Le secret du mal – et comment s’en débarrasser…autant que possible! Deux voies: la voie psychologique et la voie rationnelle (2/2)

Nous avons identifié la source du mal moral dans les difficultés à poser et à élargir le champ de l’intersubjectivité. La prise en compte de l’autre est l’antithèse de la considération excluvise de soi. Pour améliorer moralement le monde, nous avons identifié deux voix possibles qui peuvent nous aider à dépasser la mono-subjectivité, la prise en compte exclusive de soi, au profit de la prise en compte d’autrui également.

Il s’agit de la voix du développement de l’intersubjectivité, la voix de l’ouverture des identifications, du retour à la confrontation à notre propre néant. Ce chemin est très difficile. C’est souvent ce que l’on appelle notre chemin de vie, nos rencontres, nos amours, nos échecs et finalement nos renaissances et renaissances. Mais un salaud peut également traverser toutes ses épreuves sans jamais changer réellement. C’est un peu le drame de la prison. Il faut déjà un minimum d’honnêteté intellectuelle pour accepter la punition. La plupart des criminels ne comprennent même pas le châtiment. Pire, la solidarité entre salauds est une réalité que l’on ne saurait sous-estimer. Partager le secret ou le plaisir d’un crime procure la base d’une solidarité du mal qui est un puissant ciment social. Le régime nazi parlait d’une seule voix, tous unis dans leur désinhibition total envers l’autre, le juif, le communiste, le tzigane (et non pas contre le judaïsme, ou le communisme, etc..). Il y a, y compris dans le mal, des formes d’universalisme qui sont absolument redoutables et que nous devrons décrypter. On sait que pour arrêter une drogue, il faut aller dans un groupe de parole, trouver un mentor et surtout, surtout, ne jamais revoir ses compagnons de débauche. Même avec tout cela les alcooliques anonymes n’obtiennent qu’un taux de succès un peu supérieure à 50%. La prison ne sert à rien en tant que telle pour l’amélioration morale des détenus. Elle sert uniquement à protéger la société.

Nous sommes face à un cercle. Il faudrait déjà être honnête pour redevenir honnête. Ce n’est pas ce que nous cherchons. Nous voulons au contraire créer de l’honnêteté là où il n’y en a pas encore ou pas suffisamment. Même le dernier salaud n’est pas totalement malhonnête. Sinon, c’est un fou, authentique, véritable, complet, et l’on ne peut plus rien pour lui. C’est un cas pour la médecine. La plupart des salauds ne sont pas fous. lls reconnaissent tout ce qui a trait au pouvoir, à l’argent, au statut, à la propriété. Ils reconnaissent certaines émotions, notamment quand on s’oppose à eux. Ils ont des compétences, lire, écrire, compter, qui nécessite l’application et le suivi de certaines règles. Et où le non respect des règles entraîne une sanction. Ils posent d’ailleurs aussi des règles, leurs règles et les imposent aux autres. Ils ont donc bien les notions fondamentales qui doivent permettre, avec beaucoup de remise en cause, de reconstruire une rationalité qui peut et doit être le levier d’un changement de personnalité.

La grande différence est qu’ils considèrent l’autre comme un objet et n’arrivent pas à comprendre que l’autre, l’expérience de l’autre est une condition de ma reconnaissance propre en tant qu’homme. Ils n’ont pas accès à la médiation de la conscience de soi par l’autre, ou pour être plus précis par les autres. Du coup,ils sont tout emplis d’eux-mêmes. Seul leur confort, leur décision, leur action compte à leurs yeux. L’autre est au pire un obstacle, au mieux un outil, et entre les deux, un simple objet qu’ils ont du mal à distinguer d’un autre objet. Ce repliement sur soi n’est pas si rare. Le rattage complet de la seconde partie de L’Etre et le Néant de Sartre, cette partie portant sur l’Autre, montre à quel point le narcissique est pris dans la contradiction, dans l’impossibilité de comprendre l’autre comme un autre moi-même et reste fermé dans ses projets, dans son être, sans accéder à la fracture du moi qui permet une vraie compréhension de l’autre.

Écho et Narcisse (John William Waterhouse, 1903, Walker Art Gallery, Liverpool)

La source psychologique du mal

Le cas Sartre est intéressant. Il est orphelin de père et vit ses dix premières années avec sa mère et ses grands parents maternels. Il est, dit sa biographie, choyé tous les jours. Son intégration à l’école se passe mal, il n’arrive pas à s’intégrer au groupe. Quand sa mère se remarie, il ne l’accepte pas et détestera toute sa vie son beau-père. Pire que tout, la dernière grande partie de son oeuvre est la justification de la violence politique dans la deuxième partie de la Critique de la Raison dialectique.

