Le secret du mal – et comment s’en débarrasser…autant que possible! (1/2)

Pourquoi le mal?

Pourquoi certains d’entre-nous cèdent-ils au mal? Pourquoi tout le monde ne se bat-il pas pour le bien? Cette question, peut-être la plus décisive pour toute l’humanité, n’a, à notre connaissance par reçu jusqu’ici de réponse satisfaisante. Il y a au contraire une très grande tolérance au mal, et souvent une grande assymétrie dans la reconnaissance du mal.

Smaug – l’un des symboles du mal dans le Hobbit

Trois objections plus ou moins classiques se dressent comme d’infranchissables murs entre le problème et sa résolution. La première, la plus puissance, est celle consistant à dire que l’homme est par essence mauvais. C’est malheureusement la position des deux plus grands philosophes de l’humanité. Aristote énonce que l’homme est fait d’un bois tordu. Kant le reprend mot pour mot. On appelle cette thèse le pessisme anthropologique. Rousseau et son homme toujours natuellement bon, et corrompu uniquement par la société, ne pèse pas lourd dans cette équation. La seconde objection est en fait la même, mais présentée sous forme religieuse. Pour la Bible, l’homme est pécamineux, c’est à dire pêcheur. Adam et Eve ont péché en goutant le fruit défendu et leur péché se transmet à travers toute leur descendance, à toute l’humanité. Personne n’échappe à la contagion du péché originel. La troisième objection, la plus moderne et également la plus faible, consiste à soutenir qu’il n’y a pas de bien et de mal, que ce n’est qu’une invention des esprits faibles pour dompter les esprits forts, comme le soutiennent le personnage de Calliclès dans le Gorgias de Platon, ou Nietzsche dans toute son oeuvre et principalement la Généalogie de la morale ou Par-delà le bien et le mal. Cette dernière objection montre surtout l’effondrement moral du monde contemporain.

Un autre problème annexe consiste à se demander si Dieu est bon, puisqu’il y a tant de drames et de tragédie dans le monde. La réponse religieuse consiste à dire que les voies de Dieu sont impénétrables (comme dans la Théodicée de Leibniz). La réponse laïque est simple, le maître de l’univers n’est pas bon au sens moral humain (Schopenhauer). La création nécessite séparation, mouvement et renouvellement. Le problème du bien et du mal est un problème humain. C’est même le grand problème de l’humanité en tant que telle et de son destin. La liberté est sans doute le but individuel de l’homme, mais la moralité est le but commun de l’humanité.

Quel est le principe du Bien?

Selon nous, seule la question du progrès moral humain compte. Et ce progrès consiste tout simplement en la capacité et les règles à suivre entre humains pour maximiser nos chances d’être heureux tous ensemble. Cela passe par le respect de l’autre, que nous devons considérer comme un autre nous-mêmes, et par la coopération raisonnée. Cette position délicate navigue entre Charybde et Scylla. D’un côté, l’individualisme solitaire et triomphant, que certains dénoncent maladroitement comme étant une racine de notre modernité, en confondant liberté et libertarisme, aurait sa source dans le Je pense Cartésien. Scylla culmine dans la figure du tyran ayant tous les pouvoirs. C’est la Corée du nord. De l’autre la dissolution de toute individualité dans les régimes politiques totalitaires ou tout système de pensée pour lequel, sans que ce soit directement lié, le moi n’existe pas ou est une illusion. L’apothéose de Charybde est évidemment le communisme et ses 75 millions de morts.

Le plus grand philosophe du Bien moral est évidemment Kant, via l’expression de sa loi morale et de ces différentes versions. Mais nous verrons qu’il est loin d’être seul dans sa recherche. Le plus individualiste à l’inverse est très certainement Nietzsche, ce penseur qui est une catastrophe pour l’humanité. Ce n’est pas un hasard si le nazisme en est l’une des suites logiques possibles.

La loi morale consiste tout simplement à prendre en compte l’existence d’autrui. C’est la définition même du bien. Nous pouvons en déduire la question du mal qui se formule simplement ainsi: pourquoi tout le monde ne respecte-t-il pas la loi morale? Pourquoi est-il si difficile de prendre en compte l’autre dans toutes nos actions, réflexions et sentiments? Nos sociétés valorisent la tolérance, la fraternité, l’amitié et l’écoute. Kant et les Fondements de la métaphysique des moeurs, est pourtant bien au programme de fin de lycée partout en Europe. L’éphémère premier ministre Attal a même été jusqu’à vouloir mettre en place des cours d’empathie à l’école. Tout cela devrait être un fondement suffisant. Et pourtant, cela ne l’est pas. Où est donc le problème?

L’intersubjectivité et l’origine du mal

Le principale problème de la modernité philosophique est celui de l’intersubjectivité. Nous sommes à la fois des individus libres et indépendants, toujours en quête d’autonomie, et en même temps, nous ne sommes que des consciences vides, ne se reconnaissant elle-même que dans la conscience de quelque chose d’autre que cette conscience. Notre conscience est un néant. Elle est un vide qui doit etre rempli. Sa structure fondamentale est la même que celle du désir et du concept. Vide, non déterminé, le désir chercher un but, un objet concret. La conscience, elle s’emplit d’un objet expérieur auquel elle veut être unie. Néant elle saisit une réalité conceptuelle et forme un groupe, une classe, une idée, une quantité. Notre conscience est par essence tournée vers l’extérieure pour vivre, mais aussi pour se comprendre et s’étudier elle-même à travers les pouvoirs qu’elle met en oeuvre pour comprendre le monde, guider nos actions et gérer nos émotions.

