L’analyse de l’universalisme (https://foodforthoughts.blog/2025/11/21/luniversalisme-le-chemin-de-la-paix/) nous a montré que la défense d’une caractéristique secondaire finit toujours par déclencher une forme de guerre sociale. On ne peut pas être féministe en occultant l’autre moitié de la population, exactement comme on ne peut pas défendre la blanchitude, la négritude ou je ne sais quelle version de ces sujets.
Etre d’un camp
Sur le même type, mais dans un registre différent, on ne peut pas non plus se contenter d’être antiraciste, ou antifa dans la version la plus radicale. L’antiraciste a besoin d’un raciste à dénoncer, sinon son identité morale, sa position de défenseur de la justice, s’effondre. Et comme nous le voyons en France, même quand il n’y a pas de racisme systémique, voire plus de racisme visible, l’antiraciste continue sa croisade, jusqu’à dénoncer tout ce qui n’est pas lui, pas de son camp, pas de sa pureté morale. L’identité se construit contre et non pas avec. Elle n’est, d’une certaine manière, pas à 100%. Celui qui ne défend pas l’universalisme n’est pas citoyen d’un monde, il est citoyen d’un monde, de son monde, qu’il oppose aux autres. A minima, la lutte contre l’injustice doit s’accompagner d’une action concrète juste.

L’injustice, la victime
Si l’on radicalise la position, nous arrivons à la personne (votre serviteur), qui lutte contre l’injustice elle-même, contre toutes les injustices. Pour lui (pour nous), l’injustice est métaphysique, ontologique, inhérente à la vie elle-même.
Dans ce cas, il n’est plus question d’être un camp, d’une détermination. Mais il reste tout de même une position, celle de la victime. Comme l’a titré Pascal Bruckner, Je souffre donc je suis. Je me définis comme victime.

Ici, nous sommes bien dans une position universelle. Mais celle-ci reste négativement formulée. Elle est issue d’un jugement négatif. Dénoncer les injustices, c’est ainsi rester dans une position de victime. Cette position existait déjà chez les défenseurs d’une sous-catégorie de la détermination de l’identité. Là elle est universelle. Mais un malaise persiste.
Vérité positive, vérité négative
Il y a deux manières d’énoncer une proposition vraie. Je peux dire: la fleur est rose ou la fleur n’est pas rose. Dans les deux cas la proposition est vraie (nous ne parlons pas là de la même fleur). Du point de vue logique, à première vue, il n’y a pas beaucoup de différence. On aurait juste A=B ou A=-B.
Mais en fait, le résultat est radicalement différent. Dans le jugement de vérité positif, l’être de la rose est déterminé et circonscrit. La question est résolue du point de vue de la qualité qu’est la couleur. Nous pourrons toujours discuter de la teinte et faire appel à un référentiel, mais la question est close et résolue.
Dans le jugement vrai négatif, ce n’est pas du tout le cas. La question de la couleur reste largement ouverte. La détermination positive est justement ce qui manque. S’il fallait continuer dans cette voie, il faudrait exclure toutes les couleurs que la fleur n’est pas, avant de trouver la bonne. C’est cognitivement et psychologiquement épuisant. Et angoissant. Nous sommes pris dans une spirale négative où nous voyons tout ce que n’est pas la fleur du point de vue de la couleur.
Logique et pyschologique
Nous glissons ici de la seule logique à l’impact proprement psychologique de la formulation. La vérité positive rassure, enclot, achève le discours. Elle pose de l’être ou une détermination de l’être, mais elle nous pose aussi dans une positivité de notre rapport au monde. La vérité négative ouvre un chemin de détermination bien plus vaste. Faut-il éliminer toutes les erreurs pour arriver au vrai positif? Elle crée une forme d’angoisse, mais aussi, point capital, une forme d’ivresse de la pensée face au monde. Capable de dire ce qui n’est pas, l’esprit sent sa supériorité, son extension infinie par rapport au petit étant déterminé. L’angoisse vient de l’indétermination. Mais s’il n’y avait pas cette petite ivresse de l’âme, si nous restions simplement face à l’angoisse, la position deviendrait insupportable. À l’inverse, l’ivresse nous fait tourner la tête procure une forme de plaisir dont nous avons du mal à nous défaire. Nous voyons souvent cette ivresse dans les manifestations anti-raciste et dans les dénonciations de l’injustice. Quelque chose déborde, n’est plus dans son axe.
