Que reste-t-il pour penser la modernité?
Nous avons vu, dans les deux articles précédents le récit des temps contemporains, et fait el point sur l’évolution de la dialectique. Le monde contemporain se caractérise par l’effondrement du système des relations internationales, garant de la paix et des modalités du conflit, mis en place à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’idée principale était que les relations internationales et leur organisation guide en fait le destin des nations elles-mêmes. Rien ne se fait si la question de la paix et de la guerre n’est pas tranchée. La fin d’un ordre mondial organisé plonge les nations dans une nouvelle concurrence mimétique. Cette rivalité renouvelée, porteuse d’une conflictualité latente continue, porte principalement sur le type de régime. C’est le retour de la rivalité entre les démocraties et les tyrannies de tout ordre.
Dans notre second article, nous sommes revenus sur la dernière grande innovation philosophique de la pensée politique, à savoir la pensée dialectique. Malgré le très profond renouvellement de la doctrine, et l’impact majeur y compris historique, des penseurs hégéliens ou marxistes, la réalité de la limite scientifique de cette méthode avait déjà été clairement posée par Kant dès sa critique de la théodicée de Leibniz. La dialectique qui pose la liberté comme principe caché ou comme ruse de l’histoire, n’est qu’une manière de pensée morale et n’est en aucun cas rationnellement valide pour justifier l’Histoire. Il n’y a pas de nécessité intrinsèque ou immanente du développement de la liberté. C’est une irrémédiable contradiction. On ne peut pas contraindre la liberté à être une nécessité. Il reste de cette pensée que le principe régulateur, heuristique, permettant de juger la réalité et de la comprendre, et de l’autre côté, la responsabilité morale de l’homme, auquel il revient de faire advenir la liberté, en toute conscience, et non malgré lui, y compris lorsqu’il est mauvais et se laisse conduire par ses passions.
Ce qu’il nous reste de la dialectique, c’est l’inquiétude du concept. Le fait que toute notion peut se retourner en son inverse, que nous jouons avec des idées que nous ne maîtrisons pas, depuis plus de 2500 et la rédaction de La République de Platon. Toute idée est traversée par son opposée. Toute liberté contient sa contrainte. Toute contrainte contient sa liberté. Tout système porte en germe son opposé, et le temps a tendance a libérer ces contradictions.
Les principes analysées par la pensée politique
Liberté, égalité, fraternité, mais aussi dans la pensée moderne: identité, universalisme, communautarisme, multiculturalisme… tels sont les principes qui guident la réflexion sur le seul et unique but que nous cherchons: la justice, politique, sociale, et bien souvent métaphysique.
Pour aborder ces notions, nous avons gravement multiplié les angles de vue, avec un seul but réel, à savoir réduire la place de la pensée que l’on appelle désormais « normative », mais qui n’est rien d’autre que la pensée elle-même, que l’on a appelé ainsi histoire de lui accoler un adjectif qui en face un repoussoir pour 99% de la population rte pour donner plus de champ à la contre vérité, aux fakes news et à la sociologie.
Le sol conceptuel se dérobe sous nos pas. La vérité dévalorisée a aussi laissé la place, suivant Nietzsche cette fois, à l’interprétation. La conséquence n’est pas que la prise en compte du pouvoir interprétatif d’une thèse, de sa capacité à relier des concepts et des éléments pour faire sens. En dévalorisant la réalité et la vérité pour les remplacer par des discours, tout devient en fait politique. Tout retombe au niveau de la violence et du combat pour le pouvoir lui-même. Il n’y a plus de critère, de vérité, d’objectivité, pour organiser la Cité. On attaque même la science en prétendant qu’elle est elle-même un instrument de pouvoir.
C’est ainsi que la dialectique d’un côté et la doctrine de l’interprétation de l’autre finissent par légitimer la violence révolutionnaire, sans pour autant défendre aucun horizon rationnel. Tel est bien le but de tous les opposants à la liberté, monarchiste, anti-républicains, communiste, pro dictateur, théologien musulman, défenseur de la seule morale chrétienne, les anarchistes… Les opposants à la République laïque, rationnelle, universaliste, scientiste et morale sont légion. Il suffit de regarder en détail l’histoire de France pour constater que la mise en place de la République a principalement été causée par la neutralisation de toutes les oppositions à la République, mais sans être une véritable adhésion. La France, phare du monde par la Révolution, n’est malheureusement ni la Suisse, ni les Etats-Unis. Notre pensée politique, comme notre régime, est bancale.