Le parcours de Sartre, de lauréat de l’agrégation de philosophie, à planqué non résistant pendant la Seconde Guerre mondial, pour finir fondateur de Libération et défenseur de la violence politique ne nous laisse pas beaucoup d’espoir quand à la voix de la raison et à sa possibilité de rendre plus aimable une subjectivité fermée.

La clé est selon nous, et il faudra sûrement une étude psychologique plus poussée, dans une configuration de fusion psychologique avec l’un des deux parents seulement. Il y a donc bien un autre, dont est psychiquement dépendant pour la création de notre psyché comme échange avec l’autre. Mais il n’y en n’a qu’un seul et toute altérité par rapport à cette fusion initiale est problématique et le plus souvent impossible. Sartre n’a jamais eu d’enfant. Il a adopté une jeune femme qui avait déjà 29 ans, Arlet Elkaïm-Sartre. Lors de la réédition des oeuvres de Sartre sous son patronage, cette fille commença par la Critique de la Raison dialectique, ce livre qui finit par prôner la violence politique. Cela ne ressemble pas du tout à un hasard.

La fusion psychologique n’est pas tellement étudiée en psychologie. C’est plutôt dans les contes et les mythes que nous trouvons des mises en garde contre elle. La première figure est évidemment celle de Chronos, qui avale ses enfants, pour empêcher le temps et les générations de se déployer. Zeux sera le héros qui délivrera sa famille de ce titan, aidé par sa mère, qui le cachera en dehors du ventre paternel. Plus proche de nous, c’est la figure de l’ogre, celui qui avale les enfants, qui est là pour nous alerter. On pense évidemment au loup déguisé en grand-mère du petit chaperon rouge, qui avale tout rond le petit enfant, lui-même envoyé par sa propre mère jusqu’à sa disparition. Il y a quantité d’exemples.

La question psychologique est de défaire le lien, de libérer l’enfant avalé. C’est évidemment beaucoup plus simple si le parent est injuste. L’enfant, devenu adulte, a devant les yeux toutes les mauvaises actions du parent, ses limites, ses mensonges. Et le parent ayant eu un comportement d’ogre avec son propre enfant, il est quasiment impossible qu’il se soit comporté correctement par ailleurs. Il faudra alors passer par ce processus de transformation si douloureux qui consiste à faire le deuil, psychologiquement récuser la validiter de l’amour que l’on a pour la figure d’attachement, remettre en cause tout ce que l’on a fait, la manière dont on s’est construit autour de cet amour et trouver de nouveaux buts à sa vie, en s’appuyant sur un rapport renouvelé aux autres.

Nous disons bien « aux autres » au pluriel. Un enfant ouvert a généralement appris l’ouverture dans la structure familiale. Il aime son père et sa mère. Peut importe les liens de cette amour, donner trop d’importance à ces formes, comme le fait le complexe d’Oedipe, masque l’essentiel, qui est la pluralité des attachements et des identifications. L’enfant équilibré passe d’un parent à l’autre, puis aux autres identifications possibles dans la famille. Il s’ouvre au monde. Il en héritera très certainement une grande difficulté à réaliser la synthèse de ces modèles. Mais cette ouverture vaut toutes les difficultés. Elle seule permet de s’ouvrir réellement à l’autre, et non pas de rester enfermer dans le cercle du soi. Ils pourront alors retrouver le goût de l’admiration sans la jalousie, du respect et de la volonté de se faire grandir soi-même et de faire grandir les autres.

Nous sommes bien conscient du fait que ces propos peuvent heurter un grand nombre de personnes. Espérons qu’ils leur permettront aussi d’ouvrir leur vision des choses, ou à tout le monde de comprendre ce qui fait l’une des plus grande différence entre les hommes et les femmes, à savoir leur niveau de fermeture en soi ou d’ouverture à l’autre.

Il existe cependant une autre possibilité, celle de redonner de l’air par le respect des règles de logique et du respect dû à la recherche de la vérité. C’est cette voie que nous allons détailler maintenant.