Un petit livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous, avait fait grand bruit lors de sa sortie en 2010. L’idée, d’ailleurs en partie critiquée à l’époque, était de favoriser la dénonciation des injustices. En revanche, il n’y avait pas d’appel à construire la justice dans la dignité. L’indignation s’accompagnait d’une dénonciation des élites mystérieuses qui seraient responsables de la justice et ne la construisiraient pas le monde qu’ils auraient dû construire. La dénonciation de l’injustice s’accompagne d’une dénonciation politique de personnes désignées comme étant les responsables. C’est d’une manière cohérente, puisque la dénonciation négative ne s’accompagne pas de la responsabilité.

La structure logique embarque un rapport au monde et son impact sur la psyché. Sur certains sujets, comme la justice, elle mobilise aussi une structure de pouvoir et de responsabilité. Les études faites par les professionnels et chercheurs en marketing montrent aussi les impacts des différentes formulations: dire je, tu, il, nous, utiliser le positif ou le négatif, ces formulations ont toutes des impacts différents sur notre engagement et notre positionnement face au monde.
« La fleur est bleue » a une forme présentant une grande objectivité. Nous disons quelque chose de quelque chose, en établissant un rapport positif. Le sujet est effacé. La réalité, la phrase complète est sous-entendue « je dis que la fleur est bleue et concernant cette fleur à ce moment, ce jugement est une vérité universelle ». Quand Hessel nous intime de nous indigner, sa phrase colle parfaitement au sujet et à la réaction qu’il souhaite favoriser. Il désigne les responsables « vous » et les condamne par l’impératif. Il invite ceux qui participe au système, ceux qui n’y particpe pas, et des victimes non identifiés, à l’indignation, sentiment best seller de l’agitation sociale. Il ne les invite pas à une lente leçon de sagesse et de patience pour faire du monde un endroit meilleur. Il flatte le sentiment d’injustice et la colère superficielle. La formule est très puissante du point de vue rhétorique, et l’on comprend le succès de l’ouvrage.
Se parler à soi-même
Narcisse regarde son reflet dans le miroir. Le dispositif à tout de la structure de la conscience. Un sujet, qui ne peut se voir et se connaître directement, se découvre dans un reflet (un imitation), rendue possible par la nature réfléchissante de l’eau et par la lumière du soleil, directe ou refletée par la lune.
De la même manière, l’âme, produit des contenus, des pensées, des idées, qu’elle ne connaît qu’une fois formalisés dans un langage et entendus par l’oreille de l’esprit, dans une communication rendue possible par « l’air ». L’image classique est celle de l’œil de l’âme qui contemple les Idées, comme on la trouve dans le Premier Alcibiade. La source de la vérité ou de l’observation des productions de la partie intellectuelle de l’âme est la lumière naturelle. La lumière renvoie à la divinité d’Apollon. L’âme est comme un soleil, un dieu, une puissance autonome de création intellectuelle, et elle peut se voir elle-même dans sa partie réfléchissante, à savoir la conscience. Pourtant, au-delà de cette image, si profondément inscrite dans notre culture, la conscience interne repose surtout sur l’ouïe de propositions assemblées dans un langage, un logos. Ce qui compte le plus, ce n’est donc pas l’agencement esthétique ou cosmétique d’une proposition visuelle, mais bien la qualité de la proposition linguistique. Avant Apollon, le Dieu est Logos, comme la conscience.