La question actuelle est de savoir jusqu’où du point vue intellectuelle, la richesse des principes initiaux peut-elle encore être exploitée pour renforcer la démocratie, et quand en revanche deviennent-ils destructeurs ? La question résonne au regard de la dynamique historique, où nous pouvons nous demander, cette fois en pleine conscience, si nous ne sommes pas en train de revenir à la configuration des années 30 du siècle dernier, et de préparer, non pas peut-être un conflit réellement mondial, mais déjà des conflits régionaux généralisés, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, et peut-être demain autour du Pacifique, entre les Etats-Unis et la Chine.
Qu’a donc fait la démocratie, quelle est le fondement des critiques à son encontre et peut-on encore la sauver ? Quelles mesures faut-il mettre en place conceptuellement et réellement pour que nos valeurs cessent d’être retournées contre-nous même et que nous retrouvions un sens de la justice, plutôt que le seul sens des injustices ? Le faire, renforcer la démocratie contre ses tendances centripète, est-il un désaveu de ces valeurs ou au contraire un renforcement ? La dynamique des valeurs de la démocratie moderne conduit-elle forcément à son effondrement ?
Passées au crible de la dialectique de l’opposition et de la puissance interprétative, les notions fondant la démocratie peuvent se déployer dans un champ interprétatif large. Ces champs peuvent être organisés, un peu à la manière des passions dans l’Ethique à Nicomaque, prise entre deux ou plusieurs positions extrêmes incompatibles, au milieu desquelles se tient une position d’équilibre, de médiété. Cette première dynamique, qui nous donne déjà trois pôles d’analyse, l’excès, le défaut, la médiété, est complétée par l’analyse de la notion directement opposée avec laquelle elle forme un couple. La justice, par exemple, s’oppose à l’injustice. Et l’injustice elle-même doit avoir encore trois pôles.
Cet opposé externe devrait en toute logique lui-même être organisé selon les mêmes polarités. Chaque notion peut ainsi être divisée en deux concepts opposés, comme la vie et la mort, et chacun déclinés en trois tensions. Toute la dialectique doit être comprise dans ces possibilités.
Les principes démocratiques de la modernité
L’égalité
Le pôle positif
A l’aune de la Révolution, l’égalité, qui faisant de tous les membres d’une communauté politique des citoyens égaux en droits, devoirs, responsabilité et autre dans la Cité, cette gloire qui démolissait enfin les castes et les ordres, semble plus que jamais totalement en roue libre. Son pouvoir révolutionnaire se transforme en pouvoir anarchiste, sa pulsion de liberté en pulsion de mort.
L’égalité révolutionnaire allait de pair avec le reconnaissance de la dignité humaine en tout homme, quel qu’il soit. Il ne pouvait dès lors plus y avoir d’esclave, et le droit était le même pour tous. L’égalité était universaliste. L’égalité était le principe de l’émancipation des citoyens rationnels.
De l’autre elle s’abîme dans les chimères de l’égalité réelle défendue par le wokisme. Les profondes avancées sociétales, de la place des femmes, à la prise en compte des violences faites aux enfants, dans le cadre de la famille et de l’enseignement privé (rapport au Sénat sur les violences sexuelles, travaux de la Ciivise, récent scandale Bétharram), rien ne semble contenter les plus extrémistes. Loin de continuer à travailler les questions de l’égalité juridique, de l’égalité des chances, de la transcendance des différences, la lutte pour l’égalité devient, comme Aristote l’avait déjà dénoncé dans La Politique, un outil démagogique n’ayant pour seul but que de décrédibiliser la promesse démocratique. La notion d’équité, défendue par Johan Rawls dans un sursaut de la pensée républicaine, semble devenue totalement inaudible.