La Source logique du mal logique

Nous présentons ici ce qui nous apparaît les principales objections contre les arguments rationnels et une tentative de réponse efficace. Nous ne présentons que les exemples qui nous paraissent les plus courants, mais tous les biais logiques et toutes les techniques d’évitement sont toujours des signes de manque d’ouverture. Rien, jamais, nulle part, ne doit être mis entre nous et notre capacité de raisonner, entre nous et notre recherche de la vérité et de la perfection.

Ce n’est pas le moment, je n’ai pas le temps

-C’est vraiment l’objection la plus courante, celle que l’on rencontre dans la vie de tous les jours. Pour le non philosophe, il y a toujours plus urgent que de chercher la vérité. Il faut éviter le questionnement, source de remise en cause. Le quotidien l’envahit. Pour nous c’est inacceptable, mais il faut apprendre à répondre avec sagesse à cette objection. La réponse « vraie » qui consiste à dire qu’il est toujours temps pour la vérité, qui est notre bien le plus important et qui conditionne nos principes et donc aussi nos actions, en plus de la qualité de notre âme, cette réponse n’est audible que par ceux étant déjà des philosophes.

Pour le non rationnel ou le non philosophe, il y a toujours plus important à faire. Il faut le comprendre et faire preuve d’empathie… jusqu’à un certain point. Je n’ai pas le temps, ta mère, ton père, ma mère, mon père, est malade. Je n’ai pas le temps, parce que je dois aller travailler. L’argent, la santé, et en sous-texte d’autres personnes, passent avant la vérité et avant vos arguments. Les personnes utilisant ces arguments sont vraiment « pris » dans ces activités. Ils ne font pas que se débarrasser de vous avec des arguties.

Que faire? Tout simplement leur demander quand ils seront disponibles pour parler du sujet qui vous importent. Ils seront bien embêtés, sur le mode « plus tard » et pas maintenant. Il faut leur demander une date, au moins flou, puis précise. La vérité c’est qu’ils ne veulent pas parler des principes. Ils en ont déjà et ne voient pas l’intérêt de les questionner. Socrate préférait parler aux jeunes gens, encore capable d’ouverture d’esprit.

Prenez des notes! Si vous arrivez à avoir un rendez-vous, vous aurez sûrement droit à d’autres objections, comme « je n’ai jamais dit cela ». Et si le rendez-vous est annulé plusieurs fois. Ce n’est pas la peine d’insister. Votre interlocuteur ne veut pas discuter. Il ne changera pas d’avis. Il ne vous écoutera pas. Il faut en tirer les conséquences, à savoir en général, passer votre chemin.

Tout le monde le fait

C’est l’une des principales objections des menteurs, l’une des plus importante. La mère de Naël, un jeune qui a trouvé la mort après un refus d’obtempérer, déclarait un an après sa mort « Qui n’a jamais refusé d’obtempérer à un contrôle de police? ». Cette parole de justification peut paraître tout à fait surréaliste. Evidemment, des millions de personnes obtempèrent et ceux qui refusent ont très généralement de très bonnes raisons, c’est-à-dire de mauvaises raisons, pour le faire.

On retrouve généralement cette objection quand on confond un menteur et que l’on démasque l’un de ses mensonges. « Mais enfin tout le monde ment ». Scandaleuse au premier abord, car elle nous entraîne tous dans le mensonge, cette formulation contient pourtant une donnée essentielle qui correspond à un éloge du vice envers la vertu. Il y a en effet un passage à l’universel, « tout le monde », qui sert à valider le comportement, comme le recommande Kant lorsqu’il demande à ce que toute décision morale passe le test de l’universalité de la position.

Il ne s’agit pas cependant de la même universalisation. Pour Kant, il s’agit de vérifier qu’une fois universalisée, mon principe reste un principe possible pour une humanité. Par exemple, si je veux tuer quelqu’un, puis-je vraiment universaliser mon acte et prétendre qu’un monde où tout le monde peut tuer tout le monde serait un monde moralement valable, voir tout simplement possible? Evidemment non.

Dans la justification du salaud, l’universalité est en quelque sorte renversée. Si « tout le monde le fait », j’ai le droit de le faire aussi. Peut importe que ce soit bien ou mal, moralement acceptable ou pas. Je serais bien trop désavantagé si je ne le faisais pas. Il y aurait rupture d’égalité. S’il arrive à accepter que non, tout le monde ne le fait pas, ou même simplement qu’une grande partie de l’humanité tente justement de rester moral, le salaud soutiendra alors que « tout le monde peut le faire ». Il faudra du temps, beacoup de temps, pour lui faire comprendre que la grandeur de l’homme est justement de ne pas faire tout ce qu’il peut, mais uniquement ce qui est rationnellement juste.