La manière dont nous nous parlons reflète et entraîne une partie de la qualité et de la forme de nos actions. Il ne s’agit pas uniquement, comme avec les stoïciens, de changer nos représentations plutôt que l’ordre du monde, mais bien d’avoir également les représentations les plus performatives et de prendre garde à cet impact de la formulation sur notre caractère.

Annexe
Recherches avec Chat GPT
Négatif et positif ne sont pas symétriques
Un principe formulé négativement est déterminé par ce qu’il nie. Lutter contre l’injustice. Lutter contre le racisme Dans ce cas le critère d’action est l’identification d’un mal, l’orientation est réactive, la norme reste implicite ou indéterminée.
À l’inverse, construire la justice, construire l’universalisme impliquent, une définition positive du bien visé, une architecture normative explicite, une action instituante, non seulement correctrice.
On retrouve ici une distinction classique, déjà chez Aristote : supprimer un vice n’implique pas produire une vertu. Éthique à Nicomaque, livre II La vertu comme hexis positive, non comme simple absence. Une vertu n’est ni l’absence d’un défaut, ni la simple neutralisation d’un excès,
mais une disposition constituée, acquise par l’habitude (ethos). Ne pas être lâche ≠ être courageux. Ne pas être injuste ≠ être juste
EN II, 4 (1105a9–18), Aristote insiste sur un point décisif : οὐ γὰρ ὁ μὴ ἀδικῶν ἤδη δίκαιός ἐστιν, (Ce n’est pas parce qu’on ne commet pas d’injustice qu’on est déjà juste)
Confirmation au livre V (justice), Dans EN V, Aristote distingue : le juste comme conformité extérieure à la loi, et le juste comme vertu complète, engageant l’intention.
On peut agir conformément au juste :par peur, par contrainte, par intérêt, sans être vertueux. Supprimer l’injustice factuelle ≠ instituer la justice comme vertu.
Chez Castoriadis, comme souvent, il n’y a pas de formule lapidaire unique disant exactement : « un combat fondé sur le négatif a intérêt à ce que son objet ne disparaisse jamais ».
Le négatif produit de la mobilisation ; le positif produit de l’institution
Le négatif est immédiatement mobilisateur
La dénonciation, désigne un adversaire, crée de l’indignation, produit du lien par opposition. C’est extrêmement efficace pour rallier, radicaliser, accélérer. Mais elle ne dit rien de l’ordre souhaité, elle peut fédérer des visions incompatibles, elle vit de la persistance du mal qu’elle combat. D’où ce paradoxe bien connu : un combat fondé uniquement sur le négatif a intérêt à ce que son objet ne disparaisse jamais.
C’est le principe du rage-bait sur internet et sur les réseaux sociaux.
Le positif exige un accord sur le monde commun
Construire la justice ou l’universalisme suppose, une conception de l’homme, une idée de l’égalité, une hiérarchie des normes, des formes institutionnelles. Le positif oblige à trancher, là où le négatif permet de suspendre les désaccords. C’est pourquoi le passage au positif est toujours conflictuel, lent, et intellectuellement exigeant.
Le négatif absolutise le mal ; le positif relativise les conflits
Lorsqu’on lutte contre X : X devient le principe organisateur du réel, tout est lu à travers sa présence, les individus sont classés selon leur position par rapport à X. Ainsi : la lutte contre le racisme tend à racialiser le monde, la lutte contre l’injustice tend à judiciariser ou moraliser toute relation. À l’inverse : l’universalisme cherche à dépasser les catégories qu’il combat, la justice vise à ordonner les conflits, non à les absolutiser. C’est ici que le paradoxe devient visible : la lutte contre le racisme peut renforcer la centralité de la race, alors que l’universalisme vise précisément à la rendre secondaire, voire insignifiante.
Le négatif produit des sujets accusateurs ; le positif produit des sujets responsables
Formuler un principe négativement : place le sujet dans une position de vigilance morale, mais aussi de soupçon permanent, souvent dans une logique d’assignation.