Il s’agissait à l’origine de mettre fin au système des castes de naissance, à la division entre Etats, Noblesse, Clergé, et Tiers Etats, dans la nuit du 4 août et de l’abolition des privilèges. Personne ne devrait être déterminé par sa naissance à vivre dans un système juridique lui reconnaissant moins de droit qu’à son frère humain, fut-il son dirigeant politique, économique ou spirituel.
Tous les citoyens sont égaux en tant que membre de l’Etat à part entière.
Le pôle négatif
Malheureusement, cette potentialité positive laisse de plus en plus la place à la potentialité négative d’une égalité non pas juridique et de principe, mais d’une égalité réelle qui n’est rien d’autre qu’une chimère. Le meilleur exemple est l’attaque de la propriété privée. En régime communiste, il n’est pas possible de posséder quoique ce soit. La théorie marxiste voulait la propriété d’Etat des moyens de production, du capital industriel. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Les passionaria de l’égalité se déchaînent bien au-delà et voient désormais partout des inégalités qui seraient autant d’injustice. Elles inventent même des nouvelles inégalités, comme l’inégalité culturelle, à un âge où toute la culture du monde est disponible sur les réseaux, pour faire avancer leurs thèses mortifères. L’égalitarisme a remplacé la libération.
La surveillance de l’égalité consomme des ressources gigantesques et, comme la montré Tocqueville, va de pair avec une croissance continue de l’administration et de la justice. Tout ce qui est retiré aux individus au nom de l’égalité, est transféré à l’administration. Parmi les exemple saisissant, on trouve l’établissement des papiers d’identité pour les enfants, où l’on ne croit plus les parents, ou encore le fait de donner à des mineurs le droit de changer de sexe tout seul, comme si leur réflexion était suffisante pour décider. Derrière ces fictions, c’est l’administration qui retire leur pouvoir aux parents et le remplace par ses propres processus.
Dans ce même temps, où le wokisme progresse de manière inquiétante vers un relativisme et un multiculturalisme complet, où toutes les idées se valent et où tout système qui prétendrait à l’universel est dénoncé comme structure oppressante de pouvoir (on ajoutera volontiers « patriarcal’), la concentration des richesses économiques continue à progresser, créant une inégalité bien réelle dont personne ne semble se soucier.
L’égalité des chances, comme a l’école, s’est transformée en nivellement pas le bas. L’objectif d’une égalité réelle ne peut en effet être atteint qu’en visant le plus petit dénominateur commun. L’erreur de focal est patente, puisqu’il s’agirait surtout de donner à chaque enfant ce dont il a besoin pour devenir un citoyen, développer ses capacités et surtout ses talents. Il est impossible sous le règne de l’égalitarisme qu’un élève fort en mathématique trouve de quoi se nourrir intellectuellement à l’école. Il en va de même de l’élève doué en dessin ou en musique, ou en quoique ce soit.
L’égalitarisme s’enfonce ainsi dans l’universalisme minimum et finalement le conformisme dans la médiocrité. Si tout le monde doit être égal, ce sera toujours le plus nul dans chaque domaine qui sera la norme. On aura du mal à faire plus absurde. Et pourtant, l’idée est plus puissante que jamais.
Du bon et du mauvais usage du concept
Ce que nous montre cette analyse, même succincte, c’est qu’il y a un bon usage de l’égalité, quand elle porte sur la définition du citoyen, du participant au pouvoir politique. En revanche, elle est totalement contre- productive quand on cherche à l’appliquer là où la suppression de la différence n’a aucun sens. On ne peut, par le droit, faire que tous les citoyens soient égaux en droit. Mais on ne peut pas faire que les individus soient égaux en mathématiques ou pas. La différence naturelle n’est pas réductible par le droit.
L’égalité n’est donc possible que là où l’universel est possible, là où il y a une communauté possible. Si vous considérez la différence comme fondamentale, comme première dans la définition de l’homme, vous pouvez appuyez dessus des différences de droits. Par exemple, si l’on considère qu’être noir est plus important qu’être un homme rationnel, alors vous pourrez fonder le droit sur la couleur de peau. Pareil pour la naissance. Mais si vous considérez que tous les hommes sont des êtres rationnels, et que c’est cela qui les définit, que la couleur de la peau ou la naissance sont des contingences, vous aurez un droit plus juste sur l’égalité.
