L’état de nature (2/2) – le droit naturel et le contrat social

Ce texte, presque entièrement construit à l’aide de l’IA, et contrôlé par nous pour en garantir la qualité, reprend les principales thèses philosophiques de l’état de nature. Il fait suite à l’article de présentation de l’état de nature https://foodforthoughts.blog/2019/06/18/letat-de-nature-lidee-qui-a-tout-change/

Comme le premier texte, il s’agit plus d’une grande prise de note synthétique que d’une analyse vraiment personnelle. Notons cependant que ce travail, fait en quelques jours avec l’IA, demanderait des mois de travail à un expert en philosophie. Notons également qu’il n’existe aucun équivalent, aucune synthèse des différentes théories de l’état de nature, disponible sur le marché. L’IA aura sûrement des impacts très complexes à gérer sur le secteur productif. Mais pour ce qui est de la pensée conceptuelle, c’est un saut qualitatif révolutionnaire.

  1. Les précurseurs : l’état de nature dans la pensée du droit naturel
    1. 1. Grotius (Hugo Grotius, 1583–1645)
    2. 2. Pufendorf (Samuel von Pufendorf, 1632–1694)
    3. 3. Cumberland (Richard Cumberland, 1631–1718)
  2. Hobbes
    1. 1. L’État de nature
    2. Principes essentiels (d’après Leviathan, chapitres XIII-XIV) :
    3. 2. Le contrat social et la constitution du gouvernement
    4. 3. Résumé synthétique : État de nature → Gouvernement
    5. 1. Principe de base : le souverain détient le pouvoir suprême
    6. 2. Principes sur lesquels repose cette séparation
    7. 3. Résumé synthétique
    8. 1. Passage original (anglais, Leviathan, Chapitre XIII, « Of the Natural Condition of Mankind ») :
    9. 2. Traduction française (adaptée de la version française du texte) :
    10. 3. Commentaire
    11. 1. Passage original (latin, De Cive, Cap. XIII, §3)
    12. 2. Traduction française
    13. 3. Contexte du passage
  3. Spinoza
    1. 1. Les fondements de l’état de nature
    2. 2. Les principes de la constitution de l’État
    3. 3. Les principes de la tolérance religieuse
    4. 4. Synthèse
    5. En résumé :
  4. Locke
    1. 1. L’état de nature chez Locke
    2. 2. Les principes de la constitution de l’État chez Locke
    3. 3. Tolérance religieuse
    4. 4. Résumé synthétique
    5. La tolérance
    6. 3. Principe général
  5. Rousseau
    1. 1. L’état de nature chez Rousseau
    2. 2. Les principes de la constitution de l’État
    3. 3. Tolérance religieuse
    4. 4. Résumé synthétique
  6. Hume
    1. 1. Les fondements de l’état de nature selon Hume
    2. 2. Les principes de la constitution de l’État
    3. 3. Tolérance religieuse chez Hume
    4. 4. Synthèse
  7. Leibniz
    1. 1. Les fondements de l’état de nature
    2. b) La loi naturelle comme loi de la raison
    3. 2. Les principes de la constitution de l’État
    4. 3. Les principes de la tolérance religieuse
    5. 4. Synthèse
    6. En résumé :
  8. Kant
    1. 1. Les fondements de l’état de nature
    2. 2. Les principes de la constitution de l’État
    3. 1. Kant et la notion de droit (Recht)
    4. 2. La liberté comme droit naturel
    5. 3. Le rôle et la limite du pouvoir de l’État
    6. 4. Kant et les “droits de l’homme”
    7. 5. Conclusion synthétique
    8. 3. Les principes de la tolérance religieuse
    9. 4. Synthèse
    10. En résumé :
    11. Doctrine du droit, §44 — « Du devoir de sortir de l’état de nature »
    12. Doctrine du droit, §45 — « Du concept de l’État civil »
    13. Vers la paix perpétuelle, Deuxième section – « Du droit public », Premier article définitif
    14. Commentaire explicatif
    15. En résumé
  9. Tous les autres
    1. II. Les penseurs modernes non contractualistes
    2. III. Les transformations post-kantiennes
    3. En résumé : typologie des conceptions de l’état de nature

Les précurseurs : l’état de nature dans la pensée du droit naturel

1. Grotius (Hugo Grotius, 1583–1645)

Œuvre principale : De jure belli ac pacis (1625)

  • Premier grand théoricien moderne du droit naturel sans fondement théologique direct.
  • L’état de nature est un état social primitif, non pas chaotique :
    les hommes ont déjà une sociabilité naturelle et un sens du droit.
  • L’État naît du consentement rationnel pour garantir la paix et la justice.
  • Influence majeure sur Hobbes, Locke et Pufendorf.

« Même si l’on admettait — ce qui ne peut se faire sans impiété — qu’il n’y a pas de Dieu, le droit naturel conserverait sa force. »

2. Pufendorf (Samuel von Pufendorf, 1632–1694)

Œuvre principale : De jure naturae et gentium (1672)

  • Reprend Grotius, mais insiste sur le fait que l’homme est faible et dépendant.
  • L’état de nature est précaire, mais pas nécessairement en guerre (contrairement à Hobbes).
  • Le passage à la société vise à rendre la paix stable par des lois positives.
  • Son idée de sociabilité naturelle influencera Locke et surtout Rousseau (comme contre-modèle).

3. Cumberland (Richard Cumberland, 1631–1718)

Œuvre principale : De legibus naturae (1672)

  • Défend un droit naturel fondé sur la bienveillance (benevolence).
  • L’état de nature n’est pas un état de guerre mais de coopération morale.
  • S’oppose directement à Hobbes : la nature humaine n’est pas égoïste, mais tournée vers le bien commun.

Hobbes

Pour rester strictement fidèle aux textes de Hobbes (notamment Leviathan, 1651, et De Cive, 1642), voici un résumé structuré des principes de l’état de nature et de la constitution du gouvernement selon Hobbes :

1. L’État de nature

Hobbes décrit l’état de nature comme la condition humaine avant l’existence de la société civile ou du gouvernement.

Principes essentiels (d’après Leviathan, chapitres XIII-XIV) :

  1. Égalité naturelle des hommes « Tous les hommes sont égaux par nature : même ceux qui paraissent plus forts peuvent être tués par les plus faibles »
    • Les hommes ont des capacités physiques et intellectuelles comparables, ce qui conduit à la peur mutuelle.
  2. Liberté absolue
    • Dans l’état de nature, chacun a le droit de faire tout ce qu’il juge nécessaire pour sa survie.
    • Il n’existe aucune loi, aucun juge ni autorité pour réguler les conflits.
  3. La guerre de tous contre tous (bellum omnium contra omnes)
    • En l’absence de règles communes, les hommes entrent en conflit permanent pour :
      • La sécurité
      • La gloire et la défense de l’honneur
      • La satisfaction des désirs
    • Cela crée un état de peur constante et d’insécurité.
  4. Absence de justice et d’injustice
    • Hobbes insiste : les notions de juste et d’injuste n’existent que dans une société avec lois.
    • Dans l’état de nature, il n’y a ni propriété ni droits moraux, seulement des faits et des forces.
  5. Lois de la nature (rationnelles)
    • Malgré la guerre naturelle, Hobbes identifie des lois naturelles, rationnelles, qui conduisent à la paix :
      1. Chercher la paix et la suivre quand elle est possible.
      2. Renoncer à certains droits pour obtenir la sécurité (c’est le fondement du contrat social).
      3. Tenir ses promesses, car la violation des pactes détruit la paix.

2. Le contrat social et la constitution du gouvernement

a) Le fondement du gouvernement

  • Pour échapper à l’état de nature, les hommes concluent un contrat social (Leviathan, chapitres XVII-XVIII) :
    • Chaque individu cède une partie de sa liberté naturelle à un pouvoir souverain, en échange de sécurité et de paix.
    • Ce souverain peut être un individu (monarque) ou une assemblée (aristocratie ou démocratie), mais le pouvoir doit être absolu pour maintenir l’ordre.

b) Caractéristiques du souverain

  1. Pouvoir absolu : le souverain peut faire des lois, punir et défendre la paix, sans être limité par la volonté des sujets.
  2. Indivisible et incontestable : aucune opposition ou rébellion n’est justifiée, car cela ramènerait à l’état de nature.
  3. Garantie de sécurité : la finalité du souverain est la survie et la sécurité des sujets, et non la justice au sens moral.

c) Justification rationnelle

  • La soumission au souverain est rationnelle : « Les hommes renoncent à leur liberté naturelle pour la sécurité de tous » (Leviathan, chapitre XVII).
  • Le gouvernement est donc un instrument pour éviter le chaos de l’état de nature.