Formuler positivement : engage à faire advenir quelque chose, oblige à se situer soi-même dans l’ordre que l’on propose, expose à l’échec, à la contradiction, à la responsabilité. Construire est toujours plus risqué que dénoncer.
Une thèse de fond
Le négatif est politiquement puissant mais ontologiquement pauvre. Le positif est ontologiquement riche mais politiquement coûteux.
Conclusion
Passer du négatif au positif, ce n’est pas adoucir un combat : c’est changer de régime de pensée. De la réaction à l’institution. De la dénonciation à la normativité. Du soupçon à la responsabilité. Du symptôme au monde commun.
Le passage du négatif au positif : de la réaction à la construction
Négatif : lutte contre X (injustice, racisme)
- Système émotionnel activé : sympathique → vigilance, alerte, colère, indignation.
- Fonction cognitive principale : identification du mal, détection des menaces, tri binaire juste / injuste.
- Effet sur l’identité : vous vous positionnez comme moralement supérieur, mobilisé par le combat, vous ralliez une cause.
- Limite : l’action est souvent diffuse, réactive et parfois infinie, parce qu’il y aura toujours un mal à combattre.
Positif : construction pour le bien
- Système émotionnel activé : parasympathique → calme, réflexion, planification, régulation de l’énergie.
- Fonction cognitive principale : choix, création, anticipation des conséquences, hiérarchisation des priorités.
- Effet sur l’identité : vous êtes confronté à vos propres limites et responsabilités, vous devenez acteur et constructeur, pas seulement critique.
- Avantage : le combat a une direction concrète, un résultat possible, un horizon atteignable.
Pourquoi une simple reformulation change tout
La langue façonne le système d’action
- Dire « lutter contre » active automatiquement le mode réactif : cerveau cherche des ennemis, dangers, infractions.
- Dire « lutter pour » ou « construire » active le mode proactif : cerveau cherche solutions, hiérarchie des priorités, feedback, planification.
C’est exactement ce que les psychologues appellent :
- Goal framing effect (Higgins, 1997)
- Approach vs avoidance motivation (Carver & Scheier, 1998)
Mais ce n’est pas que cognitif : le corps réagit physiologiquement. La vigilance suscitée par le négatif entraîne cortisol et adrénaline ; le positif stimule la dopamine et les systèmes de récompense liés à la création et au sens.
Le sens et l’identité sont recalibrés
- Négatif → identité défensive : « je suis contre » → cohésion mais dépendance au mal persistant.
- Positif → identité constructive : « je suis pour » → engagement autonome, responsabilisation, sentiment de compétence.
C’est ce changement d’agentivité qui est central. Même si la phrase est courte, elle invite le cerveau à se représenter une action différente, et donc à déclencher une cascade physiologique et cognitive différente.
La formulation change le mode de temporalité
- Négatif → infinité, sans fin : il y aura toujours un mal.
- Positif → fin atteignable, horizon de succès : construire la justice, même partiellement, a un résultat tangible.
- Psychologiquement, la possibilité de succès concret active la motivation intrinsèque et réduit le stress.
Le rôle des micro-choix et contraintes
Quand on formule positivement :
- Le cerveau est confronté à des contraintes concrètes : je ne peux pas corriger toutes les injustices → priorisation.
- Cette limitation engage la réflexion consciente, le cortex préfrontal, et réduit l’impulsivité.
- Résultat : état de flux régulé, moins de rumination, plus de satisfaction même face à l’échec partiel.
Une métaphore neurologique
- Négatif : cerveau en mode alarme et vigilance → fast thinking, émotion → action immédiate mais souvent inefficace à long terme.
- Positif : cerveau en mode construction et planification → slow thinking, intégration, ajustement → action plus durable et gratifiante.
C’est pourquoi, même une reformulation de phrase seule, si elle est répétée et intégrée, peut basculer le système nerveux et l’orientation cognitive.