La communauté politique doit justement être commune. Donc tous ses membres doivent être à égalité dans leur responsabilité politique. Voilà le principe, quelque soit d’ailleurs ses difficultés de mise en place.
Mais dans les autres domaines, absolument tous les autres domaines, l’égalité est totalement inopérante. Le seul principe valable est ce qui est profitable à la communauté dans sa totalité, donc à la puissance du groupe. La logique de puissance peut complètement suivre celle de l’égalité. Car tous les citoyens profiteront en tant que citoyens d’appartenir à la communauté la plus puissante. Le débat reste ouvert sur la définition de la puissance et sur la redistribution qui pourrait avoir lieu entre les citoyens.
En revanche, vouloir créer de l’égalité là où il n’y en a pas, c’est faire rentrer un rond dans un carré. On ne fera pas qu’un homme n’ai pas le cancer, alors qu’un autre l’aura. On ne fera pas qu’un homme soit petit ou chauve alors qu’un autre sera trop grand et maigre.
En revanche on peut s’assurer que tous les deux auront les moyens de développer leur talents. Mais certainement pas qu’ils développeront les mêmes et jusqu’au même point. Il faut distinguer ce qui relève de la contingence et ce qui relève de l’universel. La différence ne peut pas être réduite par l’égalité, et cela n’a aucun sens. Il faut s’appuyer sur ce qui est commun. Par exemple : tout le monde a une couleur de peau, mais la contingence, c’est que chacun a la sienne.
Il ne s’agit pas de clore le débat sur l’égalité et au passage de faire comme si l’on niait les différences. Il faudra compléter par une manière de prendre en compte les différences, ou pas d’ailleurs, qui sort du champ stricte de l’égalité, pour entrer dans celui de la différence et de la diversité.
L’égalité est un concept abstrait qui ne peut pas s’appliquer entièrement à la réalité. Toutes les pommes sont des pommes selon le concept qui en abstrait toutes les différences particulières pour n’en conserver que ce qui est commun à toutes les pommes. Et l’on ne demandera jamais plus au concept de pomme. Mais deux pommes prises dans la nature ne sont pas identiques, ne serait-ce que parce qu’elles occupent des espaces différents. L’égalité n’est pas l’identité.
Il est possible d’envisager que la véritable dialectique de l’égalité ne soit pas à chercher dans son excès mortifère qu’est l’égalitarisme, mais dans son défaut, représenté par la gestion de la différence. Notre droit prend en compte la différence de nombreuses manières. Les enfants, les personnes handicapés, les malades mentaux, les personnes âgées, peuvent être traités différemment, parce qu’ils ne remplissent pas encore ou plus tout à fait les conditions de l’égalité dans l’humanité.
L’inégalité, l’opposé du concept
Pour aller plus vite et tenir compte de ce que qui a été fondé, nous dirons tout de suite, qu’aucune différence contingente et non essentiel ne doit être le support d’une inégalité légalement reconnue. Pour le dire autrement, la différence n’est pas le support d’une inégalité entre les hommes du point de vue de leur condition d’homme ou du point de vue de leur participation politique à la Cité.
Mais à l’inverse, nous sommes effectivement inégaux, et c’est même la condition de notre individualité. Nous ne sommes pas physiquement identique, séparé par le sexe, la morphologie, la taille, les capacités physiques et intellectuelles, la couleur. La nature nous a tous fait tellement différents selon l’individu que personne ne peut vraiment se substituer à personne.
Le but est que chacun puisse trouver sa voie et s’inscrire dans la société, mais certainement pas de faire de tous les citoyens des personnes interchangeables, sans identité, ni personnalité propre.
La liberté
La notion de liberté fait sûrement partie des plus polysémiques et des plus diverses. Mais le but ultime de la liberté reste individuel. Devenir libre, autonome, non soumis à ses passions ou aux autres, et conduit autant que possible par notre raison. La liberté politique n’est qu’un moyen, un respect de cette liberté individuelle.