3. Résumé synthétique : État de nature → Gouvernement

AspectÉtat de natureGouvernement / Souverain
LibertéAbsolue, sans limitesLimitée par le contrat social
SécuritéAbsente → peur constanteAssurée par le pouvoir souverain
JusticeInexistanteLes lois imposées par le souverain définissent le juste et l’injuste
Relations humainesConflit permanentObéissance pour maintenir la paix
FinalitéSurvie individuelleSurvie et sécurité collective

Chez Hobbes, le pouvoir de l’État n’est pas limité par des droits individuels au sens moderne, et il ne s’inscrit pas dans la tradition de la Magna Carta. « Le sujet ne peut se révolter contre le souverain, car cela détruirait le contrat et ramènerait chacun à sa liberté naturelle » (Leviathan, chap. XXI). L’image du Leviathan n’est pas une critique, c’est plutôt une métaphore positive et programmatique pour décrire l’État idéal.

Le pouvoir est fondé sur l’homme, pas sur dieu

Oui, Hobbes sépare clairement le pouvoir politique (civil) du pouvoir religieux (ecclésiastique), mais cette séparation n’implique pas un pluralisme ou une indépendance totale de l’Église : elle repose sur des principes très précis dans Leviathan (chapitres XXXI-XXXIII) et De Cive. Voici l’explication fondée sur ses textes :

1. Principe de base : le souverain détient le pouvoir suprême

  • Pour Hobbes, le souverain (monarque ou assemblée) détient le pouvoir absolu sur toutes les affaires civiles, y compris la religion.
  • Il distingue deux sphères :
    1. Le pouvoir civil (mortel) : sécurité, lois, punition, paix sociale.
    2. Le pouvoir ecclésiastique (immortel / spirituel) : dogmes, cultes, pratiques religieuses.
  • Mais le pouvoir ecclésiastique est subordonné au souverain civil, car la désunion entre ces pouvoirs risquerait de ramener le chaos (retour à l’état de nature).

« Le souverain doit être juge suprême de toutes questions de foi et d’enseignement religieux, afin d’éviter la division dans l’État » (Leviathan, chap. XXXI).

2. Principes sur lesquels repose cette séparation

  1. Prévention des conflits civils
    • Hobbes observe l’histoire anglaise : les conflits religieux (catholiques vs protestants, anglicans vs puritains) ont souvent conduit à des guerres civiles.
    • En soumettant la religion au pouvoir civil, le souverain garantit l’ordre et la paix.
  2. Autorité rationnelle du souverain
    • La loi civile détermine ce que les sujets peuvent croire ou pratiquer dans la mesure où cela affecte la société.
    • Le souverain peut réguler l’Église, nommer des ministres, et même décider de la doctrine officielle.
  3. Distinction des objets
    • Religion : morale, croyances, rites.
    • État : sécurité, législation, protection des citoyens.
    • La séparation n’est pas une autonomie de l’Église, mais une organisation fonctionnelle pour que chaque pouvoir serve la paix.
  4. Prééminence de la raison et de la sécurité
    • La religion doit être interprétée à travers la raison civile, pas par une autorité religieuse indépendante.
    • La finalité ultime reste la survie et la stabilité de l’État, pas le salut individuel.

3. Résumé synthétique

AspectPouvoir civilPouvoir religieux
ContrôleAbsolu, souverainSubordonné au civil
FonctionLoi, paix, sécuritéDoctrine, culte, morale
ObjectifSurvie et ordreRespect de l’ordre public
LimitationAucuneNe peut contredire le souverain civil

💡 Conclusion : Chez Hobbes, la séparation n’est pas une autonomie des pouvoirs, mais une hiérarchie pratique : le souverain contrôle l’État et l’Église pour éviter le désordre et la guerre civile.

Si tu veux, je peux te faire un schéma clair montrant la hiérarchie Hobbesienne entre pouvoir civil et religieux, pour visualiser comment le souverain domine les deux sphères.

Extrait de Hobbes

Exact, dans Leviathan, Hobbes ne se limite pas à la formule « l’homme est un loup pour l’homme » (Homo homini lupus) ; il développe toute une description de l’état de nature, où l’homme peut être à la fois dangereux et rationnel, mais toujours guidé par la peur et le désir de survie. Voici le passage clé, basé sur la traduction anglaise de 1651 et sa version française :

1. Passage original (anglais, Leviathan, Chapitre XIII, « Of the Natural Condition of Mankind ») :

“In such condition, there is no place for industry; because the fruit thereof is uncertain: and consequently no culture of the earth; no navigation, nor use of the commodities that may be imported by sea; no commodious building; no instruments of moving, and removing, such things as require much force; no knowledge of the face of the earth; no account of time; no arts; no letters; no society; and which is worst of all, continual fear, and danger of violent death; and the life of man, solitary, poor, nasty, brutish, and short.”

“Hereby it is manifest, that during the time men live without a common power to keep them all in awe, they are in that condition which is called War; and such a war as is of every man against every man.”

2. Traduction française (adaptée de la version française du texte) :

« Dans un tel état, il n’y a pas de place pour l’industrie, parce que le fruit de celle-ci est incertain ; par conséquent, pas de culture de la terre, pas de navigation, pas d’usage des commodités importées par mer, pas de bâtiments confortables, pas d’instruments pour déplacer ou transporter ce qui nécessite beaucoup de force, pas de connaissance de la géographie, pas de mesure du temps, pas d’arts, pas de lettres, pas de société ; et ce qui est pire, une peur constante et le danger de mort violente. La vie de l’homme dans cet état est solitaire, pauvre, désagréable, brutale et courte. »

« Il est donc manifeste que tant que les hommes vivent sans un pouvoir commun pour les tenir tous dans la crainte, ils sont dans cette condition appelée guerre, une guerre de chacun contre chacun. »

3. Commentaire

  • Hobbes ne dit pas seulement « l’homme est un loup pour l’homme », mais il décrit l’état de nature en détail :
    • L’homme peut faire le mal par peur et désir de survie.
    • Mais il n’est pas naturellement mauvais ; il est rationnel, et peut conclure le contrat social pour échapper à cet état.
  • La formule « Homo homini lupus » résume simplement la tendance à l’agression et au conflit lorsque la société et le souverain sont absents.

Bien sûr ! Voici le passage complet de De Cive (1642), chapitre XIII, §3, où Hobbes écrit la fameuse formule « Homo homini lupus est », accompagné d’une traduction fidèle en français.

1. Passage original (latin, De Cive, Cap. XIII, §3)

Bellum omnium contra omnes est, quod in statu naturae invenitur. In hoc statu, nullum est certum bonum, nec certo aliquod malum; omnia sunt incerta. Fides in contractibus nulla, nisi imperium communis potentiae; et propter hoc, omnia pacta sine potestate communi sunt vana. Ex quo patet, homines in statu naturae, qui libertatem suam naturalem tenent, sine iure aut legibus, sunt in statu belli. Homo homini lupus est.

2. Traduction française

« La guerre de tous contre tous existe dans l’état de nature. Dans cet état, il n’y a aucun bien certain, ni aucun mal certain ; tout est incertain. La fidélité aux contrats n’existe pas sans le pouvoir commun ; et pour cette raison, tous les pactes faits sans autorité commune sont vains. Il en résulte que les hommes, dans l’état de nature, qui conservent leur liberté naturelle sans loi ni droit, sont dans un état de guerre. L’homme est un loup pour l’homme. »

3. Contexte du passage

  • État de nature : situation sans gouvernement ni lois, où chacun agit selon sa propre raison pour sa survie.
  • Absence de loi et de sécurité : les hommes n’ont aucun moyen de garantir le respect des contrats ou de la propriété.
  • Justification du souverain : Hobbes introduit ici l’idée que pour sortir de cet état, il faut créer un pouvoir commun, absolu et souverain, capable de maintenir la paix et d’imposer les lois.

💡 Ce passage est la formulation la plus célèbre de Hobbes sur la nature conflictuelle de l’homme, et c’est le texte précis où apparaît la fameuse phrase en latin.

Si tu veux, je peux te faire une lecture linéaire et commentée ligne par ligne de ce passage, pour expliquer chaque concept hobbesien : état de nature, guerre, contrat, et Leviathan.

Veux‑tu que je fasse ça ?

Synthèse:

Le droit est fondé sur l’individu. Les droits individuels sont fondés sur les nécessités de la nature. L’état de nature est anthropologiquement décrit comme un état de guerre de tous contre tous, dans une vision pessimiste de la nature humaine. La question du commerce est fondamentale. La guerre empêche l’échange, la paix le garantit, comme chez Aristote.

Spinoza

Excellente question — et très profonde, car chez Spinoza, la réflexion sur l’état de nature, la constitution de l’État et la tolérance religieuse forme un tout cohérent : il ne s’agit pas de trois thèmes séparés, mais des aspects d’une même philosophie de la puissance, de la liberté et de la raison.

Les textes fondamentaux sont :

  • le Traité théologico-politique (TTP, 1670), surtout chapitres XVI à XX,
  • et le Traité politique (TP, inachevé, vers 1675).
    Je me fonde exclusivement sur ces deux œuvres.

