La Pitié dangereuse
La Pitié dangereuse est l’un des plus beaux romans de Stefan Zweig. L’histoire se déroule en Autriche-Hongrie, juste avant la Première Guerre mondiale. Le lieutenant Anton Hofmiller, un jeune officier de cavalerie, invite par erreur à danser Edith de Kekesfalva, une jeune femme paralysée. Honteux de son maladroit faux pas, il cherche à se faire pardonner et commence à la fréquenter.
Edith, qui souffre de sa maladie mais aussi d’une immense solitude, tombe amoureuse d’Anton. Malheureusement, ce dernier ne partage pas ses sentiments. Poussé par la pitié et par le désir de ne pas blesser la jeune femme, il adopte cependant un comportement ambigu, laissant entendre qu’il pourrait l’aimer. Edith réalise qu’Anton ne l’aime pas et qu’il ne reste auprès d’elle que par compassion. Désespérée, elle finit par se donner la mort.
La pitié, partage d’une douleur, ne saurait remplacer l’amour ni l’espoir d’une vie heureuse à deux.

Les pièges de l’empathie
Le roman ne nous explique pas en détail pourquoi Anton se retrouve dans cette situation. Zweig ne fait pas de description psychologique ou historique de sa complexion morale. La principale cause déclenchant cette relation fatale est la culpabilité qu’il ressent après avoir humilié Edith. Il pense ensuite pouvoir alléger sa peine. Il s’agit d’ailleurs plus d’une erreur que d’une humiliation volontaire.
L’empathie, une perception mimétique des émotions
L’empathie est la capacité à ressentir, de manière mimétique, les émotions d’autrui. Nous avons la capacité de nous mettre « comme » à la place d’autrui. Nous soulignons « mimétique » et « comme », parce que nous ne ressentons pas exactement la même chose que la personne réellement affectée. C’est impossible. Nous ne sommes pas à sa place. Nous imaginons ce que la personne peut ressentir et, en plus, nous développons une émotion envers elle, dont nous imitons les sentiments. On peut voir la différence entre ces deux types d’émotions en comparant celles que nous ressentons lorsque nous sommes véritablement affectés à celles qui viennent de l’empathie. Les premières sont indéniablement plus fortes que les secondes. L’imitation est très différente de la réalité.
L’empathie hors de contrôle
Quand l’empathie porte sur une situation triste, nous ressentons de la pitié, nous sommes désolés pour la personne. Nous éprouvons de la compassion. Nous essayons tant bien que mal de partager sa douleur, espérant ainsi alléger son fardeau et l’aider en prenant une part — que nous qualifions parfois de « notre » part — de la peine d’autrui. Nous supposons qu’il en va de notre responsabilité morale. Nous pensons avoir un devoir moral d’aider les autres quand ils sont dans le besoin, parfois jusqu’à nous sentir coupables de ne pas en faire assez.
Malheureusement, certains d’entre nous ressentent une responsabilité et une culpabilité trop importantes. Ce sentiment s’enracine dans l’histoire personnelle et dans la religion judéo-chrétienne, qui place la culpabilité et le péché à la racine de sa doctrine. L’empathie déborde rapidement. Nous prenons trop sur nous. Notre imagination et notre principe moral donnent une extension démesurée à nos émotions. Nous nous jetons dans notre responsabilité morale, au détriment de nous-mêmes. C’est le piège de la morale : nous nous nions pour respecter la loi morale. Nous portons le malheur du monde sur nos épaules. Pire encore, au terme de cette dialectique, l’empathie transforme tout le monde en victime à sauver. Derrière le complexe du sauveur se cache une responsabilité et une culpabilité démesurées. À force d’exercer cette émotion, nous avons l’impression de devenir poreux aux émotions des autres, au point de nous oublier nous-mêmes.