Il reste assez étrange de voir le salaud avoir besoin ainsi de se jutifier devant l’universel et refuser de même de porter la responsabilité de son acte. Il n’est pas du tout dans la justification de son acte basée sur des principes personnels. C’est sans doute parce qu’il sait que les autres arguments qu’il pourrait mettre en avant sont totalement ridicules.

C’est la faute des autres

Un peu similaire au précédent, mais plus clairement dans la résponsabilisation, il s’agit cette fois d’attribuer la responsabilité de l’action à un autre que soit même. De la même manière un voleur aura vite fait de devenir un grand politicien, justifiant son larcin en déclarant « les riches sont des voleurs », sous-entendu, je ne suis qu’un Robin des bois. Il s’agit de se déresponsabilisé, ou dit autrement de se décausaliser, de refuser d’être la cause de ses propres actes.

C’est ainsi que le système judiciaire doit avant tout jugement établir la responsabilité des uns et des autres. Aristote déjà faisait la différence entre la personne réalisant l’acte et la personne ayant inventé et organisé l’acte. La responsabilité peut ainsi être articuler entre différents auteurs. Depuis l’invention de la sociologie, nous sommes allés encore plus loin, incluant une forme de méta-responsabilité de la société tout entière, qui aurait failli dans son devoir de formation des citoyens ou sujets. L’avocat du présumé coupable souligne la puissance de du « milieu » et la faiblesse de la volonté personnelle, l’égarement, le moment de folie, la volonté de s’intégrer au groupe.. autant d’excuses qui ne pèsent tout de même pas lourd face à un vol ou un meutre. L’établissement des responsabilités ne doit pas finir par déresponsabiliser, sinon toute justice devient impossible.

On aura beaucoup de mal à faire comprendre à certains qu’ils sont, quoiqu’il arrive responsable de leur acte. Même dans la légitime défense, où l’on peut attribuer notre réaction à l’agression de l’autre, nous sommes responsables de notre défense. La différence étant qu’elle est ici jugée légitime.

L’Agneau mystique (achevé en 1432) d’Hubert et Jan Van Eyck

Cet argument est le plus communément utilisé en groupe. C’est lui qui est à la racine de la désignation du Bouc Emissaire. Le juif est le grand responsable de la ruine de l’Allemagne entre les deux guerres mondiales, ou plus encore de la défaite de l’Allemagne pendant la Première guerre mondiale. L’émotion prend le pas sur toute forme d’analyse. La haine du méfait, le besoin de préserver un groupe où le voisin déteste désormais le voisin et est en compétition avec lui pour savoir lequel des deux va surmonter la pauvreté et la mort, voilà autant de facteurs conduisant, dans un espèce de reflexe de survie morbide, à désigner l’autre responsable plutôt que soi-même. Le groupe veut une justice, donnons lui au moins la vengeance.

La réponse est simple. Nous sommes tous responsables de nos actes. Nous faisons tous des erreurs, et quand cela arrive, c’est à nous d’oeuvrer pour nous faire pardonner, en demandant pardon, en payant autant que faire ce peut pour compenser.

L’inversion accusatoire – Dénoncer la faute supposée de l’autre

C’est le cas Adama Traore. Plutôt que de reconnaître que son fils a été tué par la police parce qu’il s’était mis en faute, sa mère prétend que le policier l’a tué parce qu’il était noir, faisant un lien, aussi faux que revoltant, entre un supposé racisme systémique de la police française et le racisme systémique bien réel d’une partie de la police américaine. Tant qu’à y être, pourquoi en effet ne pas créer une polémique sur une polémique, tout étant bon pour cacher la véritable culpabilité.

La vraie faute est cachée, masquée, dissimulée derrière une fausse faute inventée de toute pièce. Le vrai coupable devient un justicier et le justicier devient un coupable. Il est absolument incroyable que nous puissions tomber dans ce type de piège. Il y a fort à parier que seuls ceux qui veulent y tomber y tombent effectivement.

