en réécrivant en partie notre histoire personnelle, nous avons deux puissants leviers pour mieux nous regarder et mieux nous voir dans le miroir de notre conscience.
La conséquence éducative
La gageure est d’éduquer et de faire grandir les enfants en leur apportant la construction de soi la plus saine, sans la briser. C’est malheureusement en partie impossible, la naissance étant toujours un processus de spécification et de limitation. Partant d’un bois nécessairement tordu, l’éducation qui vise à le redresser est forcément en partie ressentie comme une violence. Sa seule chance est d’être une violence mesurée et juste. Il s’agit de dresser, de contraindre, d’apprendre des gestes, des attitudes, d’apprendre à se retenir pour développer des postures et des idées sophistiquées.
Mais si la contrainte devient trop forte, elle se transforme en humiliation. Si l’enfant n’a plus le droit de rien faire, si tout moment éducatif devient l’occasion d’une maltraitance, le plus souvent involontaire, mais néanmoins réelle, l’enfant se sent mal-aimé. Et il ne s’aimera pas lui-même, car il va intérioriser ce discours et en faire son discours. Si l’éducation sert à lui montrer qu’il peut recevoir un châtiment violent pour n’avoir pas respecté une règle injuste, le sanctionner au nom d’une loi absurde, ce qu’il est tout à fait en mesure de juger, l’enfant va se dévaloriser à ses propres yeux. Il n’a droit ni à la justice, ni à une correction proportionnée. On lui enseigne alors à vivre esclave dans une tyrannie, mais pas en homme libre. Le principe de cette dérive maltraitante n’est pas toujours mauvais. Certains parents pensent encore, même si c’est également une excuse qu’ils se donnent, qu’il faut vraiment « éduquer les enfants à la dur ». Ainsi d’une mère de cinq enfants qui se met à serrer trop fort le poignet de son petit dernier pour ne pas qu’il s’échappe pendant qu’elle installe ou s’occupe des 4 autres. Qui pourrait la blâmer? Et pourtant, le petit enfant a mal. Son visage se tord de douleur et les larmes commencent à couler le long de ses joues. Il essaie de se libérer de l’étreinte de la main maternelle. La souffrance n’étant pas vue, la mère serre de plus belle, croyant que le petit cherche à s’échapper et ne pense qu’à « l’embêter ». Cette éducation donnera ceux que l’on appelle, depuis que Chevènement les a appelés ainsi, les « sauvageons ». Ils sont démunis à la fois face à la socialisation et la scolarisation et entraînés, formés, à faire respecter de mauvaises lois par la violence.

Si la contrainte est inexistante, à l’inverse, l’enfant n’aura plus de repère. D’une certaine manière, il ne sera pas éduqué du tout. La loi n’existe pas. La justice n’est qu’un mot. Ses passions se développeront sans le soutien de sa raison. Il n’apprendra pas la retenue, ce qui ne peut que déboucher sur des comportements violents dès la première contrariété venue. C’est l’éducation que donnent les parents confondant plaisir et bonheur et ne perdant jamais une occasion de gâter leurs enfants. Tous les prétextes sont bons: « la vie est trop courte », « il ne faut pas leur voler leur enfance », « c’est toujours ça de pris », etc. Ce type d’éducation est le plus souvent un égoïsme. Les parents refusent de s’occuper des enfants, et pourront leur objecter ensuite qu’ « ils ont tout fait pour son bonheur », ce qui leur permettra de ne pas se remettre en cause. L’enfant ressemble alors à une forme de petit animal savant, ayant appris à sourire pour obtenir un énième chocolat, qui lui fait certes plaisir sur le moment, mais le rend dépendant au sucre, capricieux, sur le long terme. L’essentiel qui est d’apprendre à devenir son propre maître, ne lui aura pas été enseigné. Ce sont les « enfants rois », le tyrans domestiques.

Seule l’éducation aimante et rationnelle, reposant sur une justice justifiée par des raisonnement, tempérée par la douceur de l’amour parental, et consciente d’être en train de forger une conscience, une âme, un être raisonnable peut guider l’autorité parentale et sociale. Guidé par ce flambeau, tout le reste n’est qu’adaptation aux différentes situations, aux capacités des parents, comme à celles des enfants, qui évolueront ensemble de la naissance à l’indépendance, se perfectionnant de générations en générations.