Rééquilibrage émotionnel
Le fait de ressentir trop fortement les émotions des autres, et principalement leurs émotions négatives (ceux que l’on appelle parfois les hypersensibles), finit par nous démolir nous-mêmes. Nous portons une peine qui n’est pas la nôtre. Pire encore, d’un point de vue moral, nous en venons à nier la responsabilité et l’autonomie que l’autre doit avoir face à ses propres problèmes (évidemment, comme toujours, il faut tenir compte des différences entre les situations, notamment médicales). À force de morale, nous détruisons la morale. Nous réduisons l’autre à ses souffrances et à ses problèmes, qui parfois même n’en sont pas pour lui. C’est l’une des manières par lesquelles la pitié va trop loin.
En procédant ainsi, la plupart du temps, nous ne faisons que reproduire un schéma de destruction de notre propre ego. Nous n’avons pas le droit d’être nous-mêmes, parce que notre devoir est de nous occuper des autres. Nous vivons dans une tristesse et des soucis qui finissent par bloquer le développement de notre propre autonomie.
Plaisir et estime de soi
C’est l’un des chemins qui finit par nous affecter et faire baisser l’estime que nous avons de nous-mêmes. Nous ne trouvons pas de réponse aux problèmes des autres. Nous sommes submergés par des émotions négatives. Nous finissons aussi par nier la personnalité de ceux que nous aidons, ce qu’ils ne manqueront pas de nous faire payer d’une manière ou d’une autre. « Occupe-toi de tes affaires. »
À cela s’ajoutent également les soucis de la vie, les agressions que nous devons subir des autres, et qui, elles aussi, vont diminuer notre estime de nous-mêmes.
C’est là que commencent les conduites à risques et les comportements addictifs : alcool, drogue, sexe, jeux, sport, etc. Le but de tous ces comportements est toujours le même : trouver du plaisir pour compenser la douleur de la dépréciation de soi-même. Le point commun de ces comportements est de générer suffisamment de plaisir pour nous permettre d’avoir à nouveau envie de vivre, ou au minimum, de supporter la vie.
Ce qui nous a surpris dans ce constat, c’est le lien entre plaisir immédiat et estime de soi. Un paquet de gâteaux, par le plaisir qu’il procure, par la sensation de satiété qu’il engendre, par les hormones qu’il libère, atteint effectivement son but : nous rendre la vie plus supportable.
Le plaisir rapide est un substitut de l’estime de soi. Cela signifie que l’estime de soi est nécessairement liée au plaisir et que la peine en est une diminution.
Le plaisir reste un piège, car il se substitue à la construction d’une véritable estime de soi. En cherchant un plaisir immédiat pour compenser un manque, on reste coincé dans un déséquilibre, entre plaisir de compensation et mésestime de soi. Le vrai plaisir vient de la satisfaction de se réaliser pleinement.
Maintenir une bonne estime de soi par un plaisir constructif
Alors, comment faire ? Les méthodes de développement personnel recommandent généralement aux personnes sensibles de créer une distance entre elles et les autres. On propose d’imaginer une bulle autour de notre corps, un verre rempli à ras bord par les émotions d’autrui, ou encore de croiser les pouces et index des deux mains. Ces techniques fonctionnent, mais jusqu’à un certain point seulement.
On nous recommande de nous détacher. Mais lorsque nous sommes envahis par les autres et par leurs émotions négatives, nous ne pouvons pas toujours établir cette distance. De plus, nous sommes soumis à l’injonction sociale permanente de nous occuper des autres, une injonction dont nous pourrions finir par contester les fondements tant elle est envahissante.
La solution n’est pas tant de se détacher des autres que de se concentrer sur soi-même. La principale source d’un plaisir sain réside dans les activités qui construisent notre estime de soi : le sport, la musique, l’écriture, se faire beau, ranger… Nos hobbies jouent un rôle clé. Ceux qui parviennent à faire de leur passion leur mode de vie atteignent un niveau d’autonomie enviable : le Graal de la liberté !
Il existe aussi d’autres manières d’aider, comme contribuer à l’économie solidaire en faisant des dons ou en donnant de son temps aux associations. Aider tout en gardant une distance est un compromis acceptable, bien que cela ne doive pas nous dispenser de faire de notre mieux dans notre entourage proche.
Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi
En cas de crise, lorsque nous sommes envahis par notre empathie ou influencés par les autres, le meilleur remède est de continuer à construire notre propre vie. Nous devons remettre notre empathie à sa juste place. Respecter l’autonomie et la dignité d’autrui commence par nous respecter nous-mêmes. En nous accordant plus d’importance, nous apprendrons in fine à mieux respecter les autres.

Annexe
L’empathie envers nous-mêmes
Serait-ce le piège ultime de l’empathie que de la ressentir pour nous-mêmes? Si nous sommes capables de tant d’empathie pour comprendre les douleurs des autres, y compris de ceux qui ne nous ont rien demandé, serait-ce parce que l’empathie prendrait tant de place dans notre rapport à nous-mêmes que nous la projetterions sur les autres ?
Ce type d’observation sur soi-même est assez difficile. Pour la faire, nous devrions être capable de sortir de nous-mêmes, ou de nous comparer, intériorité contre intériorité, avec d’autres subjectivités. Nous pouvons voir certains indices dans le comportement qu’on envers eux-mêmes ceux qui n’ont pas d’empathie. La plupart du temps, ils n’en n’ont pas envers eux-mêmes non plus. Dur avec les autres, dur avec eux-mêmes.
Que faire de la pitié que nous avons envers nous-mêmes? Il y a mot en anglais pour cela self-pity, plus efficace que l’apitoiement envers soi-même. La pitié n’est pas la même chose que l’empathie, nous l’avons vu. L’empathie est la fonction générale et la pitié l’une de ses possibilités, celle du partage de la souffrance. Cependant, l’auto-empathie est incluse dans la conscience émotionnelle de soi. Ce champ resterait à préciser, mais là n’est pas notre propos principal.
La dangereuse pitié envers soi-même
Dans la structure de la conscience, il y a une boucle. La conscience est vide et capacité de désir. Maisl l’objet du désir (ce qui est désiré), comme l’object de la conscience (de la fameuse conscience de quelque chose), ne sont que des médiations. Ce que la conscience et le désir désirent réellement, c’est de prendre conscience d’eux-mêmes comme ayant un objet.
Quand nous ne désirons rien, le désir s’ennuie. Notre principale problème est alors de savoir ce que nous pourrions bien désirer. Quand la conscience est vide, c’est l’inactivité totale. Pire que l’ennui, qui n’est qu’une pause entre deux désirs, c’est l’angoisse, le vertige du vide de notre être. A part les moines bouddhistes, personne ne revendique la vacuité totale et la cessation de tout désir. A l’inverse, nous voulons un object, car dans l’object, la conscience de soi, la conscience de la conscience, est enfin active et satisfaite.
La création d’une conscience émotionelle de soi-même
Comment peut-on passer de cette reflexion de la conscience sur elle-même, à l’idée d’une émotion ou d’un jeu d’émotions, une organisation émotionnelle que la conscience développe envers elle-même. La conscience traiterait sa propre vie, notre vie, comme un objet d’analyse. Les émotions que nous développons envers nous-mêmes sont construites à partir de notre mémoire des événements, de nos émotions ressenties, de nos rationalisations morales.
Construites, trop construites, n’est-ce pas là un problème? Est-ce que nous ne nous complaisons pas dans un discours sur nous-mêmes qui nous donne le beau rôle? Qui nous permet de ne pas nous détester, de cacher, ou occulter nos faiblesses, de surestimer toutes nos ridicules victoires?
Et en plus nous allons projeter cette matrice pour juger le monde au dehors de nous. Il ne faut pas non plus exagérer. Cette méta-conception reste poreuse, souple, ouverte au changement. Notre conscience de nous-mêmes et du monde peuvent changer. Mais en attendant, c’est ainsi que le symptôme conduit notre vie plutôt que notre raison. C’est ainsi que nous répettons toujours les mêmes comportements et nous mettons toujours dans les mêmes situations.
