Le secret de l’Eveil – Faut-il pardonner? (3/3)

L’éveil, décrit ici https://foodforthoughts.blog/2025/09/14/la-finitude-et-lamour-le-secret-de-leveil-de-spinoza-a-la-kundalini-hindoue-1-2/ doit nous aider à nous libérer, ou au moins à mettre à distance et à prendre conscience de notre égo. Nous présentons dans ce troisième texte, un exemple, une application de l’éveil à un cas d’égo donné, celui du traumatisme.

La grandeur du pardon

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. «  Matthieu 6:12-15 LSG

Le7ème Sceau de Bergman, présente une scène de pénitence et de flagellation aussi belle que dure

Faut-il pardonner à ceux qui nous ont offensés? Les réseaux sociaux nous engagent à le faire. À écouter les shorts, rien ne serait plus simple, ni plus libérateur. Celui qui pardonne, se donne en plus une image de grandeur. Il aurait la capacité, la maîtrise, la sagesse, de passer au-dessus des considérations bassement humaines, et de faire acte de pardon. Il serait un peu un saint, à l’image du Christ, ou comme le prêtre à la fin de la confession. L’éveillé, qui comprend et maîtrise les lois de la nature, ou qui a simplement une forte intuition de la puissance divine s’exprimant à travers le cosmos, serait totalement détaché des considérations humaines, et pourrait pardonner. Une position glorieuse sans doute, mais sans doute un peu plus qu’humaine.

Le pardonné

Le pardon a beaucoup d’avantages pour la personne pardonnée. Surtout quand il a une conscience morale. Il allège considérablement sa peine. Il lui donne peut-être un peu d’amour, met reconnaissance de ses propres douleurs. Ces douleurs qu’il n’arrive pas à maîtriser, et qui ont contribué à se comporter comme il l’a fait. Mais le pardon est-il vraiment efficace? Le coupable va-t-il réellement profiter de ce pardon pour grandir et devenir meilleur? Il n’y a malheureusement pas de réponse absolue à cette question. Certains, notamment quand la conscience morale est forte et l’offense faible, accepteront le pardon comme une aide, une excuse. Ils sont capables de reconnaître leurs fautes et d’avoir une mauvaise conscience. D’autres, notamment quand l’acte est déjà trop sérieux, trop grave, sont sans doute déjà trop avancés sur le chemin du mal, et risquent de ne voir dans le pardon qu’une bonne raison de recommencer. Le châtiment de la peine, quand bien même aurait-il l’air moins chrétien, universellement mis en place par la justice, serait plus efficace. Nous pouvons voir le problème sous un autre angle et considérer que même le méchant a droit à une véritable justice. Pardonner serait faire preuve d’une supériorité qui peut sembler dégradante aux yeux du coupable. Même dans sa faute, nous devons le respecter comme homme, comme personne morale, et le punir en proportion.

Le pardonnant

Comme souvent en psychologie, nous voyons qu’il y a quatre solutions possibles en fonctions de la position de celui qui a fait l’action, qui peut être dans un état d’esprit positif ou négatif, en fonction de sa conscience morale ou de son degré de malignité, et de la position de la réponse, qui peut également être positive ou négative, pardon ou punition.

Quelques critères se dégagent pour mieux cerner les circonstances et l’efficacité éventuelle du pardon. Le premier est l’évaluation de la conscience morale de l’acteur de la faute, à travers l’existence et la sincérité d’une éventuelle demande de pardon. S’il demande sincèrement pardon, sa conscience morale le punit, l’humilie et pourrait lui servir de guide vers sa rédemption. Mais il faut prendre garde aux excuseurs professionnels, ceux qui demandent toujours pardon, dont la sincérité est feinte et qui finissent toujours par agir de la même manière. Sur le long terme, le nombre et la répétition ont un poids.

Le second critère est la gravité de l’acte lui-même. Il n’est pas équivalent de bousculer une personne dans la rue, ou de frapper, de passer à tabac, de poignarder avec préméditation, etc. L’insulte, la manipulation, le vol, autant de cas de fautes. Cette fine gradation des offenses est prise en compte par la loi et le droit. Du côté de la réponse, malheureusement, les statistiques nous montrent que la clémence n’empêche pas du tout la récidive. Nous n’avons cependant pas besoin d’analyse pour comprendre que la réponse la plus efficace est celle qui entraîne un éveil de la conscience du coupable et une reconnaissance de l’injustice subie chez la victime.

