Cet article, dernier de la série, prend la suite du précédent, que l’on peut trouver ici: https://foodforthoughts.blog/2025/06/27/comment-changer-toutes-ses-mauvaises-habitudes-et-devenir-meilleurs-retenir-notre-jugement-retenir-notre-injustice-3-4/
Les fameuses émotions positives
Le bouddhisme, le développement personnel, le yoga et tant d’autres, nous expliquent à longueur de journée qu’il faut avoir des émotions positives. Et pas n’importe comment, il faut être positif 24h sur 24h, dans n’importe quelles circonstances, c’est-à-dire y compris en face du pire des malheurs. Il faudrait aussi cultiver des émotions positives envers tous ceux qui nous veulent du mal. Il serait plus important de ressentir pour eux de la compassion que de nous défendre nous-mêmes, comme l’explique très sérieusement le Dalaï-Lama dans l’Art du Bonheur.
Ce n’est évidemment ni possible, ni souhaitable. Nous avons développé une idée bien différence, qui consiste à suivre la loi morale, principe non pas de la rationalité, mais de la moralité et des émotions. Les émotions positives sont dépendantes des valeurs que nous mettons en jeu dans nos actions et nos réactions. C’est autour de ce sentiment moral que se construit notre rapport émotionnel à nous-mêmes. Il y a un lien entre loi moral, sentiment moral, sentiment de justice et estime de soi. C’est ce qui fait la difficulté de la question de la justice par rapport à toute autre question. C’est une notion morale et émotionnelle et pas seulement un concept comme le beau, l’utile, le progrès, la nature, dieu, etc. Il est très difficile d’objectiver la notion de justice. On peut parler du système juridique dans une organisation politique. Il y a une loi, et une conformité ou une violation de cette loi. C’est le résultat d’un accord ou d’une méthode permettant d’objectiver la justice pour un groupe humain donné soumis à cette loi. C’est un très grand avantage. Mais ce n’est qu’une partie de la justice.
L’égo
Le sentiment moral, le sentiment de la justice des autres et du monde à notre égard, est constitutif de notre identité. Enfin, c’est surtout la manière dont nous le voyons. Nous sommes nombreux à être pris dans un biais de négativité qui nous présente la vie comme étant « vraiment trop injuste envers nous ». C’est le fameux très scientifiquement nommé effet Caliméro. Mais Caliméro ou pas, nous sommes au cœur de l’égo, le nœud parfois bien gênant de nos émotions et de nos valeurs de justice. C’est là que se joue la ou les blessures de l’égo, qui nous font tant de mal et sont aussi, quand on les regarde avec un peu de distance, parfois d’un ridicule assez consternant. Pour Hobbes, la principale cause du conflit entre les hommes vient de la défense de l’honneur et du respect auquel chacun pense avoir droit. Étrange idée qui consiste à penser que le respect m’est dû, et cela, dans une certaine opacité de la définition de ce respect.
La demande de respect est très certainement, à l’image du désir, un puits sans fond. Elle ne s’arrête jamais. Elle n’est structurellement jamais satisfaite. L’égo est comme le petit poids de la princesse. On a beau le cacher sous mille et une couches de petits poids, il se rappelle toujours à notre conscience. Il est toujours là pour nous faire mal. Il est le caillou dans la chaussure du randonneur. Il est même la raison pour laquelle nous détestons le caillou, parce qu’il nous rappelle l’égo que l’effort physique était en train de nous faire momentanément oublier.
Gratitude
Le sentiment de justice a besoin d’être calmé et maîtrisé. Nous avons vu, et nous voyons tous les jours, que la vie n’est pas parfaite. Mais nous devons également activement lutter contre notre biais de négativité, qui nous pousse à toujours voir ce qui ne va pas.
Éprouver de la gratitude, c’est remercier ceux qui nous ont fait du bien dans la vie, personnellement, montrant le soin qu’ils ont eux de nous. Ils nous ont aidé. Nous n’avons pas connu que l’enfer. Il y a aussi du bien sûr lequel nous pouvons nous appuyer et grandir. La plupart du temps d’ailleurs, le bon et le mauvais sont mélangé dans nos vies. Nous cherchons un idéal. Mais la vie est plutôt un équilibre de bien et de mal. Si tout était mauvais, l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps. Mozart, Monnet, Kant, Pasteur et tant d’autres, n’auraient jamais existé. Même dans les situations que nous avons vécues, nous avons connu la plupart du temps un mélange de bon et de mauvais. Une partie, si ce n’est la plupart des gens, font autant de bien qu’ils sont capables d’en faire. La gratitude, comme nous l’avons déjà vu, est aussi l’émotion qui peut nous permettre de surmonter le deuil. Nous avons perdu une partie de notre vie, et du sens même de notre vie, en perdant ceux que nous aimions et qui nous aimaient. Il nous reste à les remercier pour tout ce qu’ils nous ont donné. Il est temps de faire la paix et d’oublier un mal qui était uniquement leur limite et qui de toute manière va, pour peu que nous ayons fait le travail nécessaire pour nous en débarrasser, mourir avec eux. La gratitude n’est pas aveugle. Elle est consciente et construit sur le bien.
