Poldark ou le romantisme

Il était une fois la Cornouailles, ses falaises abruptes, l’appel de l’océan et les mines de cuivre. Au tournant du 19ème siècle, l’Angleterre vacille sous le souffle de la Révolution française. Le Roi Georges III s’enfonce peu à peu dans la folie. L’aristocratie s’interroge.

C’est le décor qu’a choisi Winston Graham pour ses héros, Poldark, Démelza, George et Elisabeth. Bien sûr, nous connaissons surtout la série grâce à Netflix et Aidan Turner, l’acteur jouant le rôle principal, déjà aperçu dans le Hobbit, où il jouait Kili, le plus séduisant des nains.

Liqueur de rose

La première lecture de l’histoire nous entraîne au fin fond de ce courant littéraire majeur, au succès à jamais garanti, « l’eau de rose ». La dose insufflée par Graham est si puissante que ce terme « d’eau », si peu connu des anglais, devrait être remplacé par le nom d’un liquide plus fort ou plus épais. L’on pourrait parler d’essence, d’alcool, voir même d’huile de rose, tant les bons sentiments s’abattent en escadrille sur le spectateur. La plupart des hommes n’y survivra pas. Imaginez un peu: Poldark est un beau, jeune et noble seigneur, il revient de la guerre en Amérique où il a gagné ses gallons de capitaine. Détenteur d’une partie de ces terres du bout du monde qu’est la Cornouailles, il travaille dans la mines avec ses ouvriers et n’a pas peur de se salir les mains. Ce n’est pas un noble de salon. Surtout, il renonce à son amour d’enfance, sa belle cousine Elisabeth, pour sa bonne à tout faire, une pauvresse dénuée de tout, si ce n’est de la boue qui lui colle aux joues, Démelza la rousse. Tristan et Isuelt, eux-même de Cornouailles, tant cette terre celte, à mi-chemin entre l’Irlande et la Bretagne semble liée à l’idée européenne de l’Amour, se retournent dans leur tombe.

Il a suffit de cette image de l’acteur incarnant Ross sortant de l’eau pour déclencher le succès de la série

Le héros romantique

Le romantisme est sans doute le courant littéraire le plus incompréhensible de l’histoire. Grâce à Poldark nous allons enfin y voir plus clair. La confusion vient du terme. Romantique ne désigne pas ce qui touche au roman, style littéraire, il n’a rien à voir avec le style architectural Roman, des églises du bas Moyen-Âge. Il n’est pas non plus le romanesque, l’appel de l’aventure. Le romantisme peut désigner une conduite chevaleresque, celle de l’homme, qui a l’image des héros des romans de chevalerie, sans être à proprement parlé un séducteur, est par son essence même toujours séduisant. Il est fort, viril. Et en même temps il est sensible et défend les faibles et les opprimés. Il a toute la noblesse du cœur qu’il soit possible d’avoir. Il met sa puissance au service de la pitié et de la charité. S’il approche une femme, il n’aura jamais la moindre indélicatesse à son égard. Enfin, en théorie. Parce qu’en pratique, Lancelot aimera Guenièvre. Il respectera la femme comme on pourrait respecter sa mère, reconnaissant la supériorité intrinsèque du sexe qui fabrique et donne la vie, sur celui qui ne sait que semer, voyager, boire, et chercher querelle. Quintessence de rêve de lectrice.