Ce vide, ce néant de la conscience de nous-mêmes, vide originel, comparable au vide de l’univers, à la fois rien et ampli d’énergie potentiel, nous fait peur. Quand Pascal ennonce: « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », il ne parle pas en physicien, mais en philosophe. Le vide de l’univers nous renvoie au vide de notre propre conscience, qui dans un univers vide, n’a rien à saisir, n’est donc conscience de rien, et n’est que néant. (Nous avons développé plus avant ces sujets dans notre article sur le Secret de la conscience).

Il y a bien longtemps que l’interprétation individualiste du principe cartésien du Je pense, qui est d’ailleurs bien plutôt une critique interprétant que le texte que le sens profond de la thèse, n’est plus le fondement de la philosophie occidentale. L’individualisme rationnel n’existe même plus dans la théorie économique classique. Le principe de la modernité, ou plutôt du monde contemporain, est l’intersubjectivité. Il revient à Fichte de l’avoir posé, en continuant le kantisme, et à Sartre de l’avoir fondé sur le néant de la conscience. « Car je est un autre » nous dit Rimbaud. Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, et ce que nous sommes dépend de notre rapport à autrui. Nous communiquons avec nous-mêmes par le biais des retours que nous avons des autres. La conscience vide de soi, se rempli de nos interactions, idées, sentiments, expériences, et c’est ainsi qu’elle se révèle à elle-même. Ce mécanisme est la base de la logique comme de la psychologie. Il révèle le seul vrai pouvoir de la conscience, celui de la prise, de l’annulation de ce néant par son remplissage par un concept, une idée, une image, un sentiment, etc. Nous sommes une puissance créatrice d’union, de lien, nécessaire à l’annulation du néant originel. Seule les unions les plus solides pour nous existerons à jamais. Au premier rang desquels les unions logiques et rationnels, et au second l’inscription dans la vie biologique, souvent familiale, et ce qui y est attaché.

C’est ainsi que nous nous construisons. C’est ainsi, sur le plan psychologique, que nous avons besoin de la validation d’autrui, surtout nos parents durant notre petite enfance, quand nos forces rationnelles sont encore peu consciente d’elles-mêmes, pour valider notre propre existence. Je n’existe que si je reçois de l’attention. Les études sur les orphelinats ont montré que les bébés auxquels ont se contentaient de déposer un biberon dans leur berceau ne s’alimentait pas, peu ou très mal. Il faut que les nurses les prennent dans leur bras en même temps qu’ils prennent leur biberon, au moins durant les premiers mois. Toujours dans les orphelinats, les bébés dans les berceaux étaient trop éloignés les uns des autres ne se développaient pas et nombreux sont ceux qui rapprochent leurs berceaux pour pouvoir, à partir d’un certain âge permettant une mobilité suffisante, communiquer avec les autres.

Nous avons tous, enfants et parfois tout au long de notre vie, besoin de validation, ou encore de reconnaissance. Ce n’est pas un caprice, ce n’est pas une faiblesse. C’est une nécessité découlant de la nature intersubjective de notre conscience. L’enfant élevé parmi les loups ne redeviendra jamais complètement un homme, comme l’ont montré tous les exemples de ce type (y compris celui de l’homme ayant servi de modèle à Rudyard Kilpling pour Mowgli – https://fr.wikipedia.org/wiki/Dina_Sanichar#:~:text=Dina%20Sanichar%20est%20un%20homme,Ses%20origines%20pr%C3%A9cises%20sont%20inconnues.&text=Il%20pourrait%20avoir%20%C3%A9t%C3%A9%20l,le%20Livre%20de%20la%20jungle.).

Ce besoin fondamental va prendre de très nombreuses formes, et c’est son organisation qui va déterminer une grande partie de l’évolution de notre psyché, de notre personnalité, de nos choix et de nos habitudes. La plupart d’entre-nous trouve cette validation, qu’elle soit positive ou négative, chez leurs parents et dans leur famille au sens large. l’enjeu est proprement existentiel. Moi qui ne suit rien, je n’existe que si mon frère humain reconnaît mon existence. Avec la famille vient souvent également la religion, qui propose un système de validation différent de celui de la famille, une validation verticale dépendant d’un (ou plusieurs) dieu, et selon des règles explicites. La religion procure un premier élargissement du champ familial, qui peut être centré uniquement autour des émotions et des personnalités des parents. Viennent ensuite l’Etat, la science, l’art, la philosophie, la vie professionnelle, les amis, etc, qui vont tous proposer et élargir le champ possible de la validation. Plus nous grandissons et plus nous devons capables de prendre en charge nous-mêmes notre propre validation, enfin jusqu’à un certain point. C’est ce mécanisme qui est également à l’origine du développement de la capacité à se parler soi-même et à étudier des objets mentaux, ce que l’on appelle avoir conscience, prendre conscience, réfléchir, prendre du recul, etc. C’est là également, malheureusement, dans ce système de validation, que réside le principe, la possibilité du mal. Il est à la fois logique et psychologique.

Les fausses voies de l’intersubjectivité

La conscience du méchant, ou du salaud, n’échappe pas à cette construction fondamentale. C’est dans la construction de la boucle de la conscience, dans le miroir de l’âme, que se construises egalement les déviations par rapport au bien. Dans cette construction, le salaud refuse l’abîme. Il va s’accrocher à tout et n’importe quoi, plutôt que de contempler le vide. Il refuse fondamentalement de se confronter à son propre néant. Il ne comprend pas, il ne sait pas, que ce n’est pas la mort, que ce phénomène arrive à tout le monde et que nous devons apprendre à le maîriser, ou au moins à l’accepter. Nous devrons affronter nos dragons. Est-ce qu’il croit qu’il est malade? Est-ce quil se croit seul à devroir affronter l’abîme? En tire-t-il une très faible estime de lui-même, qui expliquerait qu’il soit prêt à tout pour faire remonter cet estime? Il faut du courage pour affronter sa propre conscience, c’est même la vraie défintion du courage, de la « force d’âme », le thumos, dont nous parle Platon.