1. Les fondements de l’état de nature

a) L’état de nature comme état de puissance

Spinoza écrit dans le Traité politique (chapitre II, §4) : « Par droit naturel, j’entends les lois mêmes de la nature de chaque individu, suivant lesquelles nous concevons que chacun est déterminé à exister et à agir d’une certaine manière. »

  • Le droit naturel n’est pas une norme morale, mais la puissance d’exister et d’agir (le conatus).
  • Dans l’état de nature, chacun a droit à tout ce que sa puissance lui permet de faire.
  • Il n’y a donc pas de “droit” au sens juridique, mais une égalité de puissance : tout individu agit selon les lois de sa nature, c’est-à-dire selon la nécessité divine de la Nature elle-même.

Spinoza ajoute (TTP, chap. XVI) : « Dans l’état de nature, chacun a sur toute chose un droit qu’il tient de sa puissance. »

Ainsi :

  • L’état de nature n’est pas un “état sauvage” (comme chez Hobbes), mais un état où le droit et la puissance coïncident.
  • Il n’est pas anarchique au sens moral : c’est simplement l’expression de la nécessité naturelle.

b) Absence de justice ou d’injustice

Dans l’état de nature, il n’y a ni bien ni mal, ni justice ni injustice — ces notions n’ont de sens que dans une société régie par des lois communes. « Dans l’état de nature, nul ne peut être dit injuste : chacun agit selon les lois de sa propre nature. » (TP, II, §8)

Donc :

  • L’état de nature est un état de fait, pas de droit.
  • La raison pousse les hommes à s’unir pour accroître leur puissance commune, car isolés ils sont faibles et menacés.

2. Les principes de la constitution de l’État

a) Du droit naturel au droit civil

L’État naît quand les hommes s’accordent à transférer leur puissance individuelle à une puissance commune — non pas en renonçant à leur droit naturel (comme chez Hobbes), mais en le réalisant mieux par l’union.

« Personne ne peut abandonner son droit naturel au point de cesser d’être homme ; mais dans la mesure où les hommes peuvent vivre en sécurité et conserver leur être, ils s’accordent à vivre selon un seul esprit. » (TTP, XVI)

Ainsi :

  • Le contrat n’est pas une aliénation mais une coordination des puissances.
  • L’État exprime la puissance collective du peuple (potentia multitudinis).
  • Le souverain (monarque, aristocratie ou démocratie) n’a pas un droit transcendant : il tient sa puissance du peuple.

b) Finalité de l’État

Spinoza formule un passage fondamental (TTP, XX) : « La fin de l’État est en réalité la liberté. »

Cela signifie :

  • L’État n’a pas pour but d’imposer la vertu ni d’assurer l’obéissance absolue, mais de rendre possible la liberté de penser et de vivre rationnellement.
  • L’obéissance civile n’est pas servitude : elle est condition de la sécurité commune et donc de la liberté effective.

c) La démocratie comme régime le plus conforme à la nature humaine

Dans le Traité politique (chap. XI) : « La démocratie est le régime le plus naturel, le plus conforme à la liberté que la nature accorde à chacun. »

Pourquoi ?

  • Parce qu’elle repose sur la participation du plus grand nombre à la puissance collective.
  • Elle exprime au mieux la rationalité immanente de la société : le pouvoir vient du peuple, non d’un droit divin.

3. Les principes de la tolérance religieuse

a) Critique du pouvoir théologique

Le Traité théologico-politique tout entier est dirigé contre la confusion du pouvoir religieux et du pouvoir civil : « La théologie doit être la servante de l’État, non sa maîtresse. » (TTP, XIX)

  • Les théologiens ont cherché à gouverner au nom de la révélation, ce qui a produit la superstition et la guerre civile.
  • L’État doit donc séparer radicalement le domaine de la foi (obéissance, piété) et celui de la raison (philosophie, vérité).

b) Liberté de philosopher

Le chapitre XX du TTP s’achève par la célèbre affirmation : « Dans un État libre, il est permis à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense. »

  • La liberté d’expression et de pensée est une condition de la paix publique, non une menace.
  • Spinoza justifie la tolérance non au nom d’un droit naturel individuel abstrait (comme Locke), mais par la rationalité politique : une société répressive devient instable, car elle provoque la résistance des esprits.

c) Religion civile et foi raisonnable

  • La religion doit se réduire à un noyau moral universel : aimer Dieu (c’est-à-dire la Nature) et aimer son prochain.
  • Les dogmes doivent être jugés selon leur utilité morale et sociale, non selon leur vérité théologique.
  • Le magistrat suprême conserve le droit de surveiller les cultes pour éviter les troubles, mais il ne peut contraindre la conscience.

4. Synthèse

ConceptSpinozaHobbesLockeRousseau
État de natureÉtat de puissance : chacun a droit à tout ce que sa nature permet ; pas de justice ni injusticeGuerre de tous contre tousÉtat moral régi par la loi naturelleÉtat de liberté et d’innocence
Origine de l’ÉtatAccord rationnel pour unir les puissances individuelles en une puissance communeContrat de soumissionContrat de protection mutuelleContrat fondant la volonté générale
But de l’ÉtatLiberté et sécurité, réalisation rationnelle de la puissance communeSécurité et paixProtection des droits naturelsLiberté civile et morale
SouverainetéPuissance du peuple (potentia multitudinis)Absolue, indivisibleLimitée par les droits individuelsIndivisible, inaliénable
Religion et toléranceReligion subordonnée à l’État ; liberté de penser garantie ; tolérance fondée sur la raisonReligion soumise au souverainTolérance large sauf envers les intolérantsReligion civile obligatoire
Forme de gouvernement idéaleDémocratie (le plus conforme à la nature humaine)Monarchie absolueMonarchie constitutionnelleRépublique démocratique

En résumé :

  • Chez Spinoza, le droit naturel = puissance naturelle : chacun a droit à ce qu’il peut.
  • L’État ne supprime pas ce droit, il l’unifie et le rend plus puissant.
  • Le but de l’État n’est pas la contrainte, mais la liberté rationnelle.
  • La tolérance religieuse découle de cette même logique :
    • La pensée libre n’est pas un danger pour l’État,
    • Elle est sa condition même de stabilité et de paix.

Souhaites-tu que je te donne le passage intégral du chapitre XX du Traité théologico-politique, où Spinoza écrit : “Finis Civitatis revera libertas est” (« la fin de l’État est en réalité la liberté ») ? C’est le texte pivot de toute sa philosophie politique

Locke

Pour rester strictement fidèle à John Locke, principalement d’après Deux Traités du gouvernement civil (1689) et Lettre sur la tolérance (1689), voici un résumé structuré des fondements de l’état de nature, des principes de l’État et de la tolérance religieuse :

1. L’état de nature chez Locke

Principes essentiels (Deux Traités, Livre II, chap. II-IX) :

  1. État de liberté et d’égalité
    • L’homme naît libre et égal en droit, aucun n’a d’autorité naturelle sur un autre.
    • Contrairement à Hobbes, l’état de nature n’est pas un état de guerre permanente.
  2. Droit naturel
    • Tous les hommes possèdent des droits naturels :
      • Vie
      • Liberté
      • Propriété (les biens qu’ils acquièrent par leur travail)
    • Ces droits sont inviolables et universels, même sans gouvernement.
  3. Loi naturelle
    • La raison enseigne aux hommes de ne pas nuire à autrui dans sa vie, sa liberté ou sa propriété.
    • L’état de nature n’est donc pas anarchique : il est gouverné par une loi naturelle que la raison rend universelle.
  4. Justice et punition
    • Chaque individu a le droit d’exécuter la loi naturelle, y compris punir les transgressions, mais ce droit est limité par la proportionnalité et l’impartialité.

Différence clé avec Hobbes : pour Locke, l’état de nature n’est pas une guerre permanente. Les hommes sont naturellement raisonnables et moraux, mais peuvent avoir des conflits qui nécessitent un gouvernement pour les résoudre efficacement.

2. Les principes de la constitution de l’État chez Locke

a) Contrat social

  • Les hommes quittent l’état de nature pour mieux protéger leurs droits naturels, en consentant à un gouvernement civil.
  • Le pouvoir politique dérive du consentement des gouvernés (Two Treatises, Livre II, chap. VIII).

b) Pouvoir limité et séparé

  1. Législatif
    • Le pouvoir de faire les lois au nom du peuple.
  2. Exécutif
    • Le pouvoir de faire respecter les lois.
  3. Fédéral (ou fédéré)
    • Pour les relations extérieures, la guerre et la paix.
  • Le gouvernement ne peut violer les droits naturels ; il est subordonné au peuple.

c) Droit de résistance

  • Si le gouvernement devient tyrannique et viole les droits naturels, le peuple a le droit de le renverser (Livre II, chap. XIX).

d) Propriété

  • La protection de la propriété privée (vie, liberté, biens) est la finalité principale du gouvernement civil.

3. Tolérance religieuse

Dans la Lettre sur la tolérance (1689) :

  1. Séparation de la foi et du pouvoir civil
    • L’État ne doit pas imposer de croyance religieuse.
    • La religion relève de la conscience individuelle, et la coercition ne peut produire la véritable foi.
  2. Limites de la tolérance
    • La tolérance s’applique à toutes les confessions qui ne menacent pas la paix publique.
    • Les sectes ou pratiques qui mettent en danger la société peuvent être limitées.
  3. Raisonnement
    • La foi authentique ne peut venir que du libre choix et de la persuasion, pas de la force.
    • La tolérance est donc un principe moral et politique pour la stabilité de l’État et la coexistence pacifique.