En résumé
| Formulation | Motivation | Système | Identité | Temporalité | Risque / limite |
|---|---|---|---|---|---|
| Lutter contre X | réactive, immédiate | sympathique (alerte) | défensive / morale | infinie | stress, rumination, dépendance au mal |
| Lutter pour Y | proactive, constructive | parasympathique (planification) | constructive / responsable | fin atteignable | confrontation avec limites personnelles |
Clé : ce n’est pas seulement rhétorique. La reformulation modifie la représentation mentale du but, le système nerveux, l’identité et la perception de l’action possible → c’est un vrai basculement psychologique.
Jugement positif, jugement négatif
La réponse est : oui, massivement, et ce que vous décrivez n’est pas un simple effet de style, mais une asymétrie cognitive structurelle entre jugement négatif et jugement positif.
Je vais répondre en trois niveaux :
- ce que montrent les études expérimentales,
- pourquoi la négation est cognitivement plus coûteuse et plus ouverte,
- en quoi cela éclaire directement votre intuition politique et morale.
Résultat central (bien établi)
Un jugement négatif n’est pas le simple inverse logique d’un jugement positif. Même quand les critères de reconnaissance sont identiques (bleu / non bleu),
les processus cognitifs mobilisés sont radicalement différents.
C’est un résultat robuste depuis les années 1960.
Psychologie cognitive de la négation (résultats expérimentaux)
La négation est toujours traitée en deux temps
Études classiques :
- Wason (1961)
- Clark & Chase (1972)
- Carpenter & Just (1975)
Résultat expérimental constant :
Quand un sujet traite :
- « Ceci est bleu »
→ reconnaissance directe du prédicat
Quand il traite :
- « Ceci n’est pas bleu »
→ représentation mentale de “bleu”, puis inhibition / rejet
La négation suppose toujours l’activation préalable du concept nié.
Cela signifie que cognitivement : non-X = X + opération supplémentaire
La négation est donc :
- plus lente,
- plus coûteuse,
- plus instable.
Jugement positif = clôture ; jugement négatif = ouverture
Vos mots sont exactement ceux utilisés en psychologie cognitive.
Dans le jugement positif :
- le prédicat est posé
- la catégorisation est fermée
- le traitement cognitif peut s’arrêter
Dans le jugement négatif :
- la catégorie est explicitement rejetée
- mais aucune autre n’est posée
- le champ des possibles reste ouvert
Études sur la catégorisation :
- Barsalou (1983)
- Hampton (1997)
« Ceci n’est pas bleu » ne dit pas ce que c’est → seulement ce que ce n’est pas.
Cognitivement, cela déclenche :
- exploration,
- incertitude,
- prolongation du traitement.
Logique naturelle vs logique formelle
Logique formelle
En logique :
- ¬P est strictement défini
- équivalent fonctionnel d’une information
Logique cognitive humaine
Mais dans la cognition humaine :
- la négation n’est jamais neutre
- elle est orientée vers la gestion d’erreur et de menace
George Lakoff (1987) l’a montré : la négation active des cadres, elle ne les supprime pas.
Exemple célèbre : « Ne pensez pas à un éléphant »
Vous pensez à l’éléphant.
Le jugement négatif comme opérateur d’alerte
Les neurosciences confirment cette asymétrie.
- Les jugements négatifs activent plus fortement :
- l’amygdale,
- les circuits de détection d’erreur,
- les réseaux de vigilance.
Études :
- Nieuwenhuis et al. (2001)
- Botvinick et al. (2004)
Le négatif est naturellement couplé à la surveillance, le positif à la validation et à la stabilisation.
Pourquoi le jugement négatif est structurellement sans fin
« Dans le cas négatif, la chose est surtout définie comme non X, ce qui ouvre le champ de sa définition ». C’est exactement ce que montrent les études :
- « non-X » :
- n’épuise jamais le réel
- appelle des compléments
- relance la recherche catégorielle
- « X » :
- stabilise
- permet l’arrêt cognitif
- fonde l’action
D’où une conséquence cruciale : le jugement négatif est fonctionnel pour la critique,
mais impropre à la construction.
