– Quoi ? C’est déjà terminé ?
– Et oui, le temps prévu est fini.
– Mais on s’amusait trop là ! Allez, encore 5 minutes !
– Je suis désolé. Cela fait déjà 2h30. Il faut y aller maintenant.
– 2h30 ? Non, mais sérieux, on vient à peine de commencer ; ça passe trop vite !
Voilà en substance le dialogue d’un enfant et de ses parents après une partie de console de jeux ou de laser game. Evidemment le discours aurait pu être tout autre :
– Il est quelle heure ?
– 11h05.
– Quoi ? C’est tout ?… C’est lent…
– Et maintenant, il est quelle heure ?
– 11h10.
– Hein ? Mais, c’est pas possible ! J’en peux plus… C’est trop lent ! J’en ai tellement marre de ce cours de mathématiques…
Parfois une heure semble durer une minute. A l’inverse parfois, une minute semble durer une heure. Le temps, 4ème dimension de la théorie de la relativité d’Einstein, n’est pas une donnée absolue. Le temps n’est pas extérieur à la réalité. Il n’y a rien d’extérieur à la réalité. Il est l’une des formes de la substance, de l’être. Et il est également l’une des formes de l’esprit. De temps en temps, le temps passe vite. En d’autres occasions, au contraire, il passe lentement. Comment expliquer cet apparent paradoxe ?
Le temps, absolu cosmique
Qu’elle me paraisse plus lente ou plus longue, une heure est toujours une heure sur la pendule. La mesure objective et scientifique du temps est toujours la même. La physique moderne a pris comme étalon de la seconde le temps de dégradation d’une particule élémentaire. Imparable. En ce qui nous concerne, sur Terre, à gravité constante, le temps est mesuré universellement. Encore plus fort, la vitesse maximale de la lumière, vitesse maximale que l’on puisse atteindre dans la nature, est fixée une fois pour toute et arrondie à 300 km/s. Cette vitesse est une constante. Une limite de la nature. Les cas de dépassement, près d’un trou noir, ou de ralentissement, dans l’eau, sont uniquement considérés par les physiciens comme des variations « apparentes » et non réelles.
Le temps, élastique de la conscience
Las ! Malgré Einstein, une heure de jeu vidéo n’est pas toujours équivalente à une heure d’astronomie. Pour comprendre ce phénomène, il faut séparer le temps en deux composantes. Il y a le temps objectif, auquel on ne peut absolument rien changer. Et il y a également le temps subjectif, qui dépend d’un coefficient de dilatation ou de réfraction du temps objectif. Le temps subjectif est celui que nous ressentons. Il est le résultat de l’équation, que nous pouvons écrire comme suit :
Temps Subjectif = Temps Objectif * Coefficient
Le coefficient temps
Quand nous jouons, le temps semble passer plus vite que le temps réel. Le coefficient temps est donc inférieur à 1. Il est par exemple de 0,5. Ainsi, une heure de jeu vidéo= 0,5* une heure objective, soit une demi-heure.
A l’inverse, une heure de mathématique semble durer plus longtemps qu’une heure standard pour la plupart d’entre nous. Le coefficient, qui cette fois dilate et allonge le temps, est supérieur à 1. Ainsi, par exemple, une heure de cours de mathématique = 1,5 * une heure objective, soit une heure et demie !
Nous pouvons le résumer simplement ainsi :
– Coefficient > 1 – le temps subjectif est supérieur au temps objectif
– Coefficient < 1 – le temps subjectif est inférieur au temps objectif
– Coefficient = 1 – le temps subjectif est égal au temps objectif
L’intensité de l’engagement
Plus nous sommes concentrés et impliqués dans une activité, et plus celle-ci passe vite. A l’inverse, plus nous nous ennuyons, plus nous « trouvons le temps long ». Nous touchons à deux infinis différents du temps.
Quand nous sommes parfaitement concentrés, nous avons l’impression que le temps n’existe pas, qu’il est comme suspendu. Nous sommes dans l’instant, qui n’a rien à voir avec l’instantané, puisque justement, il dure, mais sans que l’on en ait conscience.
Lorsque nous sortons de notre concentration, nous sommes toujours étonnés du temps qui est réellement passé. « Quoi, déjà ? Mais je suis en retard ! » Tout se passe comme si le vœu formulé par Lamartine dans son Lac, avait été réalisé: « Ô Temps, suspends ton vol et vous, heures propices, suspendez votre cours. » Le bonheur est souvent décrit comme la capacité à saisir l’instant, à profiter du jour avant qu’il ne finisse. Carpe diem est la devise des épicuriens. Mais il s’agit plutôt de remplacer la perception du temps qui passe et n’en finit plus de passer, par une autre perception qui annule le temps objectif. Nous perdons le sens du temps.
Symétriquement, quand nous ne sommes pas investis, nous avons l’impression de ressentir tout le poids du temps et cela à tel point que nous nous sentons prisonniers. « Mais ça ne finira donc jamais ! » Cette éternité est un enfer. Certaines études menées sur les crimes passionnels ont montré que très souvent les criminels passent à l’acte parce qu’ils ont l’impression qu’ils vont rester enfermés pour toute l’éternité dans une situation qui ne leur convient pas. Ils ne trouvent plus la solution, n’envisagent pas de changement à leur situation. Seul le passage à l’acte peut rompre cette prison mentale et permettre au temps de reprendre son cours.
Entre ces deux extrêmes, implication maximale et dissociation maximale, nous naviguons entre différentes modalités du coefficient à l’intérieur d’une même journée. Le temps est comme une masse énergétique de la conscience. Quand nous l’investissons dans une activité intellectuelle, nous ne le sentons plus. Quand nous ne sommes pas concentrés, pire, quand nous sommes forcés à faire quelque chose qui ne nous plaît pas, il nous pèse absolument.