Humilité
La gratitude, si elle nous permet de rééquilibrer la balance de la loi morale, ne règle pas le dernier problème que nous avons, à savoir l’hubris, la démesure de l’égo. Quoique nous fassions, quoique la vie nous offre, ou nous enlève, nous avons une tendance à nous plaindre, à nous définir par l’injustice subie, et à toujours demander plus, quand bien même, nous aurions reçu la lune. C’est assez gênant, mais l’égo nous dépasse toujours. La seule solution pour le calmer, est de faire prendre d’humilité. Il ne s’agit pas de se dévaloriser, de démolir la qualité de notre travail ou de notre mérite. Ce n’est pas l’humiliation. C’est la vertu qui va nous permettre de remettre en douceur notre ouvrage sur le métier. Plutôt que de nous plaindre, nous devons continuer à nous cultiver nous-mêmes. Il y a ainsi dans l’humilité un chemin de perfectionnement de soi, d’acceptation de sa responsabilité dans la création de nous-mêmes. Faire preuve d’humilité, c’est se dire à soi-même de se calmer. C’est tenir la bride à nos passions négatives, au cheval irascible qui nous entraîne finalement à ne rien faire. Il faut rester humble, non pas pour se fermer la porte du succès, mais au contraire pour se permettre de toujours d’améliorer et de faciliter notre rapport aux autres. Comme le calme, l’humilité, tant qu’elle n’est pas fausse ou forcée, est toujours bien vue par l’opinion et en société.
L’humilité ne peut inclure l’expiation, le rachat de nos péchés et de nos fautes par la souffrance. Il ne s’agit pas de marcher à genoux sur le sol dur et gelé d’une quelconque église en demandant pardon au dieu. La meilleure manière d’expier envers soi-même, de racheter nos erreurs à nos propres yeux, est de les corriger et de devenir toujours moralement meilleur, mais pas de se faire du mal et de se dénigrer. Une longue marche, un effort soutenu, une phase de mutisme, aider un inconnu, dessiner, chanter… il y a mille manières de tourner un effort pour qu’il nous absolve de notre démesure. L’humilité qui nous faire remettre l’ouvrage sur le métier, inlassablement, est une belle source de motivation et une manière efficace de calmer notre arrogance.
Annexe
Les liens entre le système du désir et la loi morale devraient être explicités plus avant. La loi morale vient par-dessus le fait d’être attiré ou de fuir, le structure, et surtout en donne une modalité dans le rapport à autrui, qui n’est pas le rapport à la nature, aux animaux, aux objets à dieu ou à soi-même. La notion de respect dépasse d’ailleurs largement le seul rapport à l’autre. La loi morale s’étend désormais aux animaux, et à la nature, selon des modalités différente dans chaque domaine. Dans cette courte description, nous oublions d’inclure le rapport à soi-même, le respect que nous nous devons à nous-mêmes et les modalités qu’il doit prendre.
1. La loi morale comme principe rationnel a priori
Pour Kant, la loi morale n’est pas dérivée de l’expérience, mais repose sur la raison pure pratique. Elle est universelle et nécessaire, valant pour tous les êtres rationnels, indépendamment de leurs conditions personnelles ou sociales.
Définition clé :
La loi morale est un impératif catégorique, c’est-à-dire un commandement inconditionnel qui s’impose à nous en tant qu’êtres rationnels.
2. La loi morale comme impératif catégorique
L’impératif catégorique est la formulation concrète de la loi morale et se décline sous plusieurs versions. Voici ses formulations principales :
a) La loi de l’universalité
« Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. »
Cette version exige de n’agir que selon des principes qui pourraient valoir pour tous sans contradiction.
b) La loi de l’humanité comme fin en soi
« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien en ta personne qu’en la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
Cela implique de respecter la dignité intrinsèque des êtres humains, en les traitant comme des fins en soi et non comme de simples instruments.
c) La loi de l’autonomie
« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. »
Cette formulation insiste sur l’autonomie de la volonté, où l’individu se donne à lui-même la loi morale en vertu de sa raison.
3. La loi morale comme expression de l’autonomie
Pour Kant, la loi morale est intimement liée à la notion de liberté et d’autonomie. Agir moralement, c’est agir conformément à une loi que nous nous donnons à nous-mêmes, par l’exercice de notre raison. Cela contraste avec l’hétéronomie, où l’action est dictée par des inclinations ou des forces extérieures.
Définition clé :
La loi morale est l’expression de la volonté rationnelle libre, qui obéit à des principes universels plutôt qu’à des intérêts personnels ou contingents.
4. La loi morale comme devoir
La loi morale s’impose à nous sous la forme du devoir. Kant distingue deux types d’obligation morale :
- Les devoirs parfaits, qui ne tolèrent aucune exception (ex. : ne pas mentir).
- Les devoirs imparfaits, qui laissent place à une certaine latitude dans leur accomplissement (ex. : aider autrui).
Le devoir n’est pas motivé par les conséquences de l’action, mais par le respect pour la loi elle-même, qui est une fin en soi.
5. La loi morale comme fondement de la bonne volonté
La loi morale guide la bonne volonté, que Kant considère comme le seul bien véritablement inconditionnel. Une action morale est accomplie par devoir, et non par inclination ou intérêt. Ce respect pour la loi morale est ce qui confère une valeur morale à l’action.
Résumé :
Chez Kant, la loi morale est un principe rationnel universel qui guide les actions des êtres libres et rationnels. Elle s’incarne dans l’impératif catégorique, se fonde sur l’autonomie de la volonté, impose des devoirs universels et exprime le respect pour la dignité humaine. Elle n’est pas dictée par des motifs empiriques, mais par la raison pure.