Parmi les nombreux maux qui affectent nos entreprises, notre mésusage des techniques de management est certainement celle qui nous coûte le plus cher. Turn over dans le privé et amphigouri du service public, maladies professionnelles, conservatisme social, consommation de psychotropes, de drogue et d’alcool…. Notre pays croule sous les problèmes d’organisation sociale et ses entreprises de même.
On peut cependant tenter de dégager les principes d’un management simple, sain et de qualité. Ils reposent sur 4 thèmes s’enchaînant du plus au moins important : l’allégeance, la hiérarchie, le rôle, et enfin la conduite du changement, fruit qui tombera tout seul de l’arbre quand l’organisation sera pleinement alignée. Explorons ces différents aspects.
L’ALLÉGEANCE
Première dans la hiérarchie, elle est également le principe le plus psychologiquement profond et enfoui dans notre psyché.
On la confond souvent avec la loyauté. Confusion assez mal venue au demeurant, qui conduit certains dirigeants à exiger un comportement de quasi soumission de la part de leurs subordonnés. Mais l’allégeance est volontaire, là où la loyauté est exigée. L’allégeance est le lien qui se crée, ou devrait se créer, entre un supérieur hiérarchique et son subordonné. Il se tisse notamment lors du recrutement, qui est un moment assez fort d’engagement psychologique du nouveau subordonné. Cela explique pourquoi il peut être si difficile de changer de chef.
L’allégeance trouve ses racines, comme tout autre principe psychologique, dans la relation familiale. Avoir un chef, c’est pour le subordonné, du point de vue symbolique, avoir comme un nouveau père. Une nouvelle incarnation de l’autorité familiale. Nous sommes prêts à lui obéir, mais nous en attendons respect, bienveillance et reconnaissance. Il doit nous aider à grandir. Nous venons en entreprise comme nous sommes, façonnés par notre expérience familiale.

Ce principe peut se déployer encore plus loin. Pour livrer immédiatement la clé de ce raisonnement, disons que les actionnaires sont comme les grands-parents, le DG et le DAF, comme le père et la mère, et toutes les autres personnes de l’entreprise sont les enfants plus ou moins turbulents, jaloux les uns des autres, et contestataires.
Nombreuses seront les voix à s’élever contre ce modèle. En y regardant de plus près on voit très vite les principales similitudes entre le modèle familial et l’organisation du groupe. Quand l’entreprise est détenue par un fonds d’investissement, les actionnaires n’ont légalement pas le droit de s’immiscer dans la gestion. Ils le font tout de même, mais pour que l’entreprise fonctionne, il faut que cette influence soit limitée au niveau du directeur général et dans une moindre mesure du DAF. Si les actionnaires descendent d’un cran et commencent à protéger untel ou une telle, subordonné à la direction générale, le pouvoir de celle-ci vacille.
Car la face cachée de l’allégeance est de suivre automatiquement le pouvoir, et non la hiérarchie inscrite dans l’organigramme. Habitués à la rivalité au sein de la famille, la plupart des subordonnées cherchent la lumière et la protection du pouvoir comme ils cherchaient l’attention de leurs parents étant enfants. Il suffit ainsi qu’un grand-parent se prenne ou prenne symboliquement la place d’un parent, pour que toute une famille vacille. Il en est exactement de même dans une entreprise.
Partout le middle management, qui correspond à la classe moyenne, navigue pour ainsi dire entre Charybde et Skylla, pris entre des actionnaires qui délèguent peu et des employés qui à la moindre occasion vont chercher à contourner leurs supérieurs pour se rattacher au véritable décisionnaire. La même dynamique se retrouve dans la répartition des richesses, avec le résultat mis en exergue par Piketti dans son monumental Capital au XXème siècle. Les actionnaires concentrent toujours plus de capital, tandis que les salaires et perspectives des cadres se réduisent. Cette mécanique finit par s’appliquer à tout le pays. Il suffit de comparer la France à l’Allemagne pour se rendre compte de cette absence de colonne vertébrale sociale. Indiscipliné, revêche, gréviste… et foncièrement catholique, la France ne pèse plus très lourd dans un monde capitaliste dominé par les protestants et maintenant les sociétés asiatiques hiérarchisées.