Cette manière que nous avons de nous définir nous-mêmes a une forte tendance à s’auto-renforcer. Elle nous tient chaud. Elle nous complaint toujours d’une manière ou d’une autre dans une forme de victimisation et de supérioté que nous en tirons. La responsabilité, la liberté, la transformation, croulent sous le poids de notre autobiographie de conscience. C’est ce méta-discours qu’il faut changer pour pouvoir se changer soi-même. Il nous faut trouver le moyen de mettre à distance ce discours, de le réécrire, ou d’en écrire un autre, en nous redonnant notre liberté.
Dans la victimisation, nous revenons toujours sur le fait que nous avons subi quelque chose. Passif, nous avons été contré dans notre développement et nous le sommes toujours. Et nous sommes bloqués à ce stade. Nous nous définissons par nos échecs. Nous oublions de nous définir par nos nouveaux projets. Méfions-nous de notre pitié envers nous-mêmes, comme nous devons nous méfier de notre pitié envers les autres.
La principale source de violation de la loi que l’on se donne?
S’apitoyer sur soi-même est la meilleure manière, ou plutôt la plus laide des manières pour se trouver des excuses, ces fameuses excuses qui nous font dévier des lois que nous nous donnons. La pitié est l’excuse: j’ai bien le droit à, parce que j’ai connu un malheur, plus de malheurs que les autres, trop de malheur.
Nous mettons en scène, nous fantasmons, une espèce de tribunal invisible devant lequel, comme victime, nous venons demander réparation pour nos souffrances. Le tribunal, sans visage, nous absout et nous donne un droit symbolique de réparer nos souffrances en chosissant le plaisir comme dédommagement du mal. Et ce jugement cosmique dépasse en puissance la loi morale et la volonté. Là où nous devions simplement, sobrement et sans affect suivre la loi, en mettant de côté nos petits penchants, nous sommes tout à coup bousculé par une forme de reconnaissance de notre peine qui donne un droit au plaisir malsain.
Ce n’est pas la seule forme de tribunal imaginaire que notre psyché peut mettre en place. Un excellent exemple nous est donné par le Procès de Kafka, ce récit délirant du paranoïaque, où le tribunal n’est cette fois pas là pour nous absoudre, mais au contraire pour nous condamner.

Nous pouvons hésiter sur le statut réel de ce tribunal imaginaire. Est-ce un lien réel, quoiquoi symbolique à l’univers et au destin? Ou bien est-ce l’une de ces instances psychiques, purement imaginaire qui prend temps de place dans notre rapport à nous-mêmes? L’un de ces signifiants, (sur lesquels nous aurons à revenir dans un prochain article), qui prend temps de place dans notre discours intérieur? Pour la psychologie, la première figure est une ruse de la raison pour dissimuler la véritable origine du trauma. Le panthéon de la mythologie grecque n’est rien d’autre qu’une famille hyposthasié, c’est-à-dire transformée symboliquement en divinité. Ce tribunal, ou ces tribunaux imagniaires qui hantent notre psyché, seraient autant de forme de ce que Freud appelle le Surmoi, le centre des règles et des lois que nous héritons des générations passées. La puissance des parents et de la communautés est telle, notamment dans l’enfance, que leurs commandements et leur jugement envers nous s’inscrivent au plus profond de notre imaginaire et conditionnent une partie de nos comportements.
Toute action vient d’un jugement, mais tout jugement ne vient pas uniquement d’un raisonnement réellement rationnel. Le jugement, ou plutôt les jugements, comme les désirs, ont différentes sources. La raison et le besoin sont les sources objectives. Mais la source la plus puissante est le désir, lui-même pris dans un jeu de signifiants, qui est également l’un dispensateur de ces figures du jugement que constituent tous ces tribunaux mentaux.