Et toi, tu t’es vu? Argument as hominem ou ad personnam

Légèrement similaire, l’argument ad honimen, rendu célèbre par Schopenhauer, consiste à attaquer directement l’interlocuteur. L’objection est principal est simple: « Et toi, qui te permets de faire des commentaires serais-tu un homme parfait? Certainement pas. Je n’écouterai donc pas tes objections. »

Etrange argument que celui consistant à dénoncer la non perfection de l’autre! Encore plus quand l’on est justement en train de montrer à l’autre une erreur et donc aussi un chemin d’amélioration. On pourrait d’ailleurs le retourner immédiatement contre son auteur, car n’étant lui-même certainement pas parfait, il n’a selon ses propres critères pas non plus le droit d’utiliser cet argument. Une telle réponse sera vécue comme une insulte, parce que la substance de l’objetion n’est pas là.

L’objecteur ne se place en effet pas du côté de la vérité. Ce qu’il objecte c’est le droit que nous aurions de lui faire une objection tout court. C’est une question de pouvoir. Nous revenons ici à notre problème d’identification. Incapable d’ouvrir sa subjectivité interpersonnelle, la personne nous refuse le droit de la juger. Ce qu’elle se cache bien souvent à elle-même, c’est qu’elle n’accepte le jugement que de sa personne totem, son maître absolu et exclusif, qu’elle fait tout pour satisfaire.

La victimisation

Pour certaine personne, il est tellement insupportable de se voir objecter quelque chose qu’elles ont l’impression d’être attaquées directement. Certes, il n’est jamais agréable d’avoir tort. Mais le bénéfice intellectuel d’apprendre ou de progresser dans la vérité doit toujours être supérieur. La préservation du narcissisme ne saurait, encore une fois, dépasser la recherche de la vérité.

Là encore, les arguments sont compliqués. On peut tenter le câlin, mais souvent la personne est trop indisposée. On peut expliquer que nous ne sommes surêment pas nos erreurs et nos thèses et qu’au contraire, nous valons moins quand nous soutenons une erreur. Mais cet argument ne fonctionne pas bien. Nombreux sont ceux qui ne font pas la différence entre eux et leur cerveau ou leurs arguments. Il faut une grande expérience de l’erreur et de la correction de soi pour accepter les objections.

Il y a souvent derrière la victimisation un souvenir douloureux, ou le refus d’une identification. Se désigner victime, ce n’est pas seulement tenter d’échapper à ses fautes, c’est rejouer en le refusant le traumatisme de la vraie victime à laquelle on n’est jamais venu en aide. Le plus souvent ce qui est consternant dans cette attitude, c’est qu’elle ne correspond à aucune réalité. On n’est pas victime d’un professeur quand on a 0 en maths, on est juste nul en maths. On est peut-être victime de l’univers qui ne nous a pas donné toutes les qualités du monde, mais il n’y a rien de plus universel que cette injustice métaphysique. La vérité est certainement ailleurs. En se victimisant, le coupable cherche à prendre la place de la victime pour l’empêcher de se défendre, mais aussi parce qu’elle se pense vraiment victime. Elle sait que la victime déclenche de la compassion et de la pitié, deux de ses principaux ennemis, des mécanismes sentimentaux qu’elle ne maîtrise pas, ne comprend pas. Alors elle joue, elle fait semblant. Incapable de compassion, elle mime le comportement qu’elle pense attirer la compassion.

Mais elle est inauthentique dans sa posture et son rôle, et elle ne rend pas compte que les autres le voient immédiatement. On peut tenter de déchirer le voile. Non tu n’es pas victime. Pire tu joues la victime pour tenter de nous abuser. Mais tu n’as ni la profondeur de tristesse, ni la pudeur, ni parfois la colère d’une vraie victime. Tu joues un rôle pour te faire plaindre, comme un enfant qui tente de manipuler un peu ses parents. Cela n’a rien de convainquant et il faut maintenant revenir sur la réalité des actions et des arguments.

Le deux poids deux mesures

Autre technique redoutablement perverse, le deux poids deux mesures consistent, là encore, à justifier, excuser, ou ne pas regarder les méfaits de son camp, tout en condamnant l’autre camp à la plus grande rigueure morale possible. La morale c’est pour les autres, et notamment pour ceux qui y croient.

Dans cette configuration, l’opposant fait tout pour qu’on ne parle jamais de ses sujets, de ses actions. Parler de lui est un scandale. On se demande bien d’où cela peut venir. La seule hypothèse sérieuse est de considérer qu’il s’agit d’un salaud qui s’assume et prétend, encore une fois, que personne n’est pas parfait, personne n’est moral, et que cela lui donnerait le droit, à lui aussi, de mal se comporter. Court de vue, il refuse de considérer un principe qui s’appliquerait à tous et qui permettrait de juger les actions.