4. Résumé synthétique

ConceptLockeHobbes (comparaison)
État de natureLibre, égal, gouverné par la raison, droits naturelsGuerre permanente, peur, sécurité prioritaire
Droits naturelsVie, liberté, propriétéSurvie uniquement, sécurité via le souverain
Contrat socialConsentement des gouvernés, limitation du pouvoirCession totale de la liberté au souverain
GouvernementLimitée, divisible, révocable si tyranniqueAbsolu, indivisible, irrévocable
Tolérance religieuseConscience individuelle, liberté de culteReligion subordonnée au souverain pour éviter le chaos

La tolérance

Oui. Le texte où Locke pose les limites de la tolérance religieuse se trouve dans sa Lettre sur la tolérance (A Letter Concerning Toleration, 1689), principalement dans le chapitre intitulé Of the Limits of Toleration (« Des limites de la tolérance »). Voici le passage clé, avec le texte original et une traduction fidèle en français.

1. Passage original (anglais, A Letter Concerning Toleration, Chapitre IX)

“It is one thing to tolerate those who differ from us in matters of religion, and another to tolerate those who seek by force or fraud to overthrow civil society, and disturb the public peace. The magistrate is not obliged to tolerate those whose doctrines and practices threaten the security of the state, or whose religion incites to rebellion, murder, or other public crimes.”

2. Traduction française

« Il y a une différence entre tolérer ceux qui diffèrent de nous en matière de religion et tolérer ceux qui cherchent par la force ou la fraude à renverser la société civile et troubler la paix publique. Le magistrat n’est pas tenu de tolérer ceux dont les doctrines et pratiques menacent la sécurité de l’État, ou dont la religion incite à la rébellion, au meurtre ou à d’autres crimes publics. »

3. Commentaire

  • Principe fondamental : la tolérance s’applique aux croyances religieuses individuelles tant qu’elles ne portent pas atteinte à l’ordre public ou à la sécurité de l’État.
  • Locke distingue clairement :
    1. Tolérance obligatoire : pour les religions pacifiques, qui ne cherchent pas à imposer la foi par la contrainte.
    2. Tolérance exclue : pour les sectes ou pratiques qui menacent la paix civile, la sécurité ou l’existence même de l’État.
  • Cette distinction repose sur le rôle politique du magistrat : protéger la société tout en respectant la conscience individuelle.

Oui, dans sa Lettre sur la tolérance, Locke pense principalement au contexte religieux de l’Angleterre du XVIIᵉ siècle, et il a surtout en tête certaines religions et groupes particuliers, mais il ne limite pas ses principes à une seule religion. Voici le détail fondé sur ses textes et le contexte historique :

1. Le contexte historique

  • À l’époque, l’Angleterre était marquée par :
    • La domination de l’Église anglicane (Église d’État).
    • La persécution de diverses sectes protestantes (puritains, baptistes) et des catholiques.
    • Les guerres civiles anglaises et la Glorieuse Révolution, où la religion était un facteur de conflit politique.
  • Locke écrit pour promouvoir la coexistence pacifique et éviter les guerres religieuses.

2. Groupes explicitement visés

Dans ses écrits, Locke mentionne explicitement :

  1. Catholiques romains
    • Considérés comme potentiellement dangereux pour l’État anglais, car loyaux au pape plutôt qu’au souverain civil.
    • Locke ne leur accorde pas la même tolérance que pour les protestants, car il pense qu’ils peuvent inciter à la rébellion politique.
  2. Unitariens et athées
    • Les athées sont exclus, selon Locke, parce qu’ils ne reconnaissent aucun serment ni loi morale : leur tolérance est limitée par la nécessité sociale de respecter la loi et les contrats.
    • Les Unitariens (qui rejettent la Trinité) sont parfois mentionnés comme doctrinalement problématiques, mais Locke insiste surtout sur leur comportement civil plutôt que sur la croyance théologique elle-même.
  3. Protestants dissidents
    • Puritains, baptistes, quakers : Locke plaide pour leur tolérance complète, tant qu’ils n’attaquent pas la paix publique et ne cherchent pas à imposer leur foi par la force.

3. Principe général

  • Locke ne fixe pas la tolérance sur la doctrine elle-même, mais sur le respect de l’ordre civil :

« Le magistrat doit tolérer toutes les croyances qui ne portent pas atteinte à la paix publique » (A Letter Concerning Toleration, Chap. IX).

  • Ce qui compte, c’est que la religion ne menace ni la sécurité de l’État, ni la vie des sujets, et non pas qu’elle adhère à une doctrine particulière.

💡 Conclusion :

  • Locke pense surtout aux conflits entre anglicans, catholiques et dissidents protestants dans l’Angleterre du XVIIᵉ siècle.
  • Ses principes sont généraux : la tolérance s’applique à toutes les religions pacifiques, mais il exclut celles qui mettent en danger la société civile (catholiques loyalistes, athées, sectes subversives).

Rousseau

Pour Jean-Jacques Rousseau, les principaux textes sont Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) et Du contrat social (1762). Contrairement à Hobbes ou Locke, Rousseau a une vision plus optimiste de l’état de nature et de la liberté humaine. Voici un résumé structuré :

1. L’état de nature chez Rousseau

Là où la plupart des penseurs cherchent surtout à comprendre l’extension et la naissance des droits, Rousseau revient sur un terrain plus moral et anthropologique. L’homme de Rousseau a l’état de nature est avant tout « bon », ce qui s’oppose à la tradition de l’anthropologie pessiste, qui décrit l’homme comme naturellement mauvais, que l’on trouve chez Aristote et chez Kant. Surtout, Rousseau s’oppose à la Bible et remet l’humanité dans l’état de nature du jardin d’Eden, avant le péché. Cette fois, la chute ne commencera pas avec la désobéissance et la consommation du fruit défendu, mais par la naissance de la propriété.

Le discours n’étant pas juridique, il n’y aura de fait aucun droit échappant à l’Etat. La propriété étant la cause de toutes les inégalités, il faudra la supprimer. Tout Marx est chez Rousseau, pour des millions de morts absurdes et autant de temps perdu dans l’organisation de la réalité.

Principes essentiels (Discours sur l’inégalité, Première partie) :

  1. Homme libre et indépendant
    • Dans l’état de nature, l’homme est isolé, autonome et libre.
    • Il vit principalement pour la satisfaction de ses besoins et n’a pas de relations sociales complexes.
  2. Bon sauvage
    • Rousseau décrit l’homme naturel comme bon par nature, pacifique et compatissant.
    • Les vices comme la jalousie, la haine ou l’avidité apparaissent avec la société et la propriété.
  3. Raisons de l’inégalité
    • Il distingue :
      • Inégalité naturelle : différences physiques ou intellectuelles.
      • Inégalité morale ou politique : créée par la société, la propriété et les institutions.
    • L’état de nature est donc préservé de l’injustice sociale et politique.
  4. Solitude et autosuffisance
    • L’homme n’a pas besoin de dominer les autres pour survivre ; il est guidé par la pitié et l’amour de soi.
    • Les conflits sont rares, car les hommes sont dispersés et indépendants.

2. Les principes de la constitution de l’État

a) Contrat social (Du contrat social, Livre I-II)

  1. Volonté générale
    • Les hommes quittent l’état de nature en formant un corps politique par contrat :
      • Chacun met sa liberté individuelle sous la loi commune.
      • La loi exprime la volonté générale, qui vise le bien commun.
  2. Souveraineté populaire
    • La souveraineté réside dans le peuple et est indivisible et inaliénable.
    • Les citoyens participent à l’élaboration des lois ; la loi doit représenter l’intérêt général, pas des intérêts particuliers.
  3. Liberté et égalité
    • L’homme devient libre en obéissant aux lois qu’il se donne lui-même.
    • L’égalité est garantie par la participation de tous aux décisions et par la limitation de la propriété privée pour éviter les inégalités excessives.
  4. Pouvoir exécutif
    • Détaché de la souveraineté, chargé d’appliquer les lois.
    • Il doit être subordonné à la volonté générale, jamais arbitraire.

3. Tolérance religieuse

  • Rousseau traite de la religion surtout dans Du contrat social, livre IV, et dans Émile.

Principes :

  1. Religion civile
    • L’État doit imposer une religion civile qui favorise l’unité et la morale publique.
    • Elle doit être compatible avec la loi et l’ordre public, mais ne pas entrer dans la sphère intime de la conscience.
  2. Liberté individuelle
    • La religion privée (conscience personnelle, croyances intimes) est respectée tant qu’elle n’affecte pas la cohésion sociale.
  3. Exclusion des sectes subversives
    • Les cultes qui s’opposent à la loi ou sapent l’intérêt général ne peuvent être tolérés.

Pour Rousseau, la tolérance religieuse est donc subordonnée à l’intérêt général et à la stabilité de la société, contrairement à Locke qui la base sur la liberté individuelle et la sécurité.