La conscience émotionnelle de soi se développe dans le rapport aux parents. C’est ce que nous explique l’interprétation psychanalitque du mythe d’Oedipe. Si l’on met un peu de côté son mécanisme un peu stéréotypé, ce que dit Freud est tout simple que nous avons besoin d’aimer et d’être aimé pour nous sentir vivre, pour relier notre conscience à celle des autres, que nous recherchons l’amour de nos parents comme validation de notre propre existence. Si mes parents, frères, soeurs, et tout autres familliers m’aiment, j’existe à mes propres yeux. Si je ne me sens pas aimé, je risque de tomber dans la dépression, ou de m’épuiser, voire de me perdre dans la recherche de cette reconnaissance.

Le modèle parental et familial est le premier et le principal dans lequel va se construire cette conscience de nous-même et notre rapport affectif à nous-mêmes. Vide de nous-mêmes, nous imitons le moindre aspect de nos parents. Nous forgeons un caractère qui nous permettra, pensons-nous, d’obtenir leur validation et leur amour. C’est ainsi que le bien et le mal se transmettent de génération en génération, directement dans la construction de la conscience de nous-mêmes. Normalement il se produit une première distenciation à l’adolescence. Le développement de l’intelligence et de la rationalité, l’accès aux principes, la découverte des valeurs morales, permettent en général de commencer à voir les failles dans la personnalité des parents. On découvre leurs compromis, leurs faiblesses, leurs petits arrangements avec la vérité et la réalité. Cet écart est fondamental pour le développement de la conscience et de l’intelligence. Mais la constructions sous jacente est si solide qu’elle n’est que rarement effleurée par cette période de remise en cause.

Œdipe et Antigone, Charles Jalabert, 1842, / les jeux et drames de l’identification familiale

L’éducation du désir

C’est ainsi, dans cette boucle d’intersubjectivité, que se développe le désir et notre personnalité. Le caractère lui-même est pour nous une donée encore antérieur. Il vient avant. Il est l’héritage du désir qui a présidé à notre naissance et des circonstances de l’accouchement. Il est la marque avant et pendant la naissance. Mais l’organisation de notre désir, lui, vient de cette accompagnement des parents, de ces « voix » d’abord extérieures qui vont devenir les « voix » de notre bonne et de notre mauvaise conscience, par rapport auxquelles nous nous jugeons toute la journée. Ce que Freud appelle le Surmoi, et qu’il faut distinguer, du moi, l’instance qui entend le Surmoi et du ça, la puissance du désir naturel encore indéterminé, la pulsion. La voix de la conscience rationnelle et philosophique, doit pour nous être rajoutée à ce dispositif. Elle constitue une voix de plus, la voix de la raison, capable au moins au niveau du discours, de renverser toutes les autres.

Freud par Ananda Praj

Les contes de fées nous en donnent une image qui parle à l’enfant comme à l’adulte. La voix de la bonne fée est celle qui va correctement organiser le désir. La voix de la sorcière est celle qui à l’inverse, va laisser le désir instructuré, destructuré, ou carrément le nier. La voix de la fée valide la satisfaction du désir primaire, dans ses limites pour ainsi dire naturelle, et ouvre au surplus de désir, de la recherche de l’extériorité et d’autrui. C’est aussi la voie d’un plaisir correctement organisé, car nous prenons du plaisir à être nous-mêmes quand nous écoutons la voix de la bonne fée. La voix de la sorcière mélange les désirs et force le désir émotionnel à se rabattre sur lui-même. Il n’y a pas d’amour extérieur possible, ou alors il est enfermé dans un schéma scellé par le mauvais sort. Dans ce cas, nous ne trouvons plus de plaisir dans la conscience de nous-mêmes et nous devons en chercher des compensations à l’extérieur. Au-delà de la théorie, la mise en oeuvre de la parole de la bonne fée, ou du mage, de Carabosse ou de Merlin, n’est pas chose aisée. Mais c’est ici que se trouve la racine du mal, dans la construction du narcissisme, de l’estime de soi et de la confiance en soi.

Flora, Paquerette et Pimprenelle

L’enfant en quête de validation et d’amour va tout faire pour privilégier les scénarios qui vont lui permettre d’acquérir ou de maintenir cet amour. Quand l’amour s’est construit sainement, il n’y a pas de souci. L’enfant se sait aimé de ses parents et il s’aime lui-même. Mais nous savons bien qu’il s’agit là d’un cas idyllique. L’enfant est souvent utilisé par les parents pour renforcer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. La personnalité de l’enfant est alors niée. Elle doit soit servir le parent, soit disparaitre.

Grimhilde, la méchante reine dans Blanche Neige, ne support pas de ne pas être la plus belle. Elle demande au chasseur de tuer Blanche Neige et de lui rapporter son coeur, dans cette boîte au fermoir négateur de toute empathie. Difficile d’être plus clair.

A l’inverse, l’enfant rejetté par ses parents peut tout à fait, car nous restons des êtres libres, se révolter contre le père et ou la mère sorcière et aller chercher ailleurs, chez les professeurs, les amis, dans les livres ou ses passions, de quoi contre-balancer la haine de soi que ses parents essayent de lui inculquer. Ce cas est tout aussi rare, ce pauvre enfant traversera de nombreuses épreuves et deviendra un adulte accompli uniquement s’il en réchappe.