Accordons lui que personne n’est pas parfait. Il n’est pas simple en effet d’être en tout, partout, toute notre vie, totalement irréprochable moralement. C’est peut-être même structurellement impossible. Il n’empêche. Il y a bien une gradation dans le crime et le manque de respect des autres. Hitler, Staline, Mao, Pol Pot sont bien les pires criminels de tous les temps. Quand un jeune refuse un contrôle de police, il est bien en tort. Quand une personne fraude les aides sociales, elle est bien en tort également, tout comme celui qui se fait attraper pour évasion fiscales (évasion… un mot qui en dit long).

Mais en général, la personne qui pratique le deux poids deux mesures ne comprend même pas ce qu’elle est en train de faire. C’est que son raisonnement n’a rien de rationnel et n’est pas appuyé sur la justice, mais sur le pouvoir. Moi j’ai le droit de me comporter ainsi… sans qu’on sache vraiment pourquoi… tandis que l’autre doit respecter les règles avec le doigt sur la couture du pantalon… parce qu’en fait il doit se soumettre au pouvoir.

Nous avouons ne pas comprendre ce qui peut bien se jouer dans la tête des personnes qui se comportent ainsi. Ni la loi, ni la justice, ni la rationnalité ne sont pour eux des principes acceptables. La psychologie qui se joue derrière nous est inconnue. C’est une fois de plus un défaut d’universalisation du principe qui est en jeu. Il faut former aux règles universelles, peut-être par le biais des mathématiques, pour enseigner l’universalité des règles et des normes.

La colère

Platons soutenait qu’il existe une saine colère. Il semble bien le seul. La colère est une réaction, en général masculine, à l’agression. Elle n’est donc pas elle-même une agression, mais juste une réaction. D’ailleurs, le plus souvent, celui qui agresse fait preuve d’un sang froid à tout épreuve. La colère vient parfois d’un sentiment d’injustice, parfois de la tristesse d’avoir l’impression ne pas être entendu.

Et pourtant, la plupart du temps, la colère dans un débat ferait de vous un agresseur, un violent, et vous excluerait de la conversation. C’est l’agresseur agressé, un nouveau renversement victimaire. Il est aussi exact qu’il est difficile de supporter une personne énervée. Mais l’on fait très bien la différence entre une personne en colère qui se sent agressée, et une personne en colère elle-même agressive. Pour une raison tout de même étrange, on n’aurait pas le droit d’être en colère quand on se sent agressé. Dont acte. De toute manière les règles sociales ne nous laissent pas le choix. La colère est universellement réprouvée parce qu’elle enflamme les situations. Il faut apprendre à rester calme, tout au moins en façade.

On utilisera des périphrases, on objectera avec douceur, on donnera des exemples… Mais encore une fois, on ne serons pas dupe. Celui qui refuse de voir chez l’autre une colère légitime ne fait rien d’autre que de tenter de le manipuler. Comme toujours il met son poids politique, ou sa force et son pouvoir par-dessus la tête de l’interlocuteur, lui impose une règle qui n’a rien à voir avec le sujet, mais tout à voir avec sa capacité à dominer et exiger de l’obéissance. Il faut rester fort et afûter nos arguments pour ne pas être destabilisé et revenir sur le terrain de la réalité et de la logique.

Les jeux de l’ego et de la vérité

Avant même de pouvoir mettre en place un dialogue rationnel, certains prérequis que l’on attendait pas forcément s’imposent à nous. Ils portent finalement sur deux points essentiels. Le pouvoir et l’égo, qu’il faut à chaque fois contrer et remettre à leur place en utilisant la réalité et la logique.

Toutes ces manipulations reposent sur les mêmes principes incluant la non prise en compte de l’autre quand il nous critique, la déformation des faits, la réécriture de la réalité, le changement des positions entre le responsable et la victime, l’enfermement dans un discours auto-centré, le renversement de l’universalité, pour en faire un universel du mal, en perdant de vue l’idéal moral de respect de l’autre. Tous ces comportements ont beaucoup à voir avec le dogmatisme et la folie, une pensée sans porte, ni fenêtre, qui ne communique plus et ne vit que dans un monde d’objet, de discours plus ou moins délirant, et de domination. Nous voyons ces comportements partout. Ils appartiennent malheureusement à la nature humaine et nous ne pouvons même pas détester ceux qui se comportent ainsi. Il faut juste ce battre pour un monde meilleur.

