L’universalisme est aussi mal aimé que mal compris. Nous avions fait un article plus long sur le sujet, et revenons pour en faire une synthèse ici.
L’universalisme, de la raison, au corps, en passant par l’émotion
Qu’est-ce que l’universalisme ? C’est tout simple la prise en compte de ce qui est commun à tous les hommes. Chacun peut dire: je suis, je pense, je sens, je rêve, j’imagine, j’ai un corps, je dors, je mange, je bois, etc.
La tradition française, dans la lignée du Logos grec et du Je pense, je suis cartésien, insiste surtout sur l’universalisme fondé sur la rationalité. Non seulement la raison est commune à tous, mais elle produit des vérités universelles, comme celles de la science.
La tradition anglo-saxonne insiste sur l’universalité de l’émotion, dans la lignée de Shakespeare et de la tirade de Shylock dans le marchand de Venise. Tout juif qu’il est, son sang est rouge et il ressent, comme tous les autres hommes.

Des déterminations secondaires ?
Il est de bon ton aujourd’hui de critiquer la raison au nom de la différence. Insister sur la raison notamment, serait un moyen détourné de nous asservir, tout en niant les différences qui feraient le vrai socle de notre identité.
Le sexe, la couleur de peau, la religion sont les principales catégories invoquées pour défendre la différence. On peut y ajouter la langue, la nationalité, l’identification de genre. Mais la liste est en fait infinie. Si l’intelligence et la sensibilité sont présentes chez tout le monde, elles ne sont pas pour autant identiques chez tous. Il y a là aussi de nombreuses variations possibles.
Une once de logique
L’universalisme repose sur les critères logiques de la définition du concept et de l’universel. La pensée, l’émotion, le corps, sont tous bien universels, c’est-à-dire présents chez tous les hommes. La variation de chacun des critères n’entre pas en compte dans la définition, en tout cas, pas à ce stade du raisonnement.
Les autres critères, qui nous différencient, peuvent être séparés en corporels et culturels. Le sexe et la couleur de peau, ou encore l’âge, sont liés au corps. La religion, la langue, la culture, l’identification de genre, sont des critères non corporels.
Les déterminations non universelles ne peuvent pas être considérées comme plus importantes que les déterminations universelles. Les déterminations secondaires sont des sous-ensembles de l’ensemble général. Et du point de vue humain, il est plus simple de fonder des lois universelles sur des critères universels.
C’est ainsi que les droits de l’homme reposent sur les caractéristiques universelles de l’homme. La pensée fonde la liberté d’expression. Le corps fonde la liberté de mouvement.

Que faire des déterminations secondaires ?
À première vue, la différence de sexe, de couleur de peau et d’âge sont des facteurs de séparation.
L’âge pose finalement peu de problème. Tout le monde est à peu près d’accord pour séparer les jeunes, pendant leur maturité et leur apprentissage, des plus murs, et pour séparer ensuite les plus âgés, qui ont souvent besoin de se reposer, ou de se préparer à la mort. Ces distinctions ne sont pas absolues, il y a de nombreuses passerelles, coutumes, variabilités dans cette organisation.
L’homme et la femme
La différence des sexes est aujourd’hui, comme souvent dans l’histoire, brandie comme une injustice pour ceux qui ont le sexe féminin. Mais restons mesurés. Des petits pieds imposés aux chinoises, à la dote pour payer les improductives, la condition des femmes a connu une révolution complète. Pas grâce à la morale. Mais bien grâce à la médecine. L’hygiène et les progrès médicaux ont permis de rendre rare la mort en couche et rare également la mort des enfants avant deux ans. Ce fut la première révolution. La part de la reproduction dans ses travaux a largement baissé. Cette révolution anthropologique a été achevée par la découverte de la pilule. Le cadre juridique des droits de l’homme était prêt pour accueillir tous ces changements, même s’il a fallu l’adapter progressivement.