4. Résumé synthétique

ConceptRousseauLockeHobbes
État de natureHomme libre, indépendant, bon, pacifiqueHomme libre et rationnel, moral, droits naturelsHomme en conflit permanent, violent, peur de mort
Droits naturelsLiberté, égalité, autonomieVie, liberté, propriétéSurvie uniquement, sécurité via le souverain
Contrat socialSoumission à la volonté générale, souveraineté populaireConsentement limité pour protéger droits naturelsCession totale au souverain pour la sécurité
SouverainetéPopulaire, indivisible, loi = volonté généraleGouvernement limité, révocableAbsolu et indivisible
ReligionTolérance subordonnée à l’intérêt général et l’unité civileLiberté de conscience, sauf menace à l’ordre publicSubordonnée au souverain pour maintenir l’ordre

Hume

Très bonne question — et elle demande un peu de précision, car David Hume (1711-1776) ne formule pas de théorie du contrat social comparable à Hobbes, Locke ou Rousseau. Il se situe dans une perspective empiriste et critique, et son objectif est de montrer que l’origine de l’État, de la société et de la morale ne vient pas d’un pacte rationnel ou d’un état de nature hypothétique, mais de l’expérience historique, de la coutume et des passions humaines.

Voici une présentation rigoureusement fondée sur ses textes principaux :

  • A Treatise of Human Nature (1739-1740), livre III,
  • An Enquiry concerning the Principles of Morals (1751),
  • Of the Original Contract (Essays, Moral and Political, 1748),
  • Of Superstition and Enthusiasm, Of the First Principles of Government (essais politiques).

1. Les fondements de l’état de nature selon Hume

a) Rejet du concept d’« état de nature » fictif

Dans l’essai « Of the Original Contract », Hume écrit : “It never was a historical fact that government arose from the consent of mankind.”
(« Il n’a jamais été un fait historique que le gouvernement soit né du consentement des hommes. »)

  • Hume rejette l’idée d’un état de nature primitif où les hommes vivaient isolés.
  • Il considère cette fiction comme une hypothèse philosophique abstraite, sans réalité historique ni valeur explicative.

b) Origine empirique de la société

Dans le Traité de la nature humaine (III, ii) :

  • Les sociétés naissent graduellement, sous l’effet des besoins, de la dépendance mutuelle et de la coopération.
  • L’homme n’est pas naturellement sociable au sens de Rousseau, ni naturellement violent au sens de Hobbes : il est motivé par l’intérêt et les passions modérées par la raison et la coutume.

c) La justice et la propriété

  • La justice n’est pas une loi naturelle, mais une convention humaine stable, issue de l’expérience collective : “Justice is not a natural virtue, but a convention for the peace and security of society.”
    (« La justice n’est pas une vertu naturelle, mais une convention établie pour la paix et la sécurité de la société. »)
  • La propriété et les règles de possession apparaissent avec la vie sociale et sont consolidées par la coutume.

💡 En somme : chez Hume, il n’existe pas d’« état de nature » antérieur à la société. Les institutions humaines sont le produit de l’habitude, de la coutume et du besoin mutuel, non d’un contrat rationnel ou d’un état pré-politique.

2. Les principes de la constitution de l’État

a) Fondation empirique du gouvernement

Dans l’essai Of the First Principles of Government :

  • Le fondement du gouvernement est l’opinion, non la force.
  • Les peuples obéissent parce qu’ils croient à la légitimité de l’autorité, issue de l’habitude, de l’intérêt commun ou de la tradition.

“Nothing appears more surprising than the easiness with which the many are governed by the few.”
(« Rien n’est plus surprenant que la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par un petit nombre. »)

b) Fonction du gouvernement

  • Le gouvernement vise la stabilité, la paix et la sécurité.
  • Les institutions ne sont pas fondées sur des principes abstraits de droit naturel, mais sur leur utilité publique : c’est un principe utilitariste avant la lettre.
  • La légitimité d’un régime dépend de ses effets pratiques sur le bonheur et la sécurité des citoyens, non d’un contrat originel.

c) Consentement et obéissance

  • Hume se moque de la fiction du consentement originel : très peu de gens ont jamais signé un contrat social, et pourtant ils obéissent.
  • Ce qui fonde l’obéissance, c’est l’habitude, l’utilité et la confiance dans les institutions.

3. Tolérance religieuse chez Hume

a) Critique de la religion révélée

Dans les Dialogues concerning Natural Religion et l’essai Of Superstition and Enthusiasm :

  • Hume critique la religion révélée comme source d’intolérance et de fanatisme.
  • Il distingue deux formes de corruption religieuse :
    • Superstition : soumission servile, peur, domination du clergé.
    • Enthousiasme : exaltation fanatique, insurrection contre l’autorité civile.
  • Les deux sont dangereuses pour la liberté et la paix civile.

b) Religion et société civile

  • La religion doit rester sous le contrôle de la raison publique.
  • L’État doit tolérer les croyances tant qu’elles ne troublent pas la paix ni la morale commune.
  • L’autorité politique doit garantir la liberté de conscience, mais réprimer le fanatisme.

c) Religion naturelle et scepticisme

  • Hume n’est pas athée militant, mais sceptique : il soutient qu’on ne peut rien connaître de certain sur Dieu par la raison.
  • La tolérance découle de ce scepticisme : si la vérité religieuse est incertaine, aucune confession ne peut prétendre imposer sa foi à autrui.

4. Synthèse

ConceptHumeLockeRousseauHobbes
État de natureRejeté comme fiction ; les sociétés naissent graduellement par coutume et besoinRéel et moral, régi par la raison et les droits naturelsFiction idéale : homme bon et libre avant la sociétéRéel et conflictuel, guerre de tous contre tous
Origine de l’ÉtatConventions utiles, habitude, intérêt communContrat volontaire et limitéContrat fondé sur la volonté généraleContrat absolu de soumission au souverain
Fondement du pouvoirOpinion et utilité publiqueConsentement des gouvernésSouveraineté du peupleAutorité souveraine absolue
Tolérance religieuseNécessaire pour la paix civile ; rejet du fanatismeDroit de conscience individuelSubordonnée à la religion civileReligion soumise à l’État
ReligionSceptique, critique de la superstition et de l’enthousiasmeChrétienne rationnelleCivique, morale, unificatriceInstrument politique du souverain

💡 En résumé :

  • Hume romp avec la tradition du contrat social : il fonde la société sur la nature historique et conventionnelle de l’homme.
  • L’État repose sur la coutume et l’utilité publique, non sur un droit naturel.
  • Sa tolérance religieuse vient de son scepticisme et de sa critique du fanatisme : la religion doit rester modérée, rationnelle et soumise aux exigences de la paix civile.

Souhaites-tu que je te cite le passage exact de “Of the Original Contract” où Hume rejette expressément le contrat social (en anglais et en traduction) ? C’est un texte central et très clair.

Leibniz

Très belle question — mais aussi très délicate, car Leibniz (1646-1716) ne développe pas, comme Hobbes, Locke ou Spinoza, une théorie systématique du contrat social. Sa réflexion politique est dispersée dans des lettres, des essais et des fragments, mais elle repose sur une philosophie du droit naturel rationnel, héritée du stoïcisme et de Grotius, qu’il transforme profondément.

Pour répondre avec rigueur, je m’appuie exclusivement sur les textes suivants :

  • Codex juris gentium diplomaticus (1693),
  • Elementa juris naturalis (1669-1671),
  • De jure suprematus ac legationis (1670),
  • Meditationes de principiis juris naturalis (1703-1705),
  • et sur certaines lettres politiques, notamment à Conring, Molanus et Bossuet.

1. Les fondements de l’état de nature

a) Un état de nature rationnel, non conflictuel

Leibniz rejette la vision hobbesienne de l’état de nature comme guerre de tous contre tous.
Dans les Elementa juris naturalis (§4-8), il écrit : “Status naturalis est status imperii rationis, ubi homo homini amicus est.”
(« L’état de nature est l’état où règne la raison, dans lequel l’homme est l’ami de l’homme. »)

➡️ L’état de nature, pour Leibniz, n’est donc pas un état de guerre, mais un état moral, où les hommes, en tant qu’êtres raisonnables, sont déjà portés à la bienveillance mutuelle.

b) La loi naturelle comme loi de la raison

Dans les Meditationes de principiis juris naturalis (§3) : “Lex naturalis est ratio divinae sapientiae hominibus insita, qua discernimus bonum et malum.”
(« La loi naturelle est la raison de la sagesse divine inscrite dans l’esprit humain, par laquelle nous discernons le bien et le mal. »)

Ainsi :

  • Le fondement de l’état de nature est rationnel et moral, non passionnel.
  • Chaque homme possède en lui une lumière naturelle qui le guide vers la justice.
  • Cette loi naturelle ne disparaît jamais, même à l’intérieur de l’État.

c) Une sociabilité naturelle

L’homme, dit Leibniz, est naturellement porté à la société :

“Homo est animal sociale, id est benevolum.”
(« L’homme est un animal social, c’est-à-dire bienveillant. »)

La sociabilité est donc fondée dans la nature rationnelle de l’homme : il cherche spontanément l’accord, la coopération, la paix.
Cela rapproche Leibniz de Grotius et de Pufendorf, mais il insiste plus qu’eux sur la dimension métaphysique et harmonique : l’homme participe à l’ordre universel voulu par Dieu.