L’opinion et la violence

Pourquoi l’opinion publique, ou une certaine opinion publique, est-elle si clémente face à la violence? Pourquoi l’opinion, souvent extrême, va-t-elle jusqu’à blâmer la victime, dédouanant complètement le coupable? Pour deux raisons. D’abord sur le fond, l’opinion prend le parti de la souffrance du coupable. Il est facile d’appeler à la justice quand on est bien au chaud dans son palais républicain, assis sur ses dividendes, ou sur son portefeuille d’actions. La colère de l’opinion s’identifie à la colère du coupable et lui reconnaît une forme de courage dans son passage à l’acte. Premier point, il y a une souffrance de celui qui se comporte mal. La responsabilité de soigner cette souffrance est tout de même supposée être de son ressort. La projection de la faute sur la victime relève d’un méchanisme pyschique problématique, comme dans le processus du bouc émissaire. Second point, l’opinion utilise un tel cas pour laisser parler ses propres pulsions et son sentiment d’injustice. Sa colère se décharge, mais aussi s’enflamme. C’est ainsi que l’opinion brouille la frontière entre la victime et le coupable, jusqu’à la renverser.

Le pardon virtuel

Certains psychologues nous proposent un simulacre imaginatif, en lieu et place d’une réelle excuse et d’une reconnaissance par le coupable de la responsabilité de ses actes. L’idée est pour la victime, notamment pour tous ceux qui ne peuvent pas accéder à une véritable justice, d’imaginer que la personne qui leur a fait du mal est là, présente, écoute leurs plaintes et leurs douleurs, et finalement, après un temps, s’excuse. Pour que ce système fonctionne, il faut penser, un peu comme Joe Dispenza, que la réalité imaginée a un véritable impact, comparable à celui de la réalité elle-même, sur notre psyché. Pour Dispenza, notre cerveau, ce que certain appellent le subconscient, qui correspond plus ou moins tout simplement à l’imagination émotionnelle, ne fait pas la différence, ou pas de différence, dans la production hormonale, entre la réalité et l’imagination. Les images d’IRM le prouverait, même si l’on a le droit d’être sceptique. On est en droit de douter de ce postulat. Rien ne peut remplacer la réalité. Un mensonge imaginaire ne peut pas non plus remplacer une réalité douloureuse. La victime n’a pas à devenir folle, à sortir de la réalité, pour gérer son trauma. C’est évidemment une mauvaise solution.

La méthode du pardon imaginaire – à partir de la minute 29

Une voie possible serait de s’appuyer sur des éléments réels de reconnaissance pour imaginer ces excuses et cette reconnaissance. Ce serait déjà un début permettant d’inscrire la reconnaissance dans une réalité. Nous pouvons aussi nous appuyer sur des signes, d’autres éléments montrant que le coupable a une conscience morale, qu’il a la possibilité de reconnaître la violence et l’injustice de ses actes, quand bien même celles-ci seraient profondément enfouies dans sa psyché. Nous pouvons aussi nous concentrer, lors de nos ressouvenirs et méditations, sur le positif, pour peu qu’il y en ait, dans la chaînes des événéments.