Du point de vue politique, ces questions entourant la liberté ne disparaissent pas, mais sont prises dans une dynamique et des extrêmes assez différents. Nous avons d’un côté la liberté individuelle absolue, le libertarisme, l’individualisme radical, qui fait plus que fleurter avec l’anarchie dont il est l’exacte définition. Dans cet extrême, se pressent tous les excès de la liberté, et notamment, mais il faudra y revenir, la liberté considéré comme liberté des passions. A ce titre, la propriété sans limite, la liberté d’expression sans limite, incluant donc le mensonge et la manipulation de la vérité, sont des extrêmes dont nous devons nous méfier.
C’est l’excès de liberté. A l’inverse, le défaut de liberté est l’étouffement de l’individu dans la communauté. Non pas dans la mise en place d’un régime théocratique ou dictatorial qui viendrait de l’extérieur, mais dans la servitude volontaire. La volonté de se débarrasser de sa volonté, parce qu’elle pèse trop lourd, et que l’on préfère se remettre à un chef, à un puissant, dont on attend qu’il nous protège. L’inverse de la liberté, ce n’est pas exactement la communauté, c’est le clan. En politique, la menace anti-libéral est le populisme, la soumission à un chef, le césarisme républicain. Dans cette soumission volontaire, le sujet abdique son pouvoir politique et sa responsabilité vis-à-vis de la communauté, pour la remettre à un chef. Il tire sa légitimité de son rang dans la hiérarchie et c’est tout. Il est, nous le savons maintenant, mûr pour une certaine forme de totalitarisme. Il suffira de désigner les ennemis du régime, pour en faire les boucs-émissaires de tout, et surtout de la lâcheté.
Au milieu, l’idée est de donner à chacun le maximum de liberté possible sans que cela ne nuise aux autres, et donc à leur liberté. La liberté d’une personne s’arrête là où commence celle d’autrui. La position, comme souvent, n’est pas difficile à formuler, mais très complexe à mettre en œuvre. Où est cette fameuse limite entre moi et les autres ? Comme pour l’égalité, la pensée politique se heurte au saut dans la pensée pratique. Une première réponse est de donner un guide commun, des principes communs à la liberté, principes qui seront respectés par tous. Le premier est tout simplement le respect de la réalité et de la vérité.
La liberté d’expression est limitée au mensonge, tout simplement parce que le mensonge est une tentative de manipulation de l’autre et est nuisible à sa liberté. On ne doit pas confondre le mensonge avec la remise en cause rationnelle et le débat légitime. Le mensonge individuel, s’il n’est malheureusement pas toujours sanctionné, l’est tout de même sous la forme de la calomnie. Hors toute fake news, d’une manière ou d’une autre, est une calomnie.
La liberté politique est déjà garantie par l’égalité entre les citoyens. C’est sûrement le modèle d’organisation de la liberté.
Il nous reste au moins deux sujets à aborder, le pouvoir de l’administration et le grand problème, à savoir celui de la liberté économique. Cependant, dans le cadre de nos analyses des outils nécessaires à la pensée de la modernité, les acquis de la compréhension d’une dialectique rénovée sont suffisants. Il faudra plus de développement pour penser ces principes et leurs limites.
L’esclavage
L’inverse de la liberté, c’est l’esclavage. L’esclavage est la soumission non voulue à une autorité extérieure. Le peuple iranien, le peuple nord-coréen, sont esclaves de leur dirigeants, qui les dominent par la force policière et leur impose une loi qu’ils ne veulent pas dans leur grande majorité. C’est la servitude involontaire, celle des noirs aux Etats-Unis.
Egaliberté, libertégalité
On utilise souvent ces néologismes pour désigner le couple de valeurs sur lequel repose nos démocraties. Il s’agit de souligne qu’en principe, les deux valeurs ne sont pas entièrement isolées l’une de l’autre et qu’au contraire, elles forment un couple de notions qui doivent s’équilibrer et s’enrichir l’une l’autre.
La limite politique de la liberté, le pouvoir politique qu’une seule personne doit pouvoir posséder et exercer, est limité par l’égalité politique de tous les citoyens. Cette limitation est le fondement ultime de toute pensée politique visant à comprendre ce que peut être une communauté d’hommes libres. Il faut reconnaître la même liberté politique, une liberté politique égale, chez tous les hommes. C’est en ce sens que Kant pensait la fondation rousseauiste du Contrat social comme complètement indépassable en pensée.