2. Les principes de la constitution de l’État

a) Le passage à l’état civil

L’État n’est pas né d’un contrat par peur, mais d’une perfection de l’ordre rationnel déjà présent dans la nature humaine.
Leibniz écrit dans les Meditationes (§15) : “Civitas est societas perfecta, in qua homines consensu voluntatum communem felicitatem quaerunt.”
(« L’État est une société parfaite, dans laquelle les hommes cherchent par le consentement de leurs volontés le bonheur commun. »)

  • L’État réalise rationnellement la tendance naturelle des hommes à coopérer.
  • Il ne supprime pas la loi naturelle : il l’incarne juridiquement.
  • L’autorité politique a donc une fondation morale : elle doit viser le bonum commune (bien commun).

b) Le souverain et le droit

Dans le De jure suprematus ac legationis, Leibniz précise :

  • Le pouvoir du prince ne vient pas d’un droit absolu (comme chez Hobbes), mais du consentement rationnel du peuple.
  • Le souverain doit agir comme ministre de la justice divine, non comme maître des hommes.
  • “Rex est lex animata.”
    (« Le roi est la loi vivante. »)

Mais cette loi n’est pas arbitraire : elle est liée à la raison universelle. Si le prince viole la justice naturelle, son autorité perd sa légitimité morale (sans pour autant justifier la rébellion immédiate).

c) Finalité de l’État

L’État a pour but :

  • la justice (fondée sur la raison divine),
  • la paix (harmonie sociale),
  • et la félicité commune (felicitas publica).

Leibniz écrit encore : “Finis reipublicae est pax et felicitas civium.”
(« La fin de la république est la paix et le bonheur des citoyens. »)

3. Les principes de la tolérance religieuse

a) Fondement rationnel et théologique

Leibniz, profondément croyant, conçoit la tolérance comme devoir moral et rationnel.
Dans ses lettres à Molanus (entre 1691 et 1700), il prône la réunion des Églises chrétiennes (catholiques et protestantes) sur la base de la charité et de la raison.

“Unitas in necessariis, libertas in dubiis, caritas in omnibus.”
(« Unité dans les choses nécessaires, liberté dans les choses douteuses, charité en toutes choses. »)

Ce principe résume toute sa conception de la tolérance :

  • Les vérités fondamentales (Dieu, la morale) unissent les hommes.
  • Les différences dogmatiques doivent être tolérées.
  • La charité et la raison doivent guider la discussion religieuse.

b) Contre le fanatisme et la contrainte

Dans une lettre à Landgraf Ernst de Hesse-Rheinfels (1683), Leibniz écrit : “Contra conscientiam agere est contra rationem agere.” (« Agir contre sa conscience, c’est agir contre la raison. »)

  • Aucune autorité ne peut contraindre la conscience sans violer la loi naturelle.
  • Le rôle de l’État est d’assurer la paix entre les confessions, non d’imposer une orthodoxie.
  • Il critique les persécutions religieuses (catholiques ou protestantes) comme contraires à la raison et à la charité chrétienne.

c) La religion raisonnable

Leibniz distingue entre :

  • la religion de la raison (religio rationalis), universelle et morale,
  • et les cultes positifs, historiques, qui peuvent être tolérés tant qu’ils ne troublent pas la paix publique.

C’est pourquoi il voit dans le christianisme rationnel un moyen d’unir les hommes, non de les diviser.

4. Synthèse

ConceptLeibnizHobbesLockeSpinoza
État de natureÉtat rationnel et pacifique, fondé sur la loi naturelle et la sociabilitéGuerre de tous contre tousÉtat moral régi par la raisonÉtat de puissance (droit = puissance)
Loi naturelleExpression de la raison divine en nous ; tend vers la justice et la bienveillanceLoi de la conservationLoi de Dieu révélée par la raisonNécessité de la nature
Origine de l’ÉtatPerfection de l’ordre naturel par le consentement rationnelContrat de soumissionContrat de protection mutuelleAccord de puissance rationnelle
Finalité de l’ÉtatJustice, paix, bonheur communSécuritéProtection des droits naturelsLiberté rationnelle
SouverainetéSubordonnée à la loi naturelle et à la raison divineAbsolueLimitéeExpression de la puissance collective
Tolérance religieuseUnité dans les essentiels, liberté dans les doutes, charité en tout ; dialogue œcuméniqueReligion soumise à l’ÉtatTolérance des cultesLiberté de penser garantie
ReligionChrétienne rationnelle et universelleInstrument politiqueChrétienne raisonnableIdentifiée à la morale et à la Nature

En résumé :

  • Chez Leibniz, l’état de nature est harmonieux et rationnel : il manifeste déjà la loi naturelle inscrite par Dieu dans la raison humaine.
  • L’État n’est pas une contrainte extérieure, mais l’accomplissement de la sociabilité naturelle orientée vers le bien commun.
  • La tolérance religieuse découle directement de cette rationalité universelle : contraindre la conscience, c’est violer la raison.
  • Il cherche la conciliation des confessions chrétiennes sous le signe de la charité et de la paix, non la domination d’une Église sur une autre.

Souhaites-tu que je te cite le passage complet des Meditationes de principiis juris naturalis où Leibniz définit la loi naturelle comme “ratio divinae sapientiae hominibus insita” ? C’est le texte-clé de tout son système politique.

Kant

Kant (1724-1804) reformule entièrement la notion d’« état de nature », la constitution de l’État et la tolérance religieuse à partir de sa philosophie critique.
Chez lui, ces trois notions s’inscrivent dans une même exigence : faire passer l’humanité de la nature à la liberté, c’est-à-dire de la simple coexistence naturelle à une communauté juridique rationnelle.

Je me fonde exclusivement sur les textes de Kant :

  • Fondements de la métaphysique des mœurs (1785),
  • Doctrine du droit (première partie de la Métaphysique des mœurs, 1797),
  • Vers la paix perpétuelle (1795),
  • Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784),
  • Religion dans les limites de la simple raison (1793).

1. Les fondements de l’état de nature

a) L’état de nature : un état d’injustice potentielle

Kant appelle état de nature (Naturzustand) la situation dans laquelle les hommes vivent sans loi publique contraignante, c’est-à-dire sans institution commune capable de garantir le droit. « L’état de nature n’est pas un état d’injustice, mais un état sans justice. » (Doctrine du droit, §42)

  • Dans l’état de nature, chacun peut avoir le sentiment d’agir selon le droit (par exemple, posséder une chose ou se défendre),
  • mais aucune autorité commune n’existe pour trancher les différends : chacun reste juge de son propre droit.
  • Il en résulte une insécurité permanente, analogue à la guerre de tous contre tous chez Hobbes, mais juridique plutôt que violente.

b) Le droit naturel : exigence de la raison pratique

L’homme, comme être raisonnable, reconnaît par sa raison l’existence d’un droit inné :

« L’unique droit inné est la liberté, c’est-à-dire l’indépendance à l’égard de la contrainte d’autrui, dans la mesure où elle peut coexister avec la liberté de tous selon une loi universelle. »
(Doctrine du droit, §15)

C’est la formule juridique du principe moral de l’autonomie :

  • Chacun a droit à la liberté,
  • mais cette liberté doit être compatible avec la liberté de tous.
  • L’état de nature est injuste précisément parce qu’il ne garantit pas cette compatibilité.

c) Le passage nécessaire à l’état civil

Kant en tire un impératif rationnel : « Il faut sortir de l’état de nature. »
(Doctrine du droit, §44)

Cette sortie n’est pas un événement historique, mais une exigence de la raison pratique :
la raison commande de créer un ordre juridique où la liberté de chacun est protégée par des lois publiques.

2. Les principes de la constitution de l’État

a) L’État comme union sous des lois communes

Kant définit l’État (civitas) ainsi :« L’État est l’union d’une multitude d’hommes sous des lois juridiques. » (Doctrine du droit, §45)

  • L’État n’est pas fondé sur la peur ou sur la tradition, mais sur un contrat originaire (ursprünglicher Vertrag),
  • qui n’est pas un fait historique, mais un principe de légitimité : toute autorité politique doit pouvoir être pensée comme résultant du consentement libre et rationnel des citoyens.

b) Le but de l’État : la liberté juridique

Kant écrit : « Le but suprême de tout droit civil est la liberté. » (Doctrine du droit, Introduction)

  • Le droit civil a pour fonction de rendre compatible la liberté de chacun avec celle de tous,
  • en instituant des lois universelles et publiques, appliquées par un pouvoir coercitif légitime.
  • L’État n’est pas fondé sur la volonté particulière d’un prince ou d’un peuple, mais sur le principe formel de la légalité : « Obéis à toute loi qui pourrait avoir été édictée par la volonté unie d’un peuple entier. »
    (Doctrine du droit, §46)

c) Séparation des pouvoirs

Dans Vers la paix perpétuelle, Kant distingue :

  1. Le pouvoir législatif (volonté unie du peuple),
  2. Le pouvoir exécutif (le gouvernement),
  3. Le pouvoir judiciaire (le juge qui applique la loi).

