Le mariage pour tous
En 2019, le débat sur la PMA, GPA, bat son plein en France. Il fait suite au mariage « pour tous », voté en 2013. Il s’agissait dans le mariage pour « tous », de permettre aux homosexuels de se marier, comme les couples hétérosexuels.
Le fondement de l’argument pour le mariage était tout simplement de dire: au non de quoi interdire le mariage à une catégorie particulière de personnes, et particulièrement à cause de leur orientation sexuelle? L’argumentation consistait à mettre en relief le fait que du mariage un acte d’amour, tout en minorant le rôle social du mariage comme vecteur de la fondation de la famille, rôle qui est pourtant souligné tant par la loi que par l’Eglise.
Les opposants au mariage pour tous, dont la célèbre « manif pour tous », ont notamment insisté sur ce dernier point: on ne peut pas dissocier le mariage de la création de la famille. L’acceptation du « mariage pour tous » débouchera inévitablement sur la procréation pour tous. Or, entre homosexuels, la procréation « naturelle » et « traditionnelle », n’est pas possible. Il faudra alors développer une procréation technique.
PMA et GPA, le nouveau sens de l’histoire?
Deux articles parus ensemble le même jour dans le Point donnent parfaitement les termes du problème.
Ce premier article vaut surtout par son titre, qui propose un raccourci saisissant: le désir donne des droits, à lui tout seul, et particulièrement le désir individuel. Et rien ne semble pouvoir juridique, ni intellectuellement s’y opposer. On ne parle pas de droit de l’homme, pas de la dignité humaine, la notion de devoir, c’est-à-dire aussi de lien et de respect de l’autre, ou de la communauté, disparaît. La notion de vertu est parfaitement absente. Le désir donne juste un « droit à », qui concerne ici l’enfant, une autre personne, l’enfant. Les conséquences potentiel du mode de génération sur le développement de l’enfant sont occultées. La question n’est même pas posées. Seule la question de l’accès aux origines est mentionnée, pour être rapidement remplacée par celle de l’accès au dossier médical, c’est-à-dire par une question là-encore technique. De même, la question du père, et donc du couple éventuel, est largement occulté. Les hommes, on le comprendra bien, ont pour les couples homosexuels féminin, difficilement leur place. Mais c’est la société dans son intégralité qui semble vouloir faire déchoir l’homme, le masculin, de son supposé piédestal.
L’article donne le point de vue d’un médecin, qui parle en tout comme un « technicien », ou un scientifique. L’argument, tout simple, est de dire: il est techniquement possible de répondre à ce désir et ce de multiple manière, tant pour les couples d’hommes que les couples de femmes, et même pour les mères (et pourquoi pas les pères ajoutons-nous), célibataires. On peut faire un enfant seul, en couple, naturellement ou techniquement. Le médecin souligne que la définition de la médecine de l’OMS a évolué. Il ne s’agit plus seulement de guérir les maladies, la santé se définit comme le bien-être physique, psychique et social. Suivant cette définition, « la médecine a évolué vers des pratiques plus sociales que pathologiques, comme avec l’éducation à la santé, la médecine du travail, l’IVG ». (Tout, évidemment, à commencé avec l’IVG). Cette définition fourre tout permet au médecin de largement ouvrir son « offre » à l’égard du public. Les techniques de fécondation médicale ne seront plus réserver uniquement à ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant pour des raisons liées à la fertilité. Elles seront disponibles à tous ceux qui désire avoir un enfant.
Le second article, rédigé par un professeur de philosophie, tire en apparente neutralité morale, les conséquences de cette révolution. En transférant au « marché » et à la « technique », la procréation des enfants pour satisfaire un désir, « l’enfant » devient, en partie du moins faudrait-il ajouter, un objet de consommation, et non plus simplement un sujet qui a été désiré par ses géniteurs directs et naturels. La situation décrite par Aldous Huxley dans Brave new world (Le meilleur des mondes), approche à grand pas. Un jour prochain, certainement, les enfants pourront tous être conçus dans des sortes d’usines, et les femmes seront « libérées » du poids de la gestion. La différence entre les sexes reculera encore. On ne peut que se demander en quoi consistera le projet éducatif et la transmission entre les générations quand nous en serons à ce point là. Aurons-nous encore vraiment besoin d’enfant pour nous perpétuer? Ou bien les techniques d’allongement de la vie, qui pourraient se développer dans le sillage du transhumanisme, vont-elles également diminuer le désir d’enfant, de transmission?