L’illusion rétrospective est facile. Le pseudo-patriarcat était aussi un système qui servait à protéger les femmes pour leur permettre de perpétuer l’espèce. La mission a été accomplie. Mais l’est-elle encore ? La démographie recule désormais partout. Nous avons de la marge,
La difficulté est de chercher l’égalité, dans la différence. Il n’y aura pas, jamais, d’égalité parfaite entre l’homme et la femme. Comme il n’y aura de toute manière jamais rien de parfaitement égal dans la nature. Pas deux cailloux pareils, pas deux bouts de bois pareils. La différence entre les sexes est bien plus importantes encore. Elle relève de la réalité, de la biologie, et jusqu’ici aucun traitement médical ne peut modifier cette différence inscrite dans l’ADN des vivants.
Mais ce n’est pas n’importe quelle différence. C’est celle des mammifères, c’est-à-dire d’animaux devant s’accoupler pour se reproduire. Pour la perpétuation de l’espèce. Le corps de l’homme est finalisé. Il est littéralement fait pour le partage de l’expérience de la procréation. Une expérience qui apporte les plus grands plaisirs que l’on puisse connaître durant nos vies.
Tout cela pour dire quelque chose de simple, mais néanmoins très profond. La différence des sexes ne nous sépare pas, elle nous unit. Elle permet l’échange et la complémentarité de deux personnes. Elle est intersubjective par excellence. La différence de second rang, qui concerne des êtres qui partagent déjà tout ce qu’il y a de plus fondamentale, est faite pour être surmontée. La nature nous y pousse largement, et cela nous permet d’élargir notre expérience et ainsi d’en apprendre plus y compris sur nous-mêmes.
La différence de couleur
La différence de couleur, qui a déchaîné tant de racisme dans l’histoire, nous paraît assez absurde. Elle n’a rien de vraiment essentiel, surtout quand on la compare à la différence des sexes. Nous savons depuis longtemps que la différence de couleur, ou de type, parce qu’il y a souvent plus qu’une simple différence de couleur, ne sépare pas les hommes. Elle n’empêche ni l’amour ni la reproduction, et encore moins le dialogue et les émotions, etc. Là encore la différence est plutôt une belle surprise.

La question de la religion et de la tolérance
Certaines différences, malheureusement, sont exclusives. Cela signifie qu’elle crée des groupes qui ne peuvent plus se mélanger, parce qu’ils ont érigé un critère d’appartenance ou de non-appartenance. Il s’agit bien sûr principalement des religions monothéistes.
Les religions universalistes
Cette situation est d’autant plus regrettable que l’idée de dieu est universelle. L’idée d’un créateur de toute chose est une nécessité de l’esprit pensant la totalité, comme l’a montrée Kant dans La critique de la raison pure. D’ailleurs, toutes les religions ne sont pas aussi exclusives. Parmi les religions les plus anciennes, les Vedas et le zoroastrisme, ou l’Avesta, sont des religions universelles avant d’être celle d’un peuple. La religion des anciens égyptiens est surtout attachée au Nil et à ses peuples. Le polythéisme grec est attaché à la Cité, la piété est parmi les lois les plus importantes, comme le montre l’accusation d’impiété du procès de Socrate.
Les religions exclusives
Le judaïsme introduit une rupture qui dure toujours. Il fait le lien entre un peuple élu, à l’exclusion de tous les autres. C’est une religion intolérante. Malheureusement, les autres, Christianisme et Islam, ont choisi, avec des temporalités et des modalités assez différentes, le même chemin. Ces religions deviennent presque des clubs fermés. On peut y adhérer, mais il est plus difficile d’en sortir. Majoritairement, les
Comment réinstaurer une religion universelle dès lors que l’une ne l’est plus? C’est presque l’essence de la question. Certains s’y sont essayés, comme Kant, dans La religion dans les limites de la simple raison, comme les Francs-maçons qui tentent toujours une forme de religion théiste, et d’autres mouvements du même type, qui restent tout de même assez confidentiels.