Leur équilibre garantit que nul ne soit à la fois législateur et exécutant, ce qui serait contraire à la liberté.
Le régime le plus conforme au droit est donc la république (non au sens démocratique moderne, mais au sens d’un gouvernement selon des lois).

Excellente question, et la réponse demande une certaine nuance — car Kant ne parle pas directement des “droits de l’homme” au sens moderne (comme ceux de 1789 ou des textes contemporains), mais il fonde philosophiquement l’idée de droits qui limitent nécessairement le pouvoir de l’État.

Voici une explication structurée :


1. Kant et la notion de droit (Recht)

Dans la Doctrine du droit (1797), première partie de la Métaphysique des mœurs, Kant définit le droit (Recht) comme :

“l’ensemble des conditions sous lesquelles l’arbitre de l’un peut être uni à l’arbitre de l’autre selon une loi universelle de liberté.”

Autrement dit, le droit est ce qui rend compatible la liberté de chacun avec la liberté de tous.
➡️ Le droit, chez Kant, n’est donc pas une concession de l’État, mais une exigence rationnelle issue du concept même de liberté.


2. La liberté comme droit naturel

Kant affirme qu’il existe un droit inné, le seul droit naturel véritable :

“La liberté (indépendance à l’égard de la contrainte par autrui) est le seul droit inné de l’homme.” (Doctrine du droit, §1)

De ce droit dérivent tous les autres droits civils et politiques.
➡️ Cela fonde une limite principielle au pouvoir de l’État : celui-ci ne peut jamais légitimement abolir ou violer la liberté externe des individus, puisqu’il tire sa propre légitimité de la protection de cette liberté.


3. Le rôle et la limite du pouvoir de l’État

Kant n’est pas un anarchiste : il affirme la nécessité d’un État de droit (Rechtsstaat).
Mais cet État n’est légitime que dans la mesure où il garantit la liberté juridique de tous.

“L’État civil est celui dans lequel le droit de chacun peut coexister avec la liberté de tous selon une loi universelle.”

Ainsi, le pouvoir de l’État est limité de l’intérieur par la raison pratique : il ne peut pas faire ce qu’il veut au nom du bien commun, il doit respecter la forme du droit.
Il ne peut pas non plus violer les principes du contrat social originaire (le “contrat de sortie de l’état de nature”), qui visent à instaurer la liberté sous des lois universelles, et non à la supprimer.


4. Kant et les “droits de l’homme”

  • Kant ne parle pas directement des “droits de l’homme” tels qu’énoncés en 1789, qu’il juge souvent formulés de manière empirique et passionnelle.
  • Mais il en propose le fondement rationnel : les droits de l’homme sont les conditions transcendantales de possibilité d’un ordre juridique légitime.
  • Par exemple, la liberté, l’égalité devant la loi, la citoyenneté active sont pour lui des principes a priori du droit public.

5. Conclusion synthétique

Oui, Kant défend une conception des droits de l’homme en tant que droits rationnels, universels et limitatifs du pouvoir de l’État.
Mais ces droits :

  • ne sont pas des revendications morales contre l’État (comme dans une tradition libérale ou révolutionnaire),
  • ce sont des conditions de légitimité du droit positif lui-même.

➡️ En résumé :
Kant ne fonde pas les “droits de l’homme” contre l’État, mais fonde l’État lui-même sur les droits de l’homme.
C’est pourquoi son État est un État de droit (Rechtsstaat), et non un État tout-puissant.


Souhaitez-vous que je montre, texte à l’appui, comment Kant articule cette limite du pouvoir de l’État dans les paragraphes clés de la Doctrine du droit (par exemple §§41, 45 et 49 sur la souveraineté et la liberté publique) ?

3. Les principes de la tolérance religieuse

a) La religion dans les limites de la raison

Dans Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft (1793), Kant distingue :

  • la religion rationnelle, qui est la morale même, c’est-à-dire la reconnaissance du devoir comme commandement divin ;
  • et les religions positives (historiques, confessionnelles), qui ne sont légitimes que si elles servent la morale.
  • « La vraie religion n’est pas la connaissance de Dieu, mais la pratique du devoir divin. »
  • La religion n’a de valeur que comme moyen moral,
  • elle doit rester soumise à la raison pratique et ne jamais prétendre imposer des dogmes par l’autorité.

b) Tolérance et liberté de conscience

Dans le Conflit des facultés (1798), Kant affirme : « La liberté de penser est la seule qui puisse amener la liberté dans la manière d’agir. »

  • La tolérance religieuse découle directement de la liberté de penser, fondement de l’Aufklärung (les Lumières).
  • L’État doit garantir la liberté de conscience, tant que l’exercice d’un culte ne trouble pas la loi civile.
  • Mais la religion n’a aucune autorité publique : « L’Église n’a pas à commander, mais à enseigner ; l’État n’a pas à enseigner, mais à commander. »
    (Conflit des facultés, II)

c) Religion et république

Dans Vers la paix perpétuelle, Kant associe la paix durable à la république et à la liberté religieuse :

  • Un État fondé sur la raison et la liberté ne peut reposer sur une religion d’État coercitive.
  • La religion civile, au sens de Rousseau, est donc inutile et dangereuse.
  • Seule la morale universelle fonde la communauté politique.

4. Synthèse

ConceptKantHobbesLockeRousseauSpinoza
État de natureÉtat sans justice, insécurité juridique ; exigence rationnelle de sortieGuerre de tous contre tousÉtat moral régulé par la raisonÉtat d’innocence corrompu par la sociétéÉtat de puissance, ni bon ni mauvais
Droit naturelLiberté comme indépendance compatible avec la liberté de tousConservation de soiDroit à la vie, liberté, propriétéDroit à la liberté moraleDroit = puissance naturelle
Origine de l’ÉtatContrat originaire rationnel (principe de légitimité)Contrat de soumissionContrat de protection mutuelleContrat fondant la volonté généraleAccord des puissances
But de l’ÉtatLiberté juridique et paix perpétuelleSécuritéProtection des droitsLiberté civileLiberté rationnelle
Forme de gouvernement idéaleRépublique de droit (séparation des pouvoirs)Monarchie absolueMonarchie constitutionnelleDémocratie républicaineDémocratie rationnelle
Tolérance religieuseLiberté de conscience et subordination de la religion à la raisonReligion d’ÉtatTolérance large sauf intolérantsReligion civile moraleLiberté de philosopher garantie

En résumé :

  • Chez Kant, l’« état de nature » n’est pas une période historique mais un concept juridique négatif : l’absence d’un droit public garanti.
  • L’État naît d’un contrat rationnel : non pour abolir la liberté, mais pour la rendre possible.
  • La fin de l’État est la liberté légale universelle, non le bonheur.
  • La tolérance religieuse découle de la même logique :
    • la raison seule juge du vrai et du bien,
    • la foi est libre tant qu’elle respecte les lois du droit civil,
    • et la religion doit rester dans les limites de la simple raison.

Le passage complet de la Doctrine du droit (§44–45) où Kant écrit que « sortir de l’état de nature est un devoir », pour voir comment il déduit l’État du principe du droit naturel ? dans une traduction fidèle (celle de Philonenko, Vrin, légèrement modernisée pour plus de clarté).

C’est ici que Kant démontre rationnellement le devoir de sortir de l’état de nature et définit le fondement du droit politique.

Doctrine du droit, §44 — « Du devoir de sortir de l’état de nature »

§44. De l’obligation de sortir de l’état de nature

Dans l’état de nature, où il n’existe aucune législation extérieure,
les droits privés des hommes ne sont que provisoires (provisorisch),
car ils ne sont pas garantis contre la violence d’autrui.

Or, tant que le droit demeure simplement provisoire,
chaque individu est exposé à être lésé dans ce qui lui appartient,
bien qu’il se considère subjectivement comme titulaire d’un droit.

Par conséquent, la raison pratique impose un devoir :
celui de sortir de l’état de nature,
c’est-à-dire d’entrer dans un état juridique public (rechtlicher Zustand),
où les droits peuvent être déterminés et garantis par des lois publiques.

Sortir de l’état de nature est donc un devoir de droit,
non pas simplement un conseil de prudence.
Car sans cette entrée dans un état civil,
nul ne peut se sentir en sûreté vis-à-vis d’autrui,
et la coexistence des libertés serait toujours précaire.

Doctrine du droit, §45 — « Du concept de l’État civil »

§45. Du concept de l’état civil

L’état civil est celui où les hommes, réunis sous des lois communes,
forment une société régie par une législation extérieure publique,
c’est-à-dire par des lois accompagnées d’une puissance coercitive
capable d’assurer à chacun ce qui lui revient.