Un désir naturel
Ces deux articles se heurtent à une réalité qu’ils ne prennent pas en compte. Le désir d’enfant est lui-même, pour l’instant encore, naturel. C’est même la puissance de ce désir chez les femmes avant 35 ans qui engendre toute ce bouleversement. Le désir n’est pas neutre du point de vue de la nature. Il est différent des besoins de nourriture, boisson et sommeil, qui sont nécessaires pour survivre. Il est plutôt de la même puissance que le désir sexuel, auquel il est lié. Mais par la contraception et le recul de la mortalité infantile, le désir sexuel s’est déjà largement affranchi de la procréation. Reste des désirs presque distincts, que l’on cherche à satisfaire de manière différenciée. L’enfant est devenu, la plupart du temps, un projet. Le couple le fait quand il est « prêt », quand les volontés s’accordent.
Une conséquence du libéralisme
On le voit sans peine, cette situation aussi complexe soit-elle, suit en ligne droite la doctrine libérale telle qu’elle est posée par la Fable des abeilles. Nous retrouvons également tous les ingrédients de la querelle du luxe.
Ainsi, le « désir » se saurait plus être spécifié en désir légitime et désir illégitime, en vertu et vice, bien ou mal. Tout désir est justifié, dû moment qu’il existe. Second point: la technique entre en scène pour satisfaire ce désir, et rappelons, puisqu’il s’agit ici d’une technique médicale, que Mandeville était aussi un médecin. La conséquence de la satisfaction de ce désir est la création d’un nouveau marché qui va entraîner un enrichissement de la nation dans son entier, en transférant au marché une activité auparavant privée.
Les adversaires de la mesure vont utiliser les arguments rousseauiste, ou heideggérien: l’homme s’égare de sa destination morale en s’appuyant sur la technique. Cela produit une désagrégation du corps social, puisque chacun cherche uniquement sa satisfaction personnelle. Cette critique pourrait être compléter en réintroduisant – enfin – la question de l’avenir de l’enfant. La construction d’un petit d’homme n’est pas uniquement un phénomène technique, c’est la suite d’une série de désir. L’attachement à l’enfant n’est pas théorique, il repose le plus souvent sur le fait que l’on élève « la chair de sa chair », « le sang de son sang ». En modifiant totalement cela, au moins en théorie, puisqu’il sera toujours possible à un couple de faire un enfant à partir de son matériel génétique, la technique nous jette dans un inconnu psychique.
Il est tout à fait fascinant de voir nos plus belles théories philosophiques, notre système politique, l’un des plus évolué jamais développé, et une médecine qui se déploie sur la biologie pour la transformer en produit, de voir toutes ces avancées de la civilisation, se concentrer sur la question de la procréation. La procréation reste le grand sujet, le sujet majeur de l’humanité, quoique l’on fasse.
La « mort » de l’homme?
La tendance que l’on observe semble également s’inscrire dans la thèse de Foucault, de la « mort de l’homme ». Foucault, c’est son projet assumé, continue et amplifie le geste nietzschéen. Nietzsche prôné la destruction de toutes les idoles, de toutes les transcendances, de tous les dieux, de toutes les valeurs. Rien ne devait plus se mettre en travers de la force, de la volonté, et finalement du désir. Foucault continuer ce « travail » de déconstruction. Après les dieux, et le célèbre « Dieu est mort », après la morale, après les grandes figures de la philosophie, comme Socrate, auquel il était fait un sort dans « Le cas Socrate », et sa morale de rachitique, Foucault s’attaque directement à l’homme rationnel, dernière transcendance. L’homme cartésien et sa raison, sont relégués au profit de la folie.
La théorie des droits de l’homme allait de paire, toujours dans une structure rousseauiste, avec une théorie des devoirs et une morale laïque. C’étaient des droits de l’homme, certes, pour le protéger de la toute puissance de l’Etat, mais aussi « du citoyen », car ces droits n’avaient de sens que dans le cadre d’un « contrat social », l’acceptation d’un vivre ensemble et de certains règles. Cela n’a plus cour quand l’homme est juste un individu, délivré du souci moral de l’autre, souci remplacé chez Nietzsche déjà par la force et le désir individuel.
On le voit aujourd’hui, ces règles du vivre ensemble, qui s’accommodaient assez bien d’une morale chrétienne laïcisée et de la conservation de certaines recommandations ou prescriptions, sur le soin des anciens, la famille, les enfants, même la mort, tout cela est en train de disparaître sous la puissance du cadre de la morale individuelle du marché.