La tolérance
La tolérance est la doctrine qui a été construite en Europe sur les ruines des guerres de religions entre protestants et catholiques. La tolérance reste cependant assez mal comprise. Elle est victime de notre grand coeur. Nous aimerions pouvoir donner à chacun la possibilité de faire tout ce qu’il veut, de croire tout ce qu’il veut. Cela nous semble un gage, une preuve de liberté. Toute contrainte serait une forme de racisme et de discrimination.
Malheureusement, ce n’est pas possible. La tolérance n’est pas un relativisme. En utilisant la même structure logique que celle que nous venons de voir pour définir les caractéristiques principales et secondaires de l’être humain, nous pouvons tout à fait penser la tolérance. Karl Popper a décrit le paradoxe de la tolérance dans La Société ouverte et ses ennemis. La tolérance ne peut pas, explique-t-il inclure l’intolérance. La tolérance n’est pas un concept pour ainsi dire total. Son extension n’est pas absolue. Elle est limité à ceux qui respecte la condition de la tolérance. Le meilleur exemple, et c’est bien celui contre lequel écrit Popper, est celui du nazisme. La doctrine nazi prétend qu’une certaine race d’hommes, descendant d’un peuple venant de la nuit des temps, est supérieur à tous les autres peuples et races humaines et doit pour cette raison les dominer.

Typiquement, cette doctrine est incompatible avec la tolérance. Elle fait passer une spécificité, une particularité qui n’est pas partagée par tous les hommes, au-dessus dans l’ordre des normes, de ce qui est vraiment universel. Les nazis sont bien des être intelligentes, sentant, pensant, rêvant, ayant un corps ? Mettre n’importe quel valeur au-dessus de l’universalisme engendre automatiquement la guerre. Et nous parlons bien de la guerre réelle, celle qui a fait tant de millions de morts.
La tolérance s’arrête aux intolérants. Il n’est pas question d’être tolérant avec des nazis, des racistes, que le racisme porte sur le sexe, la couleur de peau ou la religion. Dès lors, les religions qui ne sont pas universalistes, doivent faire allégeance à une autorité supérieure qui garantit leur tolérance, à savoir l’Etat. L’Etat peut organiser la vie de citoyens ayant des religions différentes. Mais pour cela, toutes les religions doivent se soumettre au principe de la tolérance. C’est ce que qu’a fait le judaïsme avec l’organisation d’un judaïsme de France et ce qu’a fait le christianisme à travers la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la loi de 1905. La cohabitation de différentes religions n’est possible que si les religions ferment leurs revendications sur elle-même, qu’elles ne prétendent pas dominer les autres, ni dominer l’Etat sur le terrain juridique. La religion est de l’ordre privé.
Multiculturalisme versus communautarisme
Nous pouvons donner des définitions simples du multiculturalisme et du communautarisme en partant de ces principes de tolérance. Le multiculturalisme acceptent différentes lois pour un même sujet dans un même Etat. Une politique multiculturelle serait de reconnaître des mariages religieux différents, dont découleraient en plus des droits différents selon la religion pour l’homme et la femme par exemple. Dès lors, chaque religion sur un territoire donné aurait sa propre justice, ou la justice aurait différents référentiels pour juger. Avouons que ce ne serait pas le pays le plus simple au monde. La question de la défense, de l’éducation, des contrats entre les communautés poseraient immanquablement des problèmes redoutables.
Plus simple, nous avons le communautarisme. Dans ce cas, les lois générales du pays sont respectées sans discussion, mais l’exécution est faite à l’intérieur d’une communauté.
Le danger du « goupe »
Une autre manière de prendre le problème est de regarder les travaux de la psychologie sociale. Dans la foulée de Gustave Lebon et de sa Psychologie des foules, une nouvelle discipline, entre sociologie et psychologie individuelle est apparue à la fin du XIXème siècle.
Elle cherche à comprendre comment fonctionne un groupe, là où la sociologie cherchait un peu plus à comprendre comment le groupe influence l’individu. Mais les deux sont assez liées et aujourd’hui on ne fait plus vraiment la différence.