Annexe

Peut-on guérir une personne mauvaise?

j’ai longtemps cru, peut-être un peu trop socratique que je suis, qu’il suffisait d’expliquer à une personne ce qu’elle avait fait de mal pour lui montrer le bon chemin. Socrate ne nous dit-il pas que « nul n’est méchant volontairement »? Cependant, cette conviction a été ébranlé par une relecture des premiers livres de la République de Platon. Socrate y donne, comme en passant, la cause de l’injustice, à savoir la peur. C’est la peur de subir l’injustice qui rend tout le monde mauvais. Et c’est pour lutter contre cette cause que Socrate affirme « qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre ».

Mais la législation mise en place dans la République de Platon est incroyablement stricte et ne croit pas du tout à la rédemption du méchant. Ce qui attend l’homme non conforme, c’est tout simplement la mort, sur l’exemple de Sparte. Dans un texte qui cherche la définition de la justice, le moins que l’on puisse dire, c’est que la question de la proportion des fautes et des peines n’est pas la priorité.

Notre propre thèse, qui fait de l’échec du développement de l’intersubjectivité l’origine du mal, ne permet pas non plus de penser une correction facile. Comment recréer une intersubjectivité plurielle quand c’est installée une mono-subjectivité? Tous les témoignages des salauds vont dans le même sens: j’ai obéi à la loi ou aux ordres. Ils ne comprennent justement pas la possibilité de la remise en cause. Pour se remettre en cause, il faut en effet avoir la capacité à se décentrer, se penser autrement. Or la personne éduqué dans la mono-subjectivité, enfermée dans ce schéma, n’a pas cette ressource mentale. Le schéma de la reconnaissance multiple a été cassé. Pour le garçon, c’est le père qui n’a pas montré son amour pour la mère. Et pour la fille, c’est la mère qui n’a pas montré son respect pour le père. Les filles sont bien plus sujettes à cet enfermement, les garçons ayant une libido bien plus développée qui les ouvre beaucoup plus au monde.

Malheureusement, il faut accepter que le salaud… est un salaud. Quand il se comporte mal de manière répétée, ce n’est pas uniquement parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait, comme le soutient Socrate. C’est bien parce qu’il est mauvais. Et il est très important de l’intégrer pour arrêter dans être la victime. L’homme juste attend toujours que l’autre se comporte de manière juste. Il ne faut pas vivre dans cet espoir. Le méchant se comportera toujours d’une manière méchante, c’est son caractère, son schéma d’identification, sa source de plaisir. Il ne comprend même pas la peine de l’autre. Et surtout, il est incapable de comprendre qu’il est possible de faire autrement, justement, parce qu’il est enfermé dans sa mono-subjectivité. Il ne comprend que les structures de pouvoir et d’argent.

C’est une grande libération que de comprendre que le méchant agira méchamment. Nous ne pouvons rien y faire. Ce n’est donc pas notre faute. Parce que l’empathe a toujours tendance à prendre sa part de toutes les fautes du monde. Là, nous sommes bien obligés de prendre en compte que nous n’aurions absolument pas agit de la même manière et que le méchant agit méchamment de manière répétée. C’est bien qu’il ne lui ait pas du tout possible de comprendre le mal qu’il fait. C’est donc bien, dans son système, selon son caractère, un acte volontaire qu’il réalise. Sans accès à la multiplicité des subjectivités, il ne peut pas accéder à une pensée de la justice.

Le méchant semble totalement imperméable à la dépression et il ne ressent jamais le besoin d’aller voir un psy ou de se faire suivre. Ce n’est plus un hasard ou une anomalie si l’on considère que ces points sont constitutifs de sa méchanceté même. Comment pourrons-nous le ramener à la raison, ou plutôt à l’émotion? Ce ne sera pas possible. La première chose à faire sera de le sortir de sa structure de pouvoir, pour l’empêcher de faire trop de dégâts avec sa méchanceté. Mais ce sera très difficile, parce qu’il est toujours le fils ou la fille d’un autre salaud. On devrait prendre beaucoup de soin à choisir son conjoint pour éviter de se retrouver dans une telle situation. Au bureau, on prendra bien soin de naviguer entre les gouttes des salauds en tout genre que l’on ne manquera pas de croiser. Attention à ceux qui rient des blagues pas drôle, qui se moquent, qui ne voient pas le harcèlement, etc.