Les racine du héros romantique sont profondes. On les trouve dans l’amour chrétien et courtois, la chevalerie et la tradition chevaleresque, les traditions Celtes magiques, et par-dessus tout l’art de la littérature et du roman. Et pourtant, le héros romantique n’éclot qu’après la Révolution Française. Car le fond du romantisme n’est pas tant l’amour que la défense de la noblesse. Le romantisme est un courant de réhabilitation des valeurs monarchiques, valeurs qui semblent d’autant plus belles qu’on les regarde dans un miroir. Le noble, ce n’est pas seulement le valet de cours ou le courtisant se traînant au pied du Roi. C’est bien plutôt cette figure qui l’a conduite à la ruine. Il est au contraire l’âme des « pays », des provinces, des terres qu’il possède et sur lesquels soufflent sa belle âme. ll n’est pas, comme le bourgeois, intéressé par l’argent, l’or, le statut social. Il n’est pas, comme l’Aristocrate, un courtisan occupé à intrigué à faire des bons mots à la Cour. Il est proche du peuple et ses croyance, et comme Poldark, il descend littéralement au fond de la mine pour travailler avec le « peuple » qui l’acclame comme un héros. Il est le sentiment contre la raison, le terroir contre le centralisme. Le terme forgé alors de romantisme, sur la base de « roman », qui désigne toutes les langues issues du latin mais parlé par les non savants, permet de renvoyer à l’imaginaire des cathédrales, des églises, de la France d’avant la monarchie de droit divin. C’est un mythe reconstruit après la Révolution française pour restaurer l’honneur déchu de la noblesse.

Voilà la grande astuce du romantisme, celle qui donne aux Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand tout leur souffle: le héros romantique est un noble désargenté. Ce qu’il faut bien garder en mémoire ici, c’est qu’il est « noble », par sa lignée et son sang, et que le romantisme est définitivement fermé aux non nobles, aux roturiers. Richesse et pauvreté ne feraient rien à l’affaire, même s’il se trouve que le nobles est rarement complètement pauvre. Poldark joue sa fortune plusieurs fois, ses mines, ses terres. Mais enfin, il a bien quelque chose à jouer. Il est comme ses familles qui se plaignent de leur sort et finissent leur complainte en vous assénant : « mais enfin, comment vais-je pouvoir continuer à entretenir le château familiale dans ces conditions ».

Le romantisme est une réaction, la Réaction, même, à la Révolution française. Les grands héros de la littérature française moderne sont tous des révolutionnaires qui se demandent comment faire leur chemin dans le monde après cette modification des règles de l’amour, qui n’est plus un arrangement de noms, de titres et de terres. Ce sont Julien Sorel, Emma Bovary, le héros de Bel Ami. Tout Balzac, qui explorera méthodiquement toutes les modalités de cette révolution des coeurs. Au contraire, les héros romantiques au sens chimiquement pure défendent l’idée que l’amour va avec la noblesse et non avec l’argent et la bourgeoisie.

On notera à quel point ce héros de l’amour romantique s’oppose au héros de l’amour canonique défini par Platon dans le Banquet. Rappelons-nous un instant le discours sur le mythe d’Amour de Socrate, qu’il détient de Diotime: amour est un va-nu-pied, un pauvre de chez pauvre, qui s’élève par sa ruse, et séduit les femmes de son dénuement. On ne saurait faire plus différent. Le coeur des femmes est impénétrable…

Poldark, du héros au salop?

Ross, de son prénom, coche toutes les cases du héros romantique. Il est beau, noble, riche de terre et de travail, mais il n’est pas un banquier comme George, sa némésis, sur lequel nous reviendrons. Ross défend la veuve, l’orphelin, le pauvre, au point d’en épouser une. Il est noble de naissance. Il détient ses biens de naissance. Il n’a rien à prouver. Dans une société où souffle les vents de la révolution et de l’argent, il se moque des parvenus, des bourgeois qui travaillent pour devenir toujours plus riches.

Ross et Démelza

Mais tout cela ne reposerait-il tout de même pas sur un mensonge? La matrice du récit donne les clés de son mystère. L’aventure tourne autour de 4 personnages symétriques et opposés: Ross, Georges, Demelsa et Elisabeth. Ross et Georges sont les meilleurs ennemis du monde. Ils se connaissent depuis l’enfance. Georges n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il est le fils d’un forgeron. A force d’habileté, d’affaires et de coup bas assumés, Georges fait son chemin vers la richesse et le grande monde. Il est le bourgeois, apparemment aussi haïssable que possible. Démelsa, donc, est aussi pauvre que possible. Et en cela elle est bien plus proche de Georges que de Ross. Comme lui, elle est du côté des non nobles. Elle travaille dur. Elle a un grand coeur qui l’amène à faire toutes les bêtises possibles. Ross est – presque – toujours là pour la sauver. Elisabeth enfin, qui ferme ce carré, est la cousine de Ross. Elle appartient comme lui au « clan », à la famille Poldark, et est noble. Plus proche de son cousin et à l’opposé de Démelsa, elle est l’épouse en seconde noce de Georges. On se croirait au milieu d’une pièce de Molière