Mais attention, la validation du principe universel s’arrête là. Sinon, le même principe d’égal liberté va retomber dans les excès et les défauts que nous avons déjà identifiés, égalité métaphysique impossible et disparition des différentes, liberté servant à asservir les autres ou liberté cherchant à s’annuler elle-même. C’est entre ces écueils qu’il faudra naviguer pour descendre dans l’application des principes. Nous allons alors rencontrer deux nouveaux principes, qui peuvent nous servir à penser plus avant le fait politique, à savoir l’identité et la communauté.
L’identité
L’identité ce n’est justement pas l’égalité. C’est a contraire, dans l’acception moderne, ce qui fait la singularité. Il y a donc d’emblée une contradiction dans l’utilisation du terme, qui semble désigner à la fois ce qui est commun et ce qui est radicalement différent.
Qu’est-ce qui fait l’identité et la singularité d’une personne ? Si l’on reste d’abord sur le point de vue logique, on dira que ce sont l’ensemble de ses différences, de ses caractéristiques personnelles qui viennent en plus de ce qui est commun à tous les hommes et permettent de le différencier et d’en faire un individu. On peut prendre les caractéristiques de la plus générale à la plus particulière. Il y a d’abord le sexe et la couleur de peau, la couleur des yeux, les cheveux et les poils, la morphologie. Puis il y a ce qui peut varier, comme la taille, le poids, l’âge, la musculature, et d’autres caractéristiques physiques. On ajoutera à cette liste les autres déterminations qui nous sont données par la nature, et notamment les dons et talents de l’esprit et de l’âme, l’intelligence, les dons artistiques, la beauté du corps. Toujours dans les dons naturels, il faut mettre nos faiblesses, notre maladie structurelle. Viennent ensuite les déterminations sociales, celle du milieu, la famille, la religion, l’endroit sur terre, ou encore l’origine, le régime politique, la langue (ou les langues). On sort doucement du domaine de la nature, pour entrer dans celui de la culture.
Vient enfin l’expérience personnelle, qui commence avec les circonstances de la naissance, le caractère, la vie dans la famille, puis doucement, au fur et à mesure que nos forces se développent, par nos choix, notre vie, notre métier, nos compétences, nos amours, etc. A ce niveau, les déterminations sont si fines, si particulières, que nous pouvons malgré nos conditions commune d’hommes finir par vivre dans des mondes différents.
Erreur du multiculturalisme
L’erreur du multiculturalisme est directement dans son titre. Il ne s’agit pas tant de se dire qu’une culture en vaut une autre, dans un relativisme qui se croit tolérant. Il faut au contraire comprendre que la culture n’est pas un principe premier. Seul l’universel nous rapproche, et tout le reste, tout ce qui sert à définir l’individualité, ou la singularité, est ce qui nous éloigne et ce à travers quoi nous devons construire des ponts pour nous rapprocher malgré la différence. Le premier pont étant la reconnaissance de ce qu’il y a de communs et qui est le support des différences. La raison et la conscience sont premier. Nous avons tous une couleur de peau, mais peu importe la couleur. Nous avons tous un sexe, donc peu importe la sexe. Il faut retrouver cette innocence de la différence.
A l’inverse, si je mets ma culture au-dessus de ma condition humaine universelle, tout ce que j’ai fait, c’est mettre la différence irréconcilié au sommet des principes. C’est le principe de la guerre des dieux et des cultures. Aucune particularité ne doit devenir exclusive des autres. Vient enfin le phénomène de la conscience et de la manière dont nous nous voyons nous-mêmes à travers nos propres yeux.
Je dois comprendre ma propre singularité comme une variante de l’universalité et non pas comme une exclusivité.
La communauté
On présente généralement la communauté comme l’opposé de l’individu. Mais il est peut-être plus exacte de penser la communauté comme le prolongement de l’individu. La première communauté est celle de la famille. La plupart du temps, suit celle de la religion. Puis suit celle de la génération, des amis, des repères communs d’une tranche d’âge. On remontera ainsi à la communauté politique, le pays, l’Etat, la nation. Il y aura la communauté professionnelle, celle du métier partagé, où nous sommes autant rivaux que partenaires. Et vient enfin la communauté entière du genre humain.