Les cas les plus courants sont évidemment dans le mélange, dans la négociation et dans la création de personnalité multidimenstionnelles. Le plus souvent nous sommes perdus entre le Bien et le Mal. Nous ne savons plus comment le reconnaître, et cela pour une raison très simple. Nous continuons à chercher l’amour de nous-mêmes, y compris avec des parents eux-mêmes non clairs sur les valeurs morales. Pour leur plaire et garder leur amour, qui est à nos yeux la preuve même de notre existence, nous considérons bon ce qui va leur plaire, ou ce que nous imaginons qui peut leur plaire et nous attirer leur amour. Nous ne pensons pas au bon en soi, en principe. Un enfant battu (et on ne parle pas ici d’un châtiment aussi exceptionnel que mérité, mais bien d’une véritable maltraitance) peut en venir à accepter le fait d’être frappé, se dévaloriser lui-même et continuer à aimer son parent qui lui procure le « bon » châtiment, parce qu’il est lui-même un « salaud ». Inconsciemment il répètera ce schéma quand il sera lui-même parent. Pour s’en défaire, il lui faudrait accepter que son parent tortionnaire ne l’aimait pas et le frappait par pure méchanté, personnalité non empathique, ou maladie mentale. Et donc qu’il n’a en fait jamais été aimé par ce parent, quelques soient les efforts qu’il a pu déployer pour arriver à obtenir cette validation et cette reconnaissance. La seule manière de se libérer réellement est la dépression, la remise en cause du processus fondamentale de validation de notre existence à notre propres yeux.

C’est ainsi que le mal se propage de génération en génération. Une partie d’entre-nous est prête à tout pour maintenir l’image du ou des parents aimants et aimables, et cela parfois à l’encontre de toute réalité. Tout, même le mensonge, l’oubli, la réécriture des faits, la complicité avec les actes délictueux. C’est ainsi que se met en place le « refoulé », autre mot pour dire le « déni ».

Contrairement à ce que l’on dit parfois, ce n’est pas l’événement traumatique lui-même que l’on refoule. C’est surtout l’impact qu’il pourrait et devrait avoir sur nos représentations. Les effets sont doubles. Si le traumatisme vient d’un proche, on va l’oublier, ou le refouler, parce que l’on cherche toujours la validation de se proche et lien d’amour mutuel que l’on croit existant entre nous. S’il me maltraite, c’est encore qu’il pense à moi. S’il m’aime et qu’il est un salaud, son amour pour moi est la preuve qu’il est bon et que je peux l’aimer en retour. Dire la vérité reviendrait à reconnaître le mal dans l’objet de notre amour. C’est impossible. Ce serait également se nier soi-même. Comment aurions-nous pu aimer le mal et attendre la validation d’un salaud pour nous aimer nous-mêmes? Que reste-t-il à part l’abysse si l’on ouvre la porte à cette révélation? Il faudrait abandonner notre amour pour nous -mêmes. Mais très peu d’entre-nous sont capables de le faire. Très peu comprennent que ce n’est pas un étape définitive et sans reconstruction derrière. Nous préférons rester dans le confort actuel. Il nous apparaît alors plus facile d’occulter le mal, de repousser la réalité, de vivre dans une imagination, dans un discours mental auto-référentiel. C’est ainsi que le mal va grandir dans les profondeurs du désir, et que l’on finira soi-même par devenir un salaud, validant la conduite injuste et la répétant à notre tour. On ne peut pas l’accepter pour autrui, se construire dedans, et se le refuser à soi-même. Le principe moral universel disparaît ou plutôt se tord sous la construction de la subjectivité de la conscience. Nous allons vivre soit la répétition du schéma intial, soit les conséquences dans nos relations avec les autres, et parfois même les deux en même temps, quand adulte nous devons composer avec notre famille, notre conjoint, nos enfans et nos proches. La synthèse, le maintient de tous ces mengonges, sera de plus en plus difficile. Le psychisme s’effondre petit à petit. On ne peut pas lutter contre le principe de bonté universelle sans en payer le prix.

En creusant ce chemin, nous pouvons nous rappeler que dans les contes de fées, il n’y a pas une seule fée. Il n’y en a qu’une dans les comptes les plus binaires, comme Cendrillon, où il y a la maraine et la méchante belle-mère. Mais dans le plus grand conte de tous les comptes, dans la Belle au bois dormant, il y a tout un aéropage de fées. Chacune donne un don, et nous pouvons comprendre cela comme si chacune de nos voix intérieures correspondaient à une fée… ou à une sorcière.

La voie de la philosophie et sa limite

Ce qu’offre la philosophie, ou la parole rationnelle, ce n’est pas une guérison directe des paroles du sorcier, une reconstruction directe de l’estime de soi. C’est surtout la possibilité d’une autre voix, complètement autonome, libre, indépendante de la construction de soi uniquement dans le désir, l’identification et les pulsions naturelles parce que rationnelle et appuyée sur d’autres principes.

C’est un levier pour la liberté, la possibilité de mettre à l’écart, de créer une distance par rapport à l’enfant, ou à l’émotion, qui peut donner un espace pour reconstruire une boucle de conscience et d’approbation de soi différente. Mais la rationnalité seule ne peut pas tout dans l’organisation saine du désir. Il faut aussi de l’émotion, de l’amour. La parole de la bonne fée, n’est pas un discours rationnel sur la gestion du désir. Ce n’est pas un manuel de stoïcisme. C’est un accompagnement sécurisant et bienveillant. Elle donne de l’amour en même temps qu’elle éduque le désir. Parole précieuse et complexe à mettre en oeuvre. La parole de la sorcière est bien plus facile à identifier. Elle condamne, exclut, rabaisse. L’enfant est laissé à lui-même dans du négatif et de la séparation, sans accompagnement vers le progrès, mais uniquement plongé dans son propre néant et sa nullité.