George et Elisabeth

Et ce n’est pas tout. Dans un passé qui n’appartient pas à la narration, qui n’est pas raconté, Ross et Elisabeth se sont aimés. De toute évidence, ils s’aiment encore, malgré les Georges et autres Démelsa, qui eux se haïssent. . Ross-le-noble-que-toutes-les-femmes-aiment se permet tout. C’est le droit de son rang. Et il se permet tout particulièrement d’aimer sa cousine… au point de lui faire un enfant qui sera élevé par Georges. L’amour noble est plus fort que l’amour de l’argent du bourgeois. Et tant pis pour le gamin.

Georges, le véritable héros?

Le spectateur attentif aura remarqué que Georges fait tout pour obtenir l’amitié de Ross, notamment au début de l’histoire, et que c’est bien notre noblion qui le rembarre à chaque occasion, semant les graines d’un conflit assez inutile. Georges, le fils de forgeron, est en quête de reconnaissance autant que de fortune. Ross ne veut pas faire affaire avec lui? Il fera ses affaires seul. Il faut se rapprocher de la noblesse pour s’élever dans le monde? Il épousera Elisabeth, veuve d’un premier mariage et adoptera plus ou moins son fils. Il élèvera le fils secret que Ross et Elisabeth auront ensemble la veille même du mariage de Georges et Elisabeth. Ross est venu exiger son droit de cuissage auprès d’une cousine qui n’a jamais cessé de l’aimer. Georges est plus ou moins conscient de leur trahison, mais il veut croire à son nouvel amour. Georges fera tout cela, monter une à une les marches sociales de l’amour et de la richesse, non pas en bête furieuse, mais avec du coeur et des sentiments. Et il en paiera le prix. La mort d’Elisabeth lors de la naissance de leur fille le plonge dans une profonde folie dont la série ne nous dit pas s’il va guérir. Ross, encore lui, est presque responsable de cette mort, ayant poussé sa cousine a avoir un autre enfant pour dissiper les doutes sur la première naissance, arrivée huit mois seulement après le mariage. Elisabeth dans un geste terrible et fatal prendra une potion pour accélérer les contractions et donner naissance au 8ème mois pour le second enfant. Les contractions ne s’arrêteront pas et l’emporteront.

Ross, avec ces hauts airs, n’est pas loin de tout détruire derrière lui. Certains ouvriers meurent faute d’étaies suffisant ou encore après une inondation. Démelza ne l’aime plus, après qu’il l’a trompé avec sa cousine. Il ne s’occupe pas beaucoup de ses enfants, et encore moins du fils secret qu’il a eu avec Elisabeth. Il refuse de devenir parlementaire, et ne le devient finalement qu’après George, pour rester en ligne de mire de son pire ennemi. Son engagement envers les pauvres est à géométrie variable.

Le véritable héros « à la française » oserait-on dire, est bien George. Le fils de forgeron en route pour devenir Lord. Il se hisse au sommet dans une société congelée par les conservatismes sociaux. Il défie la noblesse grâce à l’argent, ce grand émancipateur des temps modernes.

Malheureusement pour nous, la BBC s’est arrêtée à la saisons 5. La suite de l’histoire, qui se déroule 20 ans après, posait un certain nombre de problème de narration. Les tomes correspondant de l’oeuvre de Graham ne sont pas traduits en français. Les plus courageux les trouveront facilement en anglais

Pour en savoir plus:

Sur l’auteur – qui a également écrit Pas de printemps pour Marnie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Winston_Graham

Sur les pays Celtes:

https://www.festival-interceltique.bzh/les-nations-celtes/

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