Avec la PMA et la GPA, il semble que l’on soit dans le même cadre. La place du père, les conséquences sur la vie de l’enfant, ne comptent plus par rapport au désir individuel, signant la mort de l’homme moral. Dans les deux cas, la conséquence, sur les victimes d’armes à feu, ou sur les enfants, est totalement inaudible par les défenseurs de ces « libertés ». Bien évidemment, il ne faut pas surjouer cette comparaison. Le désir d’enfant et la capacité à tuer son prochain, sont en terme de projet, directement opposés. Il n’y a pas de recul sur les conséquences de la PMA et la GPA sur la construction psychique de l’homme, une psyché si complexe qu’il est tout de même très difficile de prévoir les conséquences à long terme de nouvelles pratiques. En revanche, les catastrophes engendrées par les armes sont bien réellement quantifiables, ce qui d’ailleurs n’a pas un impact massif sur la prise de décision d’interdiction.
Jusqu’où peut aller ce système?
GPA, PMA, libéralisation du cannabis, technique d’allongement de la durée de vie, mais aussi libéralisation du marché des armes, perte du sens de la valeur économique, avec l’endettement continu des marchés et des Etats… Jusqu’où se système peut-il aller?
Bien malin celui qui pourra le dire! Il semble cependant que la dynamique « communiste » au sens marxiste, soit écrasée par la puissance de l’individualisme. Il y a peu de chance que le monde se transforme selon la vision de Marx.
Au contraire, partout l’individualisme attaque l’Etat, la loi, les règlements. La soif de liberté veut s’affranchir des corps, des autres, de la nature. Même si la démocratie ne progresse plus comme forme politique, le capitalisme qui porte ses valeurs, progresse au niveau mondial.
Poussé à l’extrême, si toute communauté d’intérêt disparaît, si le désir individuel seul devait rester comme dernière valeur, il ne reste que la guerre, le combat des désirs, la lutte pour faire primer son désir sur celui de l’autre. C’est bien la thèse de Hobbes, qui est le premier à faire du « conatus », la force de vie, le principe de l’homme, avant que Descartes nous disent que nous sommes des êtres pensants, et que Spinoza nous disent que nous sommes désir, qu’il appellera aussi Conatus. Mais cette limite du désir individuel comme unique valeur est destructrice non seulement de toute société, mais aussi de toute économie.
Or dans le système dans lequel nous vivons, la technique, l’argent et la satisfaction des désirs individuels forment un triptyque. Le désir n’est pas seul en première ligne. Il a besoin de la technique, qui lui donne son maximum d’extension, qui toujours permet son renouvellement. Spinoza avait vu particulièrement juste sur ce point. Il soutenait que rien de ce que la technique ne pourrait faire l’objet d’une retenue, d’une limitation. Il n’y a pas de morale au dessus du désir pour le contrôler ». Désir moderne et technique vont de pair. Leur organisation passe désormais essentiellement par l’organisation économique et non par la politique, qui semble avoir toujours un ou deux trains de retard. C’est l’argent qui crée l’offre de produits de luxe, et construit la demande, qui est fonction de l’argent de chacun. Or l’on voit, dans un pays comme le nôtre, que la demande, le désir, s’affranchit de plus en plus de l’argent, pour avoir recours directement à la dette et à la création monétaire. Le même mouvement a lieu presque dans toute l’Europe, dont la BCE ne peut plus remonter les taux, aux Etats-Unis, et même au Japon.
Seconde ligne de résistance: la politique et les peuples. Ils existent encore! Et ils n’acceptent pas tout, comme le montre le retour d’un certain protectionnisme économique actuel, qui s’accompagne d’un débat toujours intense sur les « valeurs », entre religion, laïcité, patriotisme, et divers communautarismes.
Troisième ligne de résistance: l’écologie. La conscience écologique se développe progressivement et continuellement. Elle correspond d’abord à une réalité: le désir débridé est en train, sinon de détruire, au moins de modifier radicalement la planète, via la pollution, le réchauffement et l’extinction massive des espèces. Replacer la nature au centre du jeu, c’est tenter de donner de nouvelles limites au désir et au marché. On voit les contradictions de la pensée écologique par rapport au marché dans la question de l’énergie. Il n’y a pas d’énergie propre et parfaite. Les écologistes ne savent pas comment s’y prendre et prône la décroissance, ce qui va beaucoup trop contre le marché et l’argent. Cela ne peut pas fonctionner.