La thèse principale est de dire, avec 1001 variations quel le groupe éteint l’individu et que le jugement du leader empêche celui du membre.
Voici une synthèse trouvée sur Linkedin dans un débat sur le groupe et faite par Karine Marck, docteure en psychologie clinique. La force du groupe d’explique par:
– Pression normative : se conformer pour éviter l’exclusion
– Pensée de groupe (Irving Janis) : harmonie apparente > analyse critique
– Désindividuation : perte de l’autorégulation quand on se fond dans la masse
– Dilution de la responsabilité : « quelqu’un d’autre va agir »
– Effet spectateur (bystander effect): passivité collective
– Contagion émotionnelle : emballement et amplification des affects
– Polarisation de groupe : les positions deviennent plus extrêmes que seules
– Influence d’un leader / soumission au statut : inhibition du jugement individuel.
Pourquoi c’est faux
Mais, comme le souligne d’ailleurs l’autrice, ces thèses ne peuvent exister sans prise en compte également de la liberté individuelle qui est et restera éternellement et nécessairement la réponse à toute tentative de faire de l’homme l’objet d’une science dure.
Dès que l’on pose l’objet intellectuel de « groupe » on a déjà perdu. On doit lui trouver des règles propres qui nient l’individu. On doit l’opposer à un autre groupe. La liberté individuelle est évacuée axiomatiquement de l’analyse. Cela ne la rend pas vraie parce qu’elle respecte une axiomatique posée. Cela la rend au contraire fausse parce qu’elle refuse de reposer sur un principe moral universel. C’est l’objet que l’on doit faire à toute sociologie qui se pose comme une science, mais aussi à tous ceux qui adhèrent à un groupe.
Le groupe ne légitime jamais de laisser à la porte sa propre rationalité et ses valeurs. Il est au contraire un refuge commode pour ne pas avoir à trop réfléchir et pour ouvrir la porte à la force des mauvaises émotions.
Se revendiquer d’un groupe, c’est s’exclure du reste de l’humanité, c’est choisir le particulier plutôt que l’universel. Cela revient exactement à la mécanique que nous présentions précédemment. Dire « je suis féministe », c’est la plupart du temps mettre le combat pour les droits d’une partie avant le combat pour le tout. C’est une forme de dénégation de tout le reste de l’humanité sur la base d’un critère non pas universel, mais différenciant.
La seule position possible, c’est celle de citoyen du monde, membre de la communauté humaine universelle.
La raison au service de la paix
Les quelques principes que nous avons exposés donnent les conditions de la paix la plus universelle entre tous les hommes. Ils reposent tout simplement sur la définition de l’universel, sur l’organisation des différences par rang d’importance par rapport à l’universel, et selon un principe de tolérance. Kant a donné le principe ultime, en basant tout le système des droits sur la liberté, chaque liberté étant limitée par celle de l’autre. Il pose la liberté en principe moral autonome dont tout peut être déduit. Notre démonstration est différente, mais bien sûr, (enfin espérons-le ! ) compatible avec celle du maître.
Ce ne sont, ni plus ni moins, que les principes fondants les républiques des droits de l’homme que nous connaissons. Dès qu’un principe secondaire prétend surpasser l’universel, la paix est menacée. Dès qu’une détermination secondaire prétend se placer au-dessus d’une autre, la paix est menacée. Par exemple si l’on place l’homme ou la femme juridiquement au-dessus de l’autre.
Les différences ne doivent pas donner lieu à un combat, mais à une organisation équitable, dont nous avons donné quelques exemples, et qui suivront le même type de principe, principalement exprimés dans la déclaration des droits de l’homme. Les différences sont une chance qui doit nous aider à devenir plus humain, plus tolérant, et pas à nous opposer de manière assez absurde.

Pour aller plus loin: https://foodforthoughts.blog/2025/12/19/luniversalisme-2-2-verite-positise-et-verite-negative/
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