Retour direct à votre problème moral et politique
| Jugement | Effet cognitif | Effet pratique |
|---|---|---|
| « Ceci est injuste » | alerte, ouverture, indignation | mobilisation, discours, dénonciation |
| « Ceci est juste » | stabilisation, clôture | institution, décision, responsabilité |
| « Lutter contre le racisme » | activation permanente de la catégorie | vigilance infinie |
| « Construire l’universalisme » | définition de critères positifs | choix, renoncement, hiérarchie |
La différence n’est pas morale, elle est cognitive et neurologique.
Conclusion nette
Vous avez raison sur un point fondamental : Même lorsque les critères de reconnaissance sont supposés identiques,
la négation ne fonctionne pas comme une affirmation inversée.
La psychologie montre que :
- le jugement négatif ouvre,
- le jugement positif ferme,
- et cette différence suffit à expliquer :
- la mobilisation sans fin,
- la supériorité morale ressentie,
- et la difficulté à passer à l’institution.
Formule finale
Le jugement négatif est un opérateur de vigilance et de critique ;
le jugement positif est un opérateur de stabilisation et de décision.
Confondre les deux, c’est demander à l’alerte de fonder l’ordre.
Donc le jugement vrai positif n’est pas un équivalent du jugement vrai négatif. Il faut distinguer les deux comme on distingue aussi vérité, mensonge, erreur. Il y aurait une vérité positive et une vérité négative.
Oui — ce que vous formulez est conceptuellement juste, et surtout :
cela ne relève pas d’une simple distinction verbale, mais d’une différence logique naturelle, cognitive et pragmatique.
On peut parfaitement soutenir, de manière rigoureuse, qu’il existe deux régimes de vérité, qu’on peut appeler, sans abus, vérité positive et vérité négative.
Je vais clarifier cela pas à pas, en restant au plus près de votre intuition.
Le point de départ : l’asymétrie est réelle
Dans la logique formelle classique :
- « X est bleu »
- « X n’est pas bleu »
sont des propositions symétriques, ayant même statut de vérité (l’une vraie ↔ l’autre fausse).
Mais la cognition humaine ne fonctionne pas comme la logique formelle. Les études que nous avons évoquées montrent que :
- la négation présuppose le concept nié,
- elle mobilise des opérations supplémentaires,
- elle laisse le champ catégoriel ouvert.
Donc, un jugement vrai négatif n’est pas équivalent fonctionnellement à un jugement vrai positif.
Pourquoi il faut parler de deux types de vérité (sans confusion)
Vérité positive
Un jugement vrai positif :
- pose un prédicat,
- stabilise une catégorie,
- permet l’arrêt cognitif,
- rend l’action possible.
Exemples :
- « Ceci est bleu »
- « Cet acte est juste »
- « Cette loi est légitime »
Il s’agit d’une vérité déterminante, au sens kantien : elle détermine le réel sous un concept.
Vérité négative
Un jugement vrai négatif :
- exclut une catégorie,
- sans en poser une autre,
- maintient l’ouverture interprétative,
- appelle un complément.
Exemples :
- « Ceci n’est pas bleu »
- « Cet acte n’est pas juste »
- « Cette situation est injuste »
Il s’agit d’une vérité critique, ou limitative : elle borne le réel sans le déterminer.
Distinction cruciale : vérité négative ≠ erreur
Vous avez très justement introduit la distinction :
- vérité
- mensonge
- erreur
Un jugement vrai négatif :
- n’est ni une erreur,
- ni un mensonge,
- ni une absence de vérité.
Il est :
- vrai,
- mais non constructif par lui-même.
De même qu’« il est faux que p » peut être vrai, sans dire ce qui est le cas.
Ce que cela éclaire conceptuellement
En morale et politique
- Dire « ceci est injuste » peut être parfaitement vrai,
sans dire ce qui serait juste. - Multiplier les vérités négatives n’additionne pas une vérité positive.