Enfin, l’homme, comme sujet juridique et rationnel, n’est pas complètement mort. Nombreux sont ceux, notamment chez les philosophes, qui continuent à défendre l’humanisme, les droits de l’homme, la dignité humaine, la tolérance, la laïcité.
Comment en faire un succès – ou limiter les échecs?
Ces nouvelles formes de parentalité et d’enfance vont entraîner de nouvelles difficultés psychologique. Pour s’en sortir au mieux pour tous, il faut prendre en compte les quelques points suivants. Camus disait « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». L’important dans cette sentence, c’est la leçon inverse que nous donne Camus: « bien nommer les choses, c’est ajouter au bonheur du monde ». Nous sommes des êtres de langages et de représentation, bien plus que des êtres de technique.
-La douleur existe déjà dans toutes les familles. Rien sur terre n’est parfait. Les difficultés psychologiques engendrées sur les personnes par les hasards et les incidents de la vie sont bien connues. Les remèdes, ou remédiation, le sont un peu moins. L’image la plus connue, le symbole de ces errements, c’est le célèbre « secret de famille ». Il s’agit souvent d’un ou plusieurs événements considérés comme peu glorieux par la famille et qui ne sont pas dites. Pas du tout. Le poids du secret s’ajoute au poids de la supposée faute. Il nous travaille de l’intérieur, puisque les émotions sont communicatives, s’inscrivent dans les actions et les intentions. Le silence contribue à créer un inconscient, des événements qui sont arrivés et qui continuent à agir, et le font d’autant mieux qu’ils sont inconnus, non objectivés.
-La première chose à faire, pour chacun, parent et enfant, et nous insistons particulièrement sur le fait que les deux parties, les deux générations doivent faire ce travail, la première chose à faire donc, est de bien nommer les choses, les êtres, pour mettre chacun à la place qui lui correspond et correctement définir cette place.
Un parent adoptif n’est pas un parent biologique. Un enfant adopté n’est pas un enfant biologique. Cette différence sera d’autant mieux vécue qu’elle sera accepter. Il en est de même pour la PMA et la GPA. Un enfant né d’une femme porteuse, d’un matériel génétique différent, ne sera pas dans la même situation qu’un enfant né de PMA, etc.
-Il est inutile de nommer et lister tous les cas. Le principe vaut pour tous. Chacun doit connaître son histoire, le parent et l’enfant. Le secret, qu’il soit familiale, institutionnel, venant d’un autre pays, etc… ne doit pas être permis. En posant et créant le secret, les adultes se mettent eux-mêmes dans une situation impossible, dans une position qui n’est pas la leur. Les enfants ont une histoire, quand bien même elle serait antérieure à leur naissance, qui diverge de celle des parents.
-Un accompagnement thérapeutique, psychologique, est indispensable pour tous. Les parents, comme les enfants. Tous ont besoin d’un groupe autour d’eux qui leur permettent de trouver des relais, des coaches, des soutiens, qui les aideront à s’inclure dans une société et dans la société. S’inscrire dans une communauté de personnes semblables est une aide, mais pas une aide suffisante. Il faut se confronter à l’altérité.
-Ainsi, en luttant contre le mensonge, en arrêtant de croire à une pseudo normalité, en mettant chacun autant que possible à sa place, nous donnerons les meilleures chances à tous.
Annexe:
Un sondage de Lacroix sur l’opinion des français sur ce sujet.
https://www.la-croix.com/Journal/PMA-GPA-fin-vie-vague-fond-liberale-2018-01-03-1100903196
On notera tout de même que les mêmes qui défende la décroissance et l’écologie, défendent également la PMA et la GPA… Il n’est pas dit que les écologistes « pures », contre la technique dans toutes ses dimensions, ne puissent pas en fait aussi les défenseurs d’idée catholiques https://blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blog/140718/ce-quest-etre-reac-lecologie-la-lumiere-de-la-pma – qui cite notamment José Bové, résolument contre la PMA et la GPA: « La PMA et la GPA, c’est la boite de Pandore : eugénisme, homme augmenté. L’événement de la naissance, qui est un événement biologique, aléatoire, devient organisé et géré, complètement artificiel et programmé, la construction d’une servitude, à l’abri d’un alibi, « le droit de choisir son enfant sur catalogue »…)
La position des écologistes sur la PMA et la GPA lors des dernières européennes
https://www.infos-toulouse.fr/2019/04/29/famille-ce-que-pensent-les-candidats-aux-europeennes/ Ils sont pour la PMA, mais pas pour la GPA si elle est faite dans le cadre d’une transaction économique.