La grande difficulté est que la personnalité même du salaud est ce qui fait de lui un salaud et l’empêche de s’ouvrir à l’extérieur. Il renverra tout aux autres, ce ne sera jamais de sa faute. Une piste serait de le piéger dans ses propres contradictions. Il en aura forcément, parce qu’il sera un adepte du double standard. La justice et ses règles s’appliquent aux autres, mais jamais à lui. Il domine les autres et obéit à son chef, mais ne prend jamais en compte la loi morale. Le mettre face à ses contradictions, a son double standard, est l’une des seules pistes. Mais il faut bien être sûr qu’il ne pourra pas vous faire de mal, sinon il ne manquera pas de vous attaquer.

Si on avait la solution! En attendant, le contrôle, la prison, la prudence, semblent les meilleurs gardent fous.

Appendice 28 08 2025

Un autre point, que l’on peut déduire de l’argumentation générale, mais qui tient aussi à l’histoire de chacun, est le combat entre l’humilité et l’ivresse de soi. Les narcisses ne font que rarement, voire jamais, preuve d’humilité. Ils ne peuvent pas se remettre en cause. La fameuse humiliation de la loi morale, dont parle Kant, leur est étrangère. Comme leur est étrangère l’humiliation religieuse devant les commandements. On comprend l’intérêt pédagogique du péché éternel, et de la mortification qui va avec.

A l’inverse, les narcisses prennent plaisir à se moquer des autres. C’est la racine du plaisir du mal. Ce plaisir a sûrement été appris avant l’enseignement religieux, dans la famille. Les femmes, dont le narcissisme est bien plus fragile, essentiellement tourné vers le corps et leur intériorité, sont bien plus sujettes à cette haine tranquille des autres. Tout, tout le monde, doit être inférieur au salop. Il se réjouit de sa propre supériorité en même temps qu’il enfonce autrui. Ce comportement est l’exact inverse de l’humilité.

Le manque d’humilité est une forme d’hybris. Il revient à se considérer comme supérieur aux autres hommes, à se revendiquer plus près de la divinité que les autres. C’est ainsi que le narcissisme est un péché qui attire la vengeance des dieux.

Il s’agit donc de trouver un chemin entre les deux. L’humble sait reconnaître ses erreurs et se corriger. Il ne prendra pas sur ses épaules les problèmes du monde entier. Juste ce qui correspond à son périmètre de responsabilité, principalement dans son travail et sa famille. Il ne se placera pas au-dessus des autres, quand bien même ses facultés et ses moyens lui paraîtraient supérieurs. Sa pente, le défaut d’amour de soi, le conduit à toujours se remettre en cause et se rendre responsable au-delà de son pouvoir. Ce défaut peut également devenir un trait narcissique. L’humble peut se présenter comme un Sauveur, même quand on ne lui demande rien, c’est-à-dire dans la grande majorité des cas.

À l’inverse, le narcisse devra passer par une purification et par l’apprentissage de l’humilité. Il devra, comme Alcibiade dans le dialogue éponyme. Épreuve extrême pour lui que de revenir à hauteur d’homme. Une forme de narcissisme puise dans la méchanceté plutôt que dans la gloire de soi-même. Cette forme conduit généralement à la maladie et à la mort. Il devrait avoir un intérêt vital à se corriger. Malheureusement, la plupart du temps, il est perdu.

L’origine du mal dans la psychanalyse

Ferenczi fait partie du premier groupe des disciples de Freud, au même titre que Jung, Fromm, ou Reich.

Dans une conférence de 1932, dans le style inimitable de ces colloques, Ferenczi avance une idée scandaleuse qui marqua l’histoire de la psychanalyse.

L’enfant victime peut prendre la défense du parent abusif, contre toute idée de justice. L’imitation du parent et le besoin d’affection renverse souvent la logique morale qui condamner le coupable et protéger la victime.

Cette observation clinique, exprimée en quelques lignes, aura un grand retentissement. Le mal peut se répéter de génération en génération. La conscience morale peut être clivée, distinguer le bien et le mal partout, sauf à l’intérieur de la sphère familiale et le rapport à ses propres parents, ouvrant la voie à la répétition inconsciente des mauvais traitements.

Soyons forts. Brisons la chaîne du mal. Reconnaissons les salops, pour ce qu’ils sont. Et libérons ainsi nos enfants, plutôt que de leur faire porter nos traumatismes.

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