Souvent aussi la rationalité est utilisée par la sorcière pour rabaisser la conscience. Il est humiliant de ne pas comprendre ou ne pas être à la hauteur de nos principes moraux. Certains peuvent rejetter la raison et la morale justement à cause de ces blessures narcissiques qu’elles nous imposent en permanence. Ils ne voient pas que tel est le prix à payer pour grandir en sagesse. Il nous faut donc bien prendre garde à montrer la philosophie comme un chemin de liberté.

Le sage stoïcien apprenait à modifier ses représentations pour changer son action. Changer ses représentations lui permettait de changer son désir. Ces représentations sont essentiellement rationnelles. Il s’agit de se convaincre par des arguments et de prendre garde aux principes ou maximes déclenchant une action. Le sage moderne, celui qui allie le développement personnel, la psychologie et la philsophie apprend à changer les représentations plus si inconscientes que cela qui président à l’organisation de son désir. Il sait que tout est question d’amour reçu et d’amour donné, des voix des fées, des sorcières ou des fantômes qui résonnent dans sa tête et surtout dans ses émotions. Cette éducation a construit son désir et plus ou moins permis aux pulsions du ça d’être domestiquées, organisées, éduquées. De la même manière qu’il a appris à jouer avec ses représentations intellectuelles grâce aux stoïciens, il apprend désormais à jouer avec ses représentations émotionnelles, avec son besoin d’amour et les schémas qu’il a mis en place, ou qu’on a mis en place pour lui, et qui conditionnent son amour propre actuel et ses désirs.

Cette docrine, à bien des égards, est une synthèse entre Spinoza, le dernier l’héritier du stoïcisme, le philosophe qui a mis le désir au principe de tour, et Freud, le médecin du dérèglement du désir. Deux juifs. Deux âmes dont l’impérieuse nécessité était peut-être d’échapper à la culpabilité divine et au péché, au mal justment. Spinoza est allé chercher directemnet l’amour de Dieu. J’aime Dieu, je veux être uni à lui, et comme je suis une part de Dieu, et que Dieu s’aime lui-même, je peux ainsi m’aimer dans l’amour de dieu. En moi, Dieu s’aime lui-même et je peux m’aimer. Spinoza a parfaitement vu le cercle de la conscience de soi et l’estime de soi, le chemin par l’extérieur qu’il emprunte. Il a cherché une solution radicale, à la fois intellectuelle et émotionnelle. La compréhension que Spinoza a de dieu est en effet une intuition et pas seulement une intellection. Il l’explique avec beaucoup de détail dans le Court traité, un ouvrage injustement mis au ban de ses oeuvres, alors que c’est le plus clair sur la question de ce troisième genre de connaissance, l’une des grandes énigmes de l’Ethique. Il n’est pas sûr cependant que le sage spinoziste existe réellement. Malgré cette accès intuitif à la connaissance de dieu, il faut une large dose d’abstraction pour vivre de l’amour de dieu et dans l’amour de Dieu. Freud a trouvé le problème, mais il n’a pas vraiment trouvé la solution. Il est resté, malgré toute la place qu’il a donné aux émotions, trop socratique, trop rationnel et philosophique. Sa thérapie reste calquée sur le modèle du dialogue socratique. Seul le désir et l’amour éduque le désir et l’amour. La technique du transfert, par laquelle le patien reconstruit ses identifications et ainsi son identitée en tombant amoureux du thérapeute, a quelque chose de très artificielle. Il ne peut pas être une thérapie universelle, il ouvre la voie à la répétition de l’amour traumatique et à la manipulation par le thérapeute. L’amour des enfants ne peut pas être recré. Il doit se transformer en amour conjugal, ou envers les enfants, ou encore simplement en soin apporté dans les relations avec les autres. Le désir s’ouvre sur l’extériorité du monde.

Si l’on extrapole un peu la position de Kant, on pourrait dire qu’il n’y a pour lui aucune solution se bornant au niveau émotionnelle qui puisse être satisfaisante. Le désir restera le désir, avec sa part de « ça », d’excès, de débordement. Il est intéressant de noter que ce sage complet, sans femme, sans enfant, consacré uniquement à la découverte du pouvoir de la raison, n’a pas à un seul instant ou dans une seule ligne de son oeuvre prétendu être parvenu à la maîtrise complète du désir, contrairement à Descartes, Spinoza ou même Bouddha. Pour Kant, c’est tout simplement impossible. On ne peut pas nier sa propre nature. La seule voie est celle de la loi morale, fondée rationnellement, et nous humiliant par sa puissance. La raison ne rejoint jamais vraiment le désir. La loi morale n’est jamais mise en rapport avec l’empathie, ou l’amour, qui est pourtant l’émotion lui correspondant le plus, une émotion qui semble même nécessaire à sa compréhension, tant nous constatons tous les jours que les personnes sans empathie sont incapables de respect réel pour autrui. Il leur est peut être conceptuellement possible de prendre en compte le commandement de la loi morale, ce que certains appellent l’empathie cognitive, mais ils ne peuvent pas l’appliquer réellement à leurs actions, ils sont dénués d’empathie émotionnelle.