L’union civile (civitas) n’est donc pas une association volontaire occasionnelle,
mais une communauté durable, fondée sur le contrat originaire,
par lequel chacun renonce à sa liberté extérieure illimitée
pour la retrouver dans une liberté légale,
c’est-à-dire dans une indépendance conforme à des lois universelles.

Le principe fondamental de ce contrat est le suivant : « Chacun doit pouvoir se soumettre à une loi à laquelle il pourrait avoir donné son consentement. » Cette maxime est la formule du droit public :
une loi n’est juste que si elle peut être pensée comme voulue par tous.

Commentaire explicatif

  1. La transition logique :
    • Dans l’état de nature, tout droit n’est qu’« hypothétique » (provisoire).
    • La raison pratique exige que le droit devienne « déterminé et assuré » :
      cela suppose un pouvoir légitime (l’État).
    • D’où l’impératif : « Il faut sortir de l’état de nature ».
  2. Nature du devoir :
    • Ce n’est pas une obligation morale (comme faire le bien),
      mais une obligation juridique, liée à la coexistence des libertés.
    • Elle vaut pour tout être raisonnable en général,
      indépendamment des circonstances historiques.
  3. Le contrat originaire :
    • Il ne s’agit pas d’un contrat historique (comme chez Hobbes ou Rousseau),
      mais d’un principe de légitimité :
      toute loi politique n’est juste que si elle pourrait être voulue par tous.
    • Il fonde la notion kantienne de volonté publique rationnelle.
  4. La liberté retrouvée dans la loi :
    • L’individu ne perd pas sa liberté en entrant dans l’État,
      il la transforme : d’une liberté illimitée (et insécurisée),
      il passe à une liberté juridique garantie.
    • Kant retrouve ici l’intuition de Rousseau :
      « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »
      mais en l’appuyant non sur la volonté générale empirique,
      mais sur la raison pratique universelle.

Kant, dans Vers la paix perpétuelle (Zum ewigen Frieden, 1795), est l’un des plus importants de sa philosophie politique.
Il transpose le raisonnement juridique du droit civil (l’obligation de sortir de l’état de nature entre individus) au droit des peuples (l’obligation de sortir de l’état de guerre entre États).

Vers la paix perpétuelle, Deuxième section – « Du droit public », Premier article définitif

Premier article définitif pour la paix perpétuelle :
« La constitution civile de chaque État doit être républicaine. »

[…]
Mais même si la loi interne est républicaine, les relations extérieures entre États demeurent encore dans un état de nature.
C’est-à-dire qu’il n’existe entre eux ni tribunal supérieur, ni pouvoir contraignant qui puisse trancher leurs différends selon le droit.

L’état de nature entre les États n’est donc pas un état de paix, mais de guerre :
un état où la guerre peut éclater à tout moment, même si elle n’est pas toujours actuelle.

Les peuples, comme les individus, doivent donc sortir de cet état sans droit (status naturalis)
et entrer dans un état juridique public universel,
qui garantisse à chacun la sécurité de son droit.

Mais, contrairement aux individus, les États ne doivent pas se fondre en un seul empire mondial (civitas gentium),
car cela aboutirait à un despotisme universel.

Ils doivent plutôt former une fédération d’États libres (foedus pacificum),
non pas un État des nations (status civilis gentium),
mais une alliance permanente destinée à prévenir la guerre
et à assurer la liberté de chacun.

Commentaire explicatif

  1. Analogie directe avec la Doctrine du droit
    • Chez Kant, l’état de nature = absence de garanties juridiques, que ce soit entre individus ou entre nations.
    • La raison impose dans les deux cas le même devoir rationnel : « Il faut sortir de l’état de nature pour que le droit devienne effectif. »
  2. Mais la solution diffère :
    • Entre individus → État civil unique : une autorité publique légitime.
    • Entre États → Fédération (foedus pacificum) : association libre de républiques respectant le droit.
    • Kant rejette toute monarchie universelle (risque de tyrannie planétaire).
  3. La paix perpétuelle n’est donc pas un rêve utopique :
    • C’est un idéal régulateur de la raison pratique,
      qui guide le progrès du droit international vers une condition juridique globale.
  4. Condition préalable : la république
    • La paix entre nations suppose que chaque État ait déjà une constitution républicaine,
      où le peuple, et non le monarque, décide de la guerre.
    • Car, écrit Kant : « Si le consentement des citoyens est requis pour décider de la guerre, ils réfléchiront longtemps avant de s’exposer eux-mêmes à tous les maux de la guerre. »

En résumé

DomaineÉtat de natureDevoir rationnelForme du droit
Entre individusabsence de garantie juridiquesortir de l’état de natureÉtat civil (constitution politique)
Entre nationsabsence de droit public internationalsortir de l’état de guerre latentFédération pacifique d’États républicains
Finalité universelleréaliser la « paix perpétuelle »selon la raison pratiqueDroit cosmopolitique (hospitalité universelle)

Souhaites-tu maintenant que je te montre le troisième niveau du droit kantien, celui du droit cosmopolitique, c’est-à-dire le fondement du droit d’hospitalité universelle, qui achève le système politique de Kant (après le droit civil et le droit des peuples) ?

Tous les autres

Mais il existe effectivement d’autres penseurs majeurs qui ont élaboré une conception propre de l’état de nature — soit avant eux (sources), soit après eux (transformations).

Voici une cartographie synthétique et structurée, avec les textes-clés et la portée de chacun.

II. Les penseurs modernes non contractualistes

4. Montesquieu (1689–1755)

Œuvre principale : De l’esprit des lois (1748)

  • Parle d’un état de nature pacifique et timide : « Dans l’état de nature, les hommes naissent faibles et craintifs ; ils cherchent à éviter la guerre. »
  • L’état social naît du besoin et de la crainte, non d’un contrat explicite.
  • L’État ne dérive pas d’un pacte, mais de la progression naturelle des rapports humains.
  • C’est une version historico-psychologique du passage à la société.

5. Diderot (1713–1784)

Dans : Supplément au Voyage de Bougainville, Encyclopédie (articles “Droit naturel”, “Autorité politique”)

  • L’état de nature n’est pas une fiction mais un modèle critique :
    il sert à juger la corruption des sociétés européennes.
  • Diderot ne cherche pas à reconstituer un état historique, mais à penser la liberté originelle de l’homme.
  • L’état de nature est le point de référence moral pour critiquer l’esclavage, le colonialisme, la propriété injuste.

6. Condillac (1715–1780)

Œuvre : Traité des sensations (1754), Cours d’études pour l’instruction du prince de Parme

  • L’état de nature est un état de développement progressif de la sensibilité et du langage.
  • C’est une hypothèse anthropologique sur la genèse de la raison et du langage, plus qu’un modèle politique.

III. Les transformations post-kantiennes

7. Fichte (1762–1814)

Œuvre : Fondements du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science (1796)

  • Fichte reprend Kant mais radicalise la notion de reconnaissance mutuelle :
    • L’état de nature est celui où les individus ne se reconnaissent pas encore comme libres.
    • L’État naît du devoir rationnel de se reconnaître réciproquement dans la liberté.
  • L’origine de l’État devient une structure transcendantale de la reconnaissance, non un fait historique.

8. Hegel (1770–1831)

Œuvre : Principes de la philosophie du droit (1821)

  • Hegel critique le concept d’« état de nature » comme abstraction vide : « L’état de nature est l’état de violence et d’injustice, car il n’y a pas encore de droit. »
  • Le droit et l’État ne résultent pas d’un contrat, mais de la réalisation dialectique de la liberté objective.
  • Il reprend néanmoins l’opposition nature / esprit pour montrer que le droit est la négation de la nature immédiate.

9. Marx (1818–1883)

Œuvres : Manuscrits de 1844, Idéologie allemande, Capital

  • Marx reprend l’idée rousseauiste d’une humanité originellement libre,
    mais la reformule dans un cadre matérialiste et historique :
    l’état de nature devient l’état primitif de la production et de la communauté.
  • L’État n’est pas fondé sur un contrat mais sur les rapports de production :
    il est une superstructure née des divisions économiques.

En résumé : typologie des conceptions de l’état de nature

TraditionPhilosophesNature de l’état de natureFinalité de la société
Droit naturel classiqueGrotius, Pufendorf, CumberlandSociabilité naturelle, droit moral préexistantOrganisation stable du droit et de la paix
Contractualisme moderneHobbes, Locke, RousseauÉtat hypothétique de liberté et de conflitFondation du pouvoir légitime
Critique des LumièresMontesquieu, Diderot, CondillacHypothèse anthropologique ou moraleCompréhension du progrès humain
Idéalisme allemandKant, Fichte, HegelStructure rationnelle, non historiqueRéalisation de la liberté objective
Matérialisme historiqueMarxCondition primitive de productionTransformation des rapports sociaux

Souhaites-tu que je te fasse un tableau comparatif plus complet (2 pages environ) où chaque penseur serait classé selon :

  • sa conception de la nature humaine,
  • le statut de l’état de nature (fiction / réalité),
  • la source du droit,
  • la finalité du passage à la société,
    afin d’avoir une vue synoptique de toute la tradition du droit naturel au XIXᵉ siècle ?

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