La nécessité des excuses

La méthode « imaginaire » a cet avantage de ne pas faire comme si l’excuse n’était pas nécessaire. Elle ne prétend pas non plus que nous pourrions, à la manière d’un dieu, d’un Jésus, pardonner les offenses que nous avons subies sans contrepartie, pour le bien transcendant de toute l’humanité. Les émotions sont construites sur un système d’équilibre, comme l’est la balance de la justice. L’injustice, la rupture de la loi morale, produit un déséquilibre de cette balance, qui engendre à son tour une douleur de l’égo. Cette douleur est en fait présente chez les deux parties, le coupable et la victime. Les émotions sont toutes rattachées à la loi morale, telle que Kant l’a énoncée. Tous les hommes doivent se comporter les uns envers les autres en respectant leur dignité d’homme. Si cette loi n’est pas respectée, la balance est déséquilibrée et le négatif produit ses effets dévastateurs. Tant que l’équilibre n’est pas restauré, la victime continue à être victime et peut rester enfermée dans sa demande de justice, dans son combat pour le bien. Elle peut en partie, mais en partie seulement, mettre à distance sa revendication de justice. Son cri pour la reconnaissance de ce qu’elle a subi. Mais il ne peut pas s’éteindre sans une reconnaissance réelle. Ceux qui prônent le pardon ou prétendent être capables de pardon, sont finalement ceux qui avaient la force de pardonner, ou dont les injustices n’étaient pas si graves. Ou les deux. Nous ne pouvons pas non plus exclure l’hypothèse qu’ils soient des bourreaux cherchant à se donner un pardon à eux-mêmes, sans passer par la victime. Le côté grandiose de leur discours pourrait bien cacher un manque d’empathie et de sincérité émotionnelle, plutôt que la recherche d’une réponse équitable.

Comment dépasser une situation sans pardon?

La constitution, la construction de notre psyché, passe par l’intersubjectivité, par le regard de l’autre. Ce fait psychique, cette réalité, ne peut pas être dépassé simplement. Il ne suffit pas de dire  » je « . Encore faut-il déjà pouvoir l’être, et l’être pleinement, en justice, en équilibre. Si la pensée rationnelle est bien universelle et accessible avec un peu de puissance du logos, si le  » je pense donc je suis  » est bien possible, notre être ne se limite pourtant pas à sa composante rationnelle.

Le principe moral du respect mutuel est le fondemnet de la justice

Comment dès lors retrouver son équilibre quand aucune justice ne passe? Comment, surtout, arrêter de reproduire la situation du trauma, alors que cette répétition nous est si préjudiciable? Un de mes anciens professeurs m’avait confessé, alors qu’il approchait les quatre-vingts ans, que malgré tous ses efforts, des années de création, de philosophie, de thérapie, il n’avait pu se sentir libre qu’au décès du dernier de ses parents. La mission n’est pas simple. Peut-être impossible. Mais il existe une voie.

Comment se reconstruire?

Le plus important, in fine, est de réussir à se reconstruire. A vivre par-delà le trauma. La méthode la plus efficace, autant que la preuve de la libération, serait de ne plus se remettre dans une situation d’abus telle que nous l’avons connue. Nous devons donc bien identifier les tenants et les aboutissants de la relation dans laquelle nous entrons, qu’elle soit professionnelle ou personnelle. La première chose à faire, idéale, serait de ne pas nous remettre dans un système de relation structurellement identique. Cela revient immancablement à nous remettre dans la même position personnelle. Lâs, même si les réseaux sociaux déclarent toute la journée que nous devons refuser les relations qui ne nous conviennent pas, la réalité n’est pas si simple. Les modèles de structure et de comportement familiaux se répètent partout, et il ne dépend pas que de nous de les éviter. Nous essayerons donc, au moins, à ne pas retomber dans le schéma strict de notre problème. Trouver de l’air. Un peu de jeu, dans des relations sociales qui souvent ne nous conviennent plus.

Une autre méthode, différente de la rupture, consiste à se reconstruire. Jung met en avant la Persona, cette personnalité sociale que nous aurions construite de toutes pièces pour gérer nos relations avec le monde. Cette séduisante thèse a cependant deux soucis. Le premier est celui du manque d’authenticité. Comment peut-on ainsi se créer ainsi un faux self, s’en parer comme on mettrait un manteau pour sortir en hiver, et continuer à se sentir soi-même? Le second est le manque de solution à notre problème que revêt cet expédient. Il faut au contraire trouver un moi, un crédo, une manière de vivre, qui corresponde à nos valeurs. Il doit permettre, lui aussi, de ne pas se retrouver dans les mêmes situations, de poser des limites. La première manière de le faire est de se concentrer uniquement sur son comportement à soi. Tant pis pour les autres. Tant pis pour la reconnaissance. Je suis un fils, ou fille, de Dieu et de l’univers. Je n’ai pas besoin de la reconnaissance du premier venu pour me sentir moi-même. Je valide seul mon propre comportement en fonction de mes propres valeurs. Je n’ai pas à trouver dans chaque nouvelle situation la solution d’un trauma qui ne les concernent pas, ou seulement très indirectement.