L’allégeance, le lien symbolique de pouvoir, de puissance, de respect, entre les maillons de la chaîne humaine, doit être organisée de haut en bas, comme une cascade ruisselant du sommet d’une cascade au lac de retenue qui se forme sous les eaux puissamment lancées. Pour installer un poste, il est absolument nécessaire de construire le réseau d’allégeances qui va avec, et de bien installer l’autorité de chaque personne à son poste. Exemple, car c’est un poste particulièrement difficile à installer, pour mettre en place un nouveau DAF, un DG d’usine convoque tout le personnel et, après la présentation habituelle, conclut son discours par : « et voici le nouveau DAF, c’est lui, que ce soit bien clair pour tout le monde ! ». Ensuite, quand arrivent les vagues de subordonnées voulant tester l’autorité du nouveau DAF, la valse des petits frères et des petites soeurs, tous les responsables de sous-départements de la DAF vont voir le DG pour se plaindre, le DG les accueille avec des chaussures de plomb : c’est ton chef, c’est problème ». Voilà un exemple d’installation réussie. Tous les contre-exemples sont voués à l’échec.
Comme dans un mariage, le père doit donner la main de sa fille à son gendre, ou dit autrement, le supérieur doit donner l’équipe au nouveau manager.
La hiérarchie
Seconde brique de notre construction, et découlant directement de la première, la hiérarchie bien construite est la second clé de la construction d’une équipe efficace. Il est évident par ce qui précède qu’elle ne saurait se mettre en place si le jeu des allégeances est par trop troublé par les actionnaires. Mais c’est encore insuffisant, car une question similaire se repose au niveau de la hiérarchie. Tous les directeurs ne sont pas égaux, et il est absurde de faire comme si c’était le cas.
La hiérarchie doit être organisée tout en haut de l’entreprise. Idéalement, chaque membre du Codir doit avoir un numéro d’ordre et de priorité. Jusqu’à un certain point, peut importe l’ordre, pourvu qu’il y en ait un. Idéalement, le DAF est le numéro deux, le but de l’entreprise étant de gagner de l’argent. Mais un ordre mauvais vaut mieux que pas d’ordre du tout. Il vaut encore mieux mettre le DAF après le directeur IT par exemple, ce qui a le mérite de la clarté, plutôt que de croire que tout le monde va s’organiser spontanément dans la bienveillance en restant au même niveau hiérarchique. Le CODIR n’est pas la Table Ronde des chevaliers d’Arthur!

Cette hiérarchie du Codir doit ensuite irriguer dans toute l’entreprise. Dans toutes les équipes, à tous les postes, la hiérarchie doit être claire. Les membres du Codir doivent avoir leur n-1, leurs lieutenants, ou encore ce que l’on appelle parfois la first line des managers directs, et ils doivent se comporter avec eux de la même manière que les actionnaires se comportent avec le Codir. Ils leur faut rester stoïque et refuser d’écouter les « petits frères » et les « petites soeurs », qui pullulent en entreprise, toujours prêts à « tuer » symboliquement le faux « grand-frère », mais tout en refusant de prendre la moindre responsabilité. Ces comportements doivent être interdits, et / ou limités à leur plus simple expression.

Malheureusement, ce sont trop souvent les équipes qui décident du sort de leur supérieur. Que l’équipe se plaigne, et les équipes se plaignent tout le temps, et le chef risque fort de sauter.
A l’inverse, la hiérarchie ne doit pas se transformer en dictature. Une règle simple permet une communication saine. Tous les points doivent d’abord être remontés au supérieur hiérarchique. Si la réponse apportée ne paraît pas appropriée, alors il est possible d’en parler au n+2. Le n+1 n’est pas pris en défaut. Il est aussi incité à travailler avec son équipe, à laquelle il laisse la possibilité d’escalader les points.
Le rôle
Une fois ces excellentes bases posées, il convient de s’intéresser au rôle de chacun. Le rôle, la fonction, le job, le travail, est principalement décrit dans le contrat de travail. C’est à lui que la personne s’attache, grâce à lui que la personne créer son identité professionnelle. Ce n’est pas rien ! Et il faut le respecter.
