Thomas Legrand, journaliste de Libération, tente de justifier les positions de Mélenchon sur les récentes émeutes qui ont secoué le pays en établissant une filiation entre LFR et les Sans-culottes, croyant ainsi valider la position de LFI à l’intérieur du cadre Républicain. Mais c’est une double erreur.
Les Sans-culottes, parti d’extrême gauche issu de la Révolution, défendaient la République, pour laquelle ils se disaient prêts à mourir, la démocratie directe contre la démocratie représentative, meilleure représentante du Peuple, et la fin de la propriété privée pour lutter contre la concentration des richesses au niveau de la noblesse. La gauche des Sans-culottes était constituée par un groupuscule, les Enragés, dirigé par un certain Jacques Roux. Encore plus radicaux, les Enragés défendent la liberté individuelle comme un absolu que rien ne saurait entraver, dénonce toute forme de « domination » d’Etat et justifient les vols, qui constituent pour eux des « restitutions ». Comme une partie des Sans-culottes, leurs idées et comportement ayant finis par être considérés comme un grave danger par la Terreurs, Jacques Roux sera plusieurs fois emprisonné. Il finira par se suicider lors de son procès.

Prétendre remettre LFI dans le cercle Républicain en se référant aux Sans-culottes est donc voués à l’échec. L’histoire le prouve, mais la défense la démocratie et des droits de l’homme le fonde. On ne peut pas séparer le droit de propriété et la liberté d’entreprendre des droits et libertés imprescriptibles de tout individu. La liberté d’entreprise n’est qu’un avatar de la liberté d’expression. Le droit de propriété est une garantie contre l’absolutisme de l’Etat. La question de la répartition des richesses et de l’utilité sociale de leur éventuelle concentration est un point différent, qui n’est d’ailleurs pas si simple à fonder. Les scandales sont bien plus du pouvoir né d’une immense fortune et surtout de l’existence de la pauvreté, que la richesse elle-même. On ne peut pas présumer que les riches sont riches parce qu’ils ont volé les autres. Quoiqu’il en soit de ce débat et de l’impossibilité de séparer ainsi la liberté en attributs, on ne peut pas non plus comparer la concentration des richesses en France à l’époque de la Terreur avec ce qu’elle est aujourd’hui. La France est l’un des pays où l’écart des richesses est le moins important, et l’un des Etats les moins libéraux, avec plus de 50% du PIB passant par le gouvernement. Comparaison n’est donc pas raison.
Même si l’on pouvait ainsi relier LFI aux Sans-culottes, cela ne pourrait réintégrer l’extrême gauche politique dans le champ républicain. Las, la situation idéologique de LFI est bien plus grave. Les Sans-culottes prétendaient défendre la République, LFI prétend renverser la Vème pour un régime inconnu, mais dont on sait qu’il aura comme modèle le Vénézuela, l’Iran ou la Russie de Poutine. Nous allons voir qu’il y a bien un lien entre toutes ces incohérences. LFI est allié aux Verts. Ils se retrouvent dans leur détestation du travail et leur sacralisation d’une nature vierge de toute main de l’homme, là où les Sans-culottes défendaient le travail de l’artisan et ne se posait pas trop de question sur la pollution. La Nupes dans son ensemble défend l’immigration, donnant même à l’immigré une supériorité morale au citoyen. A l’époque des Sans-culottes, les immigrés étaient surtout les nobles ayant fui la Révolution. Là encore, rien à voir, rien de comparable. Pour achever le portrait LFI, rappelons qu’il considère la police comme des tueurs, justifient l’action violente, que ce soit pour une bassine d’eau ou contre les forces de l’ordre, ne proposent strictement rien à l’Assemblée, sont anti-capitalistes, anti-technique, anti-travail, et soutiennent la convergence des luttes wokistes contre « l’homme blanc ». Or il n’y a qu’une seule position politique permettant de justifier cette opposition systématique à tout, et il s’agit bien de l’anarchisme.
Symbolisé par Proudhon (même si sa pensée réelle est finalement bien plus nuancée) et son célèbre mot, « la propriété c’est le vol », l’anarchisme, comme son nom l’indique, refuse toute organisation du pouvoir. L’Etat, quelque soit sa forme, dès lors qu’il est constitué, devient une forme insupportable de « domination », entravant la liberté absolu dont chaque homme devrait bénéficier. Cela pourrait paraître intéressant, mais malheureusement, l’anarchisme repose essentiellement sur le refus du Contrat social, c’est-à-dire sur le refus de la sortie de l’état de nature. L’homme doit rester tel que la nature l’a fait. Il n’accède pas à la loi, ni à l’universel. L’ordre social de l’anarchiste est soit-disant un ordre mouvant et spontanné. Mais c’est oublié que l’homme a l’état de nature est un être violent. L’état de nature est pour Hobbes, celui de la Guerre de tous contre tous, et seul la remise de la violence dans les mains des autorités du gouvernement permet la création d’un ordre politique et légal. C’est ce passage que refuse l’anarchisme. Il a bien tort. Sa liberté qui n’est pas guidé par la loi, n’est rien autre que la licence. Refusant la loi, il refuse aussi bien la raison, instance dictant des normes, et va promouvoir la folie ou tout simplement les passions.