Objectiver ces processus mentaux, ici dans la pitié, chez Kafka dans la paranoïa, là dans le plaisir qui ne cherche que le plaisir, nous permet réellement, par la prise de conscience que nous en avons, d’y mettre fin et d’avancer en sagesse. Nous pouvons décomposer ces jugements: oui, il y a eu violence, nous pouvons le reconnaître. Mais pourquoi cela devrait-il déclencher une compensation qui n’est que répétition de la violence? Le tribunal interne de la pitié, dans sa plurivocité, contient une dimension de répétition de la violence et pas de libération. C’est une instance juridique déséquilibrée, où le « coupable » n’est pas présentée par qu’il est en fait le président du tribunal. Il n’est pas chatié, parce qu’en fait nous en cherchons toujours cette reconnaissance qui nous fait être nous-mêmes dans la reconnaissance que nous donne les autres.Dans ce tribunal, seule la victime est entendue. Quelle étrangeté! Le tribunal des morts de l’ancienne Egypte jugeait notre âme dans ses deux parties, justes et injustes. L’âme était à la fois coupable et juste, selon ses actions. Dans le tribunal de la pitié, nous restons une victime et avons droit à une fausse compensation. La seule réelle justice est la condamnation du coupable. C’est en elle qu’est la reconnaissance réelle et active de la victime. Ce n’est pas la compensation du mal qui compte, c’est la punition du mal. Et le mal n’est pas du ressort de dieu, mais de l’homme. Il n’y a pas de justice divine ou de théodicée à attendre. Nous devons accepter la réalité de la vie et nous détacher, pour la remettre à sa place, et être fort dans la réalité, par-delà nos souffrances.

La charité mal ordonnée
Nietzsche est l’un des principaux critiques de la pitité. Mais il ne la critique par dans sa dimension interpersonnelle et subjective. Il l’a critique radicalement, comme une valeur affaiblissant les forces vitales de la société. Cette critique est évidemment, dans une telle radicalité, une erreur. Une valeur ne peut pas être « éliminée », une dimension de l’homme ne peut jamais être niée. Elle doit simplement être remise à sa juste place. La pitié, ou pour le dire autrement, la solidarité avec une certaine forme de compassion, est un trait humain intéressant pour la cohésion sociale. C’est une dimension de la philia, de ce que nous valeurs républicaines appellent la fraternité. La disparition de toute empathie entre les citoyens serait un coup violent à notre capacité intersubjective à vivre ensemble. Etrangement Nietzsche n’attaque pas directement la pitié que l’on peut avoir envers soi-même. Il aura plutôt tendance à dénoncer celle que l’on a envers les autres et à défendre des valeurs « viriles » de créations de valeurs.
On retrouve cette figure dans le dilemme de la charité. Luc Ferry, dans l’Homme-Dieu, dénonce une certaine gauche qui s’est construite en prétendant venir aux autres. A grand renfort de mise en scène, certaines grandes âmes, tout en aidant parfois réellement les autres, se sont servis du malheur pour s’élever elles-mêmes socialement. Nobody’s perfect. Nous ne devons pas jeter le bébé et l’eau du bain. La récente révélation du comportement de prédateur sexuel de l’abée Pierre ne peut que créer en nous un conflit. Son oeuvre pour les pauvres est indéniable et lui a survécue. Mais il s’est servi de sa notoriété pour harceler ses collaboratrices. Il ne l’a semble-t-il pas nié, admettant que les troubles de son enfance le conduisait à ces comportements sexuels.
Plus profondément, ce que l’on peut reprocher à la charité chrétienne, érigée en valeur suprême, c’est qu’elle a toujours besoin de malheureux pour s’exprimer. Pas de pauvre signifierait pas de charité, et le besoin de dire adieu à une certaine supériorité morale. La vraie réponse est évidemment d’organiser autrement la société. La vraie pitié, ce n’est pas uniquement de donner à manger tous les jours à celui qui a faim, mais bien de lui apprendre à trouver lui-même son pain quotidien.
Les bons sentiments eux-mêmes doivent être suspects. Faut-il donc se méfier de tout? Ou faut-il suivant Zweig, renommer nos bons sentiments ou en rétrécir le champ?