Le contrat de travail est lié à l’identité que chacun d’entre nous se construit. Nous avons un projet professionnel. Nous avons travailler pour y arriver. Nous souhaitons soit en profiter, soit gravir les échelons. Et cette identité, ces aspirations, doivent être respectées comme une composante du respect dû à tout homme ou toute femme.
Dès qu’une personne sera déplacée, désaxée par rapport à son poste, elle sera malade et encline à quitter l’entreprise. Pire pour l’entreprise, si ce n’est la personne, il arrive que chacun se retrouve à faire les tâches d’un autre. C’est la conséquence logique du désalignement des allégeances, et / ou de la hiérarchie. A force de « dépoter » les responsables et les directeurs, chacun fait le travail de l’autre, sans en assumer les responsabilités. Il n’est pas rare de voir l’IT diriger la DAF, les RH diriger toute l’entreprise, ou encore le commerce écraser l’administration. L’entreprise est ainsi paralysée, chacun étant dans sa zone d’incompétence, sans être responsable de ses erreurs. Bon courage à tout manager qui, dans cette situation, voudrait redresser la barre (et non pas le bar….) !
Les valeurs de l’entreprise et les primes
Les sacro-saintes valeurs de l’entreprise sont généralement très représentatives de la capacité de l’entreprise à se renouveler et à conduire le changement. L’une des valeurs que l’on rencontre le plus souvent est malheureusement celle du fameux « ADN » de l’entreprise. On imagine mal une valeur plus raciste. Si le lecteur veut bien nous excuser la réduction ad hitlérium, Hitler défendait bien l’ADN de la race pure des Aryens.
Nous proposons plutôt des valeurs issues du stoïcisme : Bienveillance, ce qui inclut le droit à l’erreur, car personne n’est parfait et il serait illusoire d’attendre la perfection de qui que ce soit. Travail en équipe, car il n’est pas acceptable de se défausser sur ces camarades, ou au contraire de ne pas venir en aide aux autres. Il faut toujours compenser les faiblesses ou les erreurs d’un tel ou une telle. Dépassement de soi, qui est la contrepartie de la bienveillance et du travail en équipe. Chacun doit donner son meilleur et progresser. Travailler pour le bien de l’entreprise et du groupe, car le tout est supérieur à la somme des parties. Il s’agit également d’éviter partout le travail en silos, le penchant si français à ne prendre aucun risque sur son périmètre et à expliquer que toutes les erreurs viennent des autres.
Pour aligner tout le monde, et notamment le CODIR / COMEX et les commerciaux, sur les objectifs de la collectivité, il convient d’organiser les bonus ou primes en visant le même objectif. Une part des primes, 30% au moins, doit être liée au résultat global de l’entreprise. Ceci en vue d’éviter les querelles incessantes sur les moyens et l’obligation de moyens. Une entreprise a une obligation de résultat, pas de moyens.
En contrepartie, il convient aussi de limiter les manipulations. La plus célèbre, celle utilisée par tous les fraudeurs dits « au président », ou fraude similaire, consiste à interdire à son interlocuteur de parler avec d’autres personnes. De la même manière, le chantage au licenciement, ou à l’augmentation, sont à proscrire absolument.
La conduite du changement
On l’aura compris, le Gaulois déteste le changement. Il en est presque réduit à préférer les absurdités ou les errements d’une CGT dont les dirigeants devraient aller en prison pour actes de sabotage, que d’écouter la voix de la raison raisonnable. Il se fiche de l’égalité, de l’équité, de la fraternité, comme si le législateur avait choisi ses valeurs par dépit, sachant pertinemment à quel peuple il avait à faire.
Le grand sujet des entreprises est de se renouveler suffisamment pour maintenir leur position et ne pas se faire avaler par la concurrence. Dans un monde capitaliste, cela suppose un minimum d’innovation et donc de changement. Mais les entreprises préfèrent rester sur leur position, jusqu’à la faillite, plutôt que de se remettre en cause.

Sans une organisation bien mise en place, la conduite du changement va se transformer en calvaire complet. En France, « on se plaint avant, on se plaint pendant, et l’on se plaint après ». L’idée étant de toujours pouvoir se plaindre. Les gens sont heureux de pouvoir critiquer, mais ne supportent pas un changement qui leur enlèverait de « pouvoir » de se plaindre. Le pays tout entier, et toutes ses entreprises, fonctionne à l’envers. Comment blâmer tous ceux qui ont fait fortune en transférant nos entreprises ou nos emplois à l’étranger ? Sur un marché mondial, les incompétences sociales de la France font le bonheur de la Corée et de la Chine.