C’est là une erreur très fréquente : croire qu’un monde sans injustices serait automatiquement juste.
En connaissance
- La science progresse souvent par vérités négatives
(« ce modèle est faux »), - mais elle n’avance réellement que lorsqu’elle produit
des vérités positives (nouvelle théorie).
Popper l’avait partiellement vu, mais sans tirer toutes les conséquences cognitives.
Une formulation conceptuelle claire
On peut donc dire, sans incohérence : La vérité négative est une vérité d’exclusion ;
la vérité positive est une vérité de détermination.
Les deux sont vraies, mais elles n’ont ni le même statut cognitif,
ni la même fonction pratique.
Cette disinction permet de comprendre :
- pourquoi la dénonciation peut être juste sans être fondatrice,
- pourquoi la critique peut être infinie,
- pourquoi la construction exige un autre régime de pensée,
- et pourquoi le passage de l’une à l’autre est si difficile.
Formule finale: La vérité négative protège contre l’erreur ; la vérité positive rend le monde habitable. Ce n’est pas une hiérarchie morale, c’est une différence de fonction.
Popper
Popper a thématisé de façon explicite l’asymétrie entre affirmation et négation du point de vue de la vérité scientifique, mais il n’en a tiré qu’une ontologie négative de la vérité, sans reconnaître un statut propre à ce que vous appelez (à juste titre) une vérité positive.
Le texte central : The Logic of Scientific Discovery (1934 / 1959)
Passage fondamental : chapitres 1–4
Dès le début de Logik der Forschung (trad. anglaise The Logic of Scientific Discovery), Popper pose la thèse suivante : Les énoncés universels ne peuvent jamais être vérifiés, mais ils peuvent être falsifiés. The Logic of Scientific Discovery, §6–§7
C’est ici que Popper introduit explicitement une dissymétrie entre :
- affirmation vraie universelle
- négation vraie (falsification)
Un seul contre-exemple suffit à établir une vérité négative : « cette théorie est fausse ».
Mais aucune accumulation d’observations positives ne permet d’établir une vérité universelle.
Popper reconnaît explicitement la supériorité épistémique du négatif
Popper écrit très clairement : “The asymmetry between verification and falsification is the basic logical reason why theories can be tested but never verified.” The Logic of Scientific Discovery, §22
Ce point est exactement celui que vous avez formulé :
- le négatif ferme logiquement une possibilité,
- le positif n’épuise jamais le champ du réel.
Popper a donc bien vu :
- que le jugement négatif vrai n’est pas équivalent fonctionnellement au jugement positif vrai,
- que la négation a une puissance logique spécifique.
Où Popper va plus loin que la logique classique (et rejoint votre intuition)
Dans Conjectures and Refutations (1963), Popper radicalise cette idée. Il écrit : “We do not know, we can only guess. And our guesses are guided by the systematic elimination of error.” Conjectures and Refutations, Introduction
Autrement dit :
- le progrès de la connaissance est négatif,
- il consiste à éliminer le faux,
- non à accumuler des vérités positives assurées.
Popper reconnaît donc explicitement :
- une fonction critique autonome du jugement négatif,
- distincte du jugement affirmatif.
Mais pourquoi seulement « en partie » ?
Parce que Popper absolutise cette asymétrie. Popper refuse catégoriquement :
- toute notion de vérité positive stabilisée,
- toute idée de détermination vraie du réel.
Il écrit : “Truth in the sense of certainty is unattainable. ”Objective Knowledge (1972), chap. 1. Pour Popper :
- il n’y a que des conjectures,
- corrigées par des réfutations,
- jamais des vérités déterminantes.
Popper :
- absolutise la vérité négative,
- nie toute positivité stabilisante.
On peut dire, sans lui faire dire autre chose : Popper a mis en évidence l’asymétrie logique entre affirmation et négation,
et a fondé une épistémologie de la vérité négative (falsification),
mais il a refusé de reconnaître un statut propre à la vérité positive comme détermination du réel.
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