La voie de la raison, la liberté de pensée, la capacité à se remettre en cause intellectuellement, et à s’humilier quand on n’a pas respecté autrui sont indispensables, nécessaires, au chemin vers le Bien. Mais c’est encore insuffisant. La construction psychologique sous-jacente nécessite une autre sorte de langage et de logique pour être reconstruite, une logique du désir et de l’imagination, prise dans un dialogue intersubjectif.

Egoïsme, narcisse, confiance en soi, estime de soi et vérité

Pour Platon et Socrate, « nul n’est méchant volontairement ». La seule connaissance de la vérité suffirait à donner à la conscience morale le chemin du comportement le plus adéquat. Mais juste après eux, Aristote les réfute. Non, il ne suffit pas de voir le meilleur. Très souvent d’ailleurs, je vois le meilleur et je fais le pire. Il n’y a pas de chemin direct entre la raison et l’action morale ou l’action juste.

Aristote cependant ne nous aide pas tant que cela pour comprendre ce qui peut venir entre les deux et permettre au contraire au discours rationnel de devenir la réalité et la source de toute action. La théorie du juste milieu est, comme souvent chez Aristote, plus un constat de la réalité, qu’une méthode de sagesse, même si l’on trouve bien dans sa philosophie de nombreux éléments de mise en pratique, comme sa théorie de la catharsis, la purification des passions par identification.

La philosophie a longtemps placé la cause du mal dans l’égoïsme, dans la défense mal placée de l’honneur ou encore dans l’amour propre. La condamnation est souvent assez définitive et brutale, laissant peu de place à une véritable appropriation de la thèse. « Le moi est haïssable » assène Pascal. D’accord, mais si j’arrivais par miracle à faire abstraction de mon « moi », que resterait-il? Rien du tout? L’inverse du moi absolu est la compassion absolue, la négation de soi au profit des autres. Il n’y a pas plus d’intersubjectivité là-dedans. Et comment dois-je me débrouiller avec cela? C’est le problème de l’amour du Christ: « aime ton prochain comme toi-même ». Mais comment faire en pratique?

Le Christ rédempteur d’Andreï Roublev 1410

Il faut donc séparer entre les « mois ». Une certaine proportion d’amour de soi est nécessaire. La qualité de cet amour de soi est également très importante. D’autres modalités du moi seraient donc mauvaises. Comment faire la part des choses théoriquement, mais aussi réellement et concrètement? La réponse est d’autant plus difficile qu’elle semble relative, devant prendre en compte à la fois moi, autrui et la situation en jeux.

Honnête et mal-honnête

Tout se passe comme si nous n’avions finalement que deux chemins possibles. Soit nous sommes honnêtes, nous acceptons la remise en cause venant de l’extérieur et nous pouvons progresser moralement et intellectuellement. Nous vison d’emblée quelque chose qui nous dépasse. Nous savons que nous ne sommes que vide, « nous savons que nous ne savons rien », et aspirons à un savoir supérieur. Nous acceptons de prendre en compte l’autre, que ce soit une personne, une idée, une émotion, une intuition, n’importe quoi en fait, dans nos raisonnement. Mais même dans ce cas, il est possible que nous ayons à payer cher notre bonne nature, que nous ne soyons pas payés en retour par une affection sincère et que nous cherchions la validation et le plaisir qui nous manque, ailleurs dans une forme de compensation (drogue).

Soit à l’inverse, nous sommes malhonnêtes, nous vivons sur notre puissance intellectuelle, nous ne progressons pas et quand nous sommes face à un obstacle, nous trichons, parce que nous sommes incapables de sortir de nous. Ce seul mot pourrait tout résumé: mal-honnête. Honnête, mais pas comme il faut. Etrange expression, qui semble bien indiquer que même le mal honnête continu de se définir par rapport à l’honnêteté. Mais cette interprétation donne peut-être plus de pouvoir aux mots qu’ils n’en ont réellement.

Il n’y aurait que deux chemins. Soit nous sommes honnêtes et nous acceptons de nous remettre en cause. Nous voyons nos failles et nos limites, nous travaillons à notre propre amélioration. Nous acceptons les critiques et prenons en elle ce qui peut nous servir à progresser. Soit nous ne faisons pas cela et et vivons uniquement pour ainsi dire sur nos ressources actuelles. Nous ne cherchons pas à nous améliorer. Nous ne lisons pas, ne nous confrontons jamais à des raisonnements complexes en sciences ou en philosophie. Nous laissons notre « nature » nous guider. Si nous n’arrivons pas à nous en sortir par nos propres moyens, ou via des relations dans lesquelles nous trouvons notre compte, et bien il suffit de mentir. Mentir permet d’avoir ce que l’on cherche sans faire l’effort de l’acquérir. Une fois parti sur ce chemin, le vol devient une option très crédible. Et la violence aussi. Sur ce chemin, il n’est pas question d’apprendre à se maîtriser.