La dynamique de la communauté est bien connue. Elle protège autant qu’elle enferme. Son modèle toujours peu ou pour la communauté religieuse. On en fait partie tant qu’on en respecte les règles, aussi absurdes soient-elles. Et le pacte communautaire veut qu’on en fasse partie tant qu’on respecte les règles justement. Mais si on les critique trop, que l’on revendique trop, on finit toujours pas être exclu. Il en va de même de quasiment toutes les communautés. A ce titre, la communauté nationale des pays démocratiques est très certainement la plus libre de toute, justement parce qu’elle reconnaît le pouvoir de chacun, non pas uniquement dans le respect de règles données par avance, mais aussi dans la construction de ces règles. La communauté démocratique libérale reconnaît le pouvoir créateur de chacun dans la construction de son autonomie. A l’inverse, les communautés religieuses sont figées dans leur dogme.
Ce que la communauté met en commun et ce qu’elle laisse à l’individu.
Dans cette co-construction qu’est la communauté d’hommes libres, le premier point important est le niveau de dévolution des tâches qui est confié à l’Etat et à l’administration. Le prototype de tout est la défense contre l’extérieur. Aucun homme ne pourra se battre contre une autre communauté seul. Comme souvent, on néglige ici aussi, le rôle des relations internationales dans la création des Etats.
Le second rôle, parfois compris comme le premier, est celui de l’organisation du marché et des échanges. Il s’agit de permettre un échange sans violence et sans vol. Les hommes ne sont pas autonome et ils doivent absolument échanger. Il faut un marché, une monnaie, un respect de la parole donnée. Et pour contrôler tout cela, il faut une police et une justice.
Le troisième rôle, pas forcément évident pour nous, mais attesté par toutes les lois les plus anciennes, est l’organisation des mariages et partant de la famille. C’est le droit civil, qui complète le droit commercial et le droit international. Pour faire tenir tout cela, il faudra forcément un droit de l’Etat, un droit constitutionnel et un droit définissant les pouvoirs de l’administration. Voilà le minimum dont aurait besoin un peuple farouche, très organisé autour de la famille et de ses clans.
La communauté est une solidarité
Nos démocraties modernes ont depuis longtemps perdu de vue cette simplicité des débuts, et depuis welfare state, from the cradle to the grave, issue du rapport Beveridge et popularisé par Churchill « The State should ensure that every citizen is cared for from the cradle to the grave. » La question centrale est celle des assurances communes organisée par l’Etat. Assurance médical, vieillesse et travail. Et la dérive est assez simple à comprendre. A force de demander à l’Etat d’assurer pour tous, on oublie le rôle et la responsabilité de chacun. Nous sommes déresponsabilisé. A l’inverse, les Etats-Unis nous montre un Etat qui ne fait presque rien sur le côté assurantiel, et où une large partie de la population vit sous ou proche du seuil de pauvreté, alors que c’est l’un des pays les plus riche du monde. Double déséquilibre.
Une réponse simple et élégante serait de faire tout simplement du 50/50. 50% de la retraite serait commune à tous, via un ou plusieurs fonds commun, et une moitié serait du ressort de la personne. Il faudra suivre des règles stricte pour bénéficier de la générosité de tous. Pour la médecine, on peut tout à fait imaginer un système similaire. Celui qui fume, boit, se drogue, est en surpoids, ne fait pas de sport et ne fait rien pour s’en sortir ne peut pas avoir les mêmes droits que celui qui fait tout son possible. La question de la gravité des maladies est aussi en jeu. Tout devrait être proportionné aux revenus, de sorte que les moins bien lotis soient mieux accompagnés. La prise en charge des maladies les plus graves est le problème le plus important, car celui qui coûte le plus cher. On peut tout à fait imaginer que les plus riches devront cotiser plus sur leur part personnelle pour assumer une plus grande partie de ces soins s’ils ont le malheur de tomber malade. Proportion est le maître mot.
Une proportion qui n’est pas basée sur un calcul financier, mais sur l’équilibre à trouver entre les pôles opposées des notions qui structurent le débat. La médiété, mais à partir des principes. On notera que ce système existe déjà dans certaines prestations très particulières comme le centre aéré pour la garde des enfants, qui s’appuie sur une grille de 6 ou 7 niveau de revenu.