C’est ainsi, en se positionnant en deça du Contrat social, que l’anarchiste peut renverser toutes les valeurs de l’Etat, quel qu’il soit, et dans le cas qui nous intéresse, toutes les valeurs de la démocratie. La police ne défend pas, elle tue. La liberté d’entreprendre n’est pas une liberté, elle débouche sur la propriété et sur le vol. La technique ne libère pas, elle est une attaque directe contre la « nature », ce qui suffit à la disqualifier en bloc et à justifier l’action violente des écologistes radicaux. L’enfant doit apprendre les savoirs lui-même, l’enseignement par un adulte détenant un savoir n’étant qu’asservissement par un détenteur de capital culturel. L’immigré a échappé à son pays, il est apatride. Il est le modèle de l’anarchiste parfait et vaut beaucoup plus que tous les faux citoyens, mais vrais esclaves de l’Etat. Il déteste l’intérêt et la dette, qui sont des engagements moraux et financiers qui brident l’action instinctive. Pour revenir à la vraie liberté, il faut prôner partout la « déconstruction ». Tout ordre qu’on lui oppose, tout Etat ou Nation est d’emblée la « preuve » que ses adversaires sont tous d' »extrême droite ». La position anarchiste explique ainsi quasiment l’intégralité du comportement de LFI.

Dans le cadre d’une pensée hégelienne ou marxiste, on pourrait penser que l’anarchisme est une puissance dialectique qui va nous permettre d’avancer ou de maîtriser la dynamique de la modernité. C’est une grave erreur. Le premier moment de la dialectique de la liberté est justement la sortie de la licence et sa violence aveugle, et l’entrée dans le champ d’une liberté construite sur le droit sur point de vue politique, et sur la raison du point de vue individuel. L’anarchisme n’est pas un moment dialectique, mais l’effondrement de la dialectique elle-même, incapable du moindre dépassement. Le sophisme de l’anarchiste est de nous faire croire qu’il est le seul à revendiquer pleinement la liberté, et qu’il peut tout dénoncer en s’appuyant sur la pureté du principe, prétendant au passage nous mettre en face de notre incapacité à suivre nos principes et ainsi déclencher notre mauvaise conscience. Il nous fait croire que la démocratie n’est pas à hauteur de sa promesse, mais son alternative est l’incendie perpétuel. Il confond tout simplement, et sciemment, licence et liberté. Il n’y a dès lors qu’une seule solution pour lutter contre ce cancer: la réaffirmation de la loi, seule garante de la liberté et seul rempart contre la violence de tous contre tous. C’est à l’intérieur du cadre juridique que la liberté doit trouver son plein déploiement. Il n’y a pas de liberté politique sans Etat, sans abandon de la violence, sans renoncement à la vendetta. l’Etat moderne doit certes défendre et respecter nos libertés, qui sont d’ailleurs en perpétuelle redéfinition. Mais ce n’est possible que par le renoncement à la violence, par le respect de l’autre, qui permet l’accès à une nouvelle figure de la liberté, bien plus puissante que celle de l’homme naturel immergé dans la violence. La loi est ce qui nous garanti contre la barbarie. Là était peut-être la leçon de Socrate, acceptant la Loi le condamnant à mort et refusant toute désobéissance. Toute loi vaut mieux que l’anarchie.

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