Est-ce là l’origine du mal? Nietzsche au début de la Généalogie de la morale, explique que toute sa pensée de la force et de la volonté, tout son combat contre la morale lui est venu d’un événement enfantin contre lequel il s’est rebellé. Que s’est-il passé? Il refuse de le dire, mais l’on peut bien l’imaginer. Nietzsche pourrait avoir reçu une punition pour avoir mal agit. Et il aurait refusé cette punition de tout son être. Il aurait ainsi refusé le chemin de l’amélioration et de l’honnêteté. Il n’est d’ailleurs pas non – honnête. Il est même très honnête. Mais il est mal-honnête. Toujours dans la Généalogie de la morale, il décrit, fait l’éloge même, de la force de volonté du prisionnier qui supporte sa peine sans jamais se remettre en question. Ce serait pour lui se renier, accepter d’être brisé par la société. Il en tire une partie de sa théorie de l’ubermensch, de l’homme supérieur, du sur-homme. C’est l’aryen ou l’indo-européen conquérant. Il n’y a vraiment aucun autre logique que celle de l’auto-justification dans ces arguments. Il prétend créer des valeurs, on a vu le beau résultat de ces thèses au fondement du nazisme, mais aussi d’une partie du communisme. D’autres ont été plus honnête dans leur malhonnêteté. Saint Augustin décrit le vol de la poire dans le verge. Rousseau relate le passage du peigne volée et le plaisir qu’il prit à la fessée qui lui servit de punition. La volupté du mal est réelle. Le plaisir sadique de nier l’autre dans le vol et la violence, de s’affirmer soi-seul dans l’ivresse du ça. L’honnêteté et la construction de l’intersubjectivité vont de pair. Nous devons toujours résister à l’identité figée. Il faut accepter la brisure de l’être, condition de toute communication, de toute transcendante et humanité.

Annexe

La faute de l’autre

Une constante des mauvais en tout genre est toujours de blâmer l’autre pour leur propre action. La source de cette justification est difficile, parce qu’elle n’est pas rationnelle. L’autre n’est évidemment pas responsable des actions du moi. Alors pourquoi une telle justification?

Parce que l’autre est déjà l’ennemi avant l’action. Le mauvais le détestait déjà, le voyait déjà comme un rival, dans le mimétisme destructeur, ou comme une victime de l’injustice dont il faut se prémunir. Les deux ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Ils sont même complémentaires.

La situation d’origine du mal, c’est l’identification au parent tortionnaire, pour éviter d’en devenir la victime. Cette situation d’origine est le fondement du narcissisme, c’est-à-dire une méconstruction de l’intersubjectivité qui permet de s’ouvrir à l’autre. Une intersubjectivité bien construite doit reposer sur plusieurs identifications externes, le père, la mère, les frères et soeurs, et à mesure que l’on s’éloigne, les identifications autres dans la famille, puis au-delà. C’est cette ouverture qui donne la capacité à aimer autrui, même si la conscience, autant que la sexualité du mamifère, le rendre déjà possible.

Au contraire, le développement de l’intersubjectivité concentré sur une seule personne, le maître, est le chemin du narcissisme. Et l’autre, la victime, est pour le narcisse, celui qui l’a forcé à se comporter ainsi, pour ne pas lui ressembler, pour ne pas devenir une victime à son tour. On se demande bien pourquoi il ne serait pas possible de simplement prendre la défense de la victime et trouver son critère dans l’idée de justice, plutôt que de chercher la validation de soi chez un tortionnaire. Socrate donne, comme en passant, une réponse dans le Livre I de la République. C’est la peur de subir l’injustice qui fait tout accepter. La peur de l’injustice pour soi est supérieure au courage de défendre la justice pour autrui. Mais en droit, ou en raison, Kant a montré dans La Religion dans les limites de la simple raison qu’il n’est pas possible de fonder le mal en raison.

Exemple désir et alimentation

L’amour que nous recevons ainsi conditionne également l’organisation de notre propre désir, qui n’est pas uniquement d’abord que pulsion ou instinct de survie et qui va être domestiqué en s’organisant autour d’objets du désir. L’un des meilleurs exemples est la manière dont le désir alimentaire est construit lors de l’enfance. Le « ça », ce désir primal, est domestiqué, civilisé, dans ce rapport aux parents. Ils vont nous accompagner dans la manière dont nous allons manger, nous soutenant, nous guidant pour que la faim soit correctement orientée, à travers la manière dont ils vont nous nourrir, les mots et la tendresse qui va aller avec (ou pas…). La diversification alimentaire nous fait passer de l’aliment/maman, ou du lait à une alimentation séparée, éloignée. Il ne s’agit pas que d’aliment, mais bien aussi d’amour. Nous mangeons l’affection dont nous avons besoin autant que la nouritture et les parents, surtout la mère, va nous apprendre à gérer cette articulation entre l’amour nourriture et l’amour émotion psychique.

La dépersonnalisation

L’autre possibilité est l’événement traumatique qui n’est pas familial, et où nous sommes réduit par l’autre au rang d’outil. Déshumanisé, nous avons du mal à nous revoir comme un homme. Nous sommes contaminé par le mal psychique du voleur ou du violeur. Nous avons honte. Ce second type de traumatisme est plus facile à extérioriser et combattre, même s’il reste bien difficile de le surmonter. Nous sommes l’objet d’un désir impur. Le violeur veut notre coprs et nous utiliser pour son plaisir. Le voleur fait pareil. Il est pris dans sa relation infantile et impacable de développer de nouvelles relations. Son désir, ses pulsions, se déploient en dehors de la norme.

Une interprétation du péché originel

La doctrine du péché originel nous dit que nous sommes tous pris dans la spirale de ces désirs déviants. Dieu nous donne le principe du bien, c’est le bon parent. Le diable nous donne la représentation du mal. C’est le sorcier ou le mal. La conséquence du mal est le rapport sexuel entre Adam et d’une certaine manière lui-même, Eve, qui vient de sa cote. On peut y lire le drame d’une famille ou Dieu et le Diable sont les parents, Adam et Eve les enfants. Une famille qui a sombré dans l’inceste du premier homme et de la première femme, un inceste qui donne naissance à toute une humanité prise aux pièges du narcissisme, de l’amour et de la haine d’elle-même à travers sa famille.