Le renouveau de la pensée dialectique
Nous avons montré comment un renouvellement de la pensée dialectique qui se maintiendrait uniquement au niveau du concept, sans même tomber dans l’analyse des groupes et force politique, peut nous conduire à renouveler complètement la pensée politique. C’est une grande victoire conceptuelle. La justice sera ainsi une question d’équilibre, et pas seulement une équité tombée du ciel, comme chez Rawls, ou une simple recherche de définition.
Le travail sur lequel nous n’avons pas, à nos propres yeux, encore suffisamment avancé, c’est la question de la prise en compte et de l’organisation des critères secondaires de la définition de l’individu. Il n’est pas vraiment possible de penser que la société change seule pour prendre en compte les différences. Mais il est souvent injuste de forcer les choses par la loi, comme cela a été fait dans les Universités américaines avec les politiques de diversités, qui ne sont que du multiculturalisme déguisée et des attaques frontales contre l’universalisme. Il y a là un travail social qui n’a pas encore trouvé son chemin, le wokisme ne faisant que jeter de l’huile sur le feu en opposant les différences les unes contre les autres, plutôt qu’en oeuvrant à leur organisation bien raisonnée. En tout état de cause, la pierre angulaire d’une meilleure intégration sera toujours de nous relier par ce qui est commun à tous et universel, à savoir la raison, la vérité, la logique, la science. Le logos.
Annexe
Pourquoi on n’y arrive en France , et pourquoi on ne peut pas y arriver
La France est tombée de le piège de l’égalitarisme. Tous les débats sont faussées par une gauche qui dénonce partout les inégalités, et qui entraîne tout le pays dans un non- sens. Ce sont les jalousies, les volontés de soumissions diverses qui parlent sous cet étendard. On notera avec intérêt que la Suisse n’accorde aucune place à ce concept dans ses textes fondamentaux.
Le résultat de la chimère égalitariste, comme Aristote l’avait déjà dénoncé dans sa Politique, c’est la carrière donnée à la démagogie. Les dirigeants flattent le peuple pour quelques votes. Depuis 50 ans, il n’y a pas eu un seul budget à l’équilibre en France, alors qu’en Suisse même, un budget en déséquilibre est constitutionnellement interdit. . (Article 126 de la Constitution fédérale suisse, adopté en votation populaire en 2001, entré en vigueur en 2003. Il oblige la Confédération à équilibrer ses dépenses et ses recettes sur le cycle conjoncturel. Le seul domaine qui doit pouvoir s’exonérer de la règle financière stricte est la défense nationale, en temps de guerre. Aucun autre secteur, aucun autre ministère ne doit s’exonérer de la règle. Il faudra peut-être passer par une faillite pour que le peuple le comprenne.
La démocratie, comme tous les régimes, a ses faiblesses. Mais la grande différence, c’est que la démocratie devrait être capable de corriger ses faiblesses et de mettre en place des garde-fous.
Cette seule loi permettra de calmer toutes les ardeurs démagogiques, qui sont par essence infinançables. La retraite à 60 ans alors que l’espérance de vie court vers les 95 ans? Terminée. Le remboursement de tous les soins médicaux en toute circonstances, sans responsabilité sociale? Terminé. Etc. La conséquence est évidemment un retour à la création de valeur par le travail, dans un contexte de concurrence mondial. Il n’y aura plus jamais de retour en arrière. Même si la nation est toujours une réalité politique, elle est devenue secondaire par rapport aux tendances mondiales, et l’international est la clé de tout, de la politique, comme de l’économie.
Le renforcement du pouvoir du citoyen
Une autre mesure est de réinstaurer, de redonner du pouvoir aux citoyens, par le biais du référendum. En France, nous avons mis le peuple au service de l’Etat, et non l’inverse. Le peuple sert à payer l’impôt et à équilibrer les finances publiques. On n’apprend d’ailleurs que la politique économique, et très peu la chrématistique, l’art de créer de la richesse. Le pays est bâti à l’envers et n’est pas une démocratie libérale.