Nous pouvons tout à fait écrire la personne que nous voulons être dans telle ou telle situation, et nous y tenir. Peu importe la réaction des autres. Si cela ne leur convient pas, ce n’est plus notre problème. Nous avons proposé ce que nous pouvions, et c’est déjà beaucoup. Il faut apprendre à courir dans son propre couloir, quoiqu’il en soit. Les relations intimes sont à reconstruire en famille et avec les amis. Uniquement avec ceux qui permettent des relations épanouies.

Le trauma non résolu continuera à sourdre dans les profondeurs. Il n’est pas simple de le cacher aux autres, les émotions et sentiments étant particulièrement communicatifs. Tenir la névrose de répétition à distance, et prendre le temps de la soigner, demande une partie importante de notre énergie. Nous désapprenons à réagir aux événements comme s’ils étaient tous injustes, et là pour troubler notre pays. Nous apprenons au contraire à être nous-mêmes en toutes circonstances. À respecter nos critères d’action quelques soient les événements. L’événement est rarement en notre pouvoir. La manière dont nous y réagissons est plus en notre pouvoir. Et c’est là que nous allons montrer nos valeurs. Il ne s’agit pas, voilà notre défaut, d’aider les autres à se remettre en question pour traverser leurs crises. Il s’agit pour nous de les traverser nous-mêmes en donnant le meilleur exemple possible. Il y a place ici pour un casuistique. Nous n’avons pas à tout accepter, le harcèlement, les situations humiliantes, le non-respect de notre travail ou de nos compétences, au nom du principe suivant lequel nous devons viser un comportement exemplaire. Chacun mettra le critère où il le souhaite, et où il le peut en fonction de sa réalité économique.

La persistance de la haine

Non résolue, non équilibrée par une reconnaissance ou une forme de justice, l’agression continue à générer des sentiments négatifs chez la victime. Nietzsche appelle ces émotions du ressentiment. Il le critique, comme étant l’une des bases de la morale des faibles, des prêtres ou des juifs. Le ressentiment est pour lui uniquement réactif, passif, et serait une émotion moins belle que la force brute, active, qui impose ses valeurs. Les faibles, pour Nietzsche, n’ont qu’à se taire et admirer les forts. Y compris et surtout quand la botte du tyran écrase le visage du faible.

Nietzsche se croit supérieur parce qu’il prend le point de vue des Thrasymaque et Calliclès des dialogues de Platon, le point de vue de la force contre le droit. Il se pense supérieur parce qu’il nie la morale kantienne et privilégie la puissance de la nature. Mais ce faisant, il nie la spécificité proprement humaine, celle d’un être moral, doté d’une conscience de ses fautes et d’une subjectivité se construisant dans le rapport à autrui. Notre conscience fonctionne en miroir. L’autre se reflète en moi, et moi en l’autre. Lorsque Kant conclut sa morale en affirmant : » le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi « , il pose la synthèse des deux mondes, celui de la nature et celui de la morale. Nous suivons ce chemin.

Nietzsche a de toute manière tort, parce que la victime ne peut pas accepter la violence qu’elle a subie, sauf à rester éternellement victime. Nous ne devons pas nier, nous ne devons pas être dans le déni. Il n’y a rien de surhumain à ne plus être humain. Malheureusement, même quand nous refusons cette violence et la dénonçons, tant que nous n’avons pas eu réparation, nous restons, la plupart du temps, bloqués dans la colère et la haine. C’est exactement la raison pour laquelle la justice a été inventée. Nietzsche présente les choses correctement. Le seul problème est qu’il les présente à l’envers. La violence non compensée, non corrigée par la justice débouche sur une nouvelle violence. C’est ainsi que fonctionnent les systèmes moraux reposant sur l’honneur et la vengeance. La vendetta ne s’arrête jamais.