 Paul Rubens dépeint le jardin tel qu’il est décrit dans la Bible, plein de « tous les arbres agréables à regarder et bons à manger », ainsi que l’arbre interdit de la connaissance du bien et du mal.

Nous en sommes le fruit. La pomme, le diable, sont la représentation du désir malsain. Dans la série Lucifère, le diable demande toujours: que désirez-vous le plus? La Bible fait porter le désir déviant sur la femme. Pourtant nous savons bien que c’est l’homme qui a le plus de mal à maîtriser ses désirs. Il n’y a pas qu’une seule interprétation, la déviance peut venir de la femme, de l’homme, du rapport entre les deux, etc.

Une civilisation toujours au bord du gouffre – The Boys

Le vernis de la loi morale et de la loi tout court, pas toujours irréprochable d’ailleurs, est constamment sur le point de craquer. Nous le voyons tous les jours dans nos démocraties, le narcissisme, l’égoïsme, la construction toujours plus difficile d’un concensus, le repli sur les communautés, la mise au premier plan de détermination importante mais secondaire, le sexe, l’invention du genre, la couleur de peau, l’origine, l’histoire, la répartition de l’argent… Toutes ces déterminations qui alimentent et même enflamment le narcissisme en radicalisant les positions et l’image de soi.

Une série montre cela particulièrement bien. Il s’agit de The Boys. Dans cette sérieuse parodie du monde moderne, le Protecteur, Superman du temps des réseaux sociaux, ne pense plus du tout au bien commun. Il est obsédé par ses taux d’approbation dans les différentes classes d’âge sur les réseaux sociaux, par son nombre de like et de vue. Il est complètement dans cette nouvelle forme de narcissisme et de validation. Dès qu’une personne le contrarie qu’il le peut et qu’on ne le regarde pas, il la tue. La saison deux est la plus pertinente. Le Protecteur détruit un avion, laisse tous les passagers mourir, et vient ensuite sur les réseaux sociaux expliquer que s’il avait eu plus de pouvoir, s’il n’avait pas été limité par le gouvernement, il aurait pu tous les sauver. C’est ainsi que se construit la post vérité. Exister, c’est être validé par les réseaux sociaux. Cette validation ne passe plus par les succès intellectuels, penseurs, écrivains, chefs d’entreprise, médecin, etc. Elle passe par l’image, par la beauté physique, par le ton de la voix. L’amour des réseaux est une forme d’amour narcissique nouvelle, qui nous met face à un grand défi.

Homelander – le Protecteur, volant au-dessus de la foule – anté-christ nitzschéen, ivre de son propre narcissisme

Les pouvoirs du Protecteur ne viennent pas de la maîtrise des principes moraux. Ils ne sont pas le symbole ou la métaphore de sa bonté humaine. Ils sont les pouvoirs du ça, le meutre, le sexe (le viol), la nourriture, illimité. Au début de la série, le Protecteur est dirigée par Madelyne Stillwelle, la patronne de Vought, la société qui organise son succès médiatique. Cette patronne lui donne littéralement le sein, ce qui est un manière de montrer qu’elle l’éduque comme elle éduque son propre fils. L’allaitement, certes fait pour choquer l’audience, montre également le processus éducatif.

Ma conscience et ses voix

Si je prends en toute transparence mon exemple personnel, voici les « voix » de ma conscience, dans le désordre:

-La niaque: tu vas y arriver, tu vas t’en sortir, tu as toujours réussi à t’en sortir, l’avenir sera meilleur. Je dois gagner plus. Je dois fonder une famille, sur des valeurs et de l’argent qui vont durer dans le temps.

-Le ressentiment professionne: cette tâche m’emmerde, ce n’est pas à moi de faire ça, mon boulot est chiant, il n’y a pas de plaisir là-dedans

-J’ai bien le droit de me faire plaisir, j’ai besoin d’amour

-j’ai droit au respect, je suis le meilleur, je suis honnête, je sais me remettre en question.

-Je ne suis rien, je suis seul, je n’ai pas de chez moi, je suis un clochard comme les autres. – Cette voix est sans doute celle qui me prend le plus d’énergie à combattre pour ne pas en faire une réalité.

-tout m’embête et je mange pour compenser et avoir du plaisir

-Tout va bien, je vais te montrer comment manger correctement et arrêter quand tu n’en as plus besoin. Je suis là pour te montrer que je t’aime – Cette voix est définitivement celle de ma bonne fée. Elle a toujours été là, plus comme un fantôme, présent le soir, et suite aux réflexions partagés ici, je me suis dit que je pouvais tout à fait la laisser me parler, ce qu’y m’était interdit jusqu’ici.

-Je suis un grand philosophe, je cherche les passages entre la psyché et la logique, c’est tout à fait le travail de la philosophie aujourd’hui et j’ai les meilleures hypothèses sur ce sujet. Je dois faire connaître mon oeuvre et pour cela faire au moins un doctorat. Je devrais faire de la politique.

-La voix de la prière: s’il te plaît Dieu aide moi. Simplifie moi la tâche, donne moi un signe. Fais quelque chose pour moi, qui ai tant de difficulté à surmonter. En général, cette voix est le signe d’une angoisse particulièrement forte et survient quand j’ai l’impression de faire des efforts et qu’ils ne sont pas suivis de résultat. Je demande de l’aide, tout en restant tout seul, car il est assez clair que Dieu ne va pas venir m’aider. Cette voix est aussi le corollaire de ma solitude.

Voilà les principales voix qui me tournent dans la tête en permanence, plusieurs fois par jour. Les écrire, les considérer comme des voix, me permet de les mettre à distance et de pivilégier certaines, plus positives, sur d’autres, plus mortifères.

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