Et ce n’est pas encore suffisant. Même si toute la structure managériale était en place, il lui faudra encore lutter contre toute la mauvaise foi et la nullité cognitive des équipes. Les biais intellectuels naviguent au gré des enjeux. Le principal est l’exagération. Le détail emporte tout sur son passage! Le 1% dépasse les 99%! Et toutes les analyses sont culs par-dessus tête. Le second biais préféré, qui est le corollaire du premier, est le biais de perfectionnisme. Il est ainsi inconcevable de changer quoique ce soit si la réponse apportée n’est pas parfaite. Qu’importe finalement la merde dans laquelle on est, il vaut mieux y rester que de changer pour un peu mieux, sans changer pour une perfection… qui est de toute manière impossible et improbable.
La méthode pour la conduite du changement est bien connue : diviser les sujets suivant les grandes lignes, en allant du plus général au particulier. Traiter les problèmes de structure avant les problèmes de prise de décision de dernier niveau. Aller du plus simple au plus complexe. Ces indications, aussi évidentes qu’elles puissent paraître, sont pourtant puissamment efficaces pour lutter contre les préjugés qui vont accabler l’équipe projet. Ces indications sont ni plus ni moins que les principes de la aussi méconnue que célèbre Méthode de Descartes.
Evidemment, il faudra compléter en rédigeant des procédures incluant un calendrier, un mode opératoire, des responsables pour chaque tâche, des workshops, ou ateliers, pour faire participer les « acteurs du processus » et libérer la parole de chacun. Mais ceci, même si l’on nous rabâche en permanence l’importance de « l’humain » n’est pas l’essentiel. La question de « l’humain » ne sera correctement réglée que si les étapes précédemment décrites sont déjà en place. Et in fine, in fine seulement, il faut s’atteler au détail. « Le diable est dans les détails »…. mais heureusement « Dieu aussi ».
Trucs et astuces
La devise que doit méditer tout chef d’entreprise est bien connue, enfin surtout des n-1 : « le poisson pourrit par la tête ». De manière assez improbable et inattendue, « null piscis primum a capite foetet » est un proverbe catalogué par Erasme, le penseur de la Renaissance. « Le poisson commence à puer par la tête ». La signification est claire : quand une organisation déraille, c’est à cause des chefs, du haut de la pyramide. Encore une bonne raison pour les grands chefs de se défausser sur le middle management… Il faut toujours un bouc-émissaire à ceux qui ne veulent pas de responsabilité. Jeu de massacre, qui finit par massacrer tout le monde.

Utiliser des fusibles et des consultants. Plutôt que de faire les choses par soi-même, il vaut mieux utiliser un catalyseur qui va permettre de porter un projet, tout en déviant l’attention sur lui. Ainsi, le leader européen du management de transition est… un Français. Les sociétés de conseil prospèrent partout.
Pour manager une équipe, rien de tel que de connaître la position du n-1 dans sa propre famille. C’est cette histoire, primordiale, qui conditionne la plus grande part de son comportement social. Evidemment, selon les préceptes précédents, il s’agit de mettre en position de pouvoir ses propres n-1 vis-à-vis de leurs équipes, de ne pas croiser les lignes pour aller manager l’équipe sans eux. Il suffit d’être un relais, un appui pour les aider à gérer leur propre équipe, les aider dans les mouvements de périmètre et dans leur montée en compétence. Le reste de l’équipe suivra.
Dans le même esprit, et concernant le Magister de la parole, le pouvoir des mots, il s’agit de bien prendre garde à ne pas confondre la Parole du Mage et la Parole du Sorcier. La parole du Mage est une parole d’ouverture. Le Mage, qui est aussi un Sage, n’interdira jamais à ses inférieurs de parler à leur supérieur. La parole du sorcier, ou de la sorcière, est une parole bien nommée de Malédiction et de fermeture. Car la parole est notre seule ouverture possible par rapport au Destin.