Aucun intellectuel n’a fait pls de mal à la pensée que Nietzsche

La question devient alors de savoir comment se libérer de cette haine, sans nier le crime. Comment ne pas rester prisonnier du passé, même quand on a mis la personne à distance, rompu depuis longtemps, et faire taire cette espèce d’inflammation émotionnelle qui nous poursuit? L’anglais a une expression dont la sonorité reflète bien cet état d’esprit de ressentiment. Ils disent  » to hold a grudge « . Comment sortir de ce cercle infernal dans lequel nous cherchons la reconnaissance du crime de son auteur lui-même, une position a priori impossible sans une conversion du coupable qui ne dépend pas de nous. Sur ce point également, les défenseurs du pardon semblent marquer des points. L’un de leurs arguments est justement de soutenir que le pardon permet de faire disparaître ou de diminuer cette haine, et in fine de rendre leur vie plus positive et meilleure. Si seulement c’était possible!

Il n’y a pas de solution… à l’intérieur du cercle

Pourquoi, en fait, cherchons nous à résoudre une situation insoluble ? La plupart du temps parce que nous nous y sentons moralement obligé. Ce sont des situations familiales, et nous nous imaginons des responsabilités, des devoirs, une dette ou une gratitude, qui dépassent ce que nous pouvons faire. Plus précisément, le coupable a cette manière très particulière de nous faire porter la faute, sans critère objectif, mais avec une grande conviction. Il ne commettrait pas tant une faute qu’il adresserait une punition pour nos crimes à nous. Dès lors, pris la plupart du temps dans ce piège, nous nous imaginons coupable d’une manière ou d’une autre. Même quand nous savons que nous sommes innocents, nous continuons à porter une responsabilité et nous nous mettons à chercher une solution. Or toute solution est impossible. Nous n’avons pas à chercher de solution. Surtout, même si nous cherchons un temps une solution, elle sera l’objet d’une négociation et il faut être deux ou plusieurs pour négocier. Nous devons sortir du cercle en refusant de porter cette fausse responsabilité. Marc- Aurèle et les stoïciens nous donnent le principe. Ce qui compte n’est finalement pas l’événement, mais la manière dont nous réagissons. Nous devons sortir de la position de victime, mais aussi de celle de sauveur. La fuite est aussi, quand il n’y a pas d’autre solution, une bonne option.

L’oroubos – le serpent qui se mord la queue

La victime reste bloquée dans une vision misérable d’elle-même et perd le contact avec l’amour. (L’idéologie woke actuelle, qui transforme tout le monde ne victime et désigne comme coupable l’homme blanc, est une tragédie pour la fertilité et les naissances occidentales. Elle est l’une des principales sources du recul des naissances). Le fait de recommencer à aimer et de redevenir disponible pour des relations, c’est-à-dire pour à nouveau concevoir la vie, est une preuve de libération.

Sortir du cercle est un chemin de sorti de l’ego, de libération d’une répétition. C’est ainsi que nous ne ferons pas, ou le moins possible, porter aux autres notre propre trauma et que nous en débarraserons le monde. Pas besoin de devenir un surhomme. Pas besoin d’avoir des excuses. Sortir de la roue est tout ce que nous devons faire.

La compassion

Le bouddhisme nous recommande la compassion envers autrui. La position de certains moines, à l’image de celle du Dalaï-Lama dans l’Art du bonheur, est parfois assez extrême. Le bouddhiste va jusqu’à remercier son bourreau de le forcer à devenir toujours plus humble. Plus l’épreuve est grande, plus la maîtrise que doit développer le sage bouddhiste est grande. Il y a évidemment une forme d’absurdité et de masochisme incluse dans cette position. Elle n’a de sens que si l’on se rappelle que, pour le bouddhiste, le Moi n’existe pas. Tout n’est qu’illusion.

« La compassion sans sagesse peut devenir sentimentale ; la sagesse sans compassion devient froide. »

C’est en pratiquant la compassion envers son bourreau que le bouddhiste se libère de ses pensées négatives. La compassion a de nombreux avantages. Ce n’est pas exactement la pitié. La pitié partage la douleur. Ce n’est pas non plus l’empathie, qui elle aussi imagine supporter les mêmes peines que l’autre personne. La compassion met bien plus à distance que les autres émotions de la charité. La compassion permet de reconnaître la douleur chez l’autre, sans le pardonner pour autant. Nous pouvons ainsi l’éloigner de nous, le comprendre – car la compréhension correcte est la clé de tout – et ainsi le poser en dehors de nous-mêmes. Il a ses motivations, sa vie, ses enjeux. Surtout, en agissant violemment comme il l’a fait, il y échoué. Il n’a pas répondu aux défis qui se sont présentés sur son chemin de vie et s’est vengé de son impuissance sur autrui. Il lui appartenait de ne pas faire le mal. Mais il n’a pas réussi à rester juste. A ce titre, nous pouvons, sans l’excuser aucunement, chercher à comprendre ce qui a entraîné sa chute, et le plaindre pour toute la douleur qu’il n’a pas su maîtriser. Une pointe de mépris peut surnager de ce jugement. Mais la compassion nous empêche de sombrer dans la haine de l’autre, qui reste un homme.

Soi-même, le héros ayant traversé les épreuves

Nous, en revanche, ne sommes pas fait du même bois. Il nous appartient de poser des valeurs différentes et de refuser cette affreuse violence. Plutôt que de rester prisonnier du comportement de l’autre, nous pouvons nous concentrer sur la qualité de notre réponse au mal. Ce qui dépend de nous est d’agir du mieux possible, en respectant nous-mêmes et les autres. Notre responsabilité est de ne pas nous comporter de cette manière. Notre bourreau nous rappelle l’importance de ne pas se comporter ainsi. Nous pouvons de cette manière nous séparer de la personne qui nous a fait du mal, nous relier à l’idée morale, et nous juger en fonction de cette loi. Nous pouvons alors rejeter la responsabilité de cette violence hors de nous. Nous ne sommes pas coupables et finalement, être victime n’a pas changé notre bonté naturelle. Nous avons fait du mieux que nous pouvions. Quant à l’amour et à la considération dont nous avons besoin, à nous d’aller les chercher ailleurs. On ne peut pas les trouver auprès de personnes incapables de les donner.

« Le héros s’aventure depuis le monde de la vie ordinaire vers une région de merveilles surnaturelles ; il y affronte des forces fabuleuses et remporte une victoire décisive ; le héros revient de cette aventure avec le pouvoir de conférer des bienfaits à ses semblables. »

Nous pouvons ainsi restaurer notre estime de nous-mêmes. Le salaud a chuté. Il est obligé de s’inventer toute une série d’excuses, de fausses raisons, pour expliquer son acte. Comme dans les séries, il dira « ce n’est pas de ma faute, c’est toi qui m’a poussé à mal agir ». Mais le juste est celui qui agit correctement, même quand il est poussé à mal se comporter. Un ami me rappelait un jour que le héros ne se définit pas par son action, mais par la qualité de sa réaction au tumulte du monde.

La révélation cachée dans le drame

C’est ainsi que le mal sert a révéler le bien. Il y a tant de mal dans le monde que nous devons prendre soin à ne pas nous indigner en permanence. Lors de son procès, Socrate n’a pas essayé de changer sa ligne de conduite. Il n’a pas fui Athènes. Il ne s’est jamais renié, même face à l’injustice la plus grande. Il savait déjà qu’il combattait l’injustice, et qu’il faut le faire en restant juste soit même. C’est cette réaction qui fait de Socrate un modèle de courage, car il n’y a de courage que de la vérité, et qui l’a transformé en héros de la philosophie.

Le sage, l’éveillé, est conscient des forces contradictoires de la nature, à la fois créatrices et destructrices, productrices des beautés et horreurs de la nature. Mais il est aussi conscient de la nature morale de l’homme, fait peut-être unique dans toute la création, et qui est à la base de la dignité de l’espèce. Il ne prétendra pas à une sagesse surnaturelle, surhummaine, à l’image du Zarathoustra de Nietzsche. La sagesse n’est pas entièrement soluble dans la physique. Conscient de la méchanceté humaine, il fera preuve de prudence. Mais jamais au point de céder à la force. L’éveillé tout en reconnaissant la faiblesse de l’homme, luttera à sa modeste place pour un monde humainement et moralement meilleur. Armé de la loi morale, il saura faire la juste différence entre la victime et le coupable, et aider chacun des deux à trouver